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| L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1) | |
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Ihriae Mercenaire Interplanétaire
Nombre de messages : 268 Age : 49 Localisation : Pas loin de la mer ou à la campagne... De plus en plus rarement, hélas, à Paris, au Musée du Louvre ou au Musée d'Histoire Naturelle...
| Sujet: Re: L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1) Lun 18 Déc 2017 - 11:10 | |
| Tome 1 : Esmelia CHAPITRE 21.4Suite du chapitre 21.3Tandis que les trois Labirés quittaient la passerelle à toute vitesse, Baal manipula une trappe dans la paroi du vaisseau qui s'ouvrit sous la pression de ses doigts. Il en extirpa deux plaques de la taille de cartes de tarot, d'un blanc fluorescent et laiteux. Esmelia supposa qu'il s'agissait de cartes contenant des données qu'il ne souhaitait pas voir tomber entre les mains de l'ennemi. — On y va ! lui cria-t-il à travers les grésillements des lumières et des ordinateurs, le bruit sourd des explosions et celui plus strident des sirènes d’alarme.
Il lui attrapa la main et l'entraîna à sa suite, dans les coursives du vaisseau. Malgré l'obscurité, il savait très bien par où il devait passer pour éviter les obstacles.
Les secousses se poursuivirent à un rythme régulier et rendirent leur progression chaotique. La lumière revint faiblement, mais elle montrait de sérieux signes de faiblesse. Plusieurs feux, à l'intérieur du vaisseau, envahissaient les coursives, se nourrissant de l’oxygène encore présent.
Toujours entraînée par Baal, arrivant à peine à voir devant elle tant ses yeux piquaient à cause de la fumée, elle arriva jusqu’à la salle dans laquelle ils avaient entreposé le téléporteur acquis sur Feloniacoupia. Il était en fonction. Les Labirés y faisaient passer aussi vite que possible tout le matériel nécessaire à leur survie quelle que soit la planète sur laquelle ils se réfugieraient. — Encore combien de temps ? demanda Baal à Grama. — La bouche restera encore ouverte dix warks, mais pas plus. Il faudra attendre cinq autres warks pour qu’elle puisse à nouveau être ouverte.
Will arriva à son tour suivi d’un groupe de Labirés. Il avait eu le temps de récupérer une trousse de secours, trois kits de survie, et son inséparable pad. Esmelia remarqua immédiatement son œil au beurre noir et les autres bleus sur son visage. Où qu’il soit allé avec Baal, les choses n’avaient pas dû très bien se passer… — Qui a fini par nous retrouver en premier ? lui demanda Will en sanglant son sac à dos.
Sans attendre la réponse, il distribua les kits de survie, l'un pour Grama, le deuxième pour Esmelia. Quant au troisième, il le posa près de Baal. Il passa la sangle de sa trousse de secours sur son épaule droite. Visiblement, il avait trouvé le moyen de la solidariser avec celle de son sac à dos pour qu’elle ne le gêne pas au niveau du cou et finisse par lui irriter la peau. Il fut un temps où cet exercice de harnachement ne lui était pas naturel. Depuis sa désertion de l’AMSEVE, c’était devenu aussi naturel qu’un réflexe. Parfois, elle se disait que ses anciens compagnons auraient sûrement du mal à reconnaître l’homme qu’il était devenu ces derniers mois.
— Jor POnyl, lui répondit-elle. Elle a retrouvé sa baleine blanche. Comme les autres, elle n’avait qu’une envie : le dépecer pour découvrir ses secrets les mieux cachés. Cela dit, étant donné le tact dont il fait preuve avec la plupart des femmes, elles n’ont pas besoin vraiment besoin de prétexte ou de prime pour essayer de lui faire la peau.
Le principal intéressé lui renvoya un regard torve qui disait clairement que si elle continuait, elle risquait de finir sa vie avec le vaisseau.
Will intervint : — Il n’y a qu’une seule chose qui intéresse vraiment Jor, c’est le profit. Elle comme les pies : attirée par tout ce qui brille. — Je vois… Et là, elle a vu un phare au milieu de l’océan… ou une soucoupe volante en argent. — On peut dire cela, acquiesça Will.
Elle vit Baal esquisser un sourire, sans doute douloureux à cause de la coupure qu’il avait à la lèvre, et même s’il s'activait autant que les labirés, il n’avait rien perdu de leur courte conversation. Des marques de fatigue et de souffrance étaient visibles sur son visage, mais il ne lâchait rien. Grama avait même du mal à le suivre tant il déployait de l’énergie à aider les labirés afin d’évacuer un maximum de caisses tout en surveillant le temps qu’il leur restait. Esmelia remarqua aussi des taches de sang sur ses vêtements. Ceux-ci étaient déchirés par endroits. Qu’avaient-ils donc fait, William et lui, durant leur absence ? Dans quoi le dieu déchu avait-il entraîné le scientifique ?
— D’après ce que je sais d’elle, Jor POnyl est devenue chasseuse de primes, reprit Will. — Voilà qui ne m’étonne guère, lâcha Baal en aidant l'un de ses Labirés à attacher une dernière caisse sur un chariot avant de le pousser vers la porte. — Nous devrions nous presser, ajouta Will. Elle est loin d'être stupide. À mon avis, elle doit déjà avoir compris que nous évacuions le vaisseau.
Dans sa voix, perçait une once d'admiration qui n'échappa pas à l'ancien dieu. — Vous avez envie de la rejoindre, MacAsgaill ?
La question était si inattendue de la part de Baal. Il semblait vraiment sérieux. Will s’en trouva pris au dépourvu. — Je… Enfin… Vous… Nous… — Décidez-vous, MacAsgaill, le temps presse. — Vous n’êtes pas sérieux, je suppose. — Bien sûr que si. Il l’était. — Alors, c’est non.
Il n’y avait aucune hésitation dans sa voix. Au contraire, il semblait n’avoir jamais été aussi sûr de lui. Baal s’arrêta net et le regarda. Pour la première fois, il avait l’air sincèrement surpris. Le chariot qu'il poussait redescendit la légère pente de la passerelle qui lui permettait d'entrer dans le passage, entraînant le labiré qui le tirait avec lui. Il peinait à la retenir tant bien que mal et étouffa quelques jurons. Dès qu’il s’en aperçut, Grama vint à son secours.
Baal semblait les avoir totalement oubliés pour se concentrer sur Will. — Cette fois, c’est à moi de vous demander si vous êtes sérieux ? — Disons que depuis peu, je me sens … plus utile et plus en sécurité... loin de l’AMSEVE. — Plus en sécurité ? s’étonna Grama en faisant passer la caisse dans la bouche.
Pour lui, les paroles de Will relevaient le plus souvent de la plaisanterie idiote. Puis comprenant qu’il était intervenu en lieu et place de son maître, il baissa aussitôt la tête.
Baal ne releva pas l’offense. Il s’approcha de Will. — Tant mieux, dit-il simplement. J’en suis heureux. Cela m’aurait ennuyé de perdre le seul médecin de ce vaisseau. — Je ne suis pas médecin, protesta Will dans un faible soupir comme s’il avait renoncé à ce que l’ancien dieu comprenne la différence entre un médecin et un exo-archéologue, ou un historien. — Chirurgien alors… — Et je ne suis pas chirurgien non plus. — En tous les cas, faute de mieux dans ce vaisseau, vous êtes MON médecin et MON chirurgien. — Sauf qu’il n’en reste plus grand-chose de votre vaisseau, osa Will. Ce n’est plus qu’une question de temps pour qu’il soit atomisé, et nous avec si nous n’évacuons pas rapidement.
Esmelia ne quittait pas Will des yeux depuis qu'il avait refusé l'offre de Baal. Elle ne parvint pas une seule fois à croiser son regard. Combien de fois l’avait-elle entendu dire qu’il aurait préféré être ailleurs que dans le vaisseau de Baal ? N’importe où, même sur la Terre s’il n’avait pas d’autres choix. Elle se demandait ce qui l'avait fait changer d'avis. Et depuis combien de temps ? Parce que cela, elle non plus, pas plus que Baal, ne l’avait vu venir. Avait-il vu, entendu, fait ou compris quelque chose pendant son expédition avec l’ancien dieu phénicien ? Ou bien était-il parasité, lui aussi, par un drægan ? À moins que ce soit à cause d’elle…
Dernière édition par Ihriae le Mer 20 Déc 2017 - 18:51, édité 2 fois |
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| Sujet: Re: L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1) Mer 20 Déc 2017 - 11:17 | |
| L’ORIGINE DE NOS PEURS Tome 1 : Esmelia CHAPITRE 22.1 23 novembre 2125 du calendrier grégorien. Paris, France. Terre. — Si tu aimes seulement ceux qui t'aiment, peux-tu vraiment dire que tu es quelqu’un de bien ? Le bon sens de Martha.
Martha, son havre de paix depuis trente ans. Trente ans d’un mariage sans faille aux yeux de leurs amis, de leurs enfants, et de leurs petits-enfants, bien que ces derniers ne soient même pas encore en âge de connaître la notion même de mariage.
Cassius Jameson observait sa femme avec la même tendresse, le même amour qu’au premier jour de leur rencontre. Elle avait ce charme indéfinissable qui lui avait plu dès qu’il l’avait vue sur la scène avec son violon, cette façon d’occuper l’espace lorsqu’elle jouait de son instrument alors même qu’elle restait au même endroit, et sa peau diaphane, et surtout sa longue chevelure blonde, presque blanche, qui prenaient la lumière de telle manière que celle-ci leur conférait une aura presque magique.
À la fin du concert, il était allé la voir pour la féliciter. Il n’avait jamais fait ce genre de chose auparavant, mais là, il avait senti qu’il devait le faire.
Le coup de foudre avait été réciproque. Ils s’étaient donc revus plusieurs fois, mais ils avaient attendu une année entière avant d’annoncer leurs fiançailles à leurs familles et proches respectifs. Six mois plus tard, ils se mariaient.
Elle lui avait donné cinq enfants. Quatre filles et un garçon. Tous étaient beaux comme des dieux et en parfaite santé. Il remerciait Dieu de lui avoir permis ce bonheur chacun des dimanches où il pouvait les accompagner à la messe. Ensuite, il y avait le repas de famille, toujours bruyant, toujours gai où ils parleraient de tout et de rien. Il évoquerait bien sûr son travail pour une grosse boite d’import-export de matériel destiné aux programmes spatiaux entre différents pays européens, asiatiques et américains. Les difficultés de trouver du personnel compétent pour mener à bien certaines négociations compliquées, ou bien les obstacles administratifs liés à l’importation ou l’exportation de tel ou tel produit, ou encore de la durée trop limitée de certains brevets d’exploitation. Mais ce qui l’intéresserait le plus, c’était lorsque sa fille aînée Mera lui parlait des recherches qu’elle faisait sur une maladie dégénérative de l’oreille et les manières d’y remédier, lorsque la seconde Maline évoquait les difficultés de certains scolaires des enfants qu’elle avait dans sa classe de primaire, lorsque la troisième, Miranda, lui montrait les robes qu’elle concevait pour la maison de couture dans laquelle elle travaillait, lorsque Merry, son unique fils, évoquait avec passion les compositeurs qu’il jouait au violoncelle dans le même orchestre prestigieux que sa mère, et son désir d’en devenir le chef d’orchestre principal, lorsque Maya, la petite dernière, encore en études pour devenir vétérinaire lui posait des questions sur certaines espèces qu’elle connaissait moins bien que d’autres car il était incollable sur la plupart de celles qui existait sur la Terre. Comme le reste de la famille, elle ignorait que ses connaissances en espèces animales allaient bien au-delà de ce qui vivait sur la Terre.
Trois de ses cinq enfants étaient déjà mariés et avaient déjà leurs propres enfants. Mera avait épousé l’un de ses collègues, Paolo, un vénézuélien venu étudier à Paris, et qui était resté en France pour devenir chercheur dans un prestigieux institut. Il avait obtenu la nationalité néo-africaine juste avant d’épouser Mera. Ils avaient déjà trois enfants, des triplés, deux garçons et une fille, âgés de huit ans. Le quatrième était en route et ils songeaient déjà à un cinquième pour que celui-ci ne grandisse pas seul car la différence d’âge avec les aînés était déjà conséquente. Maline avait épousé un camerounais, Diomède. Ils avaient trois petites filles de six, quatre ans et deux ans. Maya n’avait pas attendu d’épouser Justin, un martiniquais, pour avoir deux enfants, un garçon et une fille de six et quatre ans eux aussi. Lorsque Martha et lui leur demandaient quand ils comptaient organiser leur mariage, les deux jeunes gens se montraient toujours évasifs. Leur situation leur convenait plutôt bien telle qu’elle était, même si aux yeux de certains religieux, ils passaient pour des mécréants.
Cassius avait beau être profondément religieux, il n’était pas de cet avis. Si sa fille et son compagnon avaient choisi ce mode de vie, cela signifiait qu’il leur convenait. Il n’avait rien à y redire. Il avait bien fait la paix entre ses croyances religieuse et son travail scientifique. Après tout, pourquoi l’existence de différentes formes de vies extraterrestres dans l’univers serait-elle incompatibles avec celle de Dieu ? Au contraire sa foi n’en était que plus renforcée : Dieu était bien plus grand qu’on ne l’imaginait, et plus complexe.
Martha, quant à elle, se consolait en se disant qu’elle avait encore deux enfants à marier, et donc deux cérémonies à organiser. C’était l’un de ses grands plaisirs dans la vie. Merry, après avoir bien papillonné de petites amies en petites amies depuis qu’il avait découvert qu’il avait un pouvoir de séduction certain sur les filles avait enfin décidé de se poser auprès de Charline, une très jolie métisse aux yeux vert amande. Personne ne savait combien de temps cela durerait, mais en tous les cas, c’était, de loin, la relation la plus longue qu’il avait eue avec une fille.
Tout ce petit monde vivait à Paris ou à moins de deux heures de la capitale française, et même les dimanches où il était absent, il y avait toujours du monde autour de Martha.
La maison dans laquelle ils habitaient à Saint-Germain-en-Laye était suffisamment grande pour accueillir toute la famille. C’était une jolie maison avec un jardin qu’ils avaient choisie et achetée ensemble au début de leur mariage. Lorsqu’il était absent, Martha était rarement seule. Elle recevait souvent la visite de ses sœurs, sans compter que Maya vivait encore sous leur toit, et Merry y venait encore régulièrement, accompagné ou pas.
En trente ans, ils avaient déménagé sept fois, dans sept pays différents. C’était en France que sa famille avait vécu le plus longtemps. Comme pour chacune des maisons qu’ils avaient habitées avant, Martha avait entièrement décoré celle-ci et en avait fait un véritable modèle pour catalogue. Toute en couleurs pastel et crème, des meubles clairs, et des tissus moelleux, doux au toucher, reposant au regard, leur maison était un cocon, un domaine protégé et personnel, à l’opposé de sa cellule austère et sans âme au Fort, ou dans les autres bases du CENKT où il avait séjourné. Martha le savait inconsciemment. Elle ignorait tout du Fort, même son existence. Pour elle, lorsqu’il travaillait, il passait ses soirées et ses nuits soit à l’hôtel, soit à son bureau, ou encore dans un train, dans un avion, à consulter des dossiers, à prévoir de nouveaux marchés, à organiser des réunions et des voyages d’affaires. Il en était, en partie, vraiment ainsi. Il restait sagement dans sa chambre d’hôtel ou dans sa cellule alors que d’autres de ses collègues profitaient de ces moments de liberté familiales pour écumer les bars ou prendre du bon temps avec des call-girls essentiellement. Lui, il passait ses soirées à planifier les prochaines interventions et à étudier les espèces extraterrestres qu’ils devraient cibler afin de ne pas avoir de mauvaises surprises. Il avait toujours l’échec avec Curtis en tête. Il n’avait pas su trouver le bon levier pour le retourner contre ceux qui le missionnaient.
Jamais il n’avait trompé Martha. Il l’aimait beaucoup trop pour la trahir ainsi, ou même autrement. Il ne tenait pas en grande estime ceux qui menaient une double vie sans se préoccuper des dégâts qui pouvaient en résulter. On pouvait dire beaucoup de choses de lui, mais pas qu’il était un homme dont la morale était à géométrie variable, un homme sans honneur.
Avec ses subordonnés, il pouvait se montrer dur, mais il veillait à être toujours juste. Il se montrait encore plus exigent avec lui-même. Mais grâce à cela, il arrivait toujours à ses fins. Depuis qu’il avait pris la direction des opérations spéciales du CENKT, il n’avait jamais manqué aucun de ses objectifs, même si certains s’étaient révélés moins réussis que d’autres.
Le prochain serait, de loin, le plus ambitieux...
— Si tu aimes seulement ceux qui t'aiment, peux-tu vraiment dire que tu es quelqu’un de bien ?
Cela ressemblait à une phrase des évangiles… Peut-être celui de Matthieu. Oui, cela devait être ça. Il ne se souvenait plus très bien.
En cet instant, c’était surtout une question que Martha venait de poser à Julius, l’aîné de leurs petits enfants qui venait de faire savoir qu’il y avait, dans sa classe d’autres enfants qu’il n’aimait pas parce qu’ils s’étaient moqués de sa chevelure sombre indomptable et toute hérissée, et de sa couleur de peau, ni complètement blanche, ni complètement noire. Il avait cassé la figure à deux d’entre eux sans autre forme de procès. Il avait les moyens physiques de le faire, car pour son âge, Julius était aussi costaud et vif que malin.
Il croisa le regard doux de Martha. Elle lui sourit. Un sourire de connivence. Un sourire de confiance. Il lui répondit par ce même sourire.
Il essaya, et il espéra que cela passerait pour tel.
Il ne pouvait pas lui dire que cela n’avait aucun sens pour lui. Il ne pouvait pas aimer ceux qui ne l’aimaient pas. Au mieux, ils le laissaient indifférent. Au pire, il les haïssait jusqu’à les tuer. Pas parce qu’ils ne l’aimaient pas, lui, en tant qu’homme, soldat, serviteur de son pays, et bon père de famille, tout autant bon grand-père. Parce qu’ils ne l’aimaient en tant qu’Être Humain. (Suite Chapitre 21.2)
Dernière édition par Ihriae le Mer 26 Juin 2019 - 12:19, édité 4 fois |
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| Sujet: Re: L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1) Mer 20 Déc 2017 - 11:19 | |
| Tome 1 : Esmelia CHAPITRE 22.2Suite du chapitre 22.1Martha, comme le reste de la famille, comme 99,9 % des êtres humains de cette planète ignorait que l’espèce humaine était en danger et que, sans des hommes comme lui qui avaient accepté de salir leurs mains et leurs âmes durant les siècles passés, elle ne serait sans doute plus au sommet de la chaîne alimentaire.
Combien d’actes condamnables aux yeux de l’Humanité avait-il commis tout au long de sa vie ? Si Martha le savait, ou si elle en connaissait la nature, ou même si elle apprenait que toutes ces années de vie commune, depuis l’instant de leur rencontre, il lui avait menti sur ce qu’il faisait, que penserait-elle de lui ? L’aimerait-elle encore comme au premier jour ? Ses enfants continueraient-ils à voir en lui un homme bon, un homme de bien ?
Malgré toutes les horreurs qu’il avait commises, et cela impliquait celles qu’il n’avait fait qu’ordonner, et celles dont il avait seulement contresigné l’autorisation, il continuait à penser qu’il était un homme bien parce que ce qu’il faisait, il le faisait pour protéger sa famille, et l’Humanité toute entière. Personne, en dehors de ses hommes et lui, n’avait vu les horreurs commises par les envahisseurs. Personne ne pouvait les imaginer.
La moitié de ces créatures n’était rien de plus que des bêtes sauvages, des prédateurs ou des parasites au sens propre qui essayaient de trouver leur place dans la chaîne alimentaire du vivant terrestre. Ils ignoraient qu’en faisant cela, ils la bouleversaient totalement. Combien d’affaires relatant des attaques de créatures extraterrestres sur des êtres humains avait-il dû transformer en attaque de chiens, d’ours ou de requins, et même de taureaux furieux ou d’accident de cheval ? Combien de forêts avait-il dû faire incendier pour exterminer une espèce végétale ou animale extraterrestre endémique en faisant passer cela pour une catastrophe naturelle ? Durant cinq ans, il avait fallu vendre un produit de traitement particulièrement nocif pour ses utilisateurs humains pour éradiquer une sorte de sauterelle qui prenait un malin plaisir à secréter une substance encore plus nocive qui attaquait les reins et l’appareil digestif des animaux sauvages quelle que soit leur espèce. Il y avait eu deux cas de décès que le CENKT suspectait aussi en être une conséquence. Le CENKT ne parvenait pas toujours à découvrir ces espèces, nocives ou non, le premier. Parfois, des scientifiques, ou même des explorateurs du dimanche, tombaient dessus par hasard. S’ils en sortaient vivants et en bonne santé, et s’ils en parlaient à la communauté scientifiques ou à la presse, alors il était trop tard pour une action radicale de la part du CENKT. Ne restait alors seulement qu’à faire croire qu’une nouvelle espèce venait s’être découverte, sans doute déplacée de son milieu naturel par l’homme et ses activités, ou bien à un cas exceptionnel d’hybridation, lorsque c’était possible. Ça, ça marchait bien pour les plantes et les animaux extraterrestres.
Pour les vaisseaux s’écrasant sur la Terre, la solution venait d’elle-même : un tremblement de terre, un tsunami, un ouragan, une éruption volcanique, ou l’explosion d’un dépôt de bombes datant de la Seconde Guerre Mondiale. C’était cette histoire que ses prédécesseurs avaient utilisée pour l’accident, en Belgique, dans les années 50.
Pour les êtres dits intelligents, cela s’avérait nettement plus compliqué. Il les classait déjà en deux catégories : ceux qui ne demandaient rien à personne et essayaient de se dissimuler parmi les humains lorsque leur physiologie le leur permettait, ou dans le cas contraire, dans des sanctuaires, sortes de ghettos clandestins pour extraterrestres. Et les autres, ceux qui avaient des velléités de pouvoir sur l’être humain et entendaient prendre possession de sa planète, la Terre. Eux aussi essayaient de se dissimuler parmi les humains, ou dans les sanctuaires pour extraterrestres. Il considérait les deux catégories comme aussi dangereuses l’une que l’autre. La seconde, pour des raisons évidentes, et la première parce qu’elle était porteuse d’un virus : son génome. Certaines espèces étaient compatibles avec l’être humain et leurs individus pouvaient donner naissance à des êtres hybrides. D’autres pouvaient modifier la structure de leur ADN, ou celui de l’être humain par simple contact et le modeler selon ses besoins reproductifs.
Bref, ils pouvaient sembler aussi inoffensifs ou pacifiques que des gremlins avec lesquels on aurait respecté les trois règles. Mais un accident pouvait facilement arriver, et la catastrophe suivait immédiatement… La vision d’une multitude de gremlins mutants se multipliant de façon exponentielle s’imposa à son esprit.
Même s’il savait que c’était une vision simpliste, même s’il était conscient que pour survivre l’Homme devait évoluer, comme l’avaient fait les hommes préhistoriques. Il y avait eu de nombreux départs, des espèces différentes, mais une seule les avait tous supplantés pour devenir l’Homme moderne. Il n’était pas contre l’évolution, mais il voulait être certain du choix. Un choix qui anéantissait toute autre possibilité. Un choix qui n’exterminerait pas la quasi-totalité de la population humaine actuelle. L’Homo Sapiens avait passé la ligne d’arrivée le premier. Mais que se serait-il passé si cela avait été l’Homme de Neandertal ou l’Homme de Denisova ? Peut-être seraient-ils aussi évolués que l’était l’Homme Moderne aujourd’hui… Ou bien serait-il dominé, mis en esclavage par des êtres venus d’ailleurs ?
Il n’était pas non plus fondamentalement eugéniste. Pas à la façon des nazis, vers le milieu du XXe siècle qui voulaient créer une espèce humaine supérieure pour dominer toute l’espèce humaines. Ce qu’il souhaitait, c’était que l’espèce humaine toute entière reste suffisamment forte pour avoir sa place à la table des négociations lorsque le jour viendrait. Et il viendrait, il le pressentait. Il s’en sentait comme le garant. Il voulait même en être l’artisan, et pour cela, il avait besoin de prendre le contrôle de l’AMSEVE dont il ferait une arme, et non plus un jouet pour scientifiques en mal de découvertes.
Il respectait profondément le général Doherty et le travail qu’il avait accompli dans le domaine de l’exploration spatiale, sans parler des sacrifices. Mais il était temps de passer à l’étape supérieure. Doherty appartenait aux défricheurs, aux explorateurs, lui aux conquérants et aux bâtisseurs. De plus, la vision de Doherty de l’exploration extraterrestre et des rencontres du troisième type était beaucoup trop pacifiste à ses yeux. Ni lui, ni ses explorateurs, et encore moins ceux qui finançaient le programme d’exploration ne se rendaient compte qu’ils donnaient bien plus d’informations sur l’espèce humaine aux extraterrestres qu’ils n’en récoltaient sans doute sur eux.
En son sein, l’AMSEVE en avait accueilli quelques-uns. Une fois leur contrat terminé, deux d’entre eux étaient restés à la base. Qu’avaient-ils à y gagner à part en apprendre le plus possible sur l’avancée des découvertes scientifiques humaines et les communiquer à ceux de leur espèce en cas d’invasion ? Un troisième s’était enfui avec des documents importants qui auraient pu être autant de découvertes, et le quatrième s’était purement et simplement volatilisé. Qui savait ce qu’il avait emporté avec lui ? S’il avait dirigé l’AMSEEVE, jamais cela ne serait arrivé. Jamais il ne l’aurait toléré. Dans moins de deux jours, il prendrait le contrôle de l’AMSEVE, et l’une des premières mesures qu’il prendrait, ce serait de renvoyer les deux extraterrestres là où était leur place, et il mettrait Doherty et tous ceux qui étaient responsables du programme face à leurs responsabilités.
Il sentit la main apaisante de Martha sur son épaule. Perdu dans ses pensées, il ne l’avait pas vue venir à lui. Il avait même totalement perdu la notion de ce qui se passait autour de lui. Ses filles qui pépiaient comme une volée de moineaux un soir d’automne, ses beaux-fils et son fils qui joutaient les uns contre les autres par écrans interposés avec un vieux jeu qui avait eu son temps de gloire quelques années plus tôt, et les enfants qui se coursaient autour des meubles d’une pièce à l’autre en criant.
— Tout va bien, Cassius ?
Il lui sourit. Un sourire qui se voulait apaisé mais qui ne la trompa pas.
— Je n’aime pas quand tu disparais dans tes pensées, mon chéri. Ton employeur te demande beaucoup trop, et tu t’investis tout autant pour lui. Vivement la retraite. — Il est encore beaucoup trop tôt, fit Merry qui l’avait entendue.
Il n’avait pas été le seul. — Papa est encore beaucoup trop jeune… enfin c’est ce qu’il croit, plaisanta Maline avec son sourire malicieux.
Il y eut un éclat de rire général auquel il s’associa de bon cœur, même s’il savait très bien que les hommes comme lui n’arrivaient jamais jusqu’à la retraite.
Il n’en laissa rien paraître.
— Allez viens, lui conseilla Martha de sa voix douce et apaisante, passons à table avant notre armée de petits démons n’ait tout saccagé sur son passage.
Dernière édition par Ihriae le Mer 20 Déc 2017 - 19:10, édité 1 fois |
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| Sujet: Re: L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1) Mer 20 Déc 2017 - 19:09 | |
| L’ORIGINE DE NOS PEURS Tome 1 : Esmelia CHAPITRE 23.1 23 novembre 2125, calendrier grégorien. Date et lieu stellaires inconnus. Le Retxab, vaisseau drægan de Baal, ancien dieu phénicien sur la terre, actuellement drægan rebelle dont la tête est mise à prix dans plusieurs systèmes solaires de la Voie Lactée.Les labirés emportèrent ce qu’ils purent : arsenal, vivres et autres. Tout ce qui était nécessaire à leur survie en milieu hostile ou non et pouvait être transporté avant la destruction du vaisseau.
Il leur restait peu de temps avant que le portail se referme. Baal leur ordonna de laisser les dernières caisses et de le franchir.
Alors qu’il s’entretenait avec son second, Esmelia ne put s’empêcher de tendre l’oreille pour entendre ce qu’ils se disaient. Elle s’était retrouvée catapultée dans la tête de Grama. Une éternité d’à peine quelques secondes… Elle ne chercha pas à s’en extraire.
Le tunnel devait les envoyer dans un système voisin de celui où ils se trouvaient actuellement, en bordure de la Voie Lactée et du bras de l’Ecu-Croix, sur une petite planète viable, et tranquille côté visites spatiales. Ils pourraient y rester plusieurs semaines pour y reprendre des forces. À charge, ensuite, pour Grama de les reconduire chez eux, dans leur système solaire, sur leur planète natale, Sumer. Une fois dans leur foyer, ils ne devaient plus en bouger, et éviter de se faire remarquer, car on ne leur pardonnerait sûrement pas leur fidélité à un suzerain dont la tête était mise à prix dans la plupart des systèmes de la galaxie.
De tous, Grama serait sûrement le plus exposé. Même s’il parvenait à rester discret en se fondant dans la masse, sa condition d’apatride humain risquait de le desservir. Il avait toujours été fidèle à son dieu et maître et n’avait quasiment jamais quitté le vaisseau depuis le jour où il y avait été embarqué. Il avait toujours connu la vie d’équipage. Le vaisseau était devenu sa maison et les labirés qui y officiaient étaient ce qui se rapprochait le plus d’une famille.
Baal avait mis des années à recruter son équipage composé uniquement de sumériens, même les officiers. Ce n’était normalement pas le cas sur les vaisseaux de ses pairs où les officiers subalternes étaient des drægans de castes mineures mais des drægans malgré tout. Ils étaient généralement issus de riches dynasties vivant sur des planètes sous domination de drægans majeurs. Et leurs officiers supérieurs le leur rappelaient sans cesse.
Jamais Baal ne s’était mal comporté avec les membres de son équipage. Il avait toujours veillé à leur bien-être. Tous à bord le respectaient. Ils lui étaient, et lui seraient, fidèles jusqu’à leur mort. Grama le confirmait en refusant obstinément de le laisser seul avec les deux terriens et face aux menaces qui planaient sur la galaxie. Il ne comprenait pas pourquoi Baal avait choisi de se séparer de lui plutôt que des deux terriens. Il ne les détestait pas, mais leur présence sur le vaisseau le déroutait. Il ne savait pas toujours comment se comporter face à eux.
C’était la première fois qu’il rencontrait des terriens depuis ces trente dernières années. Depuis qu’il avait quitté la Terre, sa planète natale, il s’était bien gardé de le leur parler de ses origines terriennes, ou de poser des questions sur la manière dont on vivait sur la Terre depuis qu’il en était parti. Cela ne l’intéressait plus. Il lui suffisait de les observer pour savoir qu’il leur était désormais autant étranger que n’importe quel extraterrestre.
Chez elle, il avait ressenti quelque chose qui lui donnait la chair de poule. Depuis son arrivée, il s’était tenu à distance autant qu’il l’avait pu. Lorsqu’elle avait pris le commandement de la passerelle face à Jor POnyl, c’était comme si un autre être, inconnu, avait pris la place de l’humaine. Son attitude et sa voix avaient changé… Il avait alors compris qu’elle n’était pas ce qu’elle prétendait être. Il n’en était pas absolument certain, mais son instinct le trompait rarement. Son compagnon l’avait-il remarqué ces changements ? Et Baal ? Cela n’avait pu lui échapper. Courait-il un danger ? Ou bien était-il le seul ? Était-il le seul à s’en rendre compte ? Il n’en avait encore parlé à personne.
Si elle l’avait souhaité, Mead’ aurait pu l’éliminer pour sauvegarder son secret, mais elle ne l’avait pas fait. Y-avait-il une raison à cela en dehors du fait que Baal n’apprécierait sûrement pas qu’elle tue l’un de ses protégés ? Sans doute considérerait-il un tel acte comme une déclaration de guerre. Ce n’était pas dans leur intérêt, ni à l’un ni à l’autre.
Avec Will, c’était une autre histoire. Grama appréciait sa compagnie. Le scientifique était de bonne composition, toujours disposé à aider sans qu’on le lui demande et curieux des choses qu’il ne pouvait connaître en tant que terrien, notamment sur la structure du vaisseau, les voyages spatiaux, les drægans, les sumériens et toutes les civilisations de la galaxie. Ils avaient sympathisé, dans une certaine mesure. Grama ne le considérait pas comme un ami, mais comme quelqu’un qui pouvait le devenir, peut-être… s’il reconnaissait Baal comme son dieu et maître et s’il était prêt à donner sa vie pour lui. Mais c’était sûrement trop en demander à un humain qui n’avait jamais eu foi dans les anciens dieux.
Il acceptait donc les deux terriens comme n’importe lequel des très rares invités de son maître à bord du vaisseau. Mais il ne comprenait pas pourquoi Baal les avait gardés à bord aussi longtemps, ni pourquoi il les tolérait, lui qui n’admettait la présence d’étrangers sur son vaisseau que le temps d’une visite de courtoisie, même ceux de sa propre espèce à l’intérieur de son vaisseau, habituellement.
Elle plongea plus profondément dans la mémoire de Grama. Avant leur arrivée, il avait été le seul terrien au milieu de ces humanoïdes venant tous de la planète Sumer et possédant la même culture, à quelques différences près selon la région d’où ils venaient. À l’origine, tous étaient des nomades et se déplaçaient sur l’unique continent au grès des saisons. De ce point de vue, Sumer n’était pas ce que l’on pouvait appeler une planète hospitalière. Elle était la plus grosse de son système solaire et l’une des trois planètes les plus éloignées de son soleil. Les températures, en été, y excédaient rarement plus de quarante degrés. En hiver, elles pouvaient descendre jusqu’à moins cent-cinquante. Une grande majorité des sumériens avaient donc choisi de se déplacer en fonction du soleil et de sa chaleur. Il existait néanmoins des ethnies qui avaient choisi différents moyens de survie en construisant des dômes, ou en s’installant dans des cavités souterraines, ou bien encore au fond des océans gelés en surface. Au fil des siècles, celles-ci avaient choisi d’évoluer en dehors de tout contact. Tant et si bien que même leurs plus proches voisins ignoraient si elles existaient encore.
Les lointains ancêtres des sumériens avaient vécu sur la Terre avant qu’une ancienne divinité, antérieure aux Primaires, les exporte à son service sur une planète dont le nom était oublié aujourd’hui. Les premiers labirés lui avaient, depuis, donné le nom de Sumer, et c’était celui sous lequel elle était désormais connue. Leur civilisation avait évolué et leur génétique avait suivi ses propres variations en rapport à leur environnement. Les sumériens possédaient une physiologie humanoïde. Leur taille moyenne se situait autour d’un mètre quatre-vingt-dix. Ils paraissaient aussi massifs que des géants
Sa taille était sûrement le seul point commun que Grama avait avec eux. Malgré cela, il était plus chétif. Alors qu’il arborait une peau plutôt claire, des yeux très bleus et une chevelure châtain clair, les sumériens avaient des yeux sombres, légèrement bridés, des cheveux noirs, et leur peau était cuivrée, épaisse comme du cuir.
Lorsque Grama vivait sur la Terre, le sport n’avait jamais été sa matière préférée à l’école. Il en avait vraiment compris l’une des utilités que le jour où il avait été pourchassé par des chiens monstrueux. Les Sumériens, quant à eux, étaient des coureurs à pieds infatigables, des grimpeurs alertes, et des lanceurs de javelots d’une précision absolue. Leur condition physique faisait l’admiration de nombreux dieux drægans qui les avaient toujours enviés à Baal et à ses prédécesseurs. Tout leur corps, jusqu’à leur visage aux traits délicats, était scarifié et tatoué de signes se rapportant à leurs tribus d’origine et aux évènements marquants qu’ils avaient vécus tout au long de leur existence. Pour autant qu’il le sache, si au cours des siècles ils avaient parfois changé de maîtres, les Sumériens avaient toujours été fidèles aux Baal.
Il était de coutume pour les Sumériens, enfants comme adultes, hommes comme femmes, d’être entièrement rasés. Il s’était plié à cette règle jusqu’à ce qu’il entre au service de Baal Le Jeune, comme les labirés l’appelaient entre eux, bien qu’il soit âgé de plusieurs siècles. Aucun des sumériens à bord du vaisseau n’avait connu Baal L’Ancien, son père.
Une remarque de Baal sur le fait qu’il ne servait à rien de gommer ses différences lui avait fait comprendre qu’il ne serait jamais un sumérien malgré ses efforts et le respect qu’il avait pour ce peuple et ses traditions. Il avait alors fini par être ce qu’il était vraiment, un terrien qui n’avait aucune intention de retourner vivre parmi ceux de son espèce. Il avait le sentiment d’être exactement là où il devait être : dans l’espace. Ce rêve caché durant son enfance était devenu une réalité lorsque Baal l’avait forcé à le suivre. Ce qui, au regard des évènements récents, semblait être une constante chez le drægan.
Il avait dû s’adapter à son nouveau cadre de vie. Sa place actuelle, il l’avait obtenue en travaillant dur pour que le seigneur phénicien daigne enfin s’intéresser à nouveau à lui. Quelques mois après son arrivée à bord du vaisseau, il n’était plus l’enfant peureux qui avait fait le mur, un soir, sur la Terre, pour aller piquer une tête dans la piscine d’une luxueuse villa, et au passage y prendre quelques objets de valeur très anciens qu’il pourrait échanger contre de l’argent ou du laxelsci à fumer. Il n’était plus ce gamin terrorisé par un chien des enfers au pelage plus sombre qu’une nuit sans lune qui l’avait poursuivi dans son quartier. Il n’avait pu distinguer sa tête. En revanche, il avait bien vu quatre paires d’yeux rouges comme du sang, et quatre gueules, aux dents d’un blanc fluorescent, dégoulinantes de bave et d’écume. Il s’était retrouvé en face d’un monstre qu’aucun terrien des temps modernes n’avait jamais vu. Ou si c’était le cas, il n’était plus là pour en parler… (Suite Chapitre 23.2)
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| Sujet: Re: L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1) Mer 20 Déc 2017 - 19:14 | |
| Tome 1 : Esmelia CHAPITRE 23.2Suite du chapitre 23.1La bête n’était pas seule. Trois de ses semblables encerclaient un individu qui avait semblé plus surpris de le voir, lui, plutôt que ses assaillants aux crocs effilés. Il avait immédiatement reconnu le propriétaire de la villa, un nommé Adad Melqart. En général, on ne s’attarde pas auprès de l’homme que l’on vient cambrioler, surtout lorsqu’il est en mauvaise posture. Il était loin de deviner que la sienne serait pire.
Il ne s’était pas posé plus de questions et avait détalé comme un lapin. Combien de temps avait-il couru pour échapper au monstre qui l’avait pris en chasse ? Une heure ? Deux ? Ou plus ? Le monstre ne l’avait pas lâché et, à bout de forces, il avait fini par se retrouver acculé dans une impasse. C’était une mauvaise décision de plus, dans une liste qui n’en manquait pas, car il avait parfaitement su où il aurait dû bifurquer. Il avait eu la certitude que sa courte vie allait s’achever dans cette rue lugubre. Mais Baal, ou Adad Melqart comme il se faisait appeler sur la Terre, l’avait sauvé. Il avait fait fuir la bête, sans la combattre, d’un simple tir de laser en plein dans l’une de ses gueules. Son corps avait été pris de convulsions. Comprenant qu’elle n’était pas de taille contre cet ennemi, elle avait pris la fuite sans demander son reste.
Adad Melqart était ensuite venu à lui et n’avait pas caché son étonnement de le voir si jeune, et en vie. Rares étaient ceux qui survivaient aux creoberos plus de dix minutes. Il leur avait échappé durant une demi-heure. Sonné, il allait se contenter de remercier l’homme qui venait de lui sauver la vie, et de prendre ses jambes à son cou pour rentrer chez lui en se promettant que plus jamais il ne sortirait la nuit… Les coups de sa mère n’étaient rien comparés aux crocs de ces monstres et à la peur qu’il avait eue. Mais loin de le laisser partir, Baal l’avait empoigné par le cou et l’avait obligé à le suivre. Sa poigne était telle qu’il aurait pu lui briser la nuque en moins de temps qu’il en fallait pour y penser.
Malgré ses protestations, il l’avait ramené chez lui. Ils n’avaient eu que quelques pas à faire. Le temps d’envoyer un signal. Le transport avait été instantané. Il lui avait fallu un moment pour deviner qu’il avait été téléporté à bord d’un vaisseau spatial. Il s’était retrouvé parmi des individus qui parlaient des langues ou des dialectes inconnus sur la Terre, qui avaient une culture qui lui étaient totalement étrangère. Il mit un peu plus de temps pour comprendre que son sauveur était un dieu antique, car à sept ans on ne connaît rien aux mythologies. Une autre chose qu’il comprit, c’était qu’il ne rentrerait plus jamais chez lui et ça, c’était tant mieux. Sa mère ne pourrait plus rien contre lui. Il s’était seulement demandé qui prendrait soin d’Inès, sa souris blanche.
Baal l’avait confié à ses labirés qui lui apprirent comment se rendre utile à bord d’un vaisseau de l’ampleur d’une petite ville, ou d’une grande école militaire avec ses trois cents âmes à bord, environ. Il n’avait jamais été mal traité, mais comme tout le monde à bord, il avait dû gagner sa nourriture, et son lit dans un dortoir, puis le droit d’avoir sa propre cabine, et surtout le respect de ceux qu’il côtoyait. Courageusement, il avait tout appris des usages et des coutumes à bord d’un vaisseau spatial drægan. Il avait appris à se battre et à piloter des navettes dans l’espace.
Ses aptitudes pour le cambriolage avaient été mises à profit et considérablement améliorées. Il n’était pas rare que Baal décide de piller les réserves d’autres drægans. Ces derniers les pensaient sans doute suffisamment à l’abri sur des planètes a priori désertes. Il était donc rare qu’ils aient à se battre contre des gardes. Le plus difficile restait de pénétrer dans ce qui tenait lieu de coffre-fort géant et d’y trouver ce qui leur était utile : de la nourriture, de l’eau potable, des vêtements et des armes. Cela ne s’avérait pas si facile tant la disposition des drægans à conserver n’importe quoi, surtout si cela brillait, était grande. Plus d’une fois, ils étaient tombés sur des montagnes de pièces d’or et d’argent, ou autres métaux précieux inconnus sur Terre, de pierres remarquables et de bijoux extraordinaires. Enfant, il n’aurait pas hésité à se remplir les poches, mais Baal le leur avait interdit. À quoi serviraient tant de richesses à un homme mort ? Et il avait raison. Leur butin leur permettait de faire bombance de temps à autres pour rompre la monotonie à bord du vaisseau, et personne n’enviait à qui que ce soit sa fortune ou un beau bibelot. Il avait donc vécu comme les autres sumériens sans se montrer plus malin ou plus téméraire qu’eux, même s’il aurait pu, parfois. Jusqu’au jour où le maître du vaisseau s’était rappelé de lui et avait demandé à son Second vieillissant de le former comme successeur.
Ces évènements étaient tellement marqués dans l’esprit de Grama qu’elle n’avait eu aucune difficulté à les lire. Elle s’étonnait, elle aussi, que Baal ait embarqué un terrien, sur son vaisseau, bien avant Will et elle. Elle savait que l’ancien chancelier divin faisait des séjours réguliers sur la Terre. Qu’il y ait un véritable pied à terre, comme un terrien ou un voyageur ordinaire, en France, en région parisienne notamment, là où vivait Grama enfant, lui parut incongru. À en juger par ce qu’elle avait pu entrevoir dans l’esprit du labiré, ce n’était pas une acquisition récente. C’était aussi le mystère qui planait autour de la demeure vieille de plusieurs siècles qui avaient, dans le passé, incité l’enfant à vouloir la cambrioler. Les rumeurs disaient ses anciens propriétaires, excentriques au point de ne jamais se montrer et si riches qu’ils en faisaient profiter la région et ses habitants, grâce à des fonds d’aides à l’emploi, à la rénovation des constructions, à l’éducation, aux sports et aux arts, ou à l’amélioration de la ville.
La première fois qu’il avait pénétré dans la villa, la surprise d’y trouver des trésors ancestraux côtoyant le confort ultramoderne avait aiguisé sa convoitise de gamin issu des quartiers défavorisés.
Elle s’enfonça encore dans son esprit. Si profond que cela en devint vertigineux. Elle ne se trouvait plus dans le domaine de la raison, mais dans celui des émotions brutes.
Elle ressentait ses pensées, ses sentiments…
Il était tétanisé par la peur… La peur de l’inconnu, la peur de l’avenir, la peur de l’espace et de ses territoires sans limites ni repères. En lui, se cristallisaient toutes les peurs qu’il avait pu ressentir. Des peurs qui trouvaient leur origine dans sa nature même d’être humain. Elle en fut stupéfaite. Il avait été élevé par les labirés mais, malgré ses efforts, jamais il n’avait pu oublier d’où il venait et ce qui l’avait conduit vers un nouveau destin. Depuis, ni la peur des monstres, ni la peur de la mort ne l’avaient quitté. Ce n’était pas là ses seules peurs… Sa nature humaine… Il pensait qu’elle en était la cause. Plus jeune, il aurait voulu oblitérer cette part de lui-même. Il pensait que sa nature en était la cause. Il était bien placé pour savoir qu’un être humain pouvait être capable du pire comme du meilleur, et que la plupart du temps, il ne découvrait qui il était vraiment que lorsque l’occasion se présentait… Jamais comme on pouvait l’imaginer. Il avait peur de ne pas prendre la bonne décision le moment venu et de se conduire en lâche. Il redoutait de trahir la seule personne qui avait placé sa confiance en lui. Il craignait que ses compagnons, dont il avait désormais la charge, lui reprochent d’être trop humain… Il avait peur des changements et de ce que lui réservait l’avenir. Ce portail, c’était pour lui un saut dans l’inconnu, et peut-être un aller sans retour. Il avait aussi peur d’elle parce qu’elle était humaine, et parce qu’elle ne l’était pas tout à fait. Sa nature humaine, encore une fois… La peur de l’autre, qu’il soit humain ou extraterrestre.
Il avait longtemps tu ses peurs, comme il l’avait pu, mais elles avaient ressurgi à l’instant où il s’y attendait le moins. Il ignorait que d’autres les partageaient dans le même silence.
Esmelia sortit de l’esprit de Grama. Cela n’avait duré que quelques secondes. Une éternité pour elle. Elle aurait souhaité l’apaiser, lui faire comprendre qu’il n’était pas seul.
À des degrés divers, tout ce qui vivait dans cet univers éprouvait la peur sous ses différentes formes. Il ne faisait pas exception à la règle. C’était inscrit dans ses gènes. C’était le moteur de la survie de toute espèce, de son évolution même. Une espèce qui ne connaissait pas la peur était vouée à disparaître tôt ou tard.
Par contre, lui dire qu’il ne devait pas la craindre était secondaire. D’ailleurs, elle n’en était pas si certaine...
Une question la taraudait : fallait-il que Baal et Grama se rencontrent par hasard ? L’enfant perdu et l’ancien dieu… Il y avait deux enfants perdus… De l’un viendrait la vie, de l’autre la mort… Lequel était-il ? Qui était l’autre ? Elle se heurta soudain à une barrière mentale… Mead’…
Elle fut prise de vertige… La fumée… Le vaisseau partait en morceaux dans l’espace.
Esmelia regarda Will en clignant des yeux. Elle avait l’impression de s’être réveillée brutalement. Elle se sentait nauséeuse. Elle se demanda si la proximité de la porte avait modifié ses capacités ou celles de Mead’. Elle était ébahie par ce qu’elle venait de lire dans l’esprit de Grama… Qu’aurait-elle vu de plus si Mead’ ne l’avait pas arrêtée ?
Elle se concentra sur le présent.
Baal venait de remettre à Will deux séries de codes, et lui avait demandé de les entrer sur sa tablette afin de calculer les coordonnées de deux routes distinctes. L’une devait être plus longue et plus complexe que l’autre. Les deux voies ne devaient pas se croiser avant leur point d’arrivée commun sur la Terre. Ensuite, sans s’occuper des soubresauts du vaisseau, et des multiples alertes qui résonnaient dans les couloirs, Baal s’était éloigné avec Grama pour une ultime discussion qui avait duré à peine une minute.
Will était concentré sur ses calculs et n’avait rien remarqué la concernant.
Une voix de synthèse annonçait, en sumérien, de nouvelles avaries et zones de dépressurisation de part et d’autre du vaisseau, et l’air qui empestait de plus en plus la fumée et les matières fondues la fit tousser. Elle vit Grama franchir la bouche en laissant son maître derrière lui. Celle-ci se referma après son passage. Esmelia ignorait ce que Baal lui avait dit, mais en tous les cas, il lui avait fait peur. (Suite Chapitre 23.3)
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| Sujet: Re: L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1) Mer 20 Déc 2017 - 19:30 | |
| Tome 1 : Esmelia CHAPITRE 23.3Suite du chapitre 23.2Will parvint à établir les deux chemins qu’il espérait moins chaotiques que les conditions dans lesquelles il avait dû les échafauder. N’ayant pas d’informations à propos des systèmes et des planètes sur lesquels déboucheraient les tunnels avec les codes que lui avait fournis Baal, il avait calculé les deux parcours de façon arbitraire.
Esmelia avait plus ou moins compris le principe des passages. Ces derniers existaient avant l’accession des drægans au statut de divinités. Nul ne savait qui les avait créés, ou d’où ils venaient. De nombreux de documents qu’elle avait pu lire dans les appartements de Baal évoquaient les portails et tenaient pour acquis qu’ils étaient des phénomènes naturels. Cependant, certains parlaient d’entités vivantes reliées entre elles par une sorte de réseau psynétique. Cette hypothèse supposait que tout voyageur se trouvant à l’intérieur de la bouche pouvait se rendre là où il le souhaitait seulement en y pensant. À condition de n’être composé que d’énergie pure. Pour des êtres composés de tissus biologiques, l’usage des bouches nécessitait une adaptation physique, ou l’usage d’une forme d’adaptateur artificiel.
À l’AMSEVE, elle avait appris qu’un humain ne pouvait pas faire plus de cinq voyages sans en subir les conséquences physiques ou psychiques : tumeurs cancéreuses, accident vasculaire cérébral, diabète, surdité, perte de mémoire, apathie, dépression… Les drægans avaient inventé une sorte de vaccin contre ces effets, cela signifiait qu’eux aussi en subissaient les conséquences. Est-ce que cela touchait d’autres espèces ou bien était-ce une pathologie uniquement due à la physiologie humanoïde. Pour le découvrir, il aurait fallu qu’elle fouille du côté de l’ATIDC. Ils finançaient en grande partie l’AMSEVE. En retour, celle-ci devait lui fournir tous les résultats de leurs voyages.
Elle vit Will remettre des documents à Will : ses précieuses cartes, ainsi que d’autres documents qu’il ne voulait pas voir tomber entre des mains ennemies. Cela signifiait que, tôt ou tard, il viendrait les chercher. D’une manière ou d’une autre, il comptait les retrouver. Cette fois, il serait temps de le convaincre. Il devrait accepter son destin.
Le temps de déploiement des portails était variable et allait de cinq à vingt minutes, rarement plus longtemps. Ceux qui ouvraient de longs temps pouvaient ensuite rester inutilisables durant des mois voire des années, contrairement à ceux dont le temps d’entrée était plus court. Ceux-là pouvaient être réactivés quatre à cinq fois dans l’heure suivant leur première utilisation. Les formes et les dimensions des portails étaient variables. Ils pouvaient se présenter comme de simples singularités suspendues dans l’espace comme un trou de ver, ou bien comme des fenêtres, de portes, ou de trappes. La surface des portes revêtait de multiples états, liquide ou allant du gazeux au semi-solide, des textures et des couleurs variées.
Apparemment, les drægans, ou certains d’entre eux au moins, avaient découvert le moyen d’utiliser les Bouches. C’était sans doute ce qui avait permis leur expansion à travers la galaxie, et la facilité qu’ils avaient eu à exporter des sujets biologiques hors de la Terre. Elle se demanda si l’inverse n’avait pas été possible. Certaines espèces, aujourd’hui communément admises sur la Terre, pouvaient bien être d’origines extraterrestres.
Cette faculté millénaire d’utiliser les portes semblait s’être raréfiée avec le temps. Avait-elle été perdue par les dernières générations de drægans ? Cela les obligeait à utiliser de nouveaux moyens comme l’équivalent d’un calculateur, d’un ordinateur ou d’une tablette électronique pour calculer les coordonnées des bouches et leurs codes d’ouverture. Il se pouvait aussi qu’avec le temps, les mouvements planétaires et continentaux, ces coordonnées aient changé. Le seul qui s’en était préoccupé était Baal, et il semblait avoir trouvé une solution au problème. Ce qui donnait une raison supplémentaire aux autres drægans de vouloir mettre la main sur lui. Elle comprenait maintenant pourquoi il avait fait le mort durant tant d’années. Cependant, les recherches de Will l’avaient sorti de sa tanière.
Les cartes, d’après ce que lui avait raconté l’exobiologiste, contenaient des coordonnées que Baal ne possédait pas encore, et certaines d’entre elles pouvaient le conduire en dehors de la Voie Lactée. Si tel était le cas, alors cela pouvait être la clé de leur survie et de celle de toutes les créatures de la Voie Lactée. Se réfugier dans une galaxie voisine n’était sûrement pas la solution du siècle, surtout lorsqu’on ignorait ce qui y vivait. Mais faute de mieux… Elle n’avait pas vu ces cartes stellaires. Elle savait seulement que Will avait commencé à les déchiffrer. Les connaissances les plus révolutionnaires de l’AMSEVE étaient loin de ce que Baal savait sur les portes, et pas seulement sur celle-ci, d’ailleurs. Will comptait bien rattraper son retard sur le sujet.
Les connaissances de Baal au sujet des bouches étaient un véritable mystère pour elle. En tous les cas, il avait découvert des coordonnées codées, les avait décryptées, et surtout il avait mis au point un système pour ouvrir les portes lorsqu’il en avait besoin. Restait à savoir si ces coordonnées étaient suffisamment fiables pour ne pas les envoyer sur une planète brasier, dans le vide spatial, ou fond d’un océan.
Ce savoir était à la fois une bénédiction et une malédiction.
La plupart des drægans et des individus comme Jor POnyl ne s’embarrasserait pas de paperasse administrative pour extorquer des infos au drægan et faire un usage des portes des plus personnels. Contrairement à l’AMSEVE qui subissait le poids de sa lourde bureaucratie. Même si leurs équipes d’exploration avaient un jour la possibilité de voyager aussi facilement que Baal, cela ne resterait qu’une possibilité, faute de moyens financiers, de cadres juridiques et éthiques. Cela dit, lorsque l’Humanité prendrait conscience du danger qui planait sur le système solaire, sa planète et tout ce qui y existait ou avait pu y exister, le sens des priorités pourrait radicalement changer.
Il eut un nouveau coup de semonce.
Le vaisseau sans personne aux commandes résistait autant qu’il le pouvait, mais il ne tiendrait plus longtemps. Baal devait à présent se résigner à quitter son vaisseau qui se consumait de l’intérieur. Le vaisseau et les hommes qu’il commandait étaient les derniers vestiges de sa grandeur passée. Leur perte devait être douloureuse. Pourtant, il n’en laissait rien paraître.
Il vérifia les deux chemins que Will avait composés, lui fit opérer quelques modifications, avant de lui prendre la tablette des mains. Il sortit d’une poche intérieure de sa veste les deux cartes phosphorescentes qu’il avait prises sur la passerelle, posa la première sur l’écran. Celui-ci afficha la première série de codes. Il demanda ensuite à Will de lui faire apparaître la seconde avant d’y apposer l’autre carte.
Esmelia comprit que chacune des cartes avait dû enregistrer les données d’un chemin sur deux par simple contact avec l’écran de la tablette de Will. Elle songea que, sur la Terre, ces cartes seraient bien pratiques pour les piratages de données.
Baal tendit la première à Will :
— C’est une clé. À chaque étape, elle vous donnera les coordonnées à entrer pour actionner le passage suivant, lui expliqua-t-il.
Will allait la prendre, mais Baal le prit de vitesse en lui attrapant le pouce. Il le colla sur la carte et le força fermement à ne pas le bouger.
— Vous y perdrez votre doigt si vous le retirez, le prévint-il.
Esmelia vit une expression douloureuse passer sur le visage du scientifique, et les larmes lui monter aux yeux. Sa mâchoire se contracta. Il serrait les dents, devina-t-elle.
Lorsqu’il put retirer son pouce, celui-ci était rouge comme s’il venait de le passer sur une flamme. Il jeta un regard mauvais au drægan qui ne sembla pas s’en offusquer.
Baal lui tendit la carte, pour de bon cette fois.
Will hésitait à la prendre.
— Rassurez-vous, elle ne vous brûlera plus. Vous pourrez la lire, et seulement vous. Trouvez la serrure du portail que vous souhaitez utiliser, ou ce qui y ressemble le plus. Les coordonnées de chaque portail sont enregistrées. Elles se déverrouilleront à chaque fois que vous vous passerez votre doigt sur cette série de chiffres.
Will observa les dits-chiffres qui n’avaient sûrement rien à voir avec des chiffres romains ou arabes tant il semblait perplexe.
L’ancien dieu phénicien poursuivit :
— Passez la carte devant la serrure jusqu’à ce qu’un faisceau lumineux relie l’une à l’autre. Cela signifiera que le code d’accès fonctionne et que le portail devrait s’activer. Il est aussi possible qu’il y n’ait pas de faisceau lumineux. Vous serez alors obligé de débloquer la serrure manuellement. Il y a parfois des leurres ou des protections à retirer comme une trappe, ou bien de la terre, des pierres, des racines.
— Et si cela ne fonctionne pas ? s’inquiéta Will. Ou si je n’ai le droit qu’à un nombre limité d’essais ?
— Vous trouverez un moyen, j’en suis certain, le rassura Baal.
Will en était moins persuadé que l’ancien dieu.
— Un dernier conseil, ajouta-t-il en voyant Esmelia se rapprocher d’eux. Ne la perdez pas.
Elle se demanda s’il parlait d’elle ou de la carte qu’il avait donné à Will.
Il s’adressa ensuite à elle :
— Et vous, ne le perdez pas ! Sinon, je pense que je reviendrai facilement sur ma décision de ne pas vous balancer dans l’espace lorsque nos chemins se croiseront à nouveau. Même si cela devait advenir dans un lointain futur. Je n’oublie jamais rien. (Suite Chapitre 23.4)
Dernière édition par Ihriae le Mer 26 Juin 2019 - 10:39, édité 4 fois |
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| Sujet: Re: L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1) Mer 20 Déc 2017 - 19:47 | |
| Tome 1 : Esmelia CHAPITRE 23.4Suite du chapitre 23.3Elle comprit qu’il s’adressait à Mead’ à travers elle, comprit-elle.
Will et elle avaient donc fui en prenant le chemin le plus court. Baal devait prendre le plus long après avoir enclenché l’autodestruction de son vaisseau. Will lui avait expliqué le plan de Baal : non seulement, en prenant deux routes, ils tromperaient leurs éventuels poursuivants, mais la destruction du vaisseau empêcherait ces derniers de retrouver leurs traces facilement. Elle espérait que Baal ait réussi à s’échapper avant la destruction du vaisseau.
Will en avait déduit que les signatures énergétiques des bonds successifs s’entremêleraient suffisamment pour perturber tous les systèmes de pistage de leurs potentiels poursuivants. Avec de la chance, ceux-ci perdraient leurs traces après trois ou quatre bonds dans les bouches. Il faudrait aussi que ces poursuivants soient vaccinés contre les effets des Portes et, enfin, qu’ils en possèdent tous les codes. Il y avait donc très peu de possibilités pour qu’ils soient suivis. Il restait que leurs possibles poursuivants pouvaient bénéficier d’une manière inédite de les poursuivre. Will supposait qu’il en existait forcément quelques-uns qui ne faisaient pas appel aux portails. Dans le fond, sur la Terre, on pouvait utiliser toutes sortes de moyens de transport. C’était juste une question de temps entre le départ et la destination. Pourquoi certaines civilisations extraterrestres n’auraient-elles pas mis au point leurs propres moyens de transport, à l’échelle de l’univers, parallèles aux bouches et à leurs tunnels ? Qui savait s’il n’y avait pas des trous de ver différents et plus rapides que les bouches ?
Selon l’ancien souverain céleste, les planètes par lesquelles passait leur route étaient calmes, et les portails facilement et rapidement accessibles. Il ne leur avait pas menti sur ce point. Le plus difficile avait été de repérer ces portails et d’en trouver les serrures permettant de les activer. Moins ils laissaient passer de temps entre deux franchissements, plus il était difficile aux chasseurs qui en auraient trouvé le moyen de les suivre. Will n’imaginait pas un seul instant que ce soit possible. D’autant que personne ne semblait avoir utilisé les passages avant eux, depuis des années, souvent des siècles.
En quelques jours, ils avaient franchi presque toutes les portes. Il y en avait eu juste deux dont la serrure, ou plus exactement le lecteur de cartes avait été plus compliqué à atteindre. L’une se trouvait sous l’eau, à quelques mètres de profondeur, avec son entrée. Elle avait détesté se retrouver sous l’eau en franchissant la porte. En fait, elle avait peur de l’eau. Mais, pour rien au monde, elle n’aurait laissé le contrôle à Mead’. Elle avait donc pris sur elle. Après que Will ait essayé une première fois de la réactiver, en vain, ils avaient dû remonter à la surface et attendre une demie heure, à l’affût du moindre danger sur cette planète éclairée par deux faibles soleils et entièrement recouverte d’eau, avant de replonger réactiver le portail. Le suivant s’était trouvé dans une grotte obscure dont ils ignoraient ce qui s’y cachait, en dehors du portail. Cependant, les grognements et les sifflements qu’ils y avaient entendus ne leur avaient pas donné l’envie de le savoir. Malgré la peur qui leur tenaillait le ventre et leur donnait des sueurs froides dans le dos, ils avaient fait aussi vite que possible, pour trouver ce lecteur de carte tenant lieu de serrure, à lumière de la tablette. Par chance, la Bouche s’était immédiatement activée.
Si la théorie de Will était exacte, aucun Chasseurs de Primes ne devait être sur leurs traces. Avec un peu de chance, ils n’étaient pas non plus sur celles de Baal. Will lui avait concocté un joyeux melting-doors, plus long et plus complexe que le leur à la demande du dieu phénicien. Baal savait qu’il avait toutes les chances d’être poursuivis par les chasseurs de primes. Sa tête valait une fortune. Son prix avait peut-être même doublé quelques heures avant l’attaque perpétrée par Jor POnyl. Le connaissant, elle devinait qu’il n’avait aucune intention de leur rendre la tâche facile, surtout si l’un d’entre eux avait la faculté d’utiliser les passages plus facilement que lui. Normalement, il devait arriver sur la Terre peu après eux. Il leur avait fixé un point de ralliement dans une demeure qui avait été la sienne par le passé et qui, il l’espérait, l’était encore. Elle pourrait leur servir d’abri à leur arrivée. Il ne leur en avait pas dit plus sur cette demeure.
Après avoir pénétré l’esprit de Grama, elle s’était fait une idée du genre de demeure qu’il pouvait posséder. Elle s’était même imaginé que ce serait en banlieue parisienne que s’achèverait leur périple. Aussi, après plusieurs jours de voyage, ils s’étonnèrent à peine de débarquer dans un lieu qui avait tout d’un musée d’antiquités semblant tout droit venir du pillage de vaisseaux anglais et français sillonnant les mers au cours des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles. En ce qui la concernait, Esmelia imaginait bien l’Éternel en pirate des mers. Par contre, la pièce dans laquelle ils arrivèrent ne ressemblait en rien à celles dont Grama gardait le souvenir.
Ils sortirent de la bouche par une gigantesque porte d’étain, de bronze, de cuivre et d’or. Ses motifs n’étaient pas sans évoquer la Porte de l’enfer de Rodin. Elle se trouvait dans une caisse déclouée sur l’un de ses côtés laissant supposer qu’ils n’étaient peut-être pas les premiers à s’en extraire. Sans doute Baal l’avait-il utilisé plus d’une fois dans le passé.
Plus que sortie, elle avait eu l’impression d’être désolidarisée d’un passage noir comme l’onyx. Il lui restait la désagréablement impression d’avoir été récurées de l’intérieur comme de l’extérieur avec un abrasif. Un échange de regard avec Will lui indiqua qu’il ressentait la même chose qu’elle. Ils se sentaient brûlés de l’intérieur comme de l’extérieur. Une brève auscultation réciproque leur montra qu’ils n’avaient pas la moindre brûlure ou écorchure. Cette impression les avait rapidement quittés. Elle remarqua ensuite qu’ils se trouvaient dans une pièce sombre, mais agréablement chauffée.
Will avait sorti des lampes torches de son sac à dos. Ce fut à la lumière de celles-ci, qu’ils constatèrent la présence de vitrines contenant de nombreux objets anciens et précieux. Pensant se trouver dans un musée, ils avaient d’abord craint de déclencher une alarme silencieuse. Il leur serait effectivement difficile d’expliquer qu’ils y avaient pénétré par la version proche de La Porte de l’Enfer qui se trouvait au centre de la pièce, encerclée de vitrines qui, malgré tout, semblaient s’en tenir à distance. Ne voyant pas de gardien venir leur demander des comptes, ils décidèrent de visiter les lieux.
Elle ne put s’empêcher de penser que le point de ralliement décidé par Baal ne manquait pas de panache. Il correspondait au sens de l’humour un peu particulier de leur ancien hôte. Will comme elle ne trouvaient pas particulièrement drôle de se retrouver dans un musée avec tous les risques que cela pouvait comporter. À moins que cette demeure ne soit encore celle du quasi Immortel. Mais qui donc laisserait une telle maison et ses précieux biens à l’abandon durant des années ?
Ils longèrent les vitrines en évitant soigneusement de les toucher. Will balayait les murs avec sa lampe torche à la recherche d’une sortie. L’endroit n’avait rien d’une grotte au trésor. L’air y était sec, contrôlé, et il n’y avait pas la moindre once de poussière sur le sol dallé ou sur les vitrines, comme si quelqu’un venait y faire le ménage régulièrement.
Ils avaient fait le tour des lieux en suivant les murs. Ils n’y trouvèrent pas de fenêtre. Il y avait bien une porte, mais elle était fermée à clé et trop massive pour être défoncée. Ils trouvèrent ensuite un compteur électrique que Will se décida à remettre en route malgré le risque d’attirer l’attention sur leur présence. Il n’y avait pas de fenêtre, certes. Mais n’importe quel système de surveillance serait alerté par la mise en fonction d’un compteur électrique.
Au moins, cela leur permit d’avoir plus de lumière pour appréhender leur nouvel environnement.
— Oui, il n’y a pas de doute, fit Will en embrassant la pièce du regard. On est bien chez un collectionneur d’œuvres d’art.
Elle soupira de soulagement.
— Ou d’un pilleur d’épaves, ironisa-t-elle. En tous les cas, nous ne sommes pas dans un musée. Donc pas de risque avec les agents de sécurité. Sauf si nous sommes tombés chez un trafiquant d’œuvres d’art.
— Nous savons tous les deux qui en est le propriétaire. Lui qui craignait de ne plus l’être.
— Ça, pour moi, c’est un mystère.
Esmelia s’était rapprochée du portail par lequel ils étaient entrés et qui dominait le centre de la pièce.
Cette porte massive, faite d’un alliage d’étain et de bronze, avec ses dragons, et ses chimères de toutes sortes, et ses créatures dont certaines, vaguement humanoïdes, semblaient souffrir atrocement, était digne d’un écrit de Lovecraft. En tous les cas, elle ne semblait pas avoir été créée par un terrien.
Elle jeta un coup d’œil à la partie abîmée de la caisse qui protégeait la porte. C’était le signe que quelqu’un l’avait utilisée après qu’elle ait été transportée ici. À moins qu’un curieux ait voulu voir ce que contenait la caisse. En tous les cas, cela ne s’était pas produit récemment car, là où il avait été fendu, le bois avait vieilli au contact de l’air. Mais il lui était impossible de dire si cela datait de cinq, dix ou cent ans. Cela pouvait-il être l’ancien dieu ? Selon Will, il ne devait pourtant arriver qu’après eux.
Elle jeta un œil en direction de Will qui continuait à explorer les lieux. Il fut le premier à remarquer l’escalier derrière un mur. Elle avertit Esmelia qui cessa son étude de la porte et le rejoignit.
L’escalier menait à un étage supérieur. Qu’allaient-ils trouver plus haut ? Elle sentit l’appréhension de Will. Instinctivement, elle lui prit la main. C’était la première fois qu’elle se le permettait depuis qu’ils avaient quitté le vaisseau en perdition. Elle savait que, plus d’une fois, Will avait essayé de lui parler de l’évolution de leur relation, mais elle avait toujours pris soin d’éviter cette conversation. Il avait eu quelques gestes tendres envers elle auxquels elle avait choisi de ne pas répondre. Will n’avait jamais insisté. Plus tard, elle lui avait expliqué qu’elle ne se sentait pas suffisamment en sécurité pour se laisser aller. Il y avait du vrai dans cette déclaration, mais comment lui expliquer que Mead’ lui prenait une partie de son énergie et de sa vigilance en essayant de reprendre le contrôle ? Depuis leur dernière traversée, Mead’ ne s’était plus manifestée. (Suite Chapitre 23.4)
Dernière édition par Ihriae le Mer 26 Juin 2019 - 10:41, édité 2 fois |
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| Sujet: Re: L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1) Mer 26 Juin 2019 - 10:44 | |
| Tome 1 : Esmelia CHAPITRE 23.5Suite du chapitre 23.4En haut de l’escalier, ils trouvèrent une grande pièce qui devait être un hall d’accueil, et des pièces en enfilade, encombrées de meubles antiques, rares et précieux, tous recouverts d’un drap. Au moins, il y avait des fenêtres. Elle y jeta un coup d’œil, tandis que Will continuait à explorer ce qui devait être une grande maison. Elle aperçut, au-delà des cimes, une vaste étendue d’eau, et un ponton… Quelque chose lui disait que cela ne ressemblait pas au décor d’une petite ville de la région parisienne
Elle se demanda sur quelle planète de type terrestre ils avaient pu atterrir, et quels pouvaient en être les habitants. Elle s’était à peine posée la question que la réponse lui parvint dans les secondes suivantes, lorsqu’elle se retrouva au bord du ponton de bois, prête à effectuer un plongeon involontaire dans une eau qui n’avait rien de tropicale. L’air vif et froid, lui glaça le visage. Elle recula vivement pour ne pas tomber dans l’eau, le cœur battant la chamade. Du moins, elle l’imaginait comme tel. Elle se retourna et vit des maisons colorées, comme on pouvait en trouver dans certaines régions sur la Terre. Les habitations contrastaient avec la forêt de conifères qui s’étendait à perte de vue sur la montagne au-delà de la ville. La lumière était grise et triste comme en hiver. Des enfants, parfaitement humains, portant des cartables à la main ou accrochés dans le dos passèrent en courant et criant à côté d’elle. Ils grimpèrent dans un bateau amarré au bout du ponton. Elle remarqua que l’un d’entre eux avait un masque d’extraterrestre très réaliste et s’amusait à effrayer ses petits camarades.
Comment était-elle arrivée ici ? Elle n’avait qu’y penser… Seulement y penser
À quelques mètres d’elle, sur la rive qui bordait l’étendue d’eau, probablement la mer, elle aperçut des personnes qui discutaient, chaudement vêtus, à la terrasse d’un bar, le Ketchikan Creek’Bar. Le temps, les couleurs, l’environnement, un nom à consonance indienne… Will et elle devaient se trouver au Canada, ou bien en Alaska… Will était canadien, il saurait…
Elle vit des passants, humains, dans la rue. Personne ne semblait l’avoir remarquée. Elle décida de se rendre au bar. Elle devait avoir dix dollars dans la poche de sa veste. Cela faisait bien trop longtemps qu’elle avait envie de dépenser ce billet chiffonné qui, sous peu, finirait en miettes.
Tous ces gens étaient sereins, en sécurité. Ce monde était tranquille. Les vêtements, décontractés et chauds, étaient bien terrestres et confirmèrent son hypothèse. Enfin à la maison... Elle avait pensé à Will. Il fallait qu’il voie cela. Mais comment retourner à la maison-musée ? Était-elle située dans la ville, ou dans ses alentours ?
Une seule pensée des lieux qu’elle venait de quitter et elle s’y retrouva aussitôt, à côté de Will. Il fit un bon en arrière et tomba sur le derrière. Elle sentit soudain son estomac protester, mais comme elle n’avait rien mangé depuis un moment… Il lui fallut un moment pour s’en remettre. Elle avait l’impression d’avoir les poumons et la gorge en feu… Toutefois, elle n’en dit rien à Will qui s’était relevé et ne cachait ni sa surprise, ni son inquiétude.
Il lui avait suffi de penser à un endroit pour s’y retrouver. Ce n’était pas un voyage agréable et cela pouvait poser quelques problèmes selon l’endroit d’où elle partait et, ultérieurement, celui où elle arrivait. Elle devrait apprendre à maîtriser ce phénomène pour ne pas disparaître au milieu d’une foule et se retrouver au milieu de nulle part, ou l’inverse. Pour cela, il fallait qu’elle comprenne comment cela fonctionnait, et malgré les protestations de Will, elle recommença en pensant à un endroit sur le ponton d’où personne ne pourrait la voir apparaître comme par magie. La sensation de nausée se transforma rapidement en sensation de faim, et de vertige. Elle dût s’adosser au mur d’un hangar à bateau, le temps de se sentir un peu mieux. Puis elle revint dans la maison, auprès de Will qui, cette fois, se contenta de sursauter. Voyant qu’elle était sur le point de tomber, il la retint contre lui. Elle apprécia la sécurité des bras de son ami, sa gentillesse, son amour. Elle avait beaucoup de difficultés à se concentrer sur le présent. Elle sentait que Mead’ essayer de prendre le pouvoir...
Entre le départ et l’arrivée, il y avait une zone tampon, grise et gélatineuse, sans repère, un no man’s land, qu’elle devait traverser. C’était cela qui l’avait rendue malade, la première fois. Elle eut une impression de déjà-vu. Et même de déjà-éprouvé.
Un jour, un peu ivre à la fin d’un enterrement de vie de jeune fille, elle était allée vomir dehors, dans un parterre de fleurs. Elle s’était réveillée, le lendemain matin, dans son lit, sans savoir comment elle était rentrée chez elle. Elle avait d’abord supposé que l’une de ses amies l’avait ramenée, mais aucune d’entre elles n’avait été en état de retrouver sa voiture. Elles avaient toutes dormi à l’hôtel. Son propre véhicule, pourtant automatique, était resté garé sur un parking du centre-ville. Personne ne se souvenait l’avoir vue partir, seule ou avec quelqu’un, ou même avoir appelé un taxibot. À l’époque, elle s’était dit qu’elle avait dû faire le chemin à pieds, ce qui représentait tout de même une vingtaine de kilomètres avec des chaussures à talons hauts. Seulement, elle n’avait pas eu une seule ampoule. Elle n’avait absolument pas mal aux pieds, et ses chaussures ne présentaient aucune trace d’usure. Maintenant, elle commençait à comprendre pourquoi.
Son estomac gargouilla. Elle se sentait affamée. La faim était due à une perte d’énergie. Peut-être aussi au phénomène qui précédait la téléportation...
Elle avait vu ces volutes de fumée noires comme de l’encre envelopper son corps avant que celle-ci ne passe d’un état solide à un état gazeux… Non… C’était comme sortir psychiquement de son corps… Non plus… Ce n’était pas son corps mais… C’était comme si elle n’était pas seule. Il y en avait de nombreux… comme elle… Comme Mead’. Étaient-ils si près pour qu’elle les sente ? Qu’est-ce que cela impliquait ?
Cela ne l’empêcha pas de repartir à nouveau et de se retrouver sur le ponton. Cette fois, ce fut avec Will qui n’en revint pas d’être téléporté. Il la tenait toujours contre lui, de peur qu’elle s’effondre.
Contrairement à elle, ce premier voyage ne l’avait pas rendu nauséeux. Elle s’en étonna. Will compara sa réaction au mal de l’air qu’éprouvaient certains pilotes de l’AMSEVE au début de leur formation. En revanche, il fut surpris de se trouver à Ketchikan, en Alaska. Il connaissait cette ville. Son père y venait fréquemment pour y faire du démarchage lorsque Will était enfant. Il se souvenait des trappeurs, vendeurs de peaux, marins, chasseurs d’ours, et d’une foule de personnages qui n’avaient rien à voir avec la population de touristes venus des grandes villes qu’il avait croisée des années plus tard, lorsqu’il était parti à la recherche de sa famille maternelle. Il se souvenait d’une ville touristique. Dans un port de pêche devenu de plaisance, venaient s’amarrer de gigantesques bateaux de croisière. Était-ce une coïncidence que Baal ait programmé leur arrivée dans cette ville ? Il se posait sérieusement la question allant jusqu’à chercher dans sa mémoire s’il ne l’y avait pas croisé dans son enfance. Comment aurait-il pu savoir autant de choses sur lui, alors qu’ils ne s’étaient jamais rencontrés jusqu’à l’année précédente.
Ils décidèrent de se rendre au Ketchikan Creek’Bar afin d’y déjeuner. Ils n’eurent pas de mal à se mêler aux personnes, mélange d’autochtones et de touristes, qui s’y trouvaient déjà. Ce devait être la saison. Au moins, ils pourraient passer inaperçus. Ils allaient enfin pouvoir se sustenter avec de la nourriture terrienne. C’était presque devenu un rêve. Ils commandèrent le plat du jour composé de poisson et de pommes de terre et s’en délectèrent autant qu’ils apprécièrent l’ambiance du Ketchikan Creek’Bar. Toutefois, à la fin du repas, Will se rendit compte qu’il avait laissé sa tablette dans son sac de voyage, resté dans le hall de la maison-musée. Sur la Terre, il s’en servait pour tout, y compris pour les paiements. Les dix pauvres dollars qu’elle possédait ne suffiraient pas à payer leurs deux repas. Et de toutes les façons, une affiche près de l’accueil indiquait que les seuls moyens de paiement acceptés étaient le virement cellulaire ou l’empreinte biométrique. Cette information laissa Will dubitatif. Il ne connaissait pas ces systèmes, même s’il avait une idée de ce dont il s’agissait.
— Je pense que nous allons devoir faire la plonge durant quelques temps, plaisant-t-il. A moins de proposer quelque chose de suffisamment précieux en gage le temps de nous mettre à jour sur les moyens de paiement… Si cela se trouve, je n’ai même plus de compte en banque. L’AMSEVE l’a peut-être fait geler...
Jadis, ce genre de situation l’aurait sûrement paniqué, tandis qu’elle, elle aurait cherché le moyen de filer en douce.
Au lieu de cela, elle se contenta de lui répondre :
— Je peux aller la chercher… Et il y a sûrement tout ce qu’il faut dans la maison de Baal. Pour cela, il faut juste que je puisse m’éclipser. (Suite Chapitre 23.6) |
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| Sujet: Re: L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1) Mer 26 Juin 2019 - 10:46 | |
| Tome 1 : Esmelia CHAPITRE 23.6Suite du chapitre 23.5Elle regarda autour d’elle et trouva la solution.
— Je vais aller faire un tour chez les dames, dit-elle simplement.
Will comprit son intention de se téléporter. Il se demandait si c’était une bonne chose. Apparemment, elle ne supportait pas très bien ce pouvoir. Cependant, il ne pouvait quitter les lieux. Il ne tenait pas à alerter le restaurateur.
Elle se leva et se dirigea vers les toilettes pour femmes. Elle y entra, se trouva une cabine qu’elle referma à double tour. Elle mémorisa rapidement les lieux. Ce n’était que des toilettes, mais c’était toujours pratique du fait de leur intimité, au moins pour un aller-retour rapide. Elle sourit en voyant un journal, posé sur le réservoir d’eau. Il était daté du jour où elle avait décidé de rejoindre l’AMSEVE, il y avait plus d’un an de cela. Ce qui lui fit penser qu’elle n’avait aucune idée exacte du jour actuel. Elle s’en informerait plus tard. Elle songea au hall de la grande maison. Elle s’y retrouva instantanément. Elle n’eut pas de mal à trouver le sac de Will. Elle s’agenouilla pour le fouiller et trouva immédiatement la tablette. Il lui fallait maintenant trouver un objet précieux à mettre en gage, mais il ne fallait pas qu’il attire trop l’attention. Un mouvement au-dessus d’elle lui fit relever la tête. Elle faillit avoir la peur de sa vie…
— Grama...
Sans le vouloir, elle repensa à son précédent point de départ et se retrouva à nouveau dans la cabine de toilettes. Elle eut à peine le temps de penser à son estomac, chargé cette fois-ci, qui se soulevait à nouveau, et à Grama qui se tenait devant elle avec la tête de celui qui vient de voir un fantôme. Elle chassa son image de son esprit. Elle ne tenait pas à se retrouver à nouveau devant lui. Pas sans y être préparé.
Un miroir holographique 3D qu’elle n’avait pas remarqué avant lui faisait face et lui renvoyait sa propre image.
Non, pas un miroir…
Elle-même…
Une version d’elle… qui n’avait pas voyagé, comme elle, dans l’espace… avec Will, mais qui avait vécu sur la Terre… Une Terre dont les événements récents, disons des cents dernières années, étaient éloignés de ceux qu’elle avait connu… C’était comme un flot d’informations qui se déversait en elle, sans discontinuer.
Son double la regardait comme si elle lisait ses pensées. En réalité, c’était tout le contraire. C’était elle qui lui envoyait ces nouvelles informations. Qui était-elle ? Une version alternative, oui... D’elle, dominée par Mead’. Comment était-ce possible ? La réponse fusa dans son esprit. Nouvelles informations… Le journal… Il ne datait pas de plus d’un an… Il était du jour… Elle n’eut pas besoin de L’Autre pour comprendre… Ils avaient remonté le temps d’un peu plus d’une année en arrière. Elle aurait pu le déduire d’après ce que lui avait expliqué Baal lors de leur retour du système de Tur’in… ce séjour qui avait duré plus de jours pour elle que pour Will, resté dans le vaisseau… Les bouches… En permettant de voyager plus rapidement que la lumière… C’était à cause d’elles… Forcément, s’ils avaient voyagé plus vite que la lumière, il y avait des chances qu’ils soient revenus sur la Terre avant d’en être partis...
— Nous ne pouvons pas nous trouver ensemble dans le même espace… pensa-t-elle.
Le double eut un sourire vague, sans véritable expressivité.
— Faux… répondit-elle. Ce n’est pas impossible… Du moins si nous ne nous rencontrons pas. Mais je savais où te trouver, et je suis plus forte que toi.
Avant qu’elle ait pu revenir de sa surprise et esquisser le moindre geste, son double posa sa main sur sa joue, avec douceur, et toujours ces absences d’expression et d’émotion sur son visage.
Soudain le flux d’information s’inversa à une vitesse exponentielle. Ce n’était plus elle qui les recevait mais son double qui absorbait ses souvenirs. Et pas seulement... Elle vit le corps de L’Autre se dissoudre lentement en fines particules dorées et argentées et rejoindre son corps, fusionner avec elle. En un instant, elle fut L’Autre et elle tout en même temps. Elle pensa à Will. Elle se sentit bombardée par un nouveau flux d’informations. Will était mort… Non, c’était impossible. Will se trouvait dans la salle du restaurant, juste à côté… Elle comprit… Au moins, son Will...Non… Will, seulement. Will n’aurait pas à rencontrer son double dans cette réalité… Mais comment lui expliquer qu’il était à la fois vivant et mort ? Mort pour sa famille, pour ses amis, pour ses collègues de l’AMSEVE… Comment lui expliquer la nature du paradoxe ? Était-ce si important de le lui expliquer ?
Et Baal ? Elle n’avait pas d’information à son sujet. Tout ce qu’elle savait, c’était que s’il devait rencontrer son double, des deux le plus fort l’emporterait… Restait à savoir ce que cela changerait… Elle regarda ses mains dont l’une tenait la tablette de Will. Il était temps de se secouer et de le rejoindre.
Elle sortit de la cabine, se lava les mains en essayant d’oublier ce curieux fourmillement qu’elle ressentait dans tout son corps, puis elle sortit des toilettes pour rejoindre Will qui buvait son second chocolat au lait. Elle lui donna sa tablette.
— Ça va ?
Il semblait sincèrement inquiet. Quel visage lui offrait-elle ?
Quel comportement devait-elle avoir avec lui ? À cet instant, il lui sembla être quelqu’un qu’elle ne connaissait pas ou peu. Will lui fit l’effet d’être un étranger. C’était loin d’être le cas pourtant.
— Je vais bien, le rassura en esquissant un sourire. Dans la maison, je suis tombée sur Grama.
— Grama ? Mais qu’est-ce qu’il fait là ? Cela veut dire…
Elle rassembla ses idées encore scindées en deux réalités.
— Je n’en sais rien… Grama est un humain, un terrien… et Baal a dit qu’il devait reconduire tous ses hommes chez eux, dans leur famille.
Cela ne pouvait pas être une coïncidence qu’elle le retrouve dans la maison.
— Tu es sûre que ça va ? insista Will. Je m’inquiétais… Ces téléportations… Même sur de courtes distances, ce n’est pas bon pour l’organisme humain. Je sais que tomber sur Gram a dû te faire un choc, mais cela n’a vraiment pas l’air d’aller.
— Je vais bien, lui répéta-t-elle d’une voix plus ferme qu’elle ne l’aurait voulu.
Bien que surpris, il ne sembla pas convaincu.
— On va devoir rester ici un moment, finit-il par dire. On va voir s’ils acceptent l’argent virtuel. Après ça, on devrait en profiter pour visiter les lieux. Un peu de marche ne nous fera pas de mal après ce que l’on vient de manger. C’est un changement de régime radical. Il faut que notre corps se réhabitue à la pesanteur terrienne.
— Will…
Elle ne savait pas quoi lui dire… À part que les morts n’avaient pas de compte en banque, et qu’il venait de lui arriver quelque chose qu’elle n’aurait jamais cru possible, et auquel il échapperait.
C’est moi et ce n’est plus moi… Mead’ a repris le contrôle, et je me sens tellement bien… Mieux… Cela n’a pas été violent et c’est moi qui aie lâché prise… Ce n’est plus celle que tu as connue qui est aux commandes… Plus vraiment.
Bien sûr que non, elle ne pouvait pas lui dire tout ça. Pas tout de suite. Pas comme ça.
— Eh… Après ce qu’on a vécu… commença-t-il.
Will tendit la main vers son visage.
Elle recula vivement. Trop vivement…
S’il en fut blessé, il ne le montra pas et poursuivit :
— Tu sais ce que je ressens pour toi.
Il lui prit la main. Elle dût faire un effort pour ne pas la retirer. Oui, elle savait combien il l’aimait. Elle le savait mais ce n’était pas elle, pas entièrement. Elle n’était plus totalement celle qui avait voyagé avec lui, celle qui avait partagé des moments intimes avec lui. Ces souvenirs n’étaient pas les siens. Pas totalement. Ils s’étaient dilués dans sa mémoire comme l’enveloppe charnelle de L’Une et de L’Autre avaient fusionnées. Elle était Elle, mais elle était également L’Autre sans réellement l’être. Deux cellules imbriquées, scellées L’Une dans L’Autre. Il y avait eu comme une sorte de Reboot. Cela avait permis à Mead’ de reprendre le contrôle car elle était bien plus forte dans son environnement. Pour l’instant, elle restait en retrait. (Suite Chapitre 23.7) |
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| Sujet: Re: L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1) Mer 26 Juin 2019 - 10:49 | |
| Tome 1 : Esmelia CHAPITRE 23.7Suite du chapitre 23.6Elle aurait aimé être seule et réfléchir à ce qui lui arrivait, réfléchir à ce qu’il adviendrait de leur histoire à Will et elle. L’aimait-elle ? Elle ne savait plus répondre à cette question. Oui. Il était impossible de détester Will. Mais ce n’était pas de cet amour-là dont il était question.
— Je ne crois pas que ça fonctionnera, s’entendit-elle répondre.
— Quoi… Pourquoi ?
— Will… Sais-tu quel jour nous sommes ?
Surpris de ne pas s’être posé la question plus tôt, il jeta un coup d’œil aux alentours.
— À en juger par les décorations, on n’est sûrement pas loin de Noël.
— Nous sommes le vingt-sept novembre.
— Dire qu’il y a un an, je me trouvais sur une planète dont j’ignorai presque tout. J’avais déserté l’AMSEVE quelques jours avant... Au cours de la mission précédente, j’avais failli être tué. Je t’en ai déjà parlé. Je ne voulais pas mourir avant d’avoir accompli certaines choses… C’était, en partie, pour cela que j’ai déserté.
— Will, nous sommes le vingt-sept novembre 2124… Nous avons remonté le temps.
Will ouvrit la bouche pour contester cette affirmation, mais il la referma en comprenant qu’elle était sérieuse et que c’était effectivement plus qu’une possibilité.
Il y avait des tas de petits détails divergents qu’il avait remarqué sans y accorder d’attention particulière. À commencer par ce panneau, à l’entrée du bar, qui disait Entrée autorisée aux animaux et aux extraterrestres. Il avait cru à une plaisanterie de la part du propriétaire du bar.
Esmelia lui fit signe de se retourner.
Au fond de la salle, quelqu’un avait allumé l’écran holographique géant accroché au mur. Il n’y avait pas de son, juste des sous-titres, mais les images relataient des évènements en cours comme les manifestations pro ou anti extraterrestres qui se déroulaient dans diverses grandes villes telles que Tokyo, New-York, Paris, Milan, Saint-Pétersbourg, Bombay, Pékin ou encore Kinshasa… La naissance artificielle du premier éléphant quarante ans après que le dernier de l’espèce africaine né naturellement, dans une réserve, ait disparu. Il y eut ensuite un volcan en éruption du côté de Bali dont la fumée menaçait de gagner la stratosphère, et de puissants tremblements de terre en Australie. Un encart sous les images demandait aux extraterrestres ne l’ayant pas encore fait de se signaler aux ambassades des différents pays…
— Ils ne le feront pas.
Will se retourna vers Esmelia en réalisant que cette voix était trop masculine pour être la sienne, tandis qu’elle relevait la tête.
Grama les avait retrouvés. Apparemment, il n’avait pas eu beaucoup de difficultés.
Il répondit à leur interrogation avant qu’ils ne l’énoncent :
— Lorsque je suis revenu sur la Terre, il y a huit ans, par le même portail que vous, la première chose que j’ai eue envie de faire, c’était de manger quelque chose de vraiment terrien. Je n’avais jamais pensé que cela me manquait à ce point. Je me suis dit que vous alliez faire pareil.
— Il y a huit ans ? redemanda Will.
Grama acquiesça.
Elle remarqua qu’il avait effectivement un peu vieilli. Des poils plus clairs apparaissaient dans sa barbe de trois jours et dans ses cheveux coupés courts. Son regard semblait plus clair. C’était insolite de le voir en jean, manteau et écharpe croisée, comme un terrien des plus normaux, et soucieux de son apparence physique.
— Nous, cela fait seulement deux heures, expliqua Will. À peu près. Pourquoi avez-vous dit : Ils ne le feront pas ?
Grama attrapa une chaise non loin de lui et ôta son manteau avant de s’asseoir. Une fois vérifié que personne ne les observait, il releva discrètement la manche droite de son pull, et leur montra un tatouage à l’intérieur de bras, juste au-dessus du poignet : Une estampille à l’encre noire avec, en son centre, une tête d’alien Stylisée, et une série de chiffres.
— Ils n’ont pas envie d’être marqués de leur plein gré.
— Une minute… s’emporta Will tout en se retenant de parler tout haut. Il n’y a pas eu de Seconde Guerre Mondiale ? De nazis… et d’épuration ?
— Et de camps de concentration ? Bien sûr que oui, mais lorsqu’il n’y a plus de témoin pour en parler, cela devient complètement abstrait.
— Mais vous, Grama, vous êtes un terrien, et un humain, s’étonna Will.
Grama jeta un coup d’œil furtif à la jeune femme. Pensait-il vraiment qu’elle n’en parlerait pas à sa compagne de voyage ?
— Je venais de débarquer sur la Terre, et j’avais repris mon nom de naissance. Le problème, c’est que nous avons des doubles dans ce monde et qu’ils n’ont pas tous suivi le même chemin que nous… Le mien avait eu des problèmes avec les instances chargées de la protection des biens et de la sécurité des individus sur cette planète. Il s’est fait tuer alors qu’il… qu’il contrevenait aux directives de ce monde… En général, les morts ne reviennent pas à la vie, encore moins cent-quarante ans après leur enterrement. Si c’est le cas, on suppose que c’est l’œuvre d’extrasolaires, et c’est le genre d’affaire que l’on confie au CENKT. Quand mon nom a commencé à réapparaître… Je me suis battu pour prouver que j’étais humain comme eux, mais ils m’ont... marqués.
— Vous auriez pu leur dire que vous étiez son… votre arrière-petit-fils, ironisa Will, ironisa Will. Mais j’imagine qu’il aurait fallu en apporter la preuve.
— Ils ont fait des analyses… sur mon sang, mes cheveux, ma peau, avec l’une de mes molaires, et sur ma chair. Ils n’ont pas pu prouver que je n’étais pas un humain né sur la Terre, mais ils ont trouvé des éléments qui indiquaient que je n’avais pas vécu sur la planète depuis mes sept ans
— Le CENKT n’est pas connu pour relâcher ses proies, fit remarquer Esmelia, soudain suspicieuse.
— Ils ne m’ont pas relâché, c’est vrai, admit Grama. Je me suis échappé… et je pense qu’on m’y a aidé.
— Et vous ne pensez pas qu’ils vous ont mis sous surveillance pour que vous les conduisiez jusqu’à vos amis extraterrestres ? le soupçonna Esmelia.
— J’ai changé d’identité trois fois en huit ans. Pas parce qu’ils m’ont retrouvé, ou étaient sur le point de le faire, mais pour leur compliquer la tâche au cas où ils seraient sur mes traces. Et je me suis fait enlever les deux émetteurs qu’ils m’avaient posés pour me pister… Je ne crois pas qu’ils aient vraiment prévu que je m’échapperai
— Lorsque je travaillais pour l’AMSEVE, expliqua Will, le CENKT opérait secrètement pour le compte du gouvernement américain qui avait l’intention de mettre la main sur nos recherches et reprendre le programme d’exploration spatiale ou en utilisant les bouches. Son existence était inconnue des citoyens américains autant que de ceux du reste du monde.
Esmelia avait aussi été briefée sur le CENKT, lors de sa mission. Celle-ci était comme un souvenir lointain dont elle commençait à douter de la réalité. Des détails lui échappaient bizarrement. Son ancienne réalité tendait-elle à disparaître ? contredire
— Le CENKT est tout ce qu’il y a de plus officiel depuis la fin du XXème siècle, objecta Grama. Et leur mission dépasse largement les frontières des États-Unis, et personne n’aime voir leurs agents débarquer dans son jardin ou dans le hall de son immeuble.
Will soupira. La mise en avant du CENKT était quelque chose qu’il admettait difficilement.
— Je me demande jusqu’à quel point les choses qui ont changé, à partir de quand et pourquoi ces changements ont eu lieu.
XXIème siècle. 23 novembre 2124, Ketchikan, Alaska, États-Unis d’Amérique… |
| | | Ihriae Mercenaire Interplanétaire
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| Sujet: Re: L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1) Mer 26 Juin 2019 - 10:51 | |
| L’ORIGINE DE NOS PEURS Tome 1 : Esmelia CHAPITRE 24.1 XXIIIe siècle, du calendrier grégorien. Date stellaire inconnue. Ozymandias, planète du système Etain, bras du Centaure. Elle courait aussi vite que ses petites jambes, et l’adrénaline concentrée qu’elle s’était injectée quelques minutes plus tôt, le lui permettaient. Tous ses sens étaient en éveil. Cependant, depuis le début de sa courte vie, elle n’avait vécu que dans le vaisseau amiral des Terrannihilisateurs dont elle connaissait les coursives par cœur, et son air recyclé, aseptisé. Elle se sentait perdue dans cette forêt d’arbres immenses et séculaires. L’air saturé de cendres lui brûlait la gorge et les poumons malgré le tissu sur sa bouche et son nez qui lui servait de filtre. Elle n’avait pas eu le temps de reprendre son casque, ni la moindre de ses armes qui lui avait été retirée après qu’elle ait été ramenée à la citadelle avec Baal, inconscients l’un et l’autre. Néanmoins, elle avait pour elle l’entraînement des cadets, tout comme son poursuivant, mais elle l’avait poussé bien au-delà de leur niveau d’apprentissage.
Elle avait achevé tous les cycles d’augmentation physique sans le moindre rejet. Normalement, cela n’aurait pas dû être le cas, mais la Magicienne avait voulu qu’il en soit ainsi. Beaucoup d’Assimilés ne supportaient pas, physiquement ou psychologiquement, les modifications corporelles parce qu’elles étaient effectuées trop tard, selon elle. Circé s’était toujours gardée d’en faire part aux scientifiques chargés des opérations d’amélioration des combattants, et c’est elle qui avait le projet RH27 en charge. Elle avait pu agir à l’insu des autres scientifiques au service des terranihilisateurs. C’était grâce à cela que Mountain avait pu bénéficier d’implants dont quelques-uns étaient encore inédits. Circé ne savait pas jusqu’où elle serait capable d’aller, quelles facultés elle développerait, ou même si elle en aurait de meilleure que les autres augmentés.
Consciemment, Mountain avait évité de montrer jusqu’où elle était capable d’aller. Elle l’ignorait elle-même. Elle ne voulait surtout pas devenir leur arme vivante préférée et devoir leur obéir au doigt et à l’œil. Elle n’était pas faite pour cela. Elle était toujours restée en dessous de des radars des instructeurs. Mais ces derniers temps, elle avait senti que son stratagème ne marchait pas sur tout le monde. Les entraînements supplémentaires imposés par la Magicienne y étaient-ils pour quelque chose ? Elle s’était fiée à son instinct, et elle avait mis les voiles. Au bon moment apparemment.
Circé l’avait senti elle aussi et avait accéléré les préparatifs. Les évènements avaient pris la tournure qu’elle connaissait. Elle n’avait pas le temps de s’apitoyer sur le sort de la magicienne, sur celui de Lando ou sur celui d’Insigo. Sur le sien encore moins.
Son poursuivant ne la lâchait pas d’une semelle. Elle n’avait pas besoin de se retourner pour le savoir. Cela aurait été une perte de temps et une grave erreur dans une course poursuite. Son instinct et les tours que lui avait appris Circé, c’était désormais à eux qu’elle devrait se fier, sans pour autant se reposer sur eux totalement… Pour l’instant présent, il y avait sa vivacité physique et mentale. Elle tendit son esprit vers l’avant et se concentra sur le terrain humide pour ne pas glisser ou enfoncer l’un de ces pieds dans un trou de terre molle et de cendre pâteuse, ou le coincer sous une racine morte. Elle devait se dissoudre dans son environnement, se servir de lui au besoin… Elle se concentra sur ces odeurs qu’elle n’avait jamais connues avant d’arriver sur cette planète. Celles d’une forêt qui, nuit après nuit, jour après jour, n’en finissait pas de mourir.
Elle tendit son esprit vers le but à atteindre : quitter cette planète, pour un autre monde, un autre temps. Peut-être s’y débarrasserait-elle enfin de l’odeur du sang dans ses narines, dans sa bouche… Ou pas. Il y avait dans l’air des odeurs de sang, de chair brûlée, de carburant et d’explosifs qu’il lui serait difficile d’oublier.
Le Sambre, derrière elle, était dans son élément. La planète de celui-ci, Sambre, avait été l’une des dernières conquises par les Terrannihilisateurs, il y avait deux environ… Enfin deux ans pour elle. La plupart de ses habitants avaient été tués, mais les Terrannihilisateurs en avaient tout de même gardé quelques-uns. Un trésor pour eux, car les sambres vivaient sur une planète forestière, certes, mais particulièrement hostile. Il leur était difficile d’y cultiver des aliments comestibles. Ils ne se nourrissaient donc que de ce que leur donnait la nature. Une sorte de lien s’était développé entre eux et elle. Mais n’importe qui ayant les moyens de se substituer à la Mère Protectrice et Nourricière se voyait récompensé d’une fidélité absolue de la part d’un sambre. Y manquer signifiait la perte de son honneur, et peut-être même de sa vie.
Les envahisseurs s’étaient dépêché d’imprégner de force les survivants, avant de les convertir et de les augmenter physiquement.
En ce qui concernait l’imprégnation, elle ne connaissait que ce que Circé lui avait enseigné sur le sujet : avant que la guerre ne fasse irruption dans la galaxie, les aînés femelles ou mâles étaient élevés pour devenir les maîtres assassins de seigneurs ou d’individus fortunés, souvent peu scrupuleux quelle que soit leur espèce pour peu qu’ils puissent payer leurs services à la famille du Sambre. En échange, celui-ci se livrait corps et âme à son maître. Les sambres avaient la réputation de ne jamais manquer leur cible. Ils étaient craints de tous. Plus d’une fois, ils avaient été l’objet de tentatives d’anéantissement, mais Sambre était leur refuge, et elle les avait protégés jusqu’à l’arrivée de ce nouvel ennemi l’avait anéantie.
Elle ne savait pas comment le gamin avait pu échapper à l’imprégnation forcée et se retrouver parmi les recrues. Des prisonniers, très jeunes, qui ne connaîtraient, comme tous ceux qui les avaient précédés, que l’armée et les doctrines des Terrannihilisateurs. Ils intégreraient l’élite, les unités des meilleurs combattants à partir de leur maturité sexuelle. Ce seuil variait en fonction des espèces. Beaucoup mourraient dès leur première année de combat, mais pour ceux qui survivraient alors la vie serait infiniment plus facile à bord du vaisseau.
Dès les premières années d’entraînement, les recrues comprenaient ce que cela signifiait, et très rapidement la concurrence devenait rude entre eux. Pour survivre, les plus faibles s’alliaient au plus forts. Elle, elle n’avait jamais accepté la moindre alliance. Elle avait juste appris à se battre, à survivre et à se faire oublier de ses camarades. Parfois, il lui arrivait d’apporter son aide à l’un d’entre eux, mais c’était toujours à charge de revanche, parce qu’elle avait besoin de quelque chose... Était-cela qui l’avait trahie ? En tous les cas, le gamin s’était collé à elle comme une tique et ne l’avait plus lâchée.
Au début, il l’avait intriguée. Elle ignorait d’où il venait, ce qu’il était. Elle ne connaissait que le nom qu’il s’était donné : Insigo. Elle avait découvert ses origines en entendant les gardes évoquer les sambres qu’ils avaient capturés quelques semaines plus tôt. Exactement à l’époque où Insigo était apparu. Elle avait senti dans leurs paroles la crainte que ces humanoïdes inspiraient aux autres espèces de la galaxie, même les plus puissants.
Ce gamin était singulier. Le genre de ceux à qui vous dites qu’il pleut et vous répondront que non même s’ils sont trempés jusqu’aux os. Du coup, pas étonnant que l’assimilation ait glissé sur lui. Il était imperméable au bourrage de crâne des instructeurs et aux brimades. En ce qui concernait son imprégnation, elle en avait conclu qu’il avait été très chanceux pour avoir réussi à cacher ce qu’il était vraiment aux yeux de tous. Il avait dû arriver à bord du vaisseau avec des centaines de prisonniers Sambres. S’était-il caché dans les jupes de sa mère pour échapper aux contrôles avant de se mêler aux prisonniers déjà présents ? Cela ne l’avait pas empêché d’être incorporé au sein des jeunes recrues.
Elle aurait pu le dénoncer aux gardes de la sécurité. Ce qui lui aurait valu d’être considérée comme loyale, parfaitement assujettie à ses maîtres. En même temps, elle aurait pu attirer l’attention sur elle. Elle aurait sans doute obtenu une promotion qui lui aurait laissé moins de liberté d’action qu’elle n’en avait déjà.
Dès qu’elle l’avait vu, elle avait pensé qu’il ne survivrait pas longtemps. Avec sa petite taille, son air fluet, ses grands yeux gris innocent, on ne lui aurait pas donné plus de six ans. Elle, elle en avait déjà neuf. En réalité, elle le comprit plus tard, il en avait certainement beaucoup plus. Le développement physique et psychologique des Sambres étaient moins rapide que celui de la majorité des humanoïdes ou d’autres espèces. À cause de cela, elle ne se fit aucune illusion sur son avenir. Tôt ou tard, un instructeur se rendrait compte que le gamin avait une croissance plus lente. S’il ne faisait pas le rapprochement avec les Sambres, il réformerait le gamin et l’enverrait dans l’une des nombreuses bauges, comme les appelait Circé, où les combattants se divertissaient après chaque bataille. Finalement, elle l’aimait bien et si cela n’avait tenu qu’à elle, elle l’aurait incité à déserter avant qu’il ne soit trop tard. Elle l’aurait elle-même conduit dans les bas-fonds du vaisseau où les Perdus Silencieux l’auraient caché et élevé comme l’un des leurs, comme elle, avant. Au lieu de cela, elle avait évité de lui montrer la moindre forme d’affection. Elle le repoussait à chaque fois qu’il essayait de se rapprocher d’elle conformément à ce que lui avait demandé la Magicienne. Mais il lui arrivait de le retrouver, au réveil, roulé en boule, à ses pieds, dans un coin de sa couchette pourtant étroite, sans qu’elle ait perçu son arrivée ou sa présence durant son sommeil.
Quel âge avait-il exactement ? Lui-même devait l’ignorer. Au moins, il avait été malin et avait eu suffisamment de jugeote pour ne pas avoir saigné l’un des instructeurs. En plus, contrairement aux jeunes recrues, il n’était pas du genre à réciter les préceptes des Terrannihilisateurs à longueur de temps pour vous faire croire qu’il les avait bien compris et qu’il les appliquerait à la première occasion, même contre un ami. Il aurait pu faire un bon allié, mais Circé était restée sourde à son argumentation. Mountain avait dû se résigner, mais cela lui avait fait mal de le voir quémander un peu d’attention de sa part.
Elle avait une confiance aveugle envers la Magicienne. Elle savait que celle-ci pouvait influer sur les évènements du passé et changer l’avenir. Elle avait fait d’elle son instrument pour y parvenir. Si elle se faisait tuer par le Sambre, il n’y aurait pas de nouveau futur, mais à chaque instant, il gagnait du terrain. Elle devait en finir maintenant ou jamais elle n’arriverait vivante à la Bouche. En espérant que Baal y soit déjà… C’était inévitable. Ça aussi la Magicienne l’avait entrevu, il y avait longtemps. Une issue parmi d’autres qu’elle avait imprimée dans la mémoire de sa protégée. (Suite Chapitre 24.2)
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| Sujet: Re: L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1) Mer 26 Juin 2019 - 10:54 | |
| Tome 1 : Esmelia CHAPITRE 24.2Suite du chapitre 24.1On pouvait toujours chercher à repousser l’inévitable, mais tôt ou tard, il revenait vers vous à pleine vitesse. Au moins, elle choisirait le terrain.
Elle courut quelques mètres encore, puis s’arrêta net.
Elle ne vit rien dans un premier temps. Tout était silencieux autour d’elle. Pas le moindre vent, pas le moindre chant d’oiseau. Ce monde était mort, anéanti par les vaisseaux des Terrannihilisateurs. Même les bruits de combats en bas de la colline semblaient s’être tus.
Elle n’eut pas longtemps à attendre. Le Sambre apparut et freina brutalement en la voyant lui faire face à quelques mètres de lui, Insigo. Qu’espérait-il donc à la poursuivre ainsi ? Il savait qu’il était plus rapide à la course mais pour le reste… Sauf s’il avait caché son jeu. Plus à elle qu’aux Terrannihilisateurs…
Elle passa sa manche sur son visage pour que la fine pellicule de cendres qui lui couvrait le visage, mélangé au sel de sa sueur ne lui coule pas dans les yeux au plus mauvais moment et trouble sa vision. Elle le vit en faire autant. La cendre laissa des marques noires sur son visage. Elle avait probablement les mêmes.
Quelque chose avait changé en lui. Elle lui accorda toute son attention. Il était armé d’un poignard, et elle avait pu constater lorsqu’il avait blessé Pakhet, qu’il savait désormais s’en servir avec aisance sur un champ de bataille. Son attitude était plus affirmée. Elle en déduisit qu’il avait été entraîné. Probablement amélioré physiquement aussi, mais jusqu’à quel point, et en si peu de temps ?
Elle comprit alors son erreur… et ce qui n’allait pas dans le même temps.
Si pour elle, il ne s’était passé qu’une journée et une nuit, pour lui c’était en années qu’il fallait compter…
Combien… Une année, deux, trois ? Pas beaucoup plus, songea-t-elle.
Le temps pour les Terrannihilisateurs de décrypter les documents qu’ils avaient pu trouver sur le portail et de découvrir les coordonnées de sa destination, sans doute… Le temps qu’ils détectent un sambre en Insigo et qu’ils se l’approprient, à moins qu’ils l’aient toujours su… Son crâne était rasé et sûrement marqué à l’arrière. Circé s’était méfiée de lui, et elle avait eu raison. Mountain s’en voulait d’avoir été aveugle à ce point.
Il s’élança vers elle.
Elle ne put réprimer un soupir. Elle allait devoir le battre rapidement si elle ne voulait pas perdre trop de temps.
Elle se positionna, préparée à l’assaut, balançant son corps de droite à gauche pour ne pas le laisser deviner de quel côté elle s’écarterait. Lorsqu’il arriva sur elle, elle sauta en l’air et attrapa la branche la plus passe de l’arbre au-dessus d’elle. Juste assez de temps avant qu’elle cède et pour sauter par-dessus son poursuivant et atterrir souplement derrière lui.
Elle se retourna pour lui faire face à nouveau. Il n’avait pas perdu de temps et allait encore essayer de l’atteindre. Sans quitter sa position de défense, elle tendit le bras devant elle pour le tenir à distance. Elle était consciente que s’il persistait dans son idée, elle risquait de perdre son faible avantage.
— Insigo, stop ! Je ne veux pas te faire de mal.
Sans doute lui en avait-elle déjà fait plus qu’elle ne l’aurait voulu. Ses paroles n’auraient aucun effet sur lui. Se souvenait-il seulement d’elle ? Personne, à part elle, n’avait pu le faire obéir facilement. Il la regarda, surpris comme si elle l’avait surpris en train de trafiquer l’une des matrices alimentaires du vaisseau Terrannihilisateurs pour obtenir des rations supplémentaires de meilleures qualités que celles qui leur était habituellement servies.
Elle passa outre son étonnement, réel ou feint.
Ne pas se laisser déconcentrer, rester sur ses gardes et se préparer à réagir. Elle aurait pu lui demander comment il allait, lui dire quelques mots sympathiques.
En même temps, pas le temps de faire dans le détail.
— Je peux nous sauver… Toi, moi, nos mondes…
Il la jaugea un moment, cherchant le mensonge dans son regard comme dans ses paroles, sans l’y trouver. Les terranihilisateurs lui avait appris cela.
— On est perdu, finit-il par dire.
Sa voix avait changé. Elle était brisée.
Elle avait peu eu l’occasion d’entendre sa voix. Elle y ressentit tellement de tristesse, de souffrance et de résignation. Son visage n’en laissait rien paraître. Sans doute l’habitude de se cacher derrière un masque…
— Non Insigo, nous avons encore une chance. Une toute petite.
Il eut un rire bref et sarcastique.
Elle passa sa langue sur ses lèvres sèches.
— Tant que je respire, j’espère, paraphrasa-t-elle. Les Terrannihilisateurs nous ont blessés, mais nous sommes en vie. Ils ne nous ont pas détruits. Ils n’ont pas encore vaincu la résistance.
— Si tes amis ne sont pas encore morts, alors ils le seront bientôt. Les Terrannihilisateurs ont une revanche à prendre depuis que seize de leurs vaisseaux ont été détruits quelques temps après ton départ.
Seize… Un bon chiffre qu’elle n’avait jamais imaginé atteindre, et un coup dur infligé à l’ennemi. Normal que celui-ci entende le lui faire payer.
En dehors de cela, elle se sentit soulagée qu’il n’ait pas été sur l’un de ces vaisseaux. Mais cela signifiait-il qu’il avait été envoyé soit dans l’une des Bauges, soit dans l’Arène ? Si les Bauges étaient de petits vaisseaux abritant des lieux de luxures, l’Arène était un gros vaisseau massif où les soldats s’entraînaient, en milieu virtuel, mais sur des cibles vivantes. C’était une version moderne des jeux du cirque, et une tradition que les terrannihilisateurs avaient volé aux drægannes, ou plutôt conservée. Chaque session était retransmise en direct dans tous les vaisseaux de l’armada.
— Je te demande de me croire, Insigo.
— Pourquoi te croirais-je ? Tu ne te préoccupes que de toi-même. Tu m’as abandonné pour sauver ta peau, et tu m’as laissé avec ces… monstres… et si j’étais resté dans le vaisseau amiral, je serai mort...
Elle reçut son reproche comme un coup dans l’estomac.
— Je suis heureuse que cela n’ait pas été le cas.
Elle serra les poings pour ne pas céder aux remords qui menaçaient de l’assaillir.
— Je ne pouvais faire autrement… Ce que j’ai à faire, je dois le faire seule. C’est beaucoup trop risqué.
— Je suis capable de décider ce qui est dangereux, ou ne l’est pas, pour moi.
— Je vois. C’est pour cela qu’à la première occasion, tu t’es empressé de t’allier à aux Terrannihilisateurs que tu prétendais haïr. Tu as essayé de te rapprocher de moi pour m’espionner, mais cela n’a pas marché. Que t’ont-ils donné en échange ? Et toi, que leur as-tu permis de te prendre ?
Elle avait frappé fort. Les mots faisaient souvent plus de mal que les coups...
La colère, ou la honte, fit trembler ses doigts. Lentement, il leva ses mains et les regarda. Il lâcha le poignard, comme s’il prenait soudain conscience de son existence et du danger qu’il représentait.
Elle n’y accorda pas d’attention. Sa colère envers lui était remontée à la surface. Elle n’avait pas eu à la chercher bien loin.
— À cause de toi, elle est morte Je ne sais pas si j’arriverai à te le pardonner.
Le tremblement gagna tout le corps du gamin. Un tremblement qu’il ne parvenait pas à arrêter. Toutes ces émotions, il les avait contenues deux années entières. Deux années de tortures physiques et psychologiques. Il n’avait jamais crié, ni pleuré devant eux. Et il ne le ferait pas plus devant elle.
Effondrement psychologique. Pas d’hésitation pour achever l’ennemi, songea-t-elle. Mais était-il vraiment un ennemi ? Elle commençait à en douter.
Il cherchait désespérément un moyen de reprendre pieds. Elle perçut les défaillances de l’entraînement des Terrannihilisateurs. Son esprit était plus fort qu’ils ne l’avaient supposé. Elle aussi, mais pouvait-elle croire qu’il serait de son côté ? Elle ne pouvait prendre ce risque.
Elle pensa à la porte… Il ne devait pas la suivre, et si elle le laissait en vie, même en lui ordonnant de ne pas l’accompagner, il refuserait de lui obéir. S’il n’était pas avec les Terrannihilisateurs, alors il serait prêt à tout pour s’éloigner d’eux, le plus loin possible, et aussi longtemps qu’il le pourrait. Elle ne pouvait pas lui en vouloir pour cela, ni le tuer.
Elle se rapprocha de lui jusqu’à pouvoir le toucher, presque le prendre dans ses bras.
— Laisse-moi partir… Il le faut… Et je dois le faire… seule.
— Je ne veux pas rester avec eux.
— Si tout se passe bien, tu n’auras jamais à vivre auprès d’eux.
Il sembla ne pas l’entendre.
— Je ne peux…
Évidemment.
Avant qu’il ait pu terminer sa phrase, elle lui flanqua son poing dans la figure. Rapide et net. Assez pour l’estourbir et l’attraper par la gorge et exercer une légère pression… Elle sentit le gamin sombrer dans l’inconscience et s’écrouler. Elle le rattrapa dans sa chute, et le traîna au pied d’un arbre où elle le cacha autant qu’elle le put, avec l’espérance vaine que personne ne l’y trouverait, ou qu’il déciderait d’y rester en attendant le départ des terranihilisateurs.
Elle repartit au pas de course. Elle ne se berçait pas d’illusions. Il ne resterait inconscient que quelques minutes.
En attendant, elle devait creuser la distance au maximum entre lui et elle, et arriver à la Bouche avant qu’il ne puisse l’y suivre.
Circé était formelle sur ce point. C’était ainsi que cela devait se passer. Sa vision était claire. C’était leur dernière chance. Sa dernière chance de sauver tout ce qui vivait dans cette galaxie. (Suite Chapitre 24.3)
Dernière édition par Ihriae le Mar 3 Sep 2019 - 15:34, édité 1 fois |
| | | Ihriae Mercenaire Interplanétaire
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| Sujet: Re: L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1) Mer 26 Juin 2019 - 10:57 | |
| CHAPITRE 24.3Suite du chapitre 24.2Date et lieu stellaires inconnus. Vaisseau amiral des terranihilisateurs. Les souvenirs… Cette vision, elle l’avait eue il y avait longtemps. Elle était différente. Quelque chose avait déjà changé. Ce n’était pas la vision qu’elle avait eue, mais celle de la Circé qu’elle aurait pu être. Elle n’avait plus ses visions depuis longtemps, mais elle avait développé différents autres pouvoirs. Entre autres, celui de revenir dans ses souvenirs, même s’ils ne lui appartenaient plus vraiment, ou pas encore, et celui de communiquer avec celle qu’elle avait été, ou celles qu’elle aurait pu être. Des milliers de possibilités… qui venaient de se multiplier à l’infini.
Le temps et l’espace étaient devenus quelque chose d’abstrait pour elle. Elle explorait inlassablement toutes les possibilités pouvant amener un changement. Des changements qu’elle induisait, tant qu’elle le pouvait, dans l’esprit de la Circé du passé, par petite touches. Toujours en vain… jusqu’à ce qu’elle ait enfin trouvé les points de divergences laissant entrevoir de nouveaux avenirs.
Le retour au présent était toujours plus difficile. Elle le détestait, comme elle détestait ce vaisseau où elle se trouvait enfermée depuis plusieurs siècles qu’elle avait cessé de compter.
Le navire ressemblait à une ville gigantesque, avec ses quartiers établis sur plusieurs niveaux et sur des kilomètres de largeur et de longueur, ses artères principales ou secondaires, sa population militaire bigarrée. Plus que gigantesque, incommensurablement grande, avec sa forme d’oméga. Tous les vaisseaux de l’armada n’avaient pas la même configuration. Ils étaient comme la population : de diverses origines, de diverses formes, annexés, intégrés de force, reprogrammés et utilisés au maximum de leur potentiel pour des tâches bien précises qui nécessitaient le plus souvent le sacrifice de l’individu ou du matériel.
Ils étaient suffisamment nombreux pour ressembler à un essaim dans l’espace orbitant autour d’une petite planète à la limite de la galaxie. Autrefois, celle-ci avait été endormie, mais vivante. Il n’y avait aucun être pensant capable d’utiliser la moindre technologie. Il n’y avait que du sable à perte de vue, et des insectes qui avaient, au fil des millénaires établis leur propre chaîne alimentaire. Tant et si bien que la plus petite colonie de ces bestioles aurait pu dévorer un caïman, un grizzli, ou un être humain en moins d’une heure. Les terrannihilisateurs en avaient fait les frais. Un miunguprimaj et sa cohorte plus exactement. La suite avait été brutale. Ils avaient irradié toute la planète, cela n’avait pas suffi. Il leur avait fallu plusieurs jours pour en venir à bout. Ensuite, il avait fallu capter ses ressources. Les organismes encore en vie avaient alors détruit les quatre vaisseaux en charge de la récolte. Les terranihilisateurs avaient dû trouver des solutions pour les éliminer une bonne fois pour toute. Vingt-trois vaisseaux avaient entre-temps été contaminés. Ordre avait été donné de les envoyer sur la planète et de les y détruire. À ce jour, la planète n’était plus qu’une boule de feu sur le point d’imploser. L’armada avait déjà amorcé son départ de cette zone de l’espace. La galaxie avait été totalement et définitivement épurée de toute vie. Ils allaient passer à la galaxie voisine.
La vaisseau-mère était une cité spatiale, et le siège politique des terrannihilisateurs. La plupart des miunguprimaj, Les Grands Anciens, y avaient établi leur quartier général, mais l’endroit était si vaste que nul ne savait exactement où les trouver. Ils siégeaient au nombre de sept, au cœur du vaisseau. Six depuis la disparition de l’un des leurs. Ils étaient probablement plus. De leur antre, ils dirigeaient leur armada et planifiaient leurs conquêtes. Le cœur du vaisseau ne semblait pas beaucoup plus vivant que le reste. La population y était plus concentrée, alors que certains quartiers en périphérie avaient été vidés par les ruges, la garde rapprochée des dirigeants, puis nettoyés par les robots d’entretien, plongés dans l’obscurité totale et vidé de leur air.
Circé savait qu’elle aurait pu mourir dans l’un de ces quartiers.
Elle marchait dans les coursives du vaisseau, suivie de la fidèle et silencieuse Mafdet. Depuis longtemps, Circé n’était plus la jeune fille qu’Erra avait emprisonnée. Elle avait grandi, vieilli. Elle avait eu plus de deux cents ans pour cela. Elle était maintenant une dræganne qui aurait pu être belle sans ces années de doutes, d’inquiétudes, de privation et de brimades, et même de tortures, au début... Les jumelles lui disaient. Elle refusait de les croire. Difficile d’être jolie dans un pareil lieu. Avant de s’y trouver enfermée, elle n’avait jamais prêté une grande attention à son apparence. Elle avait vécu un quart de siècle, seule, avec pour seules visites, celles d’Erra, et autant de temps sans son don. Depuis, elle en avait développés trois qu’elle avait gardés pour elle. Puis un jour, Erra avait cessé de venir. Elle l’avait attendu longtemps. Jamais elle n’aurait pensé que ses visites lui auraient autant manquées. Même le fait de devoir partager son lit avec lui…
Et puis, un jour, un fileur était venu la sortir de sa prison. Il l’avait conduite, amaigrie et affamée, en haillons, mais pas sans ressources, devant l’un des miunguprimaj. Elle ne pouvait ni dire, ni même deviner à quoi il ressemblait. Il était resté dans la partie la plus obscure de la pièce dans laquelle avait eu lieu leur entrevue. Elle avait ressenti une telle puissance… Cela lui avait paru étonnant pour un être tellement ancien. Jamais elle n’aurait pensé connaître une créature qui avait vécu aussi longtemps que lui… ou elle.
Elle n’avait jamais craint pour sa vie. Elle connaissait les termes de sa mort depuis longtemps. Cela avait été sa première vision alors qu’elle n’était qu’une enfant qui fuyait pour sauver sa vie et celle de son frère. Il lui avait fallu du temps pour le comprendre. Pour cela, elle avait dû appréhender le concept de la mort, tellement étranger aux drægans. Sans pour autant leur être inconnu. Lorsqu’elle avait perdu son don, elle en avait profondément été désespérée. Elle avait toujours compté sur lui pour survivre, et pour sauver ses proches… Ce que lui avait infligé Erra comptait infiniment moins que la perte de son don, même si les deux évènements étaient liés.
Son désespoir était si fort qu’il avait fini par toucher l’esprit d’un chaman maroonien, prisonnier des terrannihilisateurs. Il était quelque part dans le vaisseau, prisonnier, comme elle, dans l’attente de sa conversion ou de sa mort. Lorsqu’il aurait livré ses secrets aux Terrannihilisateurs. Plutôt que ses bourreaux, il avait choisi Circé pour les recevoir. Son esprit était allé jusqu’à elle à travers le temps et l’espace. Il lui avait enseigné à voyager ainsi de la même manière, d’un esprit à l’autre. Elle apprit très rapidement. C’était dans son propre esprit, au fil du temps, qu’elle voyageait le mieux. Ce précieux sésame lui demandait une très grande et une très forte énergie qu’elle ne possédait plus. Aussi, en usait-elle avec parcimonie.
Le vieux marroonien mourut sans jamais avoir transmis ses secrets aux Terrannihilisateurs. Le vaisseau marronnien assista à sa mort, elle y participa, elle l’accompagna, elle la partagea. Il laissa seulement une sorte de charme indiquant à ceux qui lui succéderaient qu’il existait à bord du vaisseau un récipiendaire à leurs pouvoirs. Par la suite, Circé développa de nouveaux pouvoirs grâce à des chamans, des magiciens, des sorciers, des mages, des nécromanciens, des illusionnistes que les terranihilisateurs capturaient. Ils essayaient par tous les moyens de connaître leurs pouvoirs. Tout au plus obtenaient-ils quelques prédictions sur leur avenir. Mais toujours, cela s’achevait par la mort brutale de leurs prisonniers que l’ennemi capturait.
Non seulement, elle les développa, mais il semblait ces dons étaient amplifiés. De leurs côtés, ces maîtres improvisés, mais consentants, travaillèrent de concert avec elle, pour discréditer Erra et ses alliés auprès des Terrannihilisateurs. Ils bâtirent la légende de la magicienne qui vaincrait dans la soumission ou dans la mort, les Terrannihilisateurs. Il y avait une part de vérité dans cette légende…
Le miunguprimaj avait paru se demander ce qu’il ferait d’elle, avant de décider qu’elle ne représentait aucun danger, même non convertie, pour les siens. Elle ne le voyait pas, mais elle le devinait dans son souffle et la périphérie de son esprit. Il avait en partie raison. Qu’aurait-elle pu faire seule contre les milliers de Terrannihilisateurs présents dans le vaisseau et les millions de toute l’armada ? Elle s’était toujours demandé pourquoi les Terrannihilisateurs ne convertissaient jamais les drægans qui refusaient de se soumettre et préféraient généralement les tuer. Certes, ils partageaient un patrimoine génétique originel, comme la plupart des êtres de la galaxie à un moment de leur évolution, mais aujourd’hui plus rien ne les rapprochait. Qu’en était-il des miunguprimaj ? L’espace d’un instant, elle avait cru sentir quelque chose de familier dans ce vieil esprit, mais cela avait été beaucoup trop furtif pour qu’elle en soit certaine.
Où aurait-elle pu aller dans un univers où toutes les planètes viables avaient été annihilées ? Il s’était totalement désintéressé d’elle, comme si elle n’était plus qu’une ombre que l’on distingue vaguement du coin de l’œil. Il ignorait qu’elle lui avait insufflée cette idée. Enfin, elle n’en était pas certaine, car elle n’était pas vraiment parvenue à y entrer.
L’intérêt des miunguprimajs pour les sciences occultes démontraient chez eux le désir de posséder de tels pouvoirs, et donc une croyance certaine en ces derniers. C’était leur point faible. Après avoir découvert cela, elle avait commencé à mettre en place son plan pour les détruire.
Elle avait mis un point d’honneur à s’intégrer aux reconditionnés. C’était à peine si ces derniers se rendaient compte de sa présence. Ils étaient programmés pour des tâches précises. Le reste restait en périphérie de leur cerveau. Elle avait appris, année après année, magie et science, au sein d’une unité de reconditionnement et d’augmentation des facultés physiques des individus, destinée à créer des soldats puissants et obéissants. Discrètement, elle avait soulagé les douleurs et les peurs des prisonniers, des victimes des Terrannihilisateurs. C’était là qu’elle avait rencontré les jumelles, Mafdet, la déesse panthère, et Pakhet, la déesse à tête de lion. Deux drægannes qui avaient choisi pour hôtes des jumelles humaines, terriennes d’origine nigérienne. Elles étaient grandes et minces, un visage aux traits fins, à la mâchoire saillante et ne différaient que par leurs yeux et leur coiffure. Mafdet avaient des yeux verts tandis que ceux de Pakhet étaient dorés. L’une n’avait guère plus d’un centimètre de cheveux sombre sur le crâne. L’autre arborait une épaisse crinière fauve.
Elle comprit très vite que nul autre qu’elle ne pouvait les voir. Même si les reconditionnés étaient déprogrammés, les deux déesses resteraient invisibles à leurs yeux, tels les ombres fantomatiques qu’elles étaient devenues. Circé ne pouvait s’expliquer cet état auquel de rares drægans pouvaient apparemment parvenir après leur mort, celui d’esprits purs. Ou bien était-ce l’existence d’une autre dimension qu’elle seule pouvait entrevoir. Elle ne parvenait pas, cependant, à croire aux fantômes tels que bon nombre de civilisations les décrivaient. Elle aurait pu supposer qu’elle était atteinte de folie, mais si cela lui permettait de ne plus être seule, alors elle l’acceptait. Pourtant, il lui semblait que l’ensemble de ses facultés étaient intactes. (Suite Chapitre 24.4)
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| Sujet: Re: L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1) Mer 26 Juin 2019 - 10:58 | |
| CHAPITRE 24.4Suite du chapitre 24.3Elle croisa des gardes qui ne semblèrent pas la remarquer. Tant mieux. Elle se hâta en direction de ses appartements, ou ce qui en avait le nom. Elle avait pris du retard. La petite devait déjà l’attendre depuis un moment. La patience n’était pas l’une de ses vertus. Avec juste raison dans ce cas, car son absence prolongée risquait d’être remarquée au sein de son unité. Les instructeurs laissaient rarement aux recrues le loisir de se reposer plus d’une heure, même la nuit. L’avantage de Mountain, c’était que ses implants lui permettaient de récupérer rapidement. Cette enfant était la perfection même. Elle ne l’avait pas créée, pourtant elle était sa création, et pas parce qu’elle l’avait optimisée.
Elle songea à l’étrangeté de la situation. Avec le peu de matériel génétique qu’elle possédait, elle n’avait pu élaborer qu’un seul et unique clone. Il était issu du sang, des larmes et d’un cheveu de Himilce, le seul être que son frère Adad daignerait écouter. Elle seule pouvait infléchir ses décisions passées et changer l’avenir. À condition que tout fonctionne, et le pourcentage tellement faible de réussite lui avait donné raison, hélas.
La réplique avait grandi sur le vaisseau. Circé l’avait elle-même élevée à l’insu des Terrannihilisateurs. Mais elle ne faisait pas d’illusion. L’enfant avait beau être un clone, elle n’en était pas moins un individu à part entière et sa propre personnalité. Même sa ressemblance avec Himilce n’était pas si frappante. Mais les souvenirs étant ce qu’ils étaient, surtout lorsqu’ils avaient plus de deux mille ans, elle n’en avait plus la certitude. Elle lui avait d’ailleurs donnée un prénom : Raya. Celle-ci devint une jeune fille indépendante, et quelque peu rebelle. Elle était suffisamment intelligente pour savoir que ses seuls horizons seraient l’assimilation, ou bien retourner vivre dans les bas-fonds du vaisseau. Son espérance de vie serait limitée car tôt ou tard, les Terrannihilisateurs les ratisseraient lorsqu’ils seraient en manque de chair à canon. Il restait la troisième solution, celle pour laquelle elle avait été créée : l’envoyer au XXIe siècle en utilisant la bouche.
L’existence de celle-ci étaient connues depuis des millénaires par les drægans. Elles erraient sans but apparent à travers la galaxie. Nombre d’entre elles finissaient, par hasard ou par choix, sur des planètes dont elles ne pouvaient plus partir. Pour la plupart des civilisations, celles qui ne les avaient pas totalement oubliées, elles étaient des entités, des êtres vivants que même les dieux ne pouvaient soumettre à leur volonté. C’était sans doute pour cela que peu de drægans pouvaient utiliser. Elles choisissaient les individus qui pouvaient se servir d’elles comme des vaisseaux. Adad avait été l’un d’entre eux. Son dernier voyage l’avait conduit cent ans en arrière. Ce n’était pas la première fois qu’il remontait le temps en utilisant les Portes, mais généralement, cela n’avait jamais été au-delà de quelques jours. Il en avait déduit que plus le voyage était long, et les étapes nombreuses, plus il remontait loin dans le temps. Il aurait sans doute souhaité remonter plus loin, mais pour ce qu’elle en savait, il semblait que, pour des raisons qui leur appartenaient, les Bouches aient refusé de s’ouvrir, pour lui, après cet ultime voyage. Du moins pour ce qu’elle en savait. En y réfléchissant, remonter le temps en utilisant le réseau de Bouches n’avait rien de si extraordinaire, puisqu’on y voyageait plus vite que la lumière. Les Terrannihilisateurs, eux, ne voyageaient jamais plus vite que la lumière. Leur longévité le leur permettait. Cela faisait déjà plus de deux cents ans qu’ils écumaient la Voie Lactée. Elle avait bien entendu quelques rumeurs concernant leurs recherches sur la vitesse supraluminique, mais il semblait qu’ils aient abandonné ce projet. Des rumeurs racontaient qu’ils n’avaient jamais eu l’occasion d’étudier une Bouche, comme si celle-ci avaient trouvé le moyen de leur échapper… Une chose était certaine, ils ignoraient qu’ils avaient une porte à bord du vaisseau amiral. Un magicien était parvenu à l’y cacher. Elle était, aujourd’hui, l’une des trois seules personnes à en connaître l’existence et à savoir où elle se trouvait.
Lorsque l’enfant atteignit ses quatorze années terrestres, Circé la conduisit à la bouche. Elle avait utilisé le programme que son frère avait mis au point pour programmer la date d’arrivée de l’enfant et l’avait envoyée au début du XXIe siècle. Après cela, les choses s’étaient gâtées. Quelque part, dans ses calculs, ou bien dans les convergences spatiotemporelles, il y avait eu une erreur. Comme rien n’avait été modifié, Circé en avait conclu que si l’enfant était bien arrivée à destination, ce n’était sûrement pas à la bonne époque, ou sur la bonne planète. Elle n’avait sûrement pas rencontré Baal. Elle avait alors perdu tout espoir. Quelques jours après qu’elle avait ressenti une perturbation dans la trame du temps, comme si les ondes provoquées par une pierre jetée au milieu d’une mare atteignaient enfin ses rives et bousculait tout sur leur passage… L’espace de quelques minutes, elle s’était senti dépositaire de plusieurs mémoires simultanées. Toutes lui appartenaient. Deux d’entre elles perdurèrent. Il n’y avait pas de grandes différences entre ces deux-là, mais quelque chose avait changé son présent. Cette impression s’était estompée mais il en existait toujours des échos. C’était juste une question de détails, d’oublis sur certains faits ou personnes, de déjà vu, de choses qu’elle pensait avoir faites tout en ne les ayant jamais faites, des endroits où elle avait le très fort sentiment d’avoir vécu, sans savoir où ils se trouvaient vraiment, et sans jamais y être allée, des voyages dont elle ne se souvenait pas, et pourtant elle avait des images précises de ces lieux qu’elle n’avait pas visités… Mais l’essentiel était resté immuable : ses souvenirs les plus heureux comme les plus tristes.
Elle se souvenait d’une vision qu’elle avait eue, dans sa jeunesse : Cottos jetait une femme, dont la ressemblance avec Himilce était certaine, dans le Puits de L’Éternité. Elle avait alors pris conscience de plusieurs faits : Dans cette vision, elle avait vu le clone de Himilce. Raya. L’enfant qu’elle avait envoyée vers Adad était devenue une adulte. Elle avait finalement bien trouvé Adad, mais pas à l’endroit et à l’époque souhaitée par la magicienne. Un autre fait était qu’elle n’avait jamais su ce qu’était exactement le Puits de L’Éternité.
Dans les légendes drægannes, on racontait que l’âme de celui qui y était jeté était condamnée à errer dans les limbes pour l’éternité. Mais pour une raison dont elle ignorait tout, ce ne fut pas le cas de l’âme de Raya. Celle-ci passa d’existence en existence, à la recherche du seul être qu’elle pouvait aimer. Elle illustrait parfaitement le concept de réincarnation cher à de nombreux êtres humains. Chaque expérience marquante vécue par celles qui précédaient la dernière incarnation en date faisait partie de celle-ci, et certains souvenirs. Elle en avait eu la preuve avec Mountain qui se souvenait parfaitement des geôles de Cottos, de celui-ci, et elle en avait la plus grande peur au point de faire des cauchemars. À cause de cela, Mountain avait pris ses distances avec le rêve commun des rayas pour n’en devenir qu’une simple observatrice. C’était sa manière de tenir le monstre à distance. Elle avait ainsi observé l’une de ses incarnations précédentes soigner un homme dont les traits restaient diffus dans sa mémoire. Elle avait été témoin de leur amour. Elle se souvenait nettement de l’empreinte de cet amour, ce qui était assez perturbant pour une enfant qui n’en comprenait pas le sens et qui trouvait cela plutôt dégoûtant. Circé avait dû opter pour quelques barrières mentales qui disparaîtraient avec le temps. Elle lui avait aussi raconté l’histoire de Himilce pour laquelle Adad avait bravé plusieurs interdits drægans, et qui était en quelques sortes la mère de celle qui avait été jetée dans le Puits de L’Éternité, celle de toutes les rayas, et donc la sienne.
La petite fille avait réfléchi un moment avant de répondre que ce n’était pas tout à fait exact dans la mesure où l’âme de Himilce venait, elle aussi, du Puits de L’Éternité. Circé n’avait su que répondre, trop surprise par cette révélation. Mountain n’avait pas pour habitude de mentir ou d’inventer des histoires. Si c’était vrai, et cela pouvait l’être compte-tenu des résultats de certains des examens qu’elle avait pratiqués sur les cellules de Raya lors de sa gestation dans la matrice artificielle, cela impliquait qu’elle avait créé un clone de Himilce à partir du clone de celle-ci… C’était assez bizarre comme concept. Ce que personne, pas même les Hôtes qui avaient accueilli les Primaires, et dont la technologie était très avancée, n’avait encore réussi à faire. Elle était la première. Mais par quel concours de circonstances ? Si elle n’avait pas envoyé son clone, et elle aurait pu ne pas le faire, Himilce n’aurait jamais existé. Adad ne serait jamais tombé amoureux d’elle. Ils n’auraient pas commis l’impensable pour elle. Il n’aurait pas non plus connu les geôles de Cottos. Pas à cause de ce crime, du moins. Il serait sans doute devenu l’un de ces drægans prétentieux, prompts à choisir le camp du plus fort plutôt que celui du plus raisonnable, et aurait intrigué pour prendre la plus haute place. Cela n’aurait nullement empêché les Terrannihilisateurs de débarquer. Il aurait été leur allié au lieu de devenir leur ennemi. Et si Himilce n’avait pas existé, elle n’aurait jamais pu envoyer son clone dans le passé. Il n’y aurait pas eu de nouvelles réincarnations d’elle à travers le temps. La petite Mountain n’aurait jamais existé.
Elle se pinça l’arête du nez, signe d’épuisement. Elle se trouvait face à un paradoxe. Ces derniers temps, elle avait l’impression que c’était souvent le cas. Elle s’était toujours demandé si chaque choix entraînait la fin inéluctable d’alternatives. Ouvrait-il alors à une nouvelle ligne temporelle excluant l’ancienne qui finissait par disparaître ? Ses impressions d’oubli, les résurgences de souvenirs qu’elle ne pouvait avoir vécus... Chaque évènement intervenant dans le passé construisait l’avenir. S’il différait de l’évènement initial, alors il reconstruisait l’avenir avec plus ou moins de différences. D’où toutes ces répétitions et ces rêves aussi vrais que la réalité dont la plupart des individus ne tenaient pas compte. Un changement dans le passé altérait donc inévitablement le futur.
Dit ainsi, cela donnait à imaginer un avenir fluctuant, sans cesse en mouvement. Sauf qu’il n’était pas si facile de changer le passé. Chaque être vivant, sans le savoir, reproduisait le schéma initial. Il n’en sortait que par une intervention extérieure, un détail laissé de côté sur lequel il oublie de revenir, un choix joué à pile ou face, un papillon écrasé sous une botte au Jurassique qui n’aura pas de descendants, l’effet domino, un caillou jeté dans une mare qui modifie la surface de l’eau…
Un voyage dans le temps pouvait-il être inscrit dans la trame des évènements temporels ? À en croire ce qui s’était passé avec Raya, le clone de Himilce, oui. Mais pouvait-elle en être certaine ? Où était le libre arbitre de l’individu dans tout cela ? Si cette notion n’était qu’un leurre, pas étonnant que son frère choisisse toujours de fuir, lui qui détestait les combats perdus d’avance. N’y avait-il donc aucune solution à cette immuabilité ? Chaque individu, chaque être vivant de l’univers, même les Terrannihilisateurs, était englué pour l’éternité dans une toile invisible. (Suite Chapitre 24.5)
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| Sujet: Re: L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1) Mer 26 Juin 2019 - 11:00 | |
| CHAPITRE 24.5Suite du chapitre 24.4Tout cela, elle l’avait déjà exposé à plusieurs reprises à Mafdet et Pakhet. Les deux sœurs l’écoutaient toujours silencieusement, religieusement. Aucune n’avait jamais émis la moindre contradiction. C’était Mountain qui avait fini par trouver la solution malgré son jeune âge.
— Rien n’est inéluctable, avait-elle dit avec le plus grand sérieux.
La vue des deux gardes feeksees en faction devant la porte de son appartement la sortit de ses pensées. En plus d’être issus d’une espèce sortant à peine de l’animalité, les Feeksees, ces deux-là ne faisaient pas partie de l’élite. Au contraire, ils n’avaient sûrement pas dû répondre aux attentes de leurs supérieurs hiérarchiques pour se retrouver à jouer les piquets de porte dans les quartiers personnels d’une Dræganne aveugle. Elle retint un vague sourire. Ils pensaient sans doute que cette entrée était la seule issue possible. Elle se demanda encore si elle leur faisait au moins un peu peur, et s’ils ne préféraient pas être avec les assimilés, ou même s’ils avaient conscience d’être punis. Ils n’avaient sans doute aucune opinion sur ces sujets. Elle savait que les traitements invasifs utilisés pour leur assimilation brûlaient une partie importante de leurs deux cerveaux. Les Freeksees supportaient mal le processus. Une fois celui-ci achevé, un seul sur deux se révélait encore capable de répondre aux ordres des Terrannihilisateurs.
Les Feeksees étaient des êtres doubles, ou presque. Ils possédaient un long buste, mais quatre jambes dont deux supérieures qui étaient plus longues que les inférieures. Cela leur donnait une espèce de cambrure forcée entre le dos et les fesse qui les faisaient ressembler à de gros insectes. Ils avaient quatre bras dont une paire, aussi longue que leurs jambes supérieures, dont les terminaisons ne cessaient de palper le sol sur lequel leurs petits yeux ne semblaient jamais pouvoir se poser. Ces yeux, situés de chaque côté d’un visage qui évoquait tout à la fois une tête de cheval et celle d’une girafe, ne voyaient pas en couleur et seulement en deux dimensions. Elle savait que leur peau qui semblait tendue à l’extrême avait la couleur de la cire. Elle savait aussi qu’ils portaient l’uniforme des soldats chargés de la sécurité interne du vaisseau amiral. Circé, qui avait passé presque toute son existence sur la Terre se référait surtout aux créatures terriennes lorsqu’elle voulait décrire une espèce particulière.
Ils s’écartèrent au passage de la Magicienne. Elle composa son code d’entrée sur le digicode et entra dans son antre. La porte se referma aussitôt derrière Mafdet qui la suivait toujours. Enfin, elle était à l’abri dans ses appartements. Un abri relatif, car s’il leur en prenait l’envie, n’importe lequel des agents chargés de la répression pouvait y pénétrer, lui confisquer le peu qu’elle possédait et l’éliminer sans que qui que ce soit ne trouve à y redire. Fort heureusement, cela n’avait pas encore été le cas, mais cela ne durerait pas. Certains signes indiquaient que quelque chose se tramait. Il était temps. Temps d’agir. Temps de faire ce qu’il fallait pour en finir avec l’ennemi. Peu importait ce que cela lui coûterait personnellement. Elle était lasse de vivre depuis si longtemps avec le sentiment que le jour qu’elle vivait était le dernier.
Elle devina que, comme à son habitude, Pakhet était installée près du hublot. Son regard fixait inlassablement l’espace désormais vide de toute vie en dehors de celles des Terrannihilisateurs. Malgré cela, elle continuait à rechercher sa planète, celle qui fut son royaume durant un temps. Pakhet la rejoignit sans un mot. Adad disait toujours qu’un seul regard suffisait aux jumelles pour se comprendre. Elle s’installa auprès de sa sœur et posa la tête sur son épaule.
Un jour de plus, mes amies, chuchota Circé. Un jour de plus. C’est tout ce qu’il nous fallait…
Elle s’immobilisa et tendit l’oreille.
Ce que ses yeux ne voyaient pas, ses sens le lui traduisaient. Sa vue n’avait jamais été celle d’un humain. C’était une sorte de traduction simultanée comme si les images arrivaient directement dans son cerveau sans le prisme de ses yeux. En fait, elle voyait mieux que les humains car elle distinguait la chaleur de leur corps et les émotions qu’ils éprouvaient.
— Tu peux sortir de ta cachette, signala-t-elle tout doucement.
L’enfant bougea, juste devant elle. Ce fut comme une vibration légère dans l’air.
— Je ne suis pas cachée, répondit-elle. Sauf si je reste immobile.
Elle avait raison. Grace au système occulteur de son gilet pare-balles, elle disparaissait si elle restait parfaitement immobile, ou au contraire si elle bougeait extrêmement rapidement.
— La petite sangsue ne t’a pas posé de problème cette fois ?
Circé faisait référence à la dernière fois où Mountain était venue la voir. Elle avait eu beaucoup de retard parce qu’elle avait dû semer le jeune sambre qui s’était mis en tête de la suivre partout où elle allait.
— Il dormait à poings fermés lorsque j’ai quitté ma cabine.
Circé ne cacha pas son scepticisme. Mountain était certainement très intelligente, mais elle pouvait être naïve, et le gamin, Insigo, était malin. Pour elle ne savait quelle raison, il s’était attaché à sa petite protégée. Elle avait demandé à Mountain d’avoir l’œil sur le lui tout en le gardant à l’écart de leurs activités clandestines. Elle savait ce que cela coûtait à la petite fille qui avait plutôt bon cœur, et qui, dans un monde différent, se serait sans aucun doute attachée à recueillir tous les animaux errants qu’elle aurait pu rencontrer. À neuf ans, Mountain avait déjà l’étoffe d’une grande combattante. Les instructeurs venaient de se rendre compte qu’elle bridait volontairement ses capacités, et si elle agissait ainsi, cela signifiait que l’assimilation et la reprogrammation n’avaient pas fonctionné sur elle. En plus de vouloir connaître les raisons de cet échec, les scientifiques avaient déjà préparé un nouveau programme auquel elle serait soumise avant la fin de la journée. Tout cela, bien sûr, la principale concernée l’ignorait. Si Circé en avait eu vent, c’était parce qu’elle avait laissé traîner ses oreilles du côté du laboratoire principal de simulation virtuelle.
Après la programmation, conformément à l’usage, la gamine aurait à subir de nouvelles augmentations corporelles. Les assimilés découvriraient alors que le travail avait déjà été fait, et cela bien au-delà de leurs connaissances et de leurs capacités.
— Ils savent, lâcha soudain la petite. Il faut que je parte avant qu’ils me reprogramment. Je ne veux pas qu’ils essaient à nouveau.
— Comment…
Circé ne put terminer sa phrase, mais Mountain répondit tout de même à sa question.
— Les instructeurs et les gardes mobiles parlent entre eux. Je l’ai ai entendus.
— Tu as l’ouïe fine.
— Exact. Même sans cela. Leur figure et leurs gestes parlent pour eux.
— Bonne lecture. Ce don te sera très utile là où tu vas devoir te rendre. Et ton expérience au sein des jeunes recrues pourrait bien, elle aussi, te servir. Il te faudra poursuivre tes entraînements et rester très vigilante. Il est possible que nos ennemis lancent des chiens à tes trousses, des animaux… ou des êtres qui te paraîtront familiers ou inoffensifs. Quoi qu’il en soit, sois en certaine, ils n’auront aucune pitié et ils essaieront de te tuer.
— Avant de partir, est-ce que je peux faire sauter quelques-uns de leurs vaisseaux ? Au moins vingt.
— Pardon ?
— Au cours de nos missions, j’ai réussi à placer des charges de tserarenium sur une vingtaine de vaisseaux Terrannihilisateurs. Il y en a aussi deux sur ce vaisseau… Faudra pas y être quand ça éclatera.
Circé resta un moment sans rien dire. Cette enfant la surprenait chaque fois qu’elle la voyait.
— Il vaudrait mieux que ce soit moi qui m’en charge, finit-elle par dire. Le temps presse et nous ne pouvons pas nous permettre de te perdre en prenant des risques inutiles.
La gamine sortit de sa combinaison un objet qui ressemblait plus à vieux jouet, une sorte de bilboquet, sauf que la réussite du joueur, ou simplement l’emboîtement des deux pièces, entraînerait la destruction d’une petite partie de la flotte et endommagerait grandement le vaisseau amiral. Elle le posa avec regret sur le petit bureau dont Circé se servait parfois pour écrire.
Un instant, Circé fit courir le bout de ses doigts sur l’une des pièces. Elle lut leur destinée. Jamais elle ne se servirait du détonateur, mais quelqu’un d’autre le ferait, sans savoir qu’il signerait la destruction de plusieurs vaisseaux, la mort de milliers terranihilisateurs, et la sienne. C’était inscrit dans la trame du temps.
— Dommage, lâcha Mountain, déçue.
— Tu es vraiment faite pour t’entendre avec mon frère, conclut Circé. Sur ce point, tu peux me croire.
— Je sais, acquiesça-telle. Dommage qu’il soit si vieux. Vous aussi, vous l’êtes, même si vous n’en avez pas l’air.
Cette remarque lui donna l’impression d’être encore plus âgée que ne le supposait la gamine.
— Il est temps d’y aller. Suis-moi !
Involontairement, son ton s’était fait plus sec.
Circé alla dans sa chambre. Elle ne pouvait pas y trouver plus d’intimité que dans le reste de ses quartiers, ou du vaisseau. Le système de surveillance du vaisseau couvrait tout et rapportait tout aux Terrannihilisateurs. Pourtant, elle avait repéré un angle qui n’était pas couvert par les caméras. Là, existait un passage secret qui lui permettait de sortir de chez elle sans être remarquée. Il fallait se glisser entre deux cloisons. Le passage était étroit mais praticable. Il débouchait quelques mètres plus loin, au détour d’une coursive, hors du champ de vision des gardes. Mais une fois qu’elles auraient quitté l’abri des cloisons, elles ne pourraient plus faire machine arrière. Leur disparition des écrans de surveillance sonnerait la première alerte. (Suite Chapitre 24.6)
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| Sujet: Re: L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1) Mer 26 Juin 2019 - 11:02 | |
| CHAPITRE 24.6Suite du chapitre 24.5Arrivée sur le seuil, ne sentant pas l’enfant derrière elle, elle se retourna.
— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Circé plus sur la défensive qu’elle ne l’aurait souhaité.
L’enfant, comme à son habitude, ne s’embarrassa pas de préambules.
— Vous avez dit que lorsque le passé change, on ne s’en aperçoit pas dans le présent ou le futur.
— Je l’ai dit, confirma Circé.
— Je ne pense pas que cela soit le cas.
— Explique.
— Depuis quelques jours, tout ce que je fais… Les entraînements physiques, psychologiques… J’ai l’impression de l’avoir déjà fait… ou de le faire simultanément… ailleurs. Parfois, je cours sur du sable, au bord d’une immense surface d’eau, et non dans la salle d’entraînement, ou j’escalade une montagne, et quand j’arrive à observer mon environnement, il est… différent. Il arrive même qu’Insigo soit à mes côtés… Nos prénoms sont différents, mais c’est bien nous, pas des réincarnations… Je le sais… parce que cela se passe toujours au même moment, au même endroit, mais ce n’est jamais tout à fait pareil.
Circé avait écouté attentivement. Elle avait très peu de temps pour résoudre le problème de conscience de l’enfant.
— Je pense que ce sont des récurrences, répondit-elle. Des vies que tu as peut-être vécues… Il est possible que ce ne soit pas la première fois que je t’envoie dans le passé…
Son ton était sincère. Elle ne put s’empêcher de se demander s’il n’y avait pas une autre explication. Des vies alternatives ? Et la présence d’Insigo ? Avait-elle eu tort à son sujet ?
La fillette médita brièvement sur cette réponse avant de se décider à la suivre.
L’explication de la Magicienne se tenait. De toutes les façons, elle n’en avait aucune pour expliquer ces rêves récurrents qui, depuis quelques jours, envahissaient son quotidien au point de la rendre négligente. À cause de cela, les instructeurs avaient découvert qu’elle leur cachait ses véritables capacités.
Lorsqu’elles débouchèrent dans le couloir après avoir suivi l’étroit passage entre les cloisons, celui-ci était désert. Pourtant, Mountain eut l’impression que ce n’était pas le cas. Elle commençait à regretter d’avoir éteint son système occulteur dans le passage secret. Par instinct, comme on le lui avait appris chez les jeunes recrues, elle scruta attentivement son environnement proche sans le laisser paraître. Elle ne vit rien de suspect. Elle rejoignit Circé qui avait pris de l’avance. Au moins, même si elle n’avait pas du tout apprécié l’expérience de l’armée chez les Terrannihilisateurs, elle n’y avait pas perdu son temps. Tout ce qu’elle y avait appris, tous les entraînements qu’elle avait suivis ne lui serait pas inutile dans les années à venir.
Elle se retourna à plusieurs reprises au cours de ce qui lui sembla être un périple à travers le vaisseau amiral.
Elles changeaient souvent de niveau et plus elles s’enfonçaient dans les profondeurs, plus l’impression d’être suivie persistait. Elles ne croisèrent personne sur leur chemin. Pas même un Perdu Silencieux. Plus elles s’enfonçaient dans le vaisseau, plus elles auraient dû en rencontrer...
Ils avaient des espions partout dès que l’on pénétrait dans les bas-fonds. C’était sans doute pour cela qu’elle se sentait épiée. Avaient-ils étendu leur surveillance aux niveaux supérieurs ? Possible, mais peu probable. Si l’un de leurs espions se faisait prendre, cela mènerait les Terrannihilisateurs à vivement s’intéresser à ce qui vivait sous leurs pieds. Ils ne l’avaient jamais ignoré, mais ils toléraient les Silencieux parce qu’ils jouaient leur rôle d’éboueurs du vaisseau. Sans eux, celui-ci serait sans doute une décharge spatiale. Mais cette tolérance avait un prix pour les Silencieux : vivre dans l’incertitude du lendemain, celui où les Terrannihilisateurs décideraient de les assimiler à leur tour…
La magicienne et la fillette marchèrent une bonne quarantaine de minutes. Mountain eut le sentiment de revenir sur ses pas à plusieurs reprises, par un chemin différent. La dræganne craignait-elle d’être suivie ? En tous les cas, à l’heure qu’il était, les Instructeurs avaient dû remarquer son absence. Comme pour confirmer son intuition, le bruit caractéristique des pas cadencés d’une cohorte se fit entendre à l’étage juste au-dessus d’elles.
— Ne perdons pas de temps, la pressa Circé.
Pas besoin de le lui dire. Mountain ne tenait à subir les séances d’assimilation.
Circé s’arrêta devant un mur.
Un cul de sac. Les voilà bien avancées.
Mountain remarqua alors le lecteur de code à mi-hauteur sur le mur, près d’une espèce de compteur énergétique vidé de ses éléments. Elle devina que l’endroit où elle se trouvait était une section très ancienne du vaisseau et elle avait été abandonnée, vidée de son air. Néanmoins un énergicode sur un mur sans porte posait question.
Comme pour répondre à son interrogation, Circé s’en approcha et frappa les touches dans un ordre et un rythme connus d’elle seule. La porte coulissa entièrement. Mountain s’attendit à être aspiré dans le vide, mais rien de tel n’arriva. Un très vieil humanoïde vint les accueillir. Il était légèrement voûté. Sa peau tannée était tachée, ses cheveux blancs, légèrement ondulés, se faisaient rares. Il avait un visage très doux, très expressif. Ses yeux sombres exprimaient une profonde tristesse. Pourtant Mountain eut le sentiment qu’ils avaient dû être extrêmement rieurs dans sa jeunesse. Il était vêtu d’une longue robe blanche et d’un petit gilet de laine multicolore dont les poches étaient déformées. Il avait un petit chapeau rouge en forme de soucoupe plate collé à l’arrière de la tête. C’était un adepte du dieu unique, songea-t-elle. Un nâga. Un drægan qui avait toujours refusé son statut de divinité. Son hôte était un sumérien dont les origines remontaient à l’Antiquité terrienne. Les sumériens avaient été parmi les premiers à disparaître. Leur planète, Sumer, se trouvait à l’extrême bord de la Galaxie. Elle avait été sous l’égide des Baal, et avant eux, Khephresis, un drægan mineur. Il avait vécu brièvement sur la Terre et quelques autres planètes. Il avait largement participé à l’exportation des humanoïdes sur les planètes de la Voie Lactée.
— Lando, mon vieil ami, fit Circé en le serrant dans ses bras.
Mountain crut que l’homme allait tomber en morceau sous la force des bras des Circé tellement il paraissait âgé et fragile. La fillette avait rarement vu des étreintes aussi chaleureuses. Elle eut même l’impression que c’était plutôt le genre de marque d’affection que l’on échangeait lorsqu’on se quitte pour toujours.
Circé le laissa avec Mountain.
L’enfant remarqua que malgré sa tristesse, son regard pétillait de joie lorsqu’il le posa sur elle, comme s’il était heureux de la voir. Elle éprouva immédiatement de la sympathie pour lui.
— Alors c’est toi, Mountain, notre petite voyageuse spatio-temporelle.
C’était une chose de le savoir, une autre de se l’entendre dire.
— Nous devons faire vite. Ils sont déjà à ta recherche. Quelqu’un vous a suivi et les a sans doute prévenus.
Elle en était certaine. Cette impression d’être suivies …
Lando lui tendit un visiofeuillet. Sur l’écran, elle put voir ce qui se passait derrière la paroi, sous plusieurs angles de caméra.
Elle jeta un coup d’œil à la Magicienne qui s’activait sur les consoles en parlant à voix basse. Elle se demanda si ses interlocuteurs imaginaires les avaient aussi suivis jusqu’ici. Enfin, à la grande satisfaction de Circé, il y eut des bruits, des bourdonnements, des vrombissements. Mountain reporta son attention sur le feuillet. Elle vit les escouades militaires envahir les bas-fonds. Ce n’était pas des jeunes recrues en entraînement. Ceux-là étaient des soldats aguerris dont la mission essentielle consistait à nettoyer les territoires conquis : les Moissonneuses. Ils triaient sur le tas, récupéraient ce qui pouvait leur être utile et détruisaient le reste. Ils en faisaient de même avec les êtres vivants. Ceux qu’ils considéraient comme aptes à être reconditionnés et augmentés étaient embarqués de force dans les cages des camion-cargos comme du bétail. Les inutiles étaient jetés dans les vides ordures où ils attendaient quelques jours, parfois quelques semaines que les trappes ventrales s’ouvrent sur l’espace. C’était exactement ce qui était en train de se passer dans les bas-fonds. Un nettoyage par le vide.
Son cœur se serra.
À cause d’elle, pensa-t-elle.
Elle eut du mal à lâcher son écran, mais il le fallait. Son instinct lui dictait de regarder celui, plus large, que Lando venait d’allumer devant elle. Elle y vit la paroi, qui s’était refermée derrière elles après que Lando les eut accueillies. Une escouade de ruges, la garde prétorienne des Terrannihilisateurs se trouvait derrière, à moins de six mètres d’elle. Comment avaient-ils pu arriver si vite et trouver cet endroit ?
Elle compta neuf ruges. Ils étaient accompagnés d’une quinzaine de hastati, les jeunes soldats d’élite issus des milices cantonnées dans le vaisseau amiral. La plupart étaient des bipèdes aux poils ras allant du bleu azur au bleu nuit, et à tête de chien, ou ce qui s’en rapprochait le plus. L’un d’entre eux maintenait Insigo par le cou. C’était lui qui l’avait suivie, elle en était certaine, et maintenant les maîtres d’œuvres des Terrannihilisateurs étaient là, à la porte. Ils n’auraient même pas à en décrypter le code. Il leur suffirait d’accéder aux commandes via les mémoires internes du système de sécurité, et s’ils n’y parvenaient pas, ils videraient sûrement la section de son air.
— Mountain ! l’appela Circé.
Elle tenait entre ses mains une combinaison spatiale légère qui ressemblait beaucoup à celle que portaient les extracteurs de minéraux. Il fallait qu’elle soit légère et solide, même si elle restait encore un peu encombrante.
Mountain n’aimait pas que ses mouvements soient entravés par ces espèces d’armures.
Elle jeta un coup d’œil au vieil homme qui s’agitait sur une espèce grosse télécommande programmable. À n’en pas douter, il tentait de retarder l’entrée des soldats dans la pièce.
— Enfile cette combinaison, vite ! lui ordonna la Magicienne. Je t’aiderai à mettre le casque. Nous ignorons ce qui se trouve derrière. (Suite Chapitre 24.7)
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| Sujet: Re: L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1) Mer 26 Juin 2019 - 11:03 | |
| CHAPITRE 24.7Suite du chapitre 24.6Évitant de demander « derrière quoi » ? Tout en revêtant la combinaison, elle jeta un œil sur le local hermétique, le bocal aurait-elle pu dire, qui se trouvait juste derrière une seconde rangée de consoles. Il y avait une vitre qui permettait de voir à l’intérieur. Il était vide. Pourtant, l’espace d’un instant, elle avait cru voir un filament blanc. Elle repassa l’image dans son cerveau. Son œil augmenté avait bien capté quelque chose, mais son cerveau ne l’analysait pas. Elle remarqua les symboles qui s’affichaient sur certains écrans. Elle ne les reconnut pas. Pourtant, elle en connaissait plus que n’importe quelle recrue, voire même plus que la plupart des individus à bord de ce vaisseau, en dehors des Primaires. C’était comme cela qu’elle avait surnommé ceux que l’on ne voyait jamais et qui pourtant étaient à la tête de toute cette force destructrice. Circé les appelait autrement. Mais quand elle prononçait leur nom, il y avait tellement de haine et de dégoût que Mountain en venait à se demander si le fait qu’ils ne se montrent jamais ne cachait pas des êtres d’une horreur inexprimable. Ce que Circé, avec ses sens d’aveugle, aurait pu percevoir.
Un grésillement la fit sursauter et l’odeur de tôle brûlée commença à envahir la pièce. Elle reporta son attention sur les moniteurs qui filmaient les Ruges et les Hastati. Ce qu’elle y vit la fit s’activer encore plus. N’ayant pu craquer le code de la porte, ils entreprenaient maintenant de découper la tôle. Cela ne leur prendrait pas longtemps pour en arriver à bout. Heureusement, elle était habituée à enfiler des combinaisons à peu près similaires, quoique moins solides. Contrairement aux extracteurs, qui étaient des intellectuels autant que des manuels et dont les formations complexes prenaient du temps, les soldats, eux, étaient physiquement augmentés et boostés. Leurs armures n’avaient aucun besoin d’être d'une solidité à toute épreuve. Même à moitié mort, un soldat était programmé pour aller jusqu’au bout de sa mission. Elle avait déjà croisé de nombreux morts vivants de retour de mission : des soldats morts, mais qui tenaient encore debout et tournaient en rond comme des robots mal programmés, jusqu’à ce qu’on les dépare de leur armure et qu’on jette leur dépouille dans l’espace.
Elle acheva de se sangler alors que les soldats avaient déjà découpé les deux tiers de la paroi.
Circé s’activait toujours sur ses programmations. Elle faisait des allers retours entre les consoles en marmonnant des mots incompréhensibles. Elle était pâle et nerveuse. Dans le bocal, rien ne semblait se passer. Du moins rien de ce que la magicienne semblait attendre, car Mountain voyait maintenant très nettement le filament laiteux voler dans tous les sens. Il avait même gonflé et semblait vouloir s'échapper du bocal. De nouveaux filaments apparurent et entrèrent dans la danse aléatoire du premier. Mountain comprit alors. C’était ça la Porte, la Bouche, le Portail, dont lui avait parlé la magicienne. C’était comme si on avait mis un trou noir dans un très grand aquarium. Sauf que le maelstrom, ici, était blanc, à la fois neigeux, laiteux et laineux.
Sans qu’elle sache comment, Circé se rendit compte que Mountain était quasiment préparée.
L’aveugle la surprenait toujours. Elle lui fit signe de venir vers elle. Au passage elle attrapa le casque qui était posé au coin d’une petite table.
— Pourquoi ne venez-vous pas avec moi ? ne put-elle s’empêcher de demander. Ils vont vous tuer… ou vous torturer… tous les deux.
Circé sembla la regarder.
Mountain avait du mal à soutenir ce regard vide d’expression. Elle s’y força néanmoins.
La magicienne lui caressa les cheveux qu’elle avait trop courts. Encore un héritage de l’armée des Terrannihilisateurs qu’elle ne regretterait sûrement pas. Le geste de Circé était l’un de ses rares signes d’affection envers elle. Ce qui ne l’empêchait pas d’aimer l’enfant, presque comme si elle était la sienne, mais elle ne pouvait se permettre de se laisser aller à ses sentiments ou ses émotions.
— Il faut quelqu’un pour protéger ta fuite, les empêcher de te suivre.
Mountain observa le vieil homme qui s’approchait d’elles.
— Quoi qu’il puisse nous arriver dans les prochaines minutes, cela n’a aucune importance, dit-il avec un sourire sincère mais d’une profonde tristesse.
Elle aurait voulu leur dire que cela en avait une pour elle, surtout si elle devait échouer.
— Si tu réussis ta mission, alors cela n’arrivera pas, ajouta Circé. Tu te rappelles ce que je t’ai expliqué sur ton voyage. L’histoire que je t’ai racontée.
— Le papillon sous la semelle, acquiesça Mountain. C’est votre frère Adad… Baal qui vous avez raconté cette histoire. Il l’avait lu dans un livre, lorsqu’il vivait sur la Terre. Comment pourrai-je savoir si j’ai changé l’avenir ? Vous m’avez dit que mon voyage était à sens unique… que je ne pourrai pas revenir dans le futur…
— Pas de la manière dont tu en es partie, c’est certain. Si tu parviens à changer le cours des évènements, ou à le faire changer, Circé et moi, nous ignorons ce qui arrivera ensuite.
— Je cesserai sûrement d’exister parce que Circé n’aura jamais envoyé de clone dans le passé…
— Ou bien tu continueras à vivre, comme une sorte d’anachronisme, ou une greffe sur l’une des branches de la spatio-temporalité.
— Nous ignorons quels sont les effets du Puits de L’Éternité, ajouta Circé en lui passant le casque.
Les soldats avaient pratiquement terminé leur ouverture dans la paroi. Néanmoins, Lando retint le geste de Circé. Il sortit un objet de la poche de sa veste, un pendentif de couleur vermeille qu’il passa autour du cou de la fillette et fit glisser dans sa combinaison.
— Un cadeau pour te souvenir de nous, dit-il. Garde-le toujours auprès de toi pendant tes voyages… Où qu’ils te mènent. Il te portera chance, j’en suis certain.
Elle le remercia d’un signe de tête. Elle l’aurait embrassé si la Magicienne ne lui avait pas aussitôt passé le casque sur la tête. Elle scella le casque à la combinaison. Aussitôt tous les joints de celle-ci se consolidèrent dans un léger sifflement.
Circé tapa un code sur la serrure électronique de l’aquarium. La porte s’ouvrit. Elle y poussa Mountain et referma derrière elle avant de commencer à détruire méthodiquement la serrure avec une sorte de marteau improvisé.
Mountain se retourna et fit face au maelstrom qui se trouvait devant elle. Il était deux fois plus grand qu’elle. Sans cesse en mouvement, il semblait néanmoins attendre qu’elle se décide à avancer vers lui. Dans son champ de vision périphérique, elle vit les soldats entrer dans la pièce où se trouvaient les consoles. À part le bruit du maelstrom, elle n’entendait rien de ce qui se passait à l’extérieur du bocal hermétique. Elle tourna la tête en direction de Circé, mais c’est Lando qu’elle vit en premier, l’expression de douleur sur son visage et le trou large comme une patte de Sangdor, sur sa poitrine.
Le vieil homme s’écroula.
Deux Hastati maintenaient fermement la Magicienne. Des soldats de la Garde tentaient de stopper le processus, mais aucun n’essaya d’entrer dans la pièce en brisant la vitre. Mountain comprit que le maelstrom les effrayait. Ils avaient peur de ne pas pouvoir le contenir. Peut-être aussi que le fait qu’elle porte une combinaison étanche et pas eux les avait-il alertés sur un risque potentiel. Tout ce qu’ils pouvaient faire, c’était lui faire signe de s’écarter, voire de sortir de la pièce. Comme si elle allait leur obéir… Même si Circé en avait bloqué le seul accès en détruisant la serrure. Elle regrettait vraiment de n’avoir pas pris son détonateur avec elle. En guise de consolation, elle se dit, qu’avec un peu de chance, lorsque les appartements de la magicienne seraient fouillés, celui qui le trouverait ne résisterait pas à l’envie de rassembler les deux parties d’un drôle d’objet qui était à cent lieues de ressembler à un détonateur.
Elle vit soudain les consoles prendre feu. Un système d’autodestruction s’était mis en fonction.
Elle fit un pas vers le maelstrom. Les filaments commencèrent à l’envelopper. Elle le regarda faire, sans bouger. Elle se retrouva dans un brouillard s’épaississait un peu plus à chaque seconde qui passait, mais pas assez vite. De l’autre côté de la verrière, les gestes des soldats lui semblèrent ralentis. Mais pas assez pour l’empêcher de voir ce qui arriva à l’enchanteresse...
Le Hastatus qui retenait Insigo le poussa devant Circé toujours maintenue de force. Il faisait deux têtes, presque trois, de moins qu’elle. L’un des ruges lui dit quelques mots à l'oreille avant de lui présenter une fibule à la pointe longue et fine. Ce genre d’arme était généralement trempé dans un poison causant une mort instantanée, ou bien d’atroces douleurs qui vous faisaient regretter de ne pas être mort.
Le Hastatus libéra le gamin qui prit la fibule. Un prétorien dégrafa violemment le haut de la robe Circé, découvrant sa gorge légèrement marbrée et attendit.
Pas longtemps.
Sans hésitation, Insigo planta l’aiguille dans le sternum de la magicienne, juste à la base du cou, tuant la Dræganne et son hôte dans le même temps.
La dernière chose que Mountain vit, avant que tout disparaisse autour d’elle fut le visage d’Insigo lorsqu’il la regarda partir. Il était froid, sans la moindre émotion, mais ses yeux, eux, exprimaient la colère et la peur. (Suite à venir Chapitre 25)
Dernière édition par Ihriae le Mar 3 Sep 2019 - 15:50, édité 1 fois |
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| Sujet: Re: L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1) Mar 3 Sep 2019 - 15:58 | |
| L’ORIGINE DE NOS PEURS Tome 1 : Esmelia CHAPITRE 25.1 23 novembre 2124, calendrier grégorien. Ketchikan, Alaska, États-Unis d’Amérique. — Et Baal ? Avez-vous une idée de l’endroit où il pourrait se trouver ?
Will avait posé la question, mais elle était purement rhétorique
— Cela fait huit ans que je l’attends, répondit Grama. Soit il est remonté plus loin que nous dans le temps, soit il n’est pas encore arrivé, ou bien, il est ailleurs que sur la Terre.
Tant d’efforts réduits à néant.
Esmelia sentit une vague de colère l’envahir.
— Il se terre quelque part dans la galaxie afin d’éviter d’être mêlé à un conflit auquel il a toujours refusé de prendre part de son plein grès.
Will la regarda, surpris son animosité soudaine envers l’ancien dieu.
— Mon maître n’est pas un lâche, objecta Grama en la fusillant du regard. Il ne refuse jamais un combat.
— On ne peut pas, non plus, lui lancer la pierre si le combat est perdu d’avance, essaya de tempérer Will ? Mais je veux croire qu’il existe d’autres possibilités. Il n’a peut-être pas pu s’échapper de son vaisseau avant sa destruction… ou son sabordage. Ou bien Jor est parvenu à le capturer, ou un autre chasseur de primes. Il est peut-être prisonnier… ou mort.
— J’en doute, objecta Grama. Mon instinct me dit qu’il est en vie…
— Je n’y crois pas non plus, le conforta Will. Je l’ai vu se battre alors qu’il n’était pas au mieux de sa forme, face à des adversaires plus nombreux que lui. Enfin, si c’est arrivé, s’il est mort… Pour nous, cela n’arrivera que dans un an… Je crois. Mais je pense que votre première suggestion est la meilleure. Il est possible que tous ces changements par rapport à ce que nous avons connu puissent être la conséquence de son retour.
Exactement le genre de phrase qu’il n’aurait jamais cru prononcer il y a encore quelques mois.
Ou celui de l’un de ses poursuivants, songea Esmelia.
— Depuis quand l’existence des Extraterrestres sur la Terre est-elle connue ? s’enquit Will.
— L’existence ?
Cette question ne semblait plus avoir de sens pour lui.
Will se souvint qu’il avait quitté la Terre très jeune, et depuis plus d’un siècle.
— Vous viviez où avant de quitter la Terre ?
— Près de Paris.
— En France ?
Grama acquiesça avant de rajouter.
— Il ne m’en reste pas beaucoup de souvenirs… Je n’en avais pas beaucoup de bons. Pourquoi ?
— Je me demandais, c’est tout. Vous disiez être très jeunes lorsque vous avez été enlevé.
Esmelia songea que Grama devait sûrement mieux manier les subtilités de la langue dræganne que celles du français ou de l’anglais parlés sur la Terre, du moins, telles qu’on les parlait sur sa Terre d’origine, mais elle trouva qu’il se débrouillait quand même bien.
— Je n’ai pas été enlevé, expliqua. Baal m’a sauvé la vie, et je lui en suis redevable.
Esmelia fouilla la mémoire de Grama. Il avait gardé peu de souvenirs de ses jeunes années, cette rencontre, elle restait ancrée dans sa mémoire.
Esmelia le sentit sur la défensive. Elle se retira prudemment, songeant que Baal lui avait peut-être appris à se défendre contre les intrusions psychiques.
— Vous feriez tout pour lui, y compris vous sacrifier s’il vous le demandait, n’est-ce pas ?
— Ce qu’il ne fera jamais. Vous l’avez vu dans le vaisseau ? Chacun d’entre nous aurait serait resté avec lui s’il nous avait laissé le choix. Mais il savait que cela nous mettrait en danger. C’est pour cela qu‘il nous a obligé à retourner chez nous et de nous faire discrets. Pourtant, s’il me le demandait, je pense que je n’hésiterai pas une seconde.
— Nul ne sait ce qu’il est capable de faire avant d’être confronté au choix ultime, attesta Will.
— Sans doute, répondit le Second qui ne souhaitait visiblement pas d’étendre sur le sujet.
— Baal vous avait confié la responsabilité de ses hommes et vous n’êtes pas restés avec eux après les avoir reconduits auprès de leur famille ? s’étonna Esmelia.
— Je les ai mis en sécurité, dit-il en évitant de les regarder.
Comme s’il sentait que Grama ne souhaitait pas parler de son retour sur Sumer, et des raisons qui l’en avait fait partir, Will décida d’aborder un autre sujet.
— J’imagine que les Terriens n’ont pas appris que les extraterrestres existaient soudainement, un beau matin, alors qu’ils prenaient leur petit-déjeuner.
— La plupart n’y ont pas cru. Pas comme vous le pensez.
— Il y a plusieurs manières d’y croire ? S’étonna Will.
— Pour ce que j’en sais, le mot extraterrestre n’est plus approprié, expliqua Grama qui ne semblait pas avoir entendu sa remarque. Il existe plusieurs autres noms : xénomorphes, xénohumanoïdes, non-terrestres, non-Terriens, les noms que se donnent certaines espèces… On leur donne aussi des noms de créatures légendaires : titans, banshees, goules… Extrasolaires reste cependant l’appellation la plus utilisée, entre nous.
Il soupira.
— Ce monde n’était pas celui que j’avais quitté. Il n’y avait pas d’extrasolaires, ni de xénomorphes, ou de non-terrestres, dans mon monde… Enfin, je croyais. Si c’était le cas, personne ne le savait officiellement… Je pense que j’ai été le premier humain à en voir, plusieurs, de près.
Il se tut un moment pour leur laisser le temps d’assimiler ce qu’il venait de leur raconter.
Esmelia… Ou plutôt la Mead’ de ce monde connaissait la suite, plus ou moins, car ses réalités se confondaient désormais.
— Pour en revenir à la révélation, d’après ce que j’ai pu apprendre, cela s’est passé en plusieurs fois, poursuivit Grama. Il y a d’abord eu des rumeurs, au début du XXIe siècle, différentes de celles qui existaient avant… Des témoignages qui pouvaient être pris au sérieux. Et puis, un matin, très tôt, un jour de l’année 2028, lorsque les Terriens ont ouvert leurs ordinateurs, leurs smartphones, leurs journaux, leurs télés ou leurs radios, au moment de leur petit déjeuner ou sur le chemin de leur travail, ils ont pu entendre la Présidente américaine Maïenna Carter faire une allocution des plus surprenantes.
— Maïenna Carter ? s’étonna Will.
Will aurait pu citer les noms de tous les présidents des États-Unis, comme ceux des ministres du Canada et de la Grande-Bretagne. Il ignorait tout de la présidente Maïenna Carter.
— Ça leur a fait un sacré choc d’apprendre cela de la bouche de la Présidente des États-Unis.
Grama le prit comme une affirmation teintée d’ironie qu’une question de la part de Will.
Il continua :
— Il n’a pas fallu plus d’une heure pour que le monde entier soit au courant. Au milieu de la journée, la moitié de la population était partagée entre incrédulité et certitude d’une mauvaise blague. Beaucoup ont supposé qu'une folie soudaine avait atteint la Présidente. Elle avait déjà inquiété les citoyens de son pays par des problèmes de santé. Ils avaient été mis sur le compte d’une fatigue physique. D’autant qu’aucun autre représentant d’État ne lui avait emboîté le pas. Le lendemain, elle était hospitalisée et, trois jours plus tard, remplacée par son Vice-président, Victor Baxter.
— Vingt ans plus tard, c’est le Président d’un petit pays africain qui annonce qu’une invasion extraterrestre est imminente. Personne ne l’a pris au sérieux. Lui-même a prétendu qu’il s’agissait d’une sorte de blague privée à l’encontre des Américains qui avaient mis son pays sous un embargo sans concession. Deux ans plus tard, les relations entre les deux pays étaient revenues au beau fixe, et puis il a été assassiné par un extrémiste, un « Croyant du Grand Complot ». Il y a dix ans, un politicien français a commencé à faire parler de lui en écrivant des livres où il affirmait que des extraterrestres vivaient sur la Terre. Le type était considéré comme sérieux. Il n’avait encore jamais fait de faux pas. Il s’est construit un électorat de « Croyant » pour les élections européennes. Il n’a jamais caché son ambition de se présenter à la présidence de son pays. Malheureusement, les exactions de certains membres de son parti l’ont discrédité. Au moment des élections, les Français lui ont préféré quelqu’un d’autre. Pas certain qu’ils aient gagné au change. Mais, depuis, plus de la moitié de la population mondiale est prête à admettre que les extraterrestres sont bel et bien sur Terre.
Will devinait sans mal la réaction de la population à chacune de ces annonces.
— Certains ont dû se dire : « chouette, c’est enfin arrivé ». Il y a sûrement eu des « Bof, c’est encore un canular, ou une ruse gouvernementale pour enfumer les contestataires du pouvoir ». D’autres ont dû penser qu’il n’y avait pas assez d’étrangers dans leur pays, et qu’il allait falloir accueillir ceux des quelques planètes habitées de l’univers. La nature humaine est ainsi faite. Je ne serais pas étonné que d’autres encore se soient même fait plaisir en allant à la chasse aux extraterrestres. (Suite Chapitre 25.2)
Dernière édition par Ihriae le Mar 3 Sep 2019 - 16:06, édité 1 fois |
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| Sujet: Re: L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1) Mar 3 Sep 2019 - 16:01 | |
| L’ORIGINE DE NOS PEURS Tome 1 : Esmelia CHAPITRE 25.2 Esmelia jeta un nouveau coup d’œil en direction de l’écran.
— Sans aucun doute, répondit-elle. Vu l’état d’esprit de la population partout dans le monde, aujourd’hui, il est clair que la nouvelle n’a pas plu à tout le monde.
— C’est le moins que l’on peut dire, poursuivit Grama. Mais cela n’a pas empêché le monde de tourner. Il y a seulement plus de méfiance… De tout le monde envers tout le monde, parce que personne ne sait à quoi peut ressembler quelqu’un ou quelque chose qui n’est pas né sur la Terre.
— Et depuis, ça a changé, fit Will faisant référence à l’affichette placée en évidence sur la porte d'entrée du bar-restaurant indiquant que les extrasolaires étaient autorisés à y entrer, au même titre que les animaux.
Grama avait suivi son regard.
— Ça ? C’est une blague des Terriens. Au cas où… Mais ces annonces, surtout celle du français, ont eu des répercutions qui n’ont cessé de prendre de l’ampleur ces dernières années. Au nord de l’Europe, les gouvernements prônent la pureté de l’espèce humaine. Les marginaux, et toutes les personnes considérées comme anormales, physiquement ou psychologiquement, y sont pourchassés. S’ils survivent, on raconte qu’ils sont emprisonnés, ou bien euthanasiés et disséqués pour être étudiés, au cas où il s'agirait vraiment d'extraterrestres. En Europe centrale, en Russie ou en Chine, c’est la tolérance zéro, et personne ne sait ce que deviennent ceux qui sont capturés. En France, en Espagne et en Italie, les gouvernements sont plus préoccupés par leurs villes vertes, qu’à rassembler les habitants de leurs pays pour éviter les vendettas. On dit que, selon les régions, les zoos sont vidés de leurs animaux et remplacés par des individus auxquels le statut d’êtres pensants a été refusé. Il n’y a que l’Amérique du Sud et les pays du Commonwealth qui garantissent un minimum de liberté à ceux qui ne sont pas dans les normes. Mais rien n’empêche qu’ils y soient…
Il se reprit :
— ... Que nous y soyons, tous, pourchassés et assassinés. C’est peut-être même pire qu’en Europe, finalement.
— J’ai l’impression que ce monde n’a pas changé en bien, constata Will.
Esmelia haussa les épaules :
— Ici comme ailleurs, il y a des choses qu’on préférerait ne pas voir arriver. Mais elles existent.
— Je suis certain qu’il y a encore de très belles choses… et des personnes qui font tout pour que chaque jour… se passe au mieux.
— Will l’optimiste, ironisa Esmelia.
— Je crois que c’est ce qui plaisait à notre dieu.
— « Notre dieu » ? répéta Will. Baal n’est ni une divinité, ni un maître. Un drægan courageusement inconscient, ou inconsciemment courageux, et qui fait tout pour qu’on ignore qui il est vraiment. Ça, je veux bien.
Grama ne répondit rien.
— Si ça se trouve, c’est lui qui a vendu la mèche à la Présidente Carter, envisagea soudain Will. Sa présence et les informations qu’il a fournies ont pu modifier l’Histoire, suggéra Will. Il n’aura pas pu s’en empêcher, histoire de refaire le monde à sa façon. Ça, ça lui ressemble.
— Ça fait une sacrée remontée dans le temps, fit remarquer Grama. Est-ce possible ? Pourquoi aurait-il voulu changer le monde ?
— J’ignore quelles modifications il a effectué sur les coordonnées que j’avais initialement établies.
— Le battement d’ailes du papillon, lâcha Esmelia comme s’il s’agissait d’une évidence.
Will battit des paupières en se demandant comment il n’y avait pas pensé avant elle.
Grama les regarda sans comprendre.
— Ou l’effet domino, si vous préférez, Grama. Faites tomber un domino, et tous ceux qui sont alignés derrière lui suivront.
— Je vois l’image, comprit Grama. Mais je doute que mon maître en soit responsable.
— Grama, vous étiez sur la Terre dans les années dix-neuf-cent-soixante-dix-quatre-vingts, non ?
L’ex-Second acquiesça.
— Will est né dans la seconde moitié du XXIe siècle, plutôt vers la fin, comme moi.
Will acquiesça à son tour.
— Est-ce que l’un de vous se souvient comment les Américains ont colonisé Mars dans les années cinquante, presque cent ans après être allés sur la Lune dans le seul but de montrer leur supériorité à leur ennemi soviétique contre lequel ils étaient en guerre froide depuis la Seconde Guerre Mondiale ?
— Elle a eu lieu quand cette Seconde Guerre Mondiale ? s’étonna Will qui semblait ne jamais en avoir entendu parler.
— À la fin des années dix-neuf cent-trente. Elle a duré sept ans environ, répondit Grama. Ma mère n’arrêtait pas de me dire qu’elle était née dans un camp...
— Quand même…
Will était abasourdi. Il venait de comprendre que son propre monde avait déjà changé avant sa naissance. Quelque chose avait fait qu'il n'y avait pas eu de Seconde Guerre mondiale.
—Ici, elle n'a duré que quatre ans, dit Esmelia. De 1939 à 1945.
— Si on regarde ce monde, ce présent, je n’ai pas l’impression qu’il soit si éloigné du vôtre… Ou du mien, fit-il.
— C’est exact, attesta Esmelia. Les gens doivent aller travailler, quand ils ont un travail, tous les jours. Ils doivent payer leurs factures, nourrir leur famille, vivre… Ils ne perçoivent aucun changement. Pour nous, il n’y qu’une seule véritable différence : ce monde, s’est considérablement agrandi. Certains Terriens sont devenus des extraterrestres en allant vivre ailleurs que sur la Terre, et tous les Terriens doivent désormais partager leur monde avec des êtres venus d’au-delà de leur système solaire, sans pour autant en être absolument certains parce qu’ils n’en ont jamais eu la preuve tangible. Ils y croient par conviction ou par confort, ou ils n’y croient pas et font comme si de rien n’était face aux exactions.
— Du moins la plupart d’entre eux, murmurer Grama. Certains savent et agissent, dans un sens ou dans un autre.
Jusqu’à présent, Esmelia n’avait pas imaginé que le monde d’où venait Grama n’était pas le leur, mais une autre réalité… Le fait qu’il l’ait quitté avait forcément impacté l’avenir, créé une nouvelle alternative, une nouvelle réalité. Mais les changements étaient antérieurs à son départ, apparemment. Quant à elle, depuis qu'elle était ici, elle avait bien senti que des détails ne collaient pas avec sa mémoire. Ils lui avaient paru si infimes qu’elle n’y avait pas prêté d’attention. De plus, depuis la fusion, cela lui avait paru moins important.
De la même manière que tous les habitants de ce monde, l’Esmelia-Mead’ qui y vivait n'avait pas remarqué à quel point il avait changé. Chaque changement devait donc être assimilé de la manière naturelle dans la trame du temps.
Will avait plus ou moins suivi le même raisonnement.
— Baal pourrait être dans un espace-temps différent, avec d'autres nous, alors que nous sommes bloqués dans celui-ci.
— Pas exactement. C’est plutôt comme un repentir dans un tableau, corrigea-t-elle.
— Pardon ? firent Will et Grama d’une même voix.
— À chaque fois, c’est un peu comme si on effaçait la surface d’une toile, leur expliqua-t-elle. Le peintre change la scène, les couleurs, les formes, retire ou ajoute des objets ou des personnages. Ce qui existait avant de disparaître est oublié, perdu à jamais. Il n’y a pas plusieurs espace-temps, mais un seul. Il est corrigé à chaque intervention. Peut-être est-ce arrivé des dizaines, des centaines ou des milliers de fois. Cela induit qu’à des moments différents, de façon différente, nous refaisons plus ou moins les mêmes actions, encore et encore, mais nous ne nous en souvenons pas…
— Si c’est vrai, cela signifie que même si nous réussissons à empêcher la fin de notre galaxie, nous retournerons toujours à notre point de départ, dit Will. Il faudra alors tout recommencer...
— Pas nécessairement. C’est peut-être parce que nous échouons à chaque fois que nous sommes condamnés à une sorte de boucle temporelle évolutive. Au moins, il y a cet avantage de n’en garder aucun souvenir .
— Je ne suis pas certain que ne pas s’en souvenir ou le savoir fasse une grande différence, fit Will au bord du désespoir. Un monde quasiment en guerre civile, et une guerre encore plus dévastatrice qui se profile et que nous ne sommes pas certains de pouvoir arrêter, quoi que nous fassions...
— En attendant de retrouver Baal, ou qu’il nous retrouve, il nous faudrait des alliés, humains ou extrasolaires.
— Cela va être compliqué, c'est certain, déclara Grama. Comme vous l’avez sûrement compris entre les Terriens et nous, ce n’est pas l’amour fou.
— Il y a sûrement un moyen de dépasser cela. (Suite Chapitre 25.3) |
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| Sujet: Re: L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1) Mar 3 Sep 2019 - 16:02 | |
| Tome 1 : Esmelia CHAPITRE 25.3 Grama observa Will en réfléchissant. Il hésita à reprendre la parole, puis, finalement, se lança :
— Face aux exactions à notre encontre, un mouvement de résistance s’est mis en place depuis une dizaine d’années. Il n’était pas le seul, mais le CENKT les a tous démantelées. Celui-ci est toujours resté sous les radars du CENKT… Suffisamment, pour qu’il ne s’intéresse pas à à ses membres. Pourtant, il y aurait de quoi.
— Vous les connaissez bien ? le questionna Esmelia.
— Assez pour savoir qu’il existe, au sein de ce mouvement, deux types de factions : les radicaux et les modérés. Mais je préfère vous prévenir, aucune ne portent les drægans et ceux qui les servent en très haute estime.
— Voilà qui est étonnant, ironisa Esmelia en se rappelant les termes tenus par les drægans concernant les peuples de la galaxie qui refusaient de se soumettre à eux.
Paroles qu'elle avait entendues lors du conseil auquel elle avait assisté.
— Les radicaux et les modérés ? fit Will, curieux d’en savoir plus.
— Les premiers considèrent les humains comme une espèce endémique et nocive. Même si la plupart d’entre eux ont leurs origines sur la Terre et une physiologie proche de celle de l’être humain. Pour des raisons très diverses, ils prônent soit la soumission des Terriens, soit leur annihilation pure et simple. Les seconds, essentiellement pour des motifs religieux, considèrent que toute espèce peut ou doit être sauvée. Nombre d’entre eux, appartient au Mouvement Noé. Il est dirigé par un triumvirat dont chaque représentant dirige un versant du mouvement : sauver toutes les espèces qui n'ont pas la capacité de le demander, et autres, leur laisser le choix d’être sauvées ou non. Pour ce qui est des Humains, leur politique est plutôt : vivre et laisser vivre sans intervenir.
— On croirait entendre la Prime Directive, dans Star Trek, ironisa Will.
Au regard noir que lui renvoya Esmelia, il préféra ne pas approfondir l’allusion.
— Il y aurait aussi des francs-tireurs. On ne sait pas qui ils sont, ou pour qui ils travaillent, mais leurs méthodes sont radicales. En général, ils s’attaquent à ceux d’entre nous qui se font remarquer, et aux humains qui ont agressé impunément des extrasolaires ou des sympathisants.
— Des justiciers. Il nous manquait que cela, maugréa-t-elle.
Grama ne répondit rien.
Elle jugea qu’en huit ans, Grama n’avait sûrement pas chômé. Ce qu’il leur avait raconté sur les extraterrestres présents sur la planète, et sur les situations dans lesquelles ils pouvaient se trouver, n’était sans doute qu’une petite partie des informations qu’il avait pu glaner. Elle se demanda pourtant lequel de ces groupes, il avait bien pu intégrer pour être aussi bien informé.
Elle pouvait fouiller son esprit. Pour cela, il fallait qu’elle le ramène sur le sujet :
— J’imagine que vous connaissez la plupart des espèces extraterrestres qui se sont installées sur la Terre.
C’était plus une question qu’une affirmation.
— Je ne tiens pas de livre de compte sur les différentes espèces existant dans la galaxie, encore moins sur celles venues se réfugier sur la Terre, si c’est ce que vous voulez savoir, lui répondit Grama sur la défensive. Tout ce que je sais, c’est qu’elles ont toutes une bonne raison d’être ici.
— Elles sont si nombreux que cela ? s’étonna Will sans relever le changement d’humeur de Grama à l'encontre d'Esmelia.
Grama répondit indirectement :
— Les ancêtres de certains d’entre eux vivaient sur cette planète bien avant les humains. Ils sont à l’origine de nombreux mythes. Et même s’ils l’ont quitté depuis des millénaires, il y en a qui la revendiquent comme leur propriété exclusive et pensent que les humains n’y ont pas leur place. Le problème, c’est que peu d’entre eux sont adaptés pour y survivre aujourd’hui, et surtout, ils savent tous que tôt ou tard, ce qu’ils ont fui finira par arriver sur la Terre.
Esmelia acquiesça distraitement. Ce n’était qu’une question de temps, effectivement.
Elle eut beau chercher dans l'esprit du Second, elle ne trouva rien. Aucune trace de contact, de lien avec d’autres extraterrestres. Aussi étrange que cela lui parut, il n’avait aucun souvenir de son retour sur Sumer...
— Il y a ceux qui cherchent le moyen de repartir dans l’espace, poursuivit Grama. Même si les humains n’ont pas de vaisseaux extrasolaires, du moins officiellement, cela pourrait être possible., Toutefois, les autorités terriennes interdisent le moindre vol hors de l’atmosphère terrestre à cause de l’encombrement de l’orbite terrestre. De nombreux vaisseaux qui ne possédaient plus de bouclier de protection errent parmi les débris. Même les humains sont prisonniers de leurs planètes, que ce soit la Terre, Mars ou les satellites où ils ont pu s’établir. Là-haut, c’est un vaste cimetière dont personne n’a encore pris la mesure.
— Néanmoins, quelques vaisseaux sont parvenus à traverser.
— Au prix du sacrifice des vaisseaux-éclaireurs, ou parce qu’ils ont eu plus de chance que les autres.
— Ou une porte ? tenta Will.
— J’ai eu cette chance, répondit simplement Grama.
Comme Esmelia, Will eut le sentiment que le Second ne leur racontait pas tout.
— Il y a donc eux qui n’ont plus rien à perdre et veulent reprendre la planète, dominer les humains. Ceux qui essaient de vivre normalement en s’adaptant aux conditions de vie sur la planète et en s’intégrant aux humains, et parmi eux, ceux qui n’ont pas choisi de camp, résuma Esmelia.
— La Terre est devenue une sorte de poudrière où la moindre étincelle peut mettre le feu aux poudres.
— Pas seulement la Terre, ajouta doucement Esmelia. Ici, l’exploration de notre système solaire est plus avancée que dans notre monde d’origine.
Grama acquiesça.
— Les humains n’ont pas dépassé les limites du système solaire, expliqua-t-il. Mais on ne peut pas dire qu’il y ait eu une migration massive des Terriens en directions des planètes du système solaire. Mais croyez-moi, sur une planète de plus de dix milliards d’individus, les listes d’attente pour un potentielle vol extra-planétaire ont rapidement saturée. Ils attendent juste qu’une fenêtre s’ouvre, ou qu’une solution soit trouvée pour déblayer l’orbite de la Terre, et même récupérer les débris les plus intéressants. Malheureusement, toutes les tentatives ont échoué, que ce soit le désorbitage, l’envoi ou la construction d’une station laser, ou les tentatives de capture à l’aide de filet ou de bras robotisés.
— Les listes complémentaires sont certainement complètes, elles aussi, supposa Esmelia. Les bases construites en commun par une vingtaine de nations sur la Lune, Mars ou Vénus sont habitées essentiellement par des scientifiques, des techniciens et des militaires. Leurs infrastructures ne sont pas suffisantes pour accueillir plusieurs centaines d’habitants.
— En plus, il doit faire un peu chaud sur Vénus, tenta de plaisanter Will que les connaissances de son amie sur cette nouvelle réalité commençaient à inquiéter.
Grama acquiesça :
— C’est sûr que ce n’est pas la planète la plus hospitalière de ce système solaire… Mais en dehors de la Terre et de Mars… Après cette première étape, tous les états ou presque ont pu construire leurs bases, plus petites, sur ces deux planètes, et sur la lune. Après ça, seuls les états les plus riches, aidés de consortiums industriels qui ont payé parfois jusqu’aux deux tiers des frais des recherches sur la propulsion, la construction des vaisseaux spatiaux et des bases, ont pu s’installer sur les lunes de Jupiter, Europe, Ganymède et Callisto, ou celles de Saturne, Titan, Rhéa, Téthys et Dionée. La recherche spatiale est à la fois un enjeu politique et commercial.
— Il y a des extraterrestres…
Will corrigea aussitôt :
— … des extrasolaires sur ces bases ?
— S’il y en a, ils doivent être dans des cellules de contention, supposa Esmelia.
— Il y avait trop peu de vaisseaux capables de voyager, et surtout de les conduire en dehors du système solaire. Ces vaisseaux extraterrestres étaient des ruines qui avaient dérivé jusque dans le système solaire. Ils ne valaient pas un dixième de celui de Baal, pourtant déjà bien éprouvé. Dans la catégorie épave volante, il était bien classé.
— Si Baal est arrivé sur la Terre, il n’a pas pu en repartir, en déduisit Will. S’il n’a pas été détruit, son vaisseau se trouve en orbite quelque part.
— Ce n’était pas vraiment son vaisseau, indiqua Grama. Il l’a volé à un drægan du nom de Cassibel. Sur les planètes où il était adoré, celui-ci était considéré comme le dieu de la bonne fortune aux jeux de hasard et de l’amour.
— Je devine comme Baal a obtenu son tas de ferraille, railla Esmelia. J’espère que ce drægan a été plus heureux en amour.
Will ne put s’empêcher d’ironiser à son tour :
— Sur ce point, je peux vous répondre avec certitude que non. Cela n’a réussi à notre dieu. (Suite Chapitre 25.4) |
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| Sujet: Re: L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1) Mar 3 Sep 2019 - 16:04 | |
| Tome 1 : Esmelia CHAPITRE 25.4 Avant que quelqu’un lui demande ce qu’il savait sur le sujet, will préféra changer de sujet :
— Ce n’était donc pas son vaisseau ? Il n’en a pas un à lui ? J’ai pourtant cru comprendre qu’il avait été une sorte de flibustier de l’espace, avant de revenir d’entre les morts.
— Il en a possédé plusieurs, et il les a tous perdus au jeu ou dans des batailles. Sauf un. D’un genre que personne n’a encore jamais vu dans une flotte dræganne. Mais il ne l’a jamais vraiment possédé. Son père, Baal L’Ancien, l’a fait déplacer avant sa disparition.
— Faut croire qu’il connaissait bien son fils, remarqua Esmelia.
— Cela fait deux mille ans que mon maître recherche ce vaisseau.
— Deux mille ans ! s’exclama Will. Il espère le retrouver en bon état. Celui que nous avions… Celui qu’il a volé, enfin « gagné » avait quel âge ?
— Neuf cents ans, environ. Mais le vaisseau des Baal est unique en son genre. C’est un vaisseau de guerre et un essaimeur, un vaisseau que seules les grandes familles drægannes peuvent posséder. Ils ont une durée de vie dix fois supérieure à ceux des vaisseaux ordinaires. Beaucoup de drægans rêvent de posséder un pareil bâtiment uniquement pour donner l'impression qu'elle ont retrouvé leur grandeur perdue.
— Une raison de plus de vouloir sa tête, avança Will. Si ce vaisseau est si puissant…
— Ou de le retenir prisonnier, supposa Grama. Je peux appeler quelques contacts qui nous diront s’il a été arrêté sur la Terre.
— Il est possible que l’AMSEVE soit sur la piste du vaisseau, suggéra Esmelia.
— C’est une rumeur, répondit aussitôt Grama.
— Donc, si l’AMSEVE le cherche, c'est que quelqu'un leur en a parlé. Qu’est-ce qui se dit au sujet de l’AMSEVE au sein de la ... résistance ? Interrogea Will, conscient que le mot « résistance » n’avait pas encore été prononcé.
Il avait évoqué la résitance sur une intuition.
Grama ne répondit pas, mais son expression de surprise, qu’il tenta vainement de dissimuler, parlait pour lui.
Esmelia se félicita d’avoir conservé son instinct. Si Grama n’appartenait peut-être pas à un mouvement de résistance proprement dit. Cependant, il était mêlé à quelque chose qui s’en rapprochait. Restait à savoir quoi. Elle ne se résolvait pas encore à le lui demander. Elle ne voulait pas le braquer, car elle avait encore des renseignements à obtenir de lui. Elle sentait qu’il en savait beaucoup plus qu’il ne le disait. Elle ne remettait pas sa fidélité envers Baal en doute, mais viendrait un moment où il aurait à choisir son camp. Si elle ne retrouvait pas le drægan avant, qui savait ce qui pourrait arriver…
— L’AMSEVE existe donc encore, fit Will.
Au moins une nouvelle qu’il appréciait pleinement.
— L’AMSEVE aide les Arrivants… Elle est toujours placée sous l’égide des Nations-Unies. Leurs recherches sont cofinancées par l’ATIDC et par la Larson Industries. Quant à savoir sur quoi portent leurs recherches, je l’ignore. Je pense que peu de personnes le savent.
Will observa son amie comme si ce qu’elle venait de dire n’avait aucun sens. Il ne comprenait pas comment elle pouvait en être aussi certaine.
Elle allait devoir lui expliquer ce qui lui était arrivé à un moment ou à un autre. Elle ne savait pas comment il prendrait la chose.
— Le Will de ce monde y travaille peut-être encore… Je pourrais me faire passer pour lui et infiltrer l’AMSEVE, suggéra Will.
Dans un mouvement simultané, Grama baissa les yeux sur ses mains, tandis qu’Esmelia chercha à éviter de croiser le regard de Will.
Le silence s’éternisait entre eux.
Will finit par le rompre.
— Je suis mort, c’est ça ? soupçonna-t-il, avant de rectifier. Mon double est mort ?
Grama acquiesça. Sa gêne était palpable. Il ne savait pas trop comment annoncer ce qu’il savait sur Will.
Esmelia ne savait pas grand-chose sur le Will de ce monde, à part qu’il n'en faisait plus partie.
— En recherchant des informations sur mon maître, et sur les rumeurs concernant la possible découverte d’un vaisseau… J’ai découvert…
— Comment est-ce arrivé ?
— Un accident sur une base de l’Antarctique, expliqua Grama. Cela a été suffisamment important pour être relaté aux actualités, sur les réseaux. Il y a eu une dizaine de victimes, et apparemment de graves conséquences écologiques. C’est à partir de là que toutes les bases officielles ont été abandonnées.
Esmelia avait sa propre version des raisons de ces départs forcés. Ils étaient liés à une expérience malheureuse qui ne cessait de faire des ravages sur la planète, depuis quelques mois. Quoi que d’un certain point de vue, pas forcément des ravages.
Will digéra l’information
— Alors ma famille, mes amis, mes collègues… Ils pensent tous que je suis mort.
— Ce n’est pas forcément une mauvaise chose.
Will fusilla Grama du regard.
Celui-ci s'excusa avant de reprendre:
— L’AMSEVE entretient une Bouche. Si mon maître n’est pas sur la Terre, nous n’aurons pas le choix. Il nous faudra partir à sa recherche, ailleurs. Vous parliez d’infiltrer l’AMSEVE. Je n’ai pas encore les informations qu’il nous faut pour cela. Je sais seulement que l’AMSEVE doit rendre un hommage à ses disparus dans quelques mois. Leurs familles feront le voyage jusqu’à la base polaire. Ce sera notre unique occasion, c’est là que vous pourrez nous être utile.
— Vous pensez pouvoir nous introduire à la base de l’AMSEVE en cas de besoin ? lui demanda Esmelia.
— Je peux essayer, mais je ne peux rien vous garantir.
— Sinon, il restera la seconde option, fit Will. S’ils me croient mort, il faudra que je leur prouve le contraire. J’imagine qu’ils voudront en avoir le cœur net, comme pour vous.
Esmelia réfléchissait à la meilleure solution à adopter. Will ne connaissait rien de ce monde, même s'il ressemblait au sien. Il allait devoir apprendre à grande vitesse.
En ce qui la concernait, elle avait un gros avantage sur lui. Elle appartenait, en partie, à ce monde, cette réalité, cette vie. Quel que soit le nom qu’on lui donne.
Elle devait avoir une discussion avec Will. En privé. Une discussion qui ne leur plairait ni à l'un, ni à l'autre. Ses sentiments pour lui restaient très forts, mais pas autant que sur le vaisseau. Cependant, elle n’était pas disposée à le laisser risquer sa vie, et leur mission, sur un coup de tête. Qui savait par qui ils allaient être poursuivis avant, ou après, que l’AMSEVE se soit intéressée à la résurrection de Will.
— Dans l’immédiat, on va éviter cette option, Will, décida Esmelia, après réflexion. Je pense que Grama ferait bien d’activer ses contacts à l’AMSEVE, ou ailleurs. Nous pourrions bien avoir besoin d’une solution de replis que nous retrouvions Baal ou non. En fait, plus encore, si nous le retrouvons… De notre côté, il va nous falloir vérifier s’il n’est pas sur la Terre, entre les mains du CENKT, ou de l’AMSEVE.
— Il faudrait aussi voir du côté de l’ATIDC, suggéra Grama. Je peux m’en charger.
Elle acquiesça avant d’ajouter :
— Voyez aussi auprès de vos autres contacts dans les groupuscules, mouvements, groupe de résistance, ou je ne sais quoi. Essayez de savoir si l'un d'eux n’aurait pas des renseignements sur Baal, ou ne le retiendrait pas prisonnier.
Will était d’accord lui aussi, mais il avait sa propre idée sur la manière de trouver Baal.
— Je connais quelqu’un qui pourra peut-être nous aider, suggéra-t-il. Il s'appelle Bradley Carnaham. C’est l’un de mes anciens collègues. Ici, j’ignore s’il a travaillé avec l’AMSEVE, mais il y a de fortes chances pour qu’il soit resté le même personnage. Si Baal est prisonnier de l’AMSEVE, du CENKT ou de toute autre organisation gouvernementale, il le saura. Sans aucun doute.
Esmelia savait que Bradley Carnaham avait été l’un des anciens collègues de Will, et surtout un ami. Ils avaient été dans la même équipe d’exploration à l’AMSEVE. Carnaham l’avait même dirigée. Bien que de nationalité américaine, son intégrité envers l’AMSEVE, et envers ses compagnons, avait été sans faille malgré les pressions de son gouvernement. Cela avait d’ailleurs été source de tension avec sa famille paternelle. Après, la disparition de Will – quelle que fut la forme de celle-ci – l’équipe avait été dissoute. Carnaham avait demandé à rejoindre la vie civile. Il aurait pu se contenter d’une vie de riche héritier rebelle. Il avait préféré rentrer dans la police, puis au FBI. Qu’en était-il aujourd’hui ?
— Comment pouvons-nous le trouver ? l’interrogea-t-elle.
— Nous devrions nous intéresser aux évènements inhabituels qui pourraient être en lien avec des extraterrestres. (Suite Chapitre 25.5) |
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| Sujet: Re: L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1) Mar 3 Sep 2019 - 16:05 | |
| Tome 1 : Esmelia CHAPITRE 25.5 Will et elle visitèrent un peu la ville, après s’être séparés de Grama, puis ils retournèrent à la maison-musée, et y restèrent les cinq jours suivants.
Elle se sentait de moins en moins bien : nauséeuse, étourdie, comme si son centre de gravité s’était soudainement modifié. Sa peau la démangeait, sa vue se troublait, parfois. Et surtout, il y avait ces maux de tête violents. Néanmoins, elle participa à la fouille des caisses avec Will, au cas où il y aurait des indices sur la présence sur Terre de l’ancien dieu. Les lieux comme les caisses semblaient avoir été oubliés depuis la Crise de 1929. C’était la date la plus récente qu’ils avaient pu trouver sur les étiquettes des caisses, et les feuilles de journaux qui emballaient les objets qu’elles contenaient.
Ils y avaient découvert des artefacts de diverses origines, et pas mal de choses dont l’utilisation ne semblait ni facile, ni évidente, pour des êtres humains normalement constitués. Ils avaient donc porté leur intérêt sur des choses faciles et rapides à comprendre et, pourquoi pas, utiles pour leurs futurs voyages. Pour Will, cela incluait des objets scientifiques. Pour elle, des armes. Ce qui était un paradoxe pour elle qui n’en avait pratiquement jamais touché et qui, pourtant, savait exactement ce qu’il fallait faire avec chacune d’entre elles comme si elles lui étaient familières. Ça, plus ce nouveau pouvoir de téléportation, ainsi que la fusion entre les deux Mead’ et les deux Esmelia, cela faisait beaucoup. Il ne faisait aucun doute que son mal-être permanent était lié à la nouvelle psyché de Mead’. Il fallait qu’elle parvienne à s’ajuster aux transformations physiques et psychologiques qu’elle avait récemment subies. Parce que les siens, ceux de son peuple, avaient évolué, eux.
Will l’avait auscultée, mais n’avait rien découvert d’alarmant. Toutefois, lorsqu’il avait voulu la scanner avec son pad, elle avait refusé. Il avait insisté pour la forme, mais elle n’était pas revenue sur sa décision. Elle avait peur de ce qu’il pourrait découvrir. Avait-elle aussi peur que les sentiments de son ami à son égard changent ? Les siens avaient bien changé. Non, une partie des siens. Ceux qui ne lui appartenaient pas. Elle était maintenant un seul être : une entité et son porteur que rien ne pourrait délier, à la manière de certain drægans... Ces derniers étaient rares et uniques en leur genre, promis à un destin exceptionnel. Et aux pires tourments.
Au bout du cinquième jour, elle se sentit nettement mieux. Tous les maux physiques semblèrent avoir disparu. Ils décidèrent de quitter leur refuge. Tôt ou tard, quelqu’un finirait par découvrir leur présence. De plus, leurs vivres étaient épuisés. Mais pour se déplacer à l’extérieur, ils avaient besoin d’argent. De beaucoup d’argent. Dans les caisses, ils avaient découvert de nombreux bijoux. Plutôt que de les vendre tels quels, ils en avaient ôté les pierres précieuses et elle les avait portées chez un prêteur sur gages, prétextant quelques ennuis financiers et un besoin d’argent immédiat. Sans doute, n’en eurent-ils pas pour la valeur des pierres. Au moins, ils récupérèrent suffisamment d’argent pour louer une chambre double avec un téléviseur et s’acheter de la nourriture et quelques journaux locaux et nationaux. Il s’agissait de connaître ce monde. Surtout, s’ils devaient y vivre un moment à attendre Baal.
Ce fut Will qui entendit parler le premier de la découverte de corps momifiés de Prudhoe Bay, Alaska. Pas franchement le genre d’endroit où les individus se font momifier après leur mort. À moins que dans leur cas, cela ait lieu avant. Le fait que des cadavres ressemblant à des momies congelées remontent à la surface de la neige ou de la glace avait interpellé Will.
Au cours de son séjour sur Feloniacoupia, Will avait entendu parler d’une espèce extraterrestre qui se nourrissait d’énergie pure. À leur mort, il était d’usage de brûler leur corps afin que ceux-ci ne reviennent pas pour aspirer l’énergie des vivants. Pour les Feloniacoupians, ce n’était rien de plus qu’une légende, au même titre que les vampires sur Terre. N’ayant rien trouvé de mieux, Will avait supposé que des créatures peu habituées aux conditions de vie sur la Terre avaient pu se laisser surprendre par le froid et la neige, des années, peut-être des siècles plus tôt. La fonte des glaces, due au réchauffement climatique, les avait mis à jour. Ou bien quelqu’un était tombé sur les corps, et s’en était débarrassé pour une raison ou pour une autre près de Prudhoe Bay .
Esmelia avait une préférence pour la première explication, bien que l’une comme l’autre lui sembla tirée par les cheveux. Cependant, Will n’avait trouvé aucune mention d’extraterrestres dans les articles relatant cette découverte. Il ne parlait pas non plus d’êtres humains ou d’animaux terrestres. Il était persuadé que quelles que soient les victimes, c’était exactement le genre d’affaires qui intéressait Carnaham.
Elle savait qu’ils ne pourraient pas se rendre en Alaska par des moyens conventionnels, sauf s’ils arrivaient à mettre la main sur quelqu’un capable de leur fournir de faux papiers en un temps record. Elle n’avait aucun moyen de contacter Kolya. Elle avait donc décidé de tester son super pouvoir de téléportation, avec l’aide de Will, afin de voir quelles distances elle pouvait parcourir.
Ils étaient allés à Paris, en France, et en avaient profité pour visiter le Musée du Louvre qui ne ressemblait pas à celui qu’ils avaient connu. Ils s’étaient téléportés à Glasgow. Elle l’avait incité à voir sa famille, mais il avait refusé. Elle n’avait pas insisté. Il avait respecté sa décision de ne pas être scannée, le moins qu’elle puisse faire, c’était d’accepter ses décisions à lui. Will semblait avoir finalement assez bien accepté la mort du Will de ce présent, et le fait qu’il était lui-même devenu une singularité.
D’après lui, deux personnes identiques venant d’univers parallèles, même s’ils n’en avaient que le nom, ne pouvaient coexister dans le même espace-temps. De la même manière, deux espace-temps ne pouvaient, selon lui, coexister.
Elle ne partageait pas les inquiétudes de Will concernant les risques qu’ils prenaient à voyager sans précaution ou protection d’un bout à l’autre de la planète. Will ne cessait de lui répéter qu’à un moment ou à un autre, une caméra, ou même un satellite encore en fonction, capterait leurs soudaines apparitions et leurs toutes aussi soudaines disparitions.
Elle s’était surprise à lu répondre que c’était l’un des risques qu’ils devaient prendre.
En fait, elle s’était rendu compte qu’elle n’aimait plus ni les vies, ni les mondes où la vie s’écoulait lentement, tranquillement, sans le moindre soubresaut. Elle ressentait désormais une insatiable soif d’aventures. Ces derniers mois de ballades galactiques et interplanétaires avaient autant changé ce qu’elle avait été avant de rencontrer son double, que ce qu’elle était devenue après la fusion. Ce désir de se frotter à l’inconnu, elle ne le craignait plus. Elle le sentait ancré en elle et elle le désirait.
Et voilà que des momies congelées étaient découvertes dans l’un des endroits les plus inhospitaliers de la planète. S’il s’agissait d’extraterrestres, les autorités n’avaient peut-être pas encore capté le message qui annonçait aux initiés : "Attention, présence d’E-T. Mais pas du genre à faire voler les petits vélos au clair de lune et à demander à rentrer à la maison. C’était plutôt "Troisième planète après le soleil, terrain de chasse privé pour vampires venus de l’espace".
Elle avait appris, toujours par Will, que la plupart des drægans possédaient aussi des appareils médicaux qui leur permettait de rester en vie et de régénérer leur corps, entièrement ou en partie, chaque fois qu’ils le souhaitaient. Ces dispositifs ressemblaient autant à des scanners qu’à des plexitubes hermétiques. Baal en avait eu un dans son vaisseau. Il l’avait utilisé sous les yeux de Will.
Toujours d’après Will, ces machines pouvaient altérer l’esprit de celui qui en faisait un usage trop fréquent, ou si elles étaient mal réglées. Elle pensa que Baal avait l’esprit déjà bien tordu...Possible qu'il en ait trop fait l'usage.
Elle avait, bien entendu, demandé à Will où se trouvait cet appareil et pourquoi il en avait eu l’utilité, mais il n’avait pas répondu à ses questions, arguant qu’il le ferait plus tard.
En matière d’incongruités extraterrestres, Will était devenu incollable. Pour lui, il pouvait y avoir d’autres explications concernant l’existence de ces momies. Des explications dans lesquelles le CENKT était partie prenante. Il pressentait que cette affaire n’était pas ordinaire. C’était, pour lui, comme un signal d’alerte, une forme d’instinct. Même si ce n’était pas une histoire de pillages de tombeaux. Esmelia reconnaissait que trouver des momies sous la glace ou la neige, sans être extraordinaire, était effectivement très intrigant.
Will avait contacté Grama pour obtenir plus d’informations sur ces êtres qu’ils avaient surnommés les Vampires de l’espace.
Ces créatures existaient bel et bien en tant qu’espèce, ou plutôt avaient existé, lui avait raconté Grama. Ils étaient appelés Yam-nas ou encore Blanka Edroj. En temps normal, ils se nourrissaient d’électricité statique, de lumière et de chaleur. Cependant, lorsque les conditions de leur survie n’étaient pas réunies, il pouvait leur arriver d’absorber l’énergie d’êtres vivants : plantes, animaux ou humanoïdes. Ils les réduisaient ainsi en de vielles carcasses desséchées. Les fameux Blanka Edroj auxquels les drægans avaient fait allusion lors du conseil… Mais toujours selon Grama, l’espèce avait été éradiquée depuis plus d’un siècle sur la Terre, en même temps que la dernière reine de cette espèce, essentiellement matriarcale. Sauf que maintenant, concernant leur éradication, elle ne pouvait pas en être certaine. Celle-ci pouvait avoir eu lieu, il y un siècle, dix ans, hier ou pas du tout.
À mesure qu’il lui avait donné des détails sur ces créatures, elle avait senti le comportement, et la détermination du scientifique changer. Il était prêt à en découdre avec quiconque l’empêcherait d’approcher les momies.
Pour elle, qui n’avait pas encore eu l’occasion de voir un Yam-nas tel qu’il devait être, en vie, c’était une occasion de découvrir à quoi ressemblait cette créature. Ressemblait-elle à un humanoïde comme les faux dieux ? Ou bien était -elle plus proche d'un parasite. Elle ne savait même pas à quoi ressemblait un achi, un parasite drægan ou plutôt leur apparence première, mais elle s’en faisait une image située entre l’ectoplasme translucide et le dragon asiatique. Là, concenant les Yam-nas, elle songeait plutôt à quelque chose situé entre la goule et le vampire. Elle devait le savoir. Elle ignorait pourquoi cela lui semblait si important. La question qui se poserait ensuite était : s’il existe des survivants de cette espèce, sur la Terre ou ailleurs, pourraient-ils devenir des alliés, ou bien seraient-ils des ennemis. (Suite Chapitre 26) |
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| Sujet: Re: L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1) Mar 3 Sep 2019 - 16:07 | |
| L’ORIGINE DE NOS PEURS Tome 1 : Esmelia CHAPITRE 26.1 XXIIIe siècle, du calendrier grégorien. Date stellaire inconnue. Ozymandias, planète du système Etain, bras du Centaure.Ses yeux sombres dans lesquels brillait une lueur fiévreuse contrastaient avec la pâleur de sa peau. Absorbé par ses pensées, l’ancien dieu descendait presque distraitement les escaliers de l’antique cité. Peut-être se serait-il perdu dans le dédale de ses ruelles si un autre dieu, tout aussi ancien que lui, ne le précédait pas, et si leurs pas des jours précédents n’apparaissaient pas encore vaguement dans la cendre, sur le sol.
Comme tous les soirs, Teutatès avait tenu à l’accompagner. Peut-être était-ce la dernière fois qu’ils se rendaient au rendez-vous, songeait-il. Peut-être Circé s’était-elle trompée dans ses prédictions. Après tout, elles commençaient à dater. Tant de choses étaient arrivées depuis. Les avaient-elles entrevues ? Si oui, pourquoi ne leur avait-elle rien dit ? Toutes ces pensées tournaient dans sa tête à chaque fois qu’il prenait ce chemin. C'était pire encore ces derniers temps : à chaque fois qu’il faisait le point sur leur situation. Pourtant, il se serait bien gardé d’en parler à son compagnon ouvertement. Ou à quiconque. Personne, ici, n’avait besoin d’être démoralisé par ses sombres pensées.
Derrière eux, les hauts murs de l’ancienne citadelle des dieux s’élevaient vers le ciel étoilé d’Ozymandias. Autrefois, la grosse planète verte, bleue et blanche ressemblait à Euphris, à symbel, ou… à la Terre. Elle était plus belle, et encore plus sauvage et plus indomptable que ses lointaines voisines de la Voie Lactée. Il fallait être un dieu pour pouvoir y vivre. Pourtant, les dieux avaient été, en leur temps, des fainéants de première. D’un autre côté, à force de travail, recherche, d’inventivité, de production et de surproduction, les dyones, les servains et les humains avaient dénaturé leur planète respective.
Il n’avait fallu qu’une seule guerre, une seule attaque, quasiment chirurgicale, pour décimer la vie sur Ozymandias, et faire de cette planète une terre aride.
Autrefois, les jardins luxuriants étaient d’un tel enchantement que certains dieux succombaient à leur vue. Entourés de tant de merveilles, ils s’en trouvaient tellement sublimés qu’ils ne pouvaient plus quitter des yeux leur reflet sur la surface de l'eau des bassins. Narcisse fut sans doute celui dont ils retinrent le plus le nom. Ils colportèrent une partie de son histoire sur les différentes planètes sur lesquelles ils régnèrent. Mais il y eut d’autres Narcisse, à des degrés différents. Certains moururent, d’autres devinrent fous… Il en fut même qui quittèrent leur hôte humanoïde et prirent possession d’un végétal ou d’un animal afin de mieux sentir les effluves des fleurs, les arômes des fruits murs, ou pour s’ouvrir aux mille et une sensations qu’offraient certaines plantes lorsqu’on les effleurait et aux chants d’oiseaux qui vous ensorcelaient l’âme. Pour certains dieux, plus rien ne pouvait avoir autant de saveur que l’un des fruits des jardins d’Ozymandias. Cette planète était unique. Certains avaient bien essayé d’emporter ses fruits sur d’autres planètes et de les y faire pousser, mais jamais leur goût ne fut le même.
Ce que les êtres de foi appelaient l’Eden, l’Elysée, l’Olympe, le Royaume Éternel, le Walhalla, se transformait, pour l’être le plus commun en Royaume des Ombres, séjour des damnés. Terre de ce qui fut et de ce qui ne sera plus. L’être le plus commun… Il se reprocha aussitôt cette expression, trop coutumière du langage des dieux. Qu’avait-il vu d’inférieur aux dieux chez ces êtres au cours de ce dernier siècle ? Bien peu de choses. Ils s’étaient battus à ses côtés, et tous étaient morts avec plus de courage et d’honneur que bien des dieux. Beaucoup étaient morts à ses côtés. Il avait serré dans ses bras des pères, des mères et leurs fils ou leurs filles jusqu’à ce que leur souffle s’éteigne. Il était las de cette guerre, mais tant que la vie subsistait, il devait se battre. Il devait se battre pour tous ceux qui étaient tombés à ses côtés. Autrement, ce serait les trahir. Tous.
Aujourd’hui, tout n’était que ruines. Pas seulement sur Ozymandias. La galaxie toute entière n’était plus que ruines, après avoir subi les assauts des Terrans. Certains, de plus en plus rares, continuaient à lutter contre les terranihilisateurs.
Ils étaient déjà venus, une première fois, sur Ozymandias. Les dieux qui y vivaient encore, comme toutes les autres formes de vie, y avaient été exterminés, un siècle plus tôt, au tout début de la guerre, lorsque les Terrans étaient entrés dans la galaxie. En fait de guerre, cela n’en avait jamais été une. Pour cela, il aurait fallu que l’ennemi se heurte à une force similaire à la sienne. Mais sa force de frappe était telle que cela n’avait jamais été le cas. Il suffisait d’imaginer un géant de pierre frappant, de son énorme poing, une colonie de fourmis au sol. Seules quelques-unes pouvaient espérer en réchapper… Jusqu’à ce que le géant les retrouve et les écrase, elles aussi. Face à ce Goliath, ils n’avaient pas trouvé leur David. Ils l’attendaient toujours. Cela faisait un siècle, peut-être un peu plus.
Quelques mois plus tôt, après le dernier affrontement contre la Nuée qui avait décimé la plupart de ses compagnons, il avait conduit les derniers survivants sur Ozymandias en espérant que l’ennemi ne repasserait pas sur la planète. Il y était aussi parce que c’était son destin lui avait prédit l’un des êtres qu’il avait le plus chéri durant sa très longue vie. Personne ne savait de combien de temps serait le répit. Ils auraient tous pu quitter la galaxie, trouver refuge dans une autre. Mais qui savait ce qui les attendait au-delà de la Voie Lactée ?
Il y avait peut-être pire que les Terrans et leur Horde. Ils ne les avaient pas combattus, ni perdu leurs compagnons, pour être réduits en esclavage par une espèce inconnue, ou bien servir d’encas, ou pire d’animaux de compagnie ou d’élevage. Et puis, il y avait cet infime espoir. Cette croyance en la magicienne et en l’arrivée d’un sauveur venu du futur. D’où venait cette légende ? D’abord d'une nâgas en transe dont nul n’aurait pris les paroles au sérieux si les derniers ivernes n’avaient pas fait état de leurs mages, à la même époque. Eux aussi avaient eu la vision d’un être du futur d’une grande puissance qu'ils surnommaient la Rayahimlie. Même avec ses deux mille cinq ans d’existence et d'expérience, il aurait pu ne pas y donner foi. Mais celle de Teutatès avait été si forte qu’elle avait fini par l'atteindre.
Teutatès, l’ami de toujours. Même si chez les drægans, la notion d’ami n’existait pas. Il n’y avait d’ailleurs aucun mot pour le désigner ou le définir dans leur langue. Par contre, pour désigner des ennemis ou des adversaires, récents ou séculaires, il devait bien y en avoir une quarantaine. Malgré cela, Teutatès comptait bien parmi les rares amis qu’il ait pu avoir. Il regrettait parfois de ne pas avoir eu cette même relation, ou de n'avoir pas cherché à l'approfondir, avec d’autres créatures croisées des siècles plus tôt.
La seule qui avait pu toucher son cœur et son âme était une humaine que l’évocation des rayahimlies avait ramené à sa mémoire : Himilce... Pendant très longtemps, sa mort avait éteint tout sentiment amoureux chez lui, même s’il avait tenu d’autres déesses, humaines et créatures diverses entre ses bras. Il y avait eu Anat, la déesse Ougarit, orageuse et dangereuse, leur relation avait été destructrice pour l’un comme pour l’autre. Il y avait eu la jeune femme que Cottos avait jetée dans le Puits de l’Éternité. Jamais, il n’aurait pu survivre sans elle, sans sa force et son amour, sans son sacrifice… Mara la sculptrice d’étain qui ressemblait tant à la précédente et à laquelle il avait demandé de construire une porte, et Espée, la raisonnable, l’apaisante, mais aussi la guerrière sans pitié, assassinée par une alliée d’autrefois qui avait rejoint la Nuée... Il y en avait eu d’autres dont il se souvenait à peine des visages, passagères d’une nuit, parfois plus. Il les avait aimées, physiquement, mais il ne leur avait jamais abandonné son âme.
Chaque fois qu’il quittait la ville pour se rendre à cet hypothétique rendez-vous, c’était à elles qu’il pensait, et surtout à Himilce. Il y avait bien une raison à cela : Circé. Il chassa l’image de sa sœur de son esprit. Ses paroles, elles, restèrent ancrées en lui. Il y avait pourtant tellement de siècles qu’il les avait entendues. Il les avait oubliées, un temps. Pourtant, depuis quelques mois, elles revenaient sans cesse. Quel sort avait donc utilisé la magicienne ? Elle n’était alors qu’une enfant sans le moindre pouvoir lorsqu’elle lui avait prédit qu’à la fin des temps, il devrait retourner sur Ozymandias afin d’y attendre la messagère et la sauveuse. À la façon dont elle en avait parlé, il avait eu l’impression qu’il s’agissait d’une seule et même personne. Quel message avait-elle à délivrer ? À qui devait-elle le délivrer ? Circé lui avait encore prédit qu’en elle, il retrouverait la foi et l’amour. Quelle ironie si cela s’avérait vrai ! À la veille de la fin de toute chose.
Le silence. Cette nui était silence, à l’exception du bruit étouffé de leurs pas sur la terre caillouteuse et grise de cendres. Même au camps, depuis leur arrivée sur cette planète, tout n’était que chuchotements, bruissements, soupirs et silence. Mais pas un cri de rage ou de désespoir, pas une parole prononcée en haussant la voix, pas un sanglot dans la nuit éternelle de la planète. Les nuits étaient ainsi. Les journées où seule une pâle lumière perçait les nuages de cendres étaient pires. Ils devaient constamment porter un masque pour filtrer l’air, ou des foulards enroulés autour de la moitié inférieure de leur visage.
La mort était autour d’eux. La fin de la galaxie, telle qu’il l’avait connue, s’achevait. Bientôt résonnerait le dernier coup de tonnerre, à moins que les survivants ne puissent jouer leur ultime carte. Peut-être… Si seulement il avait compris plus tôt son rôle. Non ! Il avait toujours su quel serait son rôle, mais il l’avait refusé. Tout cela était-il déjà écrit ? (Suite Chapitre 26.2)
Dernière édition par Ihriae le Mar 3 Sep 2019 - 16:15, édité 1 fois |
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| Sujet: Re: L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1) Mar 3 Sep 2019 - 16:09 | |
| L’ORIGINE DE NOS PEURS Tome 1 : Esmelia CHAPITRE 26.2 Himilce… il revenait sans cesse à elle… et à la femme des geôles de Cottos. Il leur avait ouvert son cœur par amour pour l’une, par désespoir pour l’autre, mais la douceur de leurs baisers, le parfum de leur peau se confondaient désormais. La mémoire était la pire des traîtresses, sans doute plus encore lorsqu’elle était ancestrale. Mais c’était tout ce qui lui restait de ces temps révolus. Ces derniers siècles, il avait eu l’impression que sa vie n’avait été qu’un long sommeil. Jusqu’à ce qu’il se décide, enfin, à embrasser son destin de meneur. Dès lors, il s’était senti redevenir vivant, comme s’il ne l’avait jamais été, ou si peu. Il n’était pas plus mort durant tout ce temps. Juste quelque chose entre les deux. Quelque chose que les dieux ne connaissaient que trop bien. Aujourd'hui, il savait bien qu’il y avait des chemins que dieux, humains ou autres, il ne fallait jamais hésiter à prendre. Mais il l'avait compris trop tard.
Devant lui, Teutatès ralentit le pas.
À la faible lueur des feux sur les remparts, il vit le poing levé de son ami en guise d’avertissement ou de prudence.
Il sentit son cœur battre plus fort.
En elle-même, l’ancienne citadelle des dieux, illuminée d’un rempart à l’autre, était comme un phare au milieu d’un océan gris sans mouvement. Un appel pour tous les vaisseaux alliés qui croiseraient dans le coin, s’il en restait, mais aussi pour ceux de l’ennemi. Perdu pour perdu…
Ce n’était pourtant pas les terrans qui arrivaient à pieds. Ni leur meute d’enragés.
Il avança, presqu'à la hauteur de Teutatès qui s’était arrêté. Il devinait son visage inquiet, sans le voir à travers les épaisseurs de tissus qui le recouvraient. Ses yeux ambrés devaient être remplis d’espoir. Sa foi allait-elle enfin être récompensée. Il avait rêvé de la venue d’un guerrier, plusieurs fois, au cours de ces dernières semaines. Les hommes désespérés avaient toujours des rêves d’espoir. Les dieux désespérés avaient, quant à eux, des rêves de miracles. C’était pour cela qu’ils n’avaient jamais baissé les bras.
Il lui fallut deux ou trois secondes pour distinguer l’ombre qui escaladait le chemin escarpé menant à la citadelle des dieux, et deux de plus pour comprendre que malgré sa petite taille, il s’agissait bien d’un bipède. Mais de quel genre ? Il devait en rester quelques-uns dans la galaxie… Peut-être pas autant qu’ils l’auraient souhaité.
Ces dernières années, ils avaient combattu avec et contre une vingtaine d’espèces de bipèdes différentes, en comptant ceux que les Terrans avaient ramené de la précédente galaxie qu’ils avaient pillée.
Par précaution, il sonda mentalement les environs avec minutie. Il découvrit que la créature était seule, désorientée et apeurée, mais prête à se battre si cela s’avérait nécessaire… Elle portait aussi en elle une profonde tristesse. Il y avait aussi autre chose qui ressemblait à de l'innocence. Il en fut troublé. Il posa sa main sur l'avant-bras de son compagnon.
— Tu as senti quelque chose ? chuchota Teutatès.
— Quoi que ce soit, ça voyage seul, répondit-il. Cela n'est pas hostile, ce qui ne signifie pas que ce n'est pas dangereux.
Il ne put s’empêcher d’ajouter avec un léger sourire sous son écharpe :
— Et ça ne manque pas de courage.
— Je parlais de l’odeur. Une vieille odeur qui ne peut t‘être inconnue.
Il l’avait sentie effectivement, mais il l’avait passée au second plan dans l’urgence de la situation.
— Un voyageur…
— Mais comment ce serait possible ? s’étonna Teutatès. La seule bouche existante sur Ozymandias se trouve...
— Dans l’ancienne salle du Conseil des dieux Majeurs.
— Les terrans ont anéantis toutes les autres dans la galaxie.
— Peut-être pas toutes, apparemment.
Ils se turent et écoutèrent le silence. La créature, quelle qu’elle fut, avait dispru. Ils eurent beau scruter le chemin devant eux, ils ne la voyaient plus.
Baal s’humecta nerveusement les lèvres.
Malgré leurs protections, de fines particules de cendre parvenaient à se frayer un chemin jusque dans leurs narines et leur gorge. Si les terrans ne venaient pas les achever, d’ici quelques mois, les particules de cendre le feraient tout aussi bien. Il s’essuya les yeux pour en chasser les impuretés. À force de sonder l’obscurité, ses yeux commençaient à larmoyer.
Un frisson provoqué par un déplacement d’air, si léger fut-il, lui parcourut la colonne vertébrale. Il fit un gros effort pour ne pas se retourner.
Son compagnon l’avait senti lui aussi. Il se racla la gorge avant de demander, d'une voix aussi forte et claire qu'il le put.
— Ami... ou ennemi ?
Baal distingua le regard froncé de l’ancien dieu celte. Il devait avoir la même expression. Ils ignoraient comment, mais la petite créature était parvenue à les contourner avec une rapidité étonnante, et une discrétion qui l’avait été autant. Ils avaient beau être de vieux roublards et des combattants aguerris, ils étaient admiratifs.
— Si tu es un ennemi, nous te supprimerons, c’est évident, ajouta Teutatès.
Baal jugea qu’il aurait pu éviter ce genre de provocation. D’un autre côté, si la créature avait eu l’intention de les tuer, elle les aurait déjà attaqués. À moins qu’elle ne chercha à jouer avec ses proies.
— Dans ce cas, je dirai « ami », même si je connais plusieurs manières de tuer un drægan, répondit une voix couverte et fragile qu’ils définirent unanimement, sans avoir à le dire à voix haute, comme humaine et fort probablement féminine.
— Oui, sans doute, mais deux drægans ? interrogea Teutatès.
La réponse ne se fit pas attendre.
— Pas beaucoup plus difficile qu’un seul, surtout s’ils sont vieux, fatigués, et affamés. D’où je viens, j’ai vu les derniers de votre espèce mourir.
Pourtant, ils étaient encore en vie… Ils comprirent simultanément l’un et l’autre. Le « d’où je viens » n’incluait pas seulement le lieu, mais aussi le temps. Baal n’était pas surpris. Lui-même était déjà remonté quelques siècles dans le passé. Il y avait même rencontré son double... Grâce à lui, il avait pu gagner quelques dizaines d’années de jeunesse, et à cause de lui aussi de nouvelles blessures et des souvenirs qu’il n’avait jamais souhaité posséder. Il se demandait aussi jusqu’à quel point il y avait des vérités dans les légendes et dans les rêves. Quel crédit fallait-il leur accorder ?
— Que tu sois née en ce temps ou en un autre ne changera rien pour nous, lança Teutatès à la nuit cendrée. Si tu ne te montres pas… sans armes… il te faudra te battre pour nous tuer.
Il tentait de se monter sûr de lui, mais sa voix trahissait son incertitude.
Ils se retournèrent lorsqu’un coup de pied dans le sol fit rouler quelques pierres sur le chemin.
Devant eux, à deux mètres à peine, se tenait la silhouette petite et frêle de leur interlocutrice.
C’était donc cela le guerrier promis par Circé, le sauveur de la Voie Lactée...
Teutatès ne cacha pas sa déception.
— Une adoris, s’étonna-t-il.
Avec des gestes lents et précis, la créature entreprit de desceller le casque qui la protégeait tant visuellement que biologiquement. Elle le retira et découvrit un visage d’enfant humanoïde. Une humaine, peut-être une terrienne tant elle paraissait fragile et si peu adaptée à la vie spatiale. Elle n’était pas du tout dræganne. Ils n’en doutèrent pas. Elle n’avait sûrement pas plus de dix ans, bien que son regard sombre aux reflets argentés donna l’impression du contraire.
Baal eut soudain le sentiment qu’elle n’était pas seulement humaine. Il y avait de la technologie en elle… Ce n’était pas à la lueur des feux de garde qu’il pourrait en avoir la certitude.
Pour Teutatès, les cheveux ras de l’enfant lui donnaient un air plus dur qu’elle ne devait l’être en réalité. Mais il savait que cette apparence pouvait être trompeuse. Il ne résista pas à une nouvelle provocation. Histoire de voir comment elle réagirait.
— De mieux en mieux. Une humaine qui n’a même pas encore fini de grandir. Une fille, pas même une femme. Tu as quel âge ?
Et elle de répondre du tac au tac :
— Et vous ? Je n’ai jamais compris comment un vieillard tel que vous ait pu survivre aussi longtemps face aux terranihilisateurs.
L’ancien dieu ne cacha pas son agacement face à l’aplomb dont faisait preuve cette petite peste humanoïde. Il fit un pas en avant. Elle recula d’un pas en arrière pour rester à distance.
— Tu ignores donc à qui tu t’adresses, petite.
Elle redressa la tête et planta son regard dans le sien comme si elle le mettait au défi de le lui dire.
— Je suis Baal. Dieu des orages, et dieu de la guerre contre les terrans. Le dernier à m’élever contre eux, à la tête de braves parmi les braves.
— Je ne me souviens plus de ton nom, l’entendit répondre Baal. Cependant, je sais comment tu es mort. Honorablement. C’est pour cela que je ne te couperai pas la langue pour ton mensonge. Maintenant, je veux parler à Baal. (Suite Chapitre 26.3) |
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| Sujet: Re: L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1) Mar 3 Sep 2019 - 16:10 | |
| L’ORIGINE DE NOS PEURS Tome 1 : Esmelia CHAPITRE 26.3 Baal s’étonna qu’elle ne l’eut pas reconnu alors qu’elle avait facilement démasqué Teutatès.
Elle essayait de ne pas le montrer, mais il sentit qu'elle cherchait quelque chose du regard autour d'eux. Il se rendit compte qu’il n’avait pas quitté l’ombre de son ami. Plus encore, de la même taille que lui, celui-ci le cachait quasiment.
— Ta langue à toi me semble bien pendue, la tança à nouveau Teutatès.
Baal connaissait assez son compagnon pour savoir qu’il voulait avoir le dernier mot. Surtout face à une petite humaine.
— Fais gaffe à la tienne. Je pourrais revenir sur ma décision et te l’arracher même si tu gardes la bouche fermée.
Teutatès allait répondre, mais Baal le retint en posant, à nouveau, une main apaisante sur son avant-bras droit.
— Je veux bien te croire, dit-il. Mon nom est Adad Melqart, ou Baal, si tu préfères.
Elle baissa la tête en signe de respect. Elle aurait même immédiatement posé le genou à terre s’il le lui avait demandé.
Lorsqu’elle releva le visage, ce fut pour planter son étrange regard dans le sien.
— Je m’appelle RH 27 parce que j’ai été conçue dans la cuve RH 27. En fait, mon immatriculation complète est 7 721 339 024 RH23 Série Cir, du nom de celle qui m’a créée : Circé. Mais je préfère que vous m’appelliez Mountain.
Baal ne l'avait pas quittée du regard. En l'écoutant, il avait senti son cœur battre plus vite. Était-ce réel ? Était-ce possible ? Elle avait évoqué Circé. Sa sœur était en vie, quelque part... Il n'y avait pas que cela.
Il crut discerner une lueur malicieuse danser au fond des yeux de cette gamine, comme si elle suivait le cheminement de ses pensées, ou les devinait… Elle ne le craignait pas plus qu’elle ne craignait Teutatès. Mais elle le respectait. Plus encore, elle semblait avoir une totale confiance en lui. Qu’est-ce qui la rendait si sûre d’elle ? Que connaissait-elle du passé ou de leur avenir pour avoir une telle assurance ? Était-elle porteuse d’un message ?
Teutatès avait raison. Elle était, à la fois, trop jeune et trop faible pour se battre à leurs côtés contre les terrans même si elle avait été optimisée. Elle n’était pas un David susceptible de se battre contre Goliath. La foumi ne pouvait rien contre le pied du géant. Elle ne pouvait être qu’une messagère. Une messagère de Circé. Son cœur se serra. Comme il aurait souhaité revoir une dernière sa jeune sœur… Au moins avait-il la consolation de savoir qu’elle lui avait survécu si, comme il le supposait, l'enfant venait bien du futur. Peut-être lui raconterait-elle ce qu’il était advenu de la déesse-magicienne...
— Nous devrions retourner à la Citadelle, suggéra-t-il.
Sans répondre, elle leur tourna le dos et commença à marcher en direction de la demeure des dieux.
Ils la suivirent en silence, jusqu’à ce que le dieu gaulois le brise.
— Est-ce que les gamines qui viennent du futur sont toutes aussi effrontée que toi ? lui demanda-t-il.
Il aurait pu lui demander la même chose sur les enfants du passé. Dans un cas comme dans l'autre, ils sauraient avec certitude d'où elle venait.
La réponse ne se fit pas attendre :
— Tous les enfants du futur sont dressés par les guerrières de la Meute qui leur apprennent à tuer de toutes les manières possibles. Ensuite, ils sont repris en mains par les généraux des Terranihilisateurs. Ils nous apprennent à espionner, et à nous fondre à ceux que nous devons espionner, à devenir eux, et aussi à ne faire qu’un avec notre environnement lorsque nous devons agir.
— Je vois.
Il avait clairement vu le mot « tuer » lorsqu’elle avait prononcé « agir ».
— Tu comptes donc nous tuer ?
Il leur sembla qu’elle haussa les épaules.
— Si tel était mon objectif, vous ne seriez plus là pour me le demander.
— Tu attends peut-être que nous soyons tous réunis pour le faire. Pour l’instant, tu ignores de quelles forces nous...
— Je sais exactement combien vous êtes, le coupa-t-elle sans brusquerie. Et qui sont vos derniers compagnons, Seigneur Teutatès.
Il comprit qu’elle s’était jouée de lui en prétendant ne pas le connaître.
De même que Baal comprit qu’elle avait toujours su qui il était. D’un bref regard, il fit comprendre à son compagnon de le laisser seul avec l’enfant. Celui-ci n’avait pas vraiment l’intention d’obtempérer. Elle n’était pas exactement le sauveur ou le guerrier dont il avait rêvé.
Il finit néanmoins par accepter devant l’insistance silencieuse de Baal, mais il resta à portée de voix.
Baal chercha autour de lui. Il finit par choisir un muret près d’une grosse pierre. Les dernières ruines d’un jardin. Il en balaya les cendre d’un revers de main et invita l’enfant à s’asseoir sur le muret tandis qu’il prit place sur la pierre.
Ni l’un, ni l’autre n’était très confortables, mais ils feraient l’affaire. La gamine se balança d’une fesse sur l’autre avant de trouver une position relativement confortable.
Elle avait un visage très pâle, et épuisé. Ses yeux verts semblaient être d’un autre âge. Son corps semblait si fragile qu’elle aurait pu tromper n’importe qui, même eux, si elle ne les avait pas mis en garde. Il se demanda quel genre de femme elle pourrait devenir si elle avait la chance de grandir.
Elle l’observait elle aussi.
Quelle image pitoyable percevait-elle ? Celle d’un ancien dieu déchu attendant la mort ? Celle d’un humanoïde dépassé par la force du mal qu’il combat ? Celle d’un rescapé plus obsédé par la survie de ceux qui s’étaient réfugiés et battus auprès de lui que par la sienne…
Il y avait dans son étrange regard quelque chose qu’il avait déjà vu… chez Himilce peut-être, ou bien chez Mara, mais sans aucun doute chez la jeune femme qui l’avait soigné chez Cottos. Jamais Elle avait ce regard qui portait au-delà des apparences, bien au-delà de ce qu'il pouvait percevoir, sans juger, sans condamner.
— J’ai faim. Vous n’auriez rien à manger sur vous, par hasard ?
— Tu l'as dit tout à l'heure que nous étions affamés, lui répondit Teutatès de là où il se trouvait. Tu avais raison. Nous parvenons à peine à survivre. Tu n’as donc pas pensé à te nourrir avant de venir ici ? On dit pourtant que les garde-mangers des vaisseaux des terrans sont bien garnis, alors que nous, nous n’avons que de la cendre pour nourriture.
Baal le trouva dur avec l’enfant. Il lui avait fallu beaucoup de courage pour entreprendre ce voyage jusqu’à eux.
— Pour la cendre, je passe mon tour, dit-elle piquante en réponse à Teutatès.
Il n’y avait aucune colère en elle, envers Teutatès, envers sa situation ou la leur. Lui, il l’aurait été. En réalité, il l’était. Depuis très longtemps.
L’espace d’un court instant, il se sentit envahi d’une profonde mélancolie, puis son regard croisa celui de l’enfant. Il eut l’étrange sensation de la connaître depuis une éternité malgré leurs deux-mille-cinq-cents ans de différence. Ce qu’il ressentait n’avait rien à voir entre avec une attirance physique, un sentiment amoureux, ou une pulsion sexuelle, mais l’impression qu’elle était une part de sa vie, peut-être de lui-même. Se pouvait-il que, d’une manière ou d’une autre, il ait eu des descendants ? Après tout, il ne souvenait pas de toutes des terriennes avec lesquelles il avait eu des relations intimes. Cette enfant avait du caractère, comme lui, et ne manquait sûrement pas d’intelligence.
Il réprima un sourire. Il y avait si longtemps qu’il n’avait pas pensé à sa propre personne en des termes élogieux.
En d’autres temps, il aurait été heureux de rencontrer une telle âme, lumineuse et forte. Quand on était élevé par les terrans et leurs alliés, la candeur et la naïveté n’étaient pas compris dans le contrat. Il n’en restait pas moins qu’elle était une enfant qui avait gardé ses rêves et l'espoir d'un monde meilleur.
— Je ne voudrais pas paraître impoli...
— C’est pas comme si vous en aviez l’habitude, évidemment, le coupa-t-elle, ironique. Vous me trouvez trop jeune pour vous sauver de vos ennemis, bla, bla, bla…
Teutatès pouffa dans son coin.
Elle ne releva pas et poursuivit :
— Je ne suis pas ici pour me battre à vos côtés. Vous allez tous mourir dans deux jours et je ne peux rien faire pour vous. Mais vous, vous pouvez faire quelque chose pour moi.
Il absorba l'information aussi calmenent qu'il le put. Il sentit que son compagnon avait plus de difficultés. Pourtant, il l'avait toujours su. Ils l'avaient, tous, toujours su. s'ils étaient revenus sur Ozymandias, ce n'était pas pour y survivre comme des misérables, mais pour y mourir comme de valeureux guerriers et honorer la terre de leurs ancêtres. Ceux qui, parmi eux, n'étaient pas drægans n'y avaient rien trouvé à redire. Ils avaient accepté leur destin, eux aussi. Pour eux, cette planète valait autant qu'une autre pour mourir.
Sa voix était celle d’une enfant, mais elle contenait tellement de froideur. Elle s’exprimait avec une certitude solide comme de l’acier, et en même temps une tranquillité et une distance qui le firent frissonner. S'il n'avait pas lu dans son esprit, il aurait pu croire que, non seulement, elle avait perdu son enfance, mais aussi son humanité.
Après un moment de silence, elle reprit :
— Vous pouvez m’envoyer plus loin dans le passé.
— Combien ?
— Deux cents ans, environ.
— Pourquoi ?
— Pour vous rencontrer et vous convaincre.
Ce fut à son tour de garder le silence, un moment.
— Les voyages dans les passages ne sont pas une science exacte, finit-il par dire. J’en ai fait l’expérience à mes dépens. Si je le pouvais encore, il y a longtemps que je serais reparti.
— Vous ignorez ce qu’ils sont vraiment.
— Des entités ?
— Sûrement plus que cela. En tous les cas, ils sont vivants et ont une intelligence qui leur est propre. C’est ce que la magicienne a fini par découvrir. Mais les terranihilisateurs le savaient depuis plus longtemps qu’elle. Peut-être qu’ils l’ont toujours su. C’est pour cela qu’ils utilisent les bouches pour se déplacer d’une galaxie ou d’un système à l’autre avant de les tuer parce qu’ils n’en ont plus l’utilité, et aussi pour que personne ne puisse les utiliser. (Suite Chapitre 26.4) |
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