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 L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1)

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Ihriae
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MessageSujet: Re: L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1)   L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1) - Page 3 EmptyMer 12 Juil 2017 - 11:27

L’ORIGINE DE NOS PEURS


Tome 1 : Esmelia



CHAPITRE 12.2


Suite du chapitre 12.1


Les liens entre les membres de son peuple étaient indéfectibles, et ils avaient accordé le même privilège à ‘Ran. Seule une faute impardonnable pouvait les pousser à rompre les liens qui les unissaient. Tous les liens vers ‘Ran avaient été rompus. ILS se mouvaient autour d’eux comme s'ILS ne le voyaient pas, ni ne l'entendaient guère plus. ILS évitaient de le regarder, de le toucher ou de le frôler. ILS ne pouvaient pas le condamner à mort, sinon leur faute serait encore plus impardonnable que la sienne. ILS avaient donc simplement décidé qu’il n’existait plus. Ce qui était un châtiment bien pire. Pourtant, même si EUX, ILS l’ignoraient, elle, elle retenait encore un fil, le dernier.

Elle était son dernier lien.

Elle sentait sa peur, sa solitude et son incompréhension face à ce qui lui arrivait.

Pénétrer l’esprit simple d’une créature dont la seule préoccupation était de trouver sa nourriture, de la manger et de dormir ne lui posait pas de difficulté. Lorsqu’il s’agissait d’un esprit plus complexe qui ordonnait non seulement de trouver de la nourriture, mais encore de la rapporter à la maison pour la cuisiner, la partager et la stoker, un esprit qui imposait de calculer la rentabilité d’un troc, de dormir dans un endroit confortable au chaud et à l’abri des intempéries et des prédateurs, et éprouvait toute une palette d’émotions complexes, cela s’avérait nettement plus compliqué. Mais s’introduire dans un esprit aussi délicat que celui d’un individu de son espèce, ou apparenté comme l’était ‘Ran, à sa propre espèce, c’était comme s’introduire dans un labyrinthe de brumes dont les plans changeaient à chaque instant. Avec quelques pièges en prime.

Sauf que dans l’esprit de ‘Ran, il n’y avait aucun piège. En était-il ainsi de toutes les Petites Mains ? Celles auxquelles les Grands Tisseurs confiaient autrefois les petits-fils fragiles des écheveaux. Le crime de ‘Ran était d’avoir laissé tous les fils se rompre. Un fil trop fragile qui se casse, passe encore. Mais tous ces destins qu’il avait entre ses doigts étaient irrémédiablement brisés désormais.

Il ignorait qu’on lui avait confié des fils trop fragiles, impossibles à tisser, impossibles à filer. Aucun Tisseur n’aurait pu y réussir, excepté les plus expérimentés d’entre EUX. Aucun Tisseur n’aurait pu concevoir que tous ces fils fragiles avaient été réunis dans une seule main, excepté celui qu’il l’avait fait, car l’intention était criminelle et préparée de très longue date.

Elle observa les mains de ‘Ran, puis les siennes comme si elle les découvrait pour la première fois. Du moins, ce qui pouvait ressembler à des mains. Dans son rêve, elle se voyait comme une créature presque transparente, intangible et luminescente. Un être qui ressemblait à une sorte de créature élémentaire. Chacun des individus, autour d’elle, possédait cette même luminescence, cette même transparence, cette même intangibilité tout en étant différents les uns des autres. Les motifs chatoyants qui parcouraient leur corps étaient translucides, de couleurs et de formes différentes.

Elle tendit la main vers ‘Ran.

Il ne comprenait toujours pas. Comment avait-il pu commettre une telle atrocité ? Pourquoi n’avait-il pas su remarquer l’extrême fragilité de ses fils ?
— D’autres atrocités vont être commises.

Elle s’exprimait sans ouvrir la bouche, ou bouger un seul muscle de ce qui pouvait être son visage.

Il en allait de même pour lui.
— Aucun de nous ne peut choisir son destin, n’est-ce pas ? commença-t-il, faisant parler sa raison plus que son âme et son cœur, tous les deux déchirés, rendus muets par son acte inqualifiable.
— Nous sommes ce que nous sommes, mais nous l’oublions parfois, tenta-t-elle de le rassurer. Nous ne pouvons faire ce que nous souhaitons, même si ce que nous souhaitons semble être notre destin.
— Nous tissons les fils d’un nombre infini de créatures, mais qui tisse nos fils, à nous ?
— Quelle serait ta réponse ?
— Personne.
— Pourquoi serions-nous plus libres que n’importe quelle autre créature existante, ‘Ran ?
— Peut-être les Grands Tisseurs… »

Il acceptait l’inconcevable plus vite qu’elle ne l’avait espéré.

Elle poursuivit.
— Qui tisse les fils des Grands Tisseurs ?
— Personne. C’est une chose impossible. Sinon, il faudrait se demander qui tisse les fils de celui qui tisse les fils des Grands Tisseurs…
— Est-ce impossible parce que nous ne pouvons pas le concevoir ? »

Elle pouvait infléchir son destin. Elle pouvait le sauver en lui faisant intégrer un autre corps. Ça, ce n’était pas facile à concevoir.

Comment pouvait-elle infléchir le destin ? Comment pouvait-elle le sauver ?

En l’éloignant d’EUX le plus vite et le plus loin possible.

Pour cela, non seulement il devait intégrer un corps de chair et d’os, de sang et d’eau, mais il devrait aussi oublier ce qu’il était en cet instant.

Il devait devenir cet "Autre" corps et âme. Un autre crime dont il pourrait être reconnu coupable s’il y survivait. Car nulle loi ne permettrait d’accorder le pardon à un voleur de corps et d’âme.

Nul ne pourrait le condamner ou le blâmer, mais il ne pourrait plus revenir parmi les siens, et lorsqu’il mourrait, son âme serait perdue à jamais dans l’obscurité, le néant. Elle le savait. Il devrait s’y plier. Dut-elle l’y obliger. Elle-même le ferait en son temps. Elle-même serait condamnable. Elle connaissait déjà sa peine. Différente de celle de ‘Ran mais guère plus enviable. Semblable à celle de ceux son espèce. Mais au moins, elle saurait pourquoi, et si la Transformation le lui permettait, elle aurait la satisfaction, contrairement à EUX, d’avoir tenté l’impossible.

Cela suffirait-il ? Bientôt, il ne resterait de leurs semblables qu’une réminiscence très vague de ce qu’ILS étaient, avaient été et auraient pu être. ‘Ran, lui, ne pourrait jamais s’en souvenir. Pas sous sa nouvelle incarnation, sur cette planète oubliée des dieux comme des déicides : la Terre.

Un esprit humain était trop fragile, insuffisamment élaborée pour concevoir un seul de leurs souvenirs, une seule de leurs visions de tous les avenirs possibles, de tout ce qui avait été et de tout ce qui aurait pu être. Il en deviendrait fou. Toutefois, son inconscient pourrait les distiller, indice après un indice, jusqu’à prendre racine. Mais il faudrait d’abord que son nouveau corps accepte la greffe et que son âme étrangère s’y fasse une place. Comme pour la moitié des espèces de l’univers objet d’une invasion parasitaire, l’âme de l’hôte ne survivrait pas à celle de son colonisateur. C’était le prix de la survie, pas celle d’un seul être vivant, ou d’une seule espèce, mais infiniment, incommensurablement plus que cela. Il n’y avait, en réalité, aucun mot pour définir ce pourquoi elle devait le faire, ni même aucun mot pour déterminer ce qu’elle devait faire.

Elle allait l'envoyer aussi loin de l'ennemi qu'elle le pourrait, sans limite de temps ou d'espace. Elle ignorait de combien de temps ‘Ran bénéficierait pour remplir la mission qu'elle allait lui confier : trouver la Clé, la Gardienne, la gardienne-clé ou la clé-gardienne. Elle ne savait quel nom on lui donnerait exactement. Elle y aurait tellement de récits à son sujet, sur des milliers et des milliers de planètes. Cela ressemblerait bien plus à une légende qu’à une chose vraie, réelle, camouflée derrière toutes sortes de récits, maquillées, travesties dans presqu’autant de légendes existantes ou ayant existé.

Comment pourrait-il la trouver ? Comment pourrait-elle l'envoyer au plus près de cette clé, de cette Gardienne ? Car c'était là un autre impératif. Il devait la trouver et la protéger quoi qu'il lui en coûte.

Personne ne savait quoi que ce soit sur la Clé. Mais Mead’, elle, avait cherché longtemps, très longtemps, à travers le temps et l’espace. Elle s’en était approchée au plus près. Mais dans une telle immensité, les distances spatiale, le temps, la matière, ne pouvaient être qu’approximatifs. Elle avait fini par retrouver le fil. Elle le tiendrait jusqu’au départ de ‘Ran avant de le lâcher dans l’inconnu… Elle ne pourrait alors plus lui venir en aide car elle avait sa propre mission. Tous les ponts vers elle, vers son peuple d’adoption, seraient coupés définitivement.

— Tu ne pourras avoir confiance à personne ici, ‘Ran. On t’empêchera peut-être de faire ce que tu dois faire. Lorsque nous nous reverrons, nous ne serons plus ce que nous sommes aujourd’hui. Tu ne nous reconnaîtras sans doute pas. Mais si tel était le cas, et si tu devais tuer l’un d'entre nous pour que la clé soit sauve, alors n'aie aucun remords à le faire. Même si cela devait être moi… Le plus important est que tu la protèges quoi qu’il t’en coûte. Si tu meurs, elle meurt, et si elle meurt, tout ce qui vit dans ce monde, connu ou non, mourra avec elle.
— Que se passera-t-il ensuite ? Et vous ?
— Quelle que soit l’issue, bonne ou mauvaise, nous ne serons plus. Comme tout ce qui aura existé à ce jour. Entre-temps, moi, je vais poursuivre mon propre chemin. J’ai ma propre mission à mener pour que la tienne réussisse.
— Je ne comprends pas.
— C'est ainsi. Comprendre ici et maintenant serait inutile.

Il devrait se contenter de cette réponse.
(Suite Chapitre 12.3)


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MessageSujet: Re: L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1)   L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1) - Page 3 EmptyMer 12 Juil 2017 - 11:32

L’ORIGINE DE NOS PEURS


Tome 1 : Esmelia



CHAPITRE 12.3


Suite du chapitre 12.2


Il évalua les présences qui s’agitaient autour de lui.
ILS vont me chercher.

Le chercheraient-ILS vraiment ? Après tout, il avait été banni de la communauté.
ILS ne te trouveront pas, et moi non plus... Pas immédiatement, du moins.
— Alors, tôt ou tard, ILS me retrouveront quand même.
— Un jour, peut-être, oui. À ce moment-là, tu devras faire un choix. Mais, peut-être que tu n’en auras pas la force. Moi, je ne pourrai pas lutter… Espérons seulement que quelqu'un d'autre aura pris le relais et que la Gardienne, la Clé, quelle qu’elle soit, quel que soit son véritable nom, soit à l'abri lorsque ce moment arrivera, et prête à faire ce que l’on attend d’elle...
ILS me trouveront, répéta 'Ran. Que me feront-ils ?
— S’ILS te retrouvent, 'Ran, ils te tortureront jusqu'à ce que tu leur dises tout ce que tu sais sur la Gardienne, la Clé.
— Je ne leur dirai rien.
ILS découvriront ton point de rupture.
— Je n'ai pas de point de rupture.
— Tu es différent de nous. Je t'ai choisi pour cette raison. Cependant, tu n'es pas une créature différente des autres. Et toutes les créatures vivantes ont un point de rupture.
— Alors, arrangez-vous pour que je n'en aie pas. Je sais que vous pouvez le faire.
— Alors tu souffriras encore plus... inutilement.
— Plus que maintenant ?
— Tu es un leurre, ‘Ran. Toute ton existence sera un leurre… destiné à les tromper… »

Elle avait senti sa colère monter comme une lame de fond. Elle envahissait tout son être. Les Tisseurs n’éprouvaient aucune émotion normalement. ‘Ran, lui, avait toujours détesté ce qui prédestinait les individus et leur ôtait toute liberté, tout libre-arbitre. Il n'était pas loin de se révolter contre elle... Contre EUX…

Elle devait l’apaiser coûte que coûte. Son agitation allait finir par attirer l’attention des autres tisseurs.

Esmelia se réveilla brutalement.

Du moins, c'était ce qu'elle avait d'abord cru, mais elle ne s'était pas retrouvée dans un lit, ni même dans son corps. Elle eut l’impression d’être estourbie, désorientée.

Mais elle comprit rapidement...

Un second rêve avait succédé au premier.

Cette fois, elle était une ombre qui se déplaçait dans les coursives labyrinthiques d’un vaisseau. Ce n’était pas celui de Baal. Elle se déplaçait, en silence, rapide et légère, sans hésitation, dans des galeries à peine éclairées, vers une destination précise.

Elle se trouvait en territoire ennemi, celui des drægans. Elle le sentait. Elle en eut la confirmation en voyant les labirés.

La plupart d’entre eux, qu'ils soient officiers ou serviteurs particuliers, hommes de troupe ou d'entretien, techniciens ou mécaniciens, dormait. Les autres, moins d'un quart d'entre eux, essayaient de tuer le temps comme ils le pouvaient. Chacun savait qu'à tout moment une attaque pouvait avoir lieu et mettre encore plus à mal ce qui restait de leur empire.

Bien que les labirés au service des drægans aient émis des doutes sur la notion "dieux", ils considéraient néanmoins ces derniers comme leurs "maîtres", car ils subvenaient à leurs besoins essentiels. Surtout, dieux ou pas, ils protégeaient leur famille, leurs amis, et leurs biens.

Seulement, les drægans ne gouvernaient plus des empires. Le fait qu’ils ne guerroyaient plus les uns contre les autres était une bonne chose pour les labirés. Mais ils n’en poursuivaient pas moins leurs entraînements physiques et psychologiques. Ils sentaient confusément qu’un autre ennemi frapperait, tôt ou tard, aux portes des galaxies dans lesquelles les derniers dieux drægans vivaient encore.

Le seul endroit où régnait une véritable activité était la piste d’appontage. Neuf vaisseaux y étaient alignés. Chacun transportait des Grands Chanceliers drægans, et des drægans mineurs. Lorsque ces derniers se croisaient, ils ne s'adressaient pas la parole. Ils se contentaient de s'observer à la dérobée puis ils s'éparpillaient dans le vaisseau de leur hôte, comme s'ils en connaissaient parfaitement les couloirs dont les faibles lumières bourdonnaient comme les abeilles d'une ruche.

Elle en déduisit, d’une part que tous les vaisseaux drægans étaient construits sur le même modèle. D’autre part, que leur hôte avait pris soin de mettre à la disposition de ses invités des quartiers suffisamment éloignés des uns et des autres pour qu’ils n’aient pas à se rencontrer plus que ne l’exigeait leur protocole.

Baal avait sûrement apprécié l’attention...

Elle percevait des bruissements, des craquements, des grincements, des sifflements, des martèlements... Tous les sons d'une activité souterraine propre à un gigantesque vaisseau spatial, qu'il soit de conception dræganne ou non. Ces vaisseaux vivaient leur propre vie. Ses habitants souterrains faisaient ce qu’ils avaient à faire, conscients que la moindre erreur pouvait coûter la vie à leur maître et à ses congénères. Facultativement, à la leur.

Mais ce qu’ils craignaient par-dessus tout, c’est l’opprobre qui serait jetée sur eux, sur leur famille et sur leurs descendants, s’ils commettaient le moindre impair. Une honte qu’aucun ne souhaitait avoir à subir. Pour éviter cela, ils étaient prêts à accepter toutes les contraintes et bien des sacrifices.

Pour l’heure, ils se montraient extrêmement discrets mais, à n’en pas douter, ils devaient faire preuve d’une vigilance toute aussi extrême.

Comme tous les vaisseaux qui s’étaient regroupés autour de Lahassa, l’une des deux planètes viables de la galaxie de Tur’in, le vaisseau de leur hôte était passés en mode furtif : invisible et immobile.

Le moindre mouvement pouvait entraîner une collision en chaîne entre les vaisseaux. Aucun drægan ne tenait à voir l'Histoire de sa civilisation s'achever sur le premier carambolage de l'Histoire de la navigation spatiale, toutes espèces confondues. Personne ne tenait à être responsable d'une inscription au Livre des Toutes Premières Fois Peu Glorieuses.

Tout en suivant deux drægans femelles, elle s’était sentie investie par des pensées qui lui venaient de partout dans le vaisseau, et au-delà. Grâce à cela, elle avait deviné la présence des autres vaisseaux autour de la planète.

Autre sensation curieuse, celle de se sentir elle-même et toute autre à la fois, sans doute sous l’influence de son rêve. Ce n’était pas foncièrement désagréable, au contraire. Mais si elle creusait un peu ce sentiment, cela devenait effrayant aussi. Si effrayant qu’instinctivement, elle préférait prendre ses distances avec cette autre partie qui lui était étrangère, et qui cherchait à prendre le contrôle de son corps et de son âme.

Elle décida de s'intéresser aux drægans pour oublier son mal.

L'une se nommait Perséphone, l'autre Ereshkigal. Elles étaient arrivées sur le vaisseau d'un troisième drægan, Enki.

Esmelia avait remarqué le regard courroucé qu'avaient posé sur elles, deux Chanceliers, Horus et Teutatès, lorsqu’elles étaient descendues du vaisseau d’Enki. Leur mécontentement était légitime de leur point de vue. Horus avait préalablement recommandé que les anciens dieux, en particulier les Chanceliers, anciens ou actuels, évitent de voyager, dans un même vaisseau, au cas où une attaque serait portée contre eux.

Perséphone, Ereshkigal et Enki avaient dû oublier cette consigne ou en penser tout autrement. Peu désireuses de suivre les ordres de leurs semblables, les deux femmes drægans ne s’en étaient pas préoccupées. Elles pensaient que si quelqu'un désirait les supprimer, il pourrait le faire, ou du moins tenter de le faire, n’importe quand, n’importe où et n’importe comment, qu’elles soient isolées ou au milieu d’une foule de leurs semblables.

Elles n’avaient pas tort.

Des drægans avaient été assassinés dans des combats au corps à corps, empoisonnés au cours de banquets, victimes d’accidents de chasse ou d’explosions dans leur palais, ou encore avaient été attaqués alors qu’ils étaient à bord d’un vaisseau spatial.

Cette indépendance d’esprit caractérisait l'espèce. Surtout lorsqu'elle était dotée d'une hiérarchie aussi présente, et pesante, que la leur. Plus encore lorsqu’une menace mortelle pesait sur elle.


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L’ORIGINE DE NOS PEURS


Tome 1 : Esmelia



CHAPITRE 13.1


Du 10 au 15 mai 2125 du calendrier grégorien. XXIIe siècle. Date et lieu stellaire inconnus.

Perséphone était une jeune femme grande et élancée dont on pouvait rarement oublier la présence sous sa cape noire. Il y avait en elle une forme de retenue, une grâce aristocratique qui attirait immédiatement les regards. Sa capuche cachait ses longs cheveux blonds presque dorés, son front haut et son regard d’un bleu cristallin brillant d’intelligence. Son visage pouvait passer pour celui d'une poupée de porcelaine avec ses grands yeux et son nez légèrement retroussé, mais il évoquait davantage la tête d'une musaraigne par sa vivacité. Elle avait encore une bouche aux lèvres fines peintes en rose pâle. Son maquillage discret était son seul artifice. Ce qui offrait un contraste flagrant avec celui d'Ereshkigal.

Elle n'était pas du genre à s'embarrasser de bijoux et autres rocailles dont se paraient d’autres déesses. En fait, elle n'avait sur elle, en tout et pour tout, que sa lourde cape de bure noire. Son vêtement suggérait immanquablement une autre silhouette, bien qu'on lui eût normalement donné encore une cinquantaine de centimètres de hauteur en plus, mais guère plus d'épaisseur. Il ne lui manquait plus qu'un outil qu'elle pouvait sans doute trouver dans certaines des contrées agricoles archaïques sur lesquelles elle avait encore quelque influence.

Ereshkigal avait peu vu la lumière depuis qu'elle avait parasité son dernier hôte, avant même qu’il sache se faire comprendre de sa nourrice, il y avait quelques siècles. Sa peau était d'un blanc si laiteux qu'on avait l'impression d'y percevoir, par endroits, un réseau de veines dont la couleur oscillait entre le bleu et le vert.

Guère plus âgée que Perséphone, plus petite, moins charpentée et plus osseuse, sa silhouette et son port de tête évoquaient une danseuse au sommet de son art. Une lourde couronne d'ambre finement sculptée couvrait sa tête du bas de son front jusqu'à l’arrière de sa nuque. Il était impossible de voir le moindre cheveu ou même ses oreilles qui pouvaient aussi bien être pointues qu’absentes.

La partie supérieure de son petit visage ovale était peint en gris souris d’une pommette à l’autre. Autour de ses yeux étaient tatoués de nombreux motifs en arabesques de couleurs irisées que le gris de son maquillage faisait particulièrement ressortir. Elle avait le plus étrange des regards que l’on eut vu, même chez un drægan humanoïde. Ses pupilles étaient d'un rouge carmin profond, entourées d'un iris d'or mouvant baignant dans un fond noir d’encre.

Dans certaines galaxies, elle n'était qu'une déesse des enfers parmi d'autres. Un titre qu'elle partageait avec Perséphone. Dans celui qu'elle avait choisi, sur une petite planète obscure, dans tous les sens du terme, sur laquelle subsistaient des formes de vies étranges et incompréhensibles pour un être humain, elle était LA déesse incontestée des enfers. Parmi les drægans, on préférait se trouver avec une dizaine d’ennemis redoutables plutôt que seul en présence d’Ereshkigal. Elle les mettait presque tous mal à l'aise. En règle général, personne n'osait l'affronter du regard, ni la fixer trop longtemps. Elle ne souriait jamais. Les lèvres naturellement carmines de sa petite bouche ne se décollaient jamais l'une de l'autre, même pour parler. D'ailleurs, aucun drægan ne se souvenait avoir entendu sa voix, pas plus que celle d’un seul de ses labirés qui avaient adopté la même représentation visuelle que leur maîtresse et son attitude.

Pour tout vêtement, elle portait une longue robe de tulle et de dentelle noirs parcourus de petits cristaux argentés qui évoquaient les étoiles d’une nuit profonde. La coupe mettait en valeur sa taille très fine et ses longs bras qui se terminaient par des mains larges aux doigts longs comme des serres. Ses mains étaient peintes en noir jusqu’aux avant-bras.

L'enfer n'était pas la seule chose qu'Ereshkigal partageait avec Perséphone. Il y avait Enki qui avait été le compagnon et amant de la déesse des enfers, et était maintenant celui de la maîtresse des mondes souterrains. Quelques mauvaises langues parmi leurs pairs prétendant être plus renseignées que d’autres évoquaient même un ménage à trois. Et des trois celui qui s’amusait le plus de ces rumeurs était sans doute Enki.  

Celui-ci rejoignit les deux femmes d'un pas rapide et s'immisça entre elles, les attrapant l'une et l'autre par la taille. Un geste qui se voulait autant amical envers l’une et l’autre, une manière de les assurer de sa fidélité au cas où les choses tourneraient mal pour l’une ou l’autre, et provocateur envers tout autre témoin de la scène. Enki était ainsi. À la fois exubérant, provocateur, beau parleur lorsqu’il s’agissait de séduire, mais plutôt sage et prudent lorsqu’il était question de sa survie ou de celle de ses alliés.

Humanoïde, un peu plus grand que Perséphone, il n’avait rien d’un véritable athlète, mais il était suffisamment bien fait physiquement pour s’imaginer être un bourreau des cœurs. Ce genre de familiarité, aucun drægan ne se le permettait en public, mais il n’en avait pas grand-chose à faire. Même lorsqu'il perçut des bruits de pas, devant eux, il ne s'écarta d'elles que lorsqu’elles le repoussèrent. Tous ses muscles réagirent à la possibilité d’un combat à venir. Elles avaient perçu son changement d’attitude. Elles ralentirent le pas pour le laisser prendre de l'avance. Tous les trois étaient attentifs au moindre bruit, au moindre mouvement dans l’air ambiant. Leurs pas s’étaient faits aussi silencieux que ceux d’un félin.

Malgré ses airs de rock-star et son apparence fragile, il était connu pour être un redoutable combattant. Sa main s’était déplacée d’un mouvement naturel sur la garde de la dague qu’il portait toujours à sa ceinture.

Enki avait la peau brunie par le soleil de la planète désertique sur laquelle il avait élu domicile. Ses cheveux, d'un brun soyeux, étaient longs et épais. Ses yeux, pupilles et iris, étaient d’une couleur sombre. Sa barbe était plus courte que les poils apparaissant sous son gilet de cuir marron au niveau du torse et de ses aisselles. Enki avait tout d'un dandy totalement décadent se fichant des usages et des convenances.

Il était aussi connu pour ses performances amoureuses que pour ses inventions abracadabrantes. À la différence de celles de Baal, malgré ses efforts, ses inventions avaient toujours du mal à exploser.

Le temps et les prêtres qui le vénéraient avaient enjolivé les légendes courant sur Enki, ou Éa, son autre nom. Il pouvait aussi, lorsque l’envie lui en prenait, se lancer dans les paris les plus fous, les plus improbables, ou encore fréquenter des gens ou des créatures peu recommandables, quitte à essayer de les arnaquer. Ce qui arrivait inévitablement après quelques semaines, quelques jours, voire quelques heures de fréquentation. C’était là un de ses passe-temps favoris.

Il s’était souvent retrouvé dans des situations extrêmes et dangereuses, mais il avait toujours bénéficié d’une chance insolente. Il était d’ailleurs été légitime de se demander pourquoi il n’avait jamais été élu dieu de la chance, ou même dieu des chats car comme eux, il était malin, patient et retombait toujours sur ses pattes. On aurait même pu croire qu’il avait déjà vécu trois ou quatre vies.  
 
Les pas se rapprochèrent. Lentement et discrètement, la main droite d'Enki empoigna la garde de sa dague, tandis que son autre main se refermait sur un petit objet censé la rendre lourde et solide comme de l'acier.

Au détour d'une coursive, apparurent trois autres drægans : la lugubre Lara qui avait été durant des siècles, la souveraine particulièrement sanglante d'un peuple féodal vivant sur une minuscule planète forestière.

Elle était suivie de Priape dont on pouvait comprendre qu'il valait mieux parler d'un organe unique de son anatomie plutôt que d'une partie inexistante de sa figure. En effet, la peau de sa joue gauche était si fine, si tendue, qu'elle semblait prête à se déchirer. Elle laissait entrevoir une absence de chair, quelques muscles, et une partie de denture que l’on ne voyait habituellement jamais chez un être humain autrement que sur une radiographie, ou bien des années après qu’il soit trépassé, enterré, et que tous les agents de la nature aient effectué leur travail.

Priape avait changé d'hôte de nombreuses fois et, bizarrement, la dégradation physique de celui-ci commençait toujours par cette partie du visage. Cela pouvait prendre quelques années avant que cela soit perceptible. Une fois que cela l'était, de mois en mois, puis de semaine en semaine, et enfin de jour en jour, cela devenait de plus en plus dérangeant à voir, et sûrement de moins en moins fonctionnel pour lui. Pragmatique, il changeait d'hôte lorsque la nourriture prenait la direction de sa joue au lieu de celle de son œsophage ou lorsque l’un de ses globes oculaires menaçait de le faire ressembler à un personnage d'une toile de Picasso.  

Nul ne savait pour quelle raison le corps de son hôte, quel qu’il soit, se dégradait. Il était le seul drægan à avoir renoncé à investir le corps trop fragile d’un nouveau-né ou d’un enfant en bas âge. Inévitablement la dégradation aurait été plus rapide. Chaque migration vers un autre corps est de plus en plus difficile. Plus elles étaient nombreuses, plus elles le conduisaient vers une mort certaine. Exceptionnellement, à l’époque où ils existaient encore, les Primordiaux lui avaient accordé le droit d’investir des humanoïdes adultes. Au moins pouvait-il espérer pouvoir les incarner durant quelques dizaines d’années avant de changer à nouveau d’hôte. Voire aller jusqu’au terme de leur cycle, ce qui facilitait la transition. C’était sans compter avec les évolutions scientifiques et des espérances de vie qui reculaient toujours plus chez de nombreuses civilisations.

Pour l'heure, il n'en était pas encore là.

(Suite Chapitre 13.2)


Dernière édition par Ihriae le Mer 26 Juin 2019 - 12:06, édité 4 fois
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L’ORIGINE DE NOS PEURS


Tome 1 : Esmelia



CHAPITRE 13.2


Suite du chapitre 13.1

Le troisième drægan était aussi jeune et beau que Priape était âgé et contrefait. Mais il n’ignorait pas ce que cela faisait d’être infirme. Il l’avait été dans une autre vie, à la suite d’une guerre intestine.  

Dans ses traits juvéniles transparaissaient une volonté de fer, et un appétit féroce pour la bonne chair, la boisson, le sexe et le jeu. Il avait la réputation d'être insatiable dans ces domaines. Il se nommait Bacchus. Drægan et dieu sans royaume, il avait élu domicile chez Priape. On les voyait rarement l'un sans l'autre. Ils étaient même devenus l'objet de quolibets de la part de certains de leurs pairs. D’autres préférant n’en rien dire, certains que la riposte lorsqu’elle viendrait serait sanglante.

Un quatrième drægan sortit à leur suite de l'obscurité comme un démon de sa boite. Sa présence les surprit tous. Il boitait d'une manière appuyée en suivant Lara, Priape et Bacchus de quelques pas, silencieux comme un matou à la patte traînante. En apparence entre deux âges, son hôte avait le physique d’un homme de cinquante et soixante ans qui n’aurait pas pris soin de lui à grands coups de cosmétiques, mais qui en aurait tout de même utilisé un minimum. Il était aussi entre deux poids, plume et lourd, ce qui laissait supposer qu’il aimait prendre du bon temps, mais qu’il devait exercer une forme d’activité sportive. Ses cheveux, eux aussi, étaient entre deux couleurs : le gris et le blanc. Il avait des lèvres pincées, un regard dur, un front haut et un menton bas. Il était connu des siens et de ceux sur lesquels il avait régné sous le nom d’Ishkur.

Il était aussi connu sous le nom de Teshub et avait été très lié à Baal dans un lointain passé. Ils partageaient de nombreux penchants et ne rechignaient pas à s’affronter sur ces terrains. Mais Ishkur était aussi connu comme un être volubile. Ce qu’il donnait d’une main, il pouvait le reprendre de l’autre. Joyeux un instant, colérique la minute suivante. Ami un jour, ennemi le lendemain. Il était difficile de savoir ce qu’il pensait vraiment. La rumeur disait encore qu’il avait assassiné son épouse, Shala, de ses propres mains, et envoyé quelques-uns de ses rares amis dans les geôles de Cottos. Un seul en était sorti vivant : Baal. Quant à ceux qu’il n’avait pas trahis, ils avaient pris le large, car ils s’étaient dit que tôt ou tard, leur tour viendrait...

Les drægans n’échangèrent aucune parole. D'ailleurs, il leur aurait été difficile de le faire sans crier à cause des martèlements, craquements et grincements ambiants. Déjà naturellement sur leurs gardes car ils se méfiaient, souvent avec raison, des uns et des autres, ils préféraient être attentifs aux endroits où ils posaient leurs pieds. Le tunnel était devenu une passerelle étroite. Le moindre faux pas pouvait à tout moment les précipiter, vers une fin prématurée, une vingtaine de mètres plus bas.

Esmelia les voyait, les observait, parfois comme s’ils étaient devant elle, mais ils ne la voyaient pas. Apparemment, ils ne la percevaient pas non plus. Par quel miracle, si ce n’était celui du rêve où l’impossible devenait possible… Où elle se sentait elle-même et quelqu’un de tout autre… Assez étrangement, c’était dans cet Autre qu’elle se reconnaissait. Elle reporta son attention sur son environnement.

Plus elle suivait les drægans à travers ce dédale d'acier, plus elle doutait être à l'intérieur d'un vaisseau spatial. Cet endroit était beaucoup trop grand, trop profond, trop bruyant, même pour un vaisseau amiral. Il évoquait plus le cœur d'une gigantesque station spatiale, positionnée quelque part dans l'espace…

Le passage d’un lieu à un autre avait dû se faire à la sortie d’un tunnel. Ils avaient certainement franchi une bouche. Il n’y avait cependant pas eu de tunnel. La téléportation avait été quasiment instantanée. Peut-être les drægans utilisaient-ils différents types de téléportation...

Les drægans s'arrêtèrent sur une passerelle qui offrait un accès vers trois voies. Ils hésitèrent un moment. Une quatrième porte, cachée des regards, même des plus attentifs, s'ouvrit dans un grincement lugubre. Un labiré vêtu d’une simple tunique blanche, sans signe d’appartenance à l’une ou à l’autre des maisons dræganne, apparut et les invita à entrer.

La porte était basse et petite. Perséphone entra la première. Elle dut baisser la tête pour passer sous le linteau. Les uns après les autres, les drægans la suivirent. Ils avancèrent dans un couloir encore plus étroit que ceux par lesquels ils étaient déjà passés. Ne pouvait s’y faufiler qu’une seule personne à la fois. Un véritable coupe-gorge au bout duquel ils pouvaient apercevoir une forte lumière. Avant d'y accéder, ils durent passer au travers d’un barrage de voiles colorés qui, lorsqu'ils les touchaient, leur laissaient une impression désagréable qui n’était pas sans rappeler celle d’un "gratte-langue", une plante invasive, urticante et collante qui foisonnaient sur une grosse planète particulièrement humide. Savaient-ils qu’il s’agissait en fait d’un système de sécurité destiné à vérifier qu’ils ne portaient aucune arme, quelle qu’elle soit, et le cas échéant à la neutraliser ? Et elle, comment pouvait-elle le savoir ?

La surprise d’Enki, lorsqu’il découvrit que sa précieuse dague avait disparu, n’échappa à aucun d’entre eux. Tous vérifièrent de manière plus ou moins discrète s’ils possédaient toujours quelques moyens de défense. Aux regards méfiants qu’ils se jetèrent ensuite les uns aux autres, il était évident qu’ils en avaient totalement été dépouillés.

Ce qu'ils découvrirent ensuite n'avaient rien à voir avec une salle des machines ou les cales d'un vaisseau spatial. Apparemment, aucun des drægans présents n'était encore venu en ces lieux. Même la cénobitique Lara avait les yeux arrondis par la stupéfaction, tandis que le sombre Ishkur gardait la bouche ouverte en tournant sur lui-même sans savoir où poser son regard.

D’autres groupes de drægans sortirent de l’obscurité. Chaque "divinité" affichait une expression de surprise. Sauf une, une jeune fille en robe et bottines noires que sa labirée dirigeait avec précaution car elle était apparemment aveugle. Sa cécité était encore une étrangeté chez un drægan. De même que sa jeunesse apparente. Plus d’un parmi eux aurait donné cher pour posséder son hôte, ou son secret si la dræganne en avait un, pour posséder cette jeunesse qui perdurait depuis un bon millénaire. Une chose qui ne s’était encore jamais vu. Priape était évidemment parmi les premiers à l’envier. Lara et Scáthach le talonnaient de très près.

Par nature autant que par tradition, les drægans investissaient des hôtes très jeunes dont la conscience n’était pas encore construite : des bébés ou des êtres dans leurs toutes premières années, plus rarement des adolescents, mais uniquement des « sans âmes ». Ils n’existaient que dans certaines civilisations et étaient particulièrement rares. Quel que soit l’hôte, sa malléabilité devait permettre à l’esprit du nouvel occupant de s’ajuster plus aisément, et de prendre pleinement possession de son nouveau véhicule. Physiquement, leur croissance se poursuivait à un rythme naturel jusqu’à l’âge de la puberté, mais lors des premières incarnations, il fallait plus de temps pour qu’un drægan parvienne à manipuler le processus de renouvellement des cellules, et à en ralentir progressivement le vieillissement jusqu’à ce que celui-ci devienne imperceptible d’une décennie à l’autre. Ils ne pouvaient pas stopper totalement l’horloge biologique de leur hôte, ou ne le savaient pas encore. En cela, l’improbable jeune dræganne attisait leur curiosité.
 
Esmelia s’intéressa aux autres drægans. Elle en compta jusqu’à vingt-cinq. Parmi eux, se trouvaient six des sept chanceliers divins actuels.

Quel que soit leur rang, tous les drægans étaient impressionnés par la puissance écrasante du lieu, ce qui n’était pas peu dire.

Ils se trouvaient dans une vaste pièce circulaire.

Au-dessus d’eux, flottaient d’énormes globes phosphorescents de tailles et de couleurs différentes qui se déplaçaient dans l’espace central. Sans être reliés les uns aux autres, sans source d’énergie apparente, ils parvenaient à y apporter une forme de luminosité proche de celle d’une matinée de printemps légèrement brumeuse.

Des colonnes de pierres gravées de motifs très anciens dont certains devaient être des écritures, d’autres des dessins, autrefois colorés, étaient disposées autour du cercle de lumière créé par les globes. Esmelia fut surprise de constater que, contrairement aux drægans présents, elle parvenait à les déchiffrer, et à les comprendre... Des maximes, des adages, des prédictions, des formules mathématiques… des énigmes dont on avait perdu la réponse, et l’utilité depuis des milliers d’années.

De lourds sièges de grès et de pierres précieuses, à l'évidence peu confortables, étaient installés devant chaque colonne. Au centre de la salle circulaire, il y avait une dalle amovible légèrement surélevée, sans doute destinée à un orateur. Celui-ci allait-il apparaître comme par magie, projeté par un système holographique des plus perfectionnés ?

Esmelia reporta son attention sur les drægans arrivés dans l’atrium en même temps que le groupe qu'elle avait suivi. Elle mit immédiatement un nom sur quatre d'entre eux : Rhadamanthe, Anat, Frey, et Teutatès. Elle avait l'impression de les connaître... Quatre autres lui parurent vaguement familiers. Les drægans se répartirent en trois groupes distincts. La plupart des membres de l’un haïssait foncièrement les membres des deux autres. Au mieux, quelques-uns ne les aimaient pas.

Du côté du ténébreux Rhadamanthe aux allures de prince du désert, s’étaient rangés Anat, Metis, Teutatès, Shamash, Tsukuyomi, Bacchus et Enki.

(Suite Chapitre 13.3)


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MessageSujet: Re: L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1)   L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1) - Page 3 EmptyMer 12 Juil 2017 - 11:46

Tome 1 : Esmelia



CHAPITRE 13.3


Suite du chapitre 13.2


Anat avait revêtu, pour l'occasion, un sari rose et or. Un voile de soie dans les mêmes couleurs couvrait la moitié supérieure de son visage. Sa peau ambrée, son nez, ses lèvres, sa mâchoire, son menton et son cou laissaient néanmoins deviner la très belle femme qu’elle était. À égale distance de sa jeunesse et de ses vieux jours, le temps n’avait pas eu de prise sur sa beauté, au contraire. Elle n’ignorait rien de la fascination qu’elle suscitait chez les mâles, quelle que soit leur espèce, pourvu qu’ils se déplacent sur deux pattes et soient nantis d’un minimum de capacités intellectuelles. Même en ces lieux qui lui étaient étrangers, parmi quelques-uns des plus hauts représentants drægans, elle en jouait en se déplaçant avec grâce et nonchalance parmi les autres.

Métis, d’un tout autre genre, était une femme à la chevelure longue et épaisse d'un roux incendiaire. Grande et élancée, elle portait une robe mauve, dont la coupe ressemblait à celle d'une femme de la Rome Antique, qui valorisait ses attributs généreux. Ses doigts, longs et fins étaient couverts de bagues aux pierres colorées, et des bracelets dorés dansaient en cliquetant autour de ses poignets à chacun de ses mouvements. Les talons de ses chaussures étaient démesurément hauts et lui donnait une tête de plus que les autres drægans. L’hôte de Métis devait approcher les quarante ans. Comme tous ceux de son groupe, elle était d’apparence humaine, incontestablement, mais une autre espèce pointait le bout de son nez dans son génome, car pas une seule fois, depuis qu’elle était entrée en ces lieux, ses yeux d’un vert profond n’avaient cillé. Plus encore, elle avait paru sentir sa présence lorsqu’elle s’était approchée d’elle. Esmelia prit alors la décision de l’éviter tant qu’elle ne représentait pas un danger.

Teutatès avait la réputation d’être un solitaire, une créature si secrète qu’il était impossible de connaître ses opinions, ou ses réactions. Son empire, s’il en avait eu un, n’avait jamais fait parler de lui. On le disait sage et avisé. C’était ce qui lui avait valu sa place au Conseil des Chanceliers Divins. Son hôte avait l’âge de la maturité, même si sa chevelure sombre n’en portait pas encore beaucoup la trace. Il n’était pas particulièrement grand, ni musclé. Son regard vert aux reflets bruns et or cherchait à percer les ténèbres qui les entouraient par-delà les colonnes de pierres. Il répertoriait mentalement les dangers susceptibles de les menacer. C’est à son regard qu’elle le reconnu… Il avait le regard de l’Homme triste du marché aux esclaves. Nerveux, il se demandait pourquoi lui et les autres avaient été réunis dans un tel lieu. Il ne doutait pas qu’ils aient été tous désarmés, mais cela ne le rassurait pas pour autant. Il sentait aussi sa présence, mais pas comme une menace. Plutôt comme une donnée incertaine.

Shamash paraissait beaucoup plus jeune que le "dieu sanglier". Plus grand, plus large d’épaules, plus insouciant... Il était d’une beauté beaucoup moins classique que celle de Bacchus ou d’Apollon, beaucoup moins exotique que celle de Rhadamanthe, et différente de celle, orientale, de Tsukuyomi. Son hôte était d’origine terrestre. Esmelia décelait chez lui une ascendance à la fois européenne et africaine. Il était grand et athlétique comme un nageur olympique, ou un surfeur californien… Son visage tout en angles avec des pommettes saillantes ne sembler pas receler la moindre malice. Ses cheveux longs et crépus lui tombaient dans le dos. Sa peau était claire, mais un peu de soleil en changerait radicalement la couleur. Cela dit, dans l’espace comme sur certaines planètes, le bronzage au soleil équivalait à jouer le rôle d’une brochette au-dessus d'un barbecue…

Les labirés de l’empire de Shamash avaient été parmi les premiers à se soulever contre les drægans. Ils avaient détruit tout ce qui les représentait. La tête de leur ancien maître et dieu avait été mise à prix dans deux des galaxies sur lesquelles il avait régné. Aussi, Shamash évitait-il de rester trop longtemps au même endroit.

Il avait été surpris par cette rébellion. Il n’était pourtant pas de ceux qui régnaient par la cruauté et la peur. Néanmoins il avait contre lui de n’avoir jamais caché ce qu’il était, et d’avoir profité des privilèges que lui conférait sa nature aux yeux des êtres qu’il considérait comme inférieurs aux drægans. Lorsque les temps étaient au raccourcissement, il en allait comme pour les rois et pour ceux qui évoluaient trop près d'eux : on ne perdait pas de temps à leur demander s’il voulaient garder leur tête entre leurs deux épaules et la vie sauve.

Comme son nom l’indiquait, Tsukuyomi avait l’apparence d’un asiatique. Ses traits étaient fins et n’étaient pas sans rappeler ceux d’un autre personnage qu’elle avait rencontré quelques semaines plus tôt. Et pour cause, il était le frère de Susanoo. Comme lui, il avait un visage volontaire.

Toutefois aucune trace d’un orgueil mal placé n’y transparaissait. Il avait des cheveux longs, tirés en arrière, excepté au niveau des oreilles où ils avaient été coupés ras ainsi que sur la nuque. Il portait l’armure d’un guerrier de la Chine moyenâgeuse, mais bien moins archaïque. Elle n’avait cependant rien de dangereux car elle avait été désactivée par les voiles "gratte-langue".

Bacchus et Enki complétaient le groupe.

Face à eux, les membres du deuxième groupe inspiraient autant confiance qu’une tribu de cannibales affamés suite à des années de régime végétalien et de mode de vie vegan, découvrant un groupe d’explorateurs perdus sur leurs territoires de chasse.

En plus d'avoir l'air d'un matou nonchalant, Ishkur avait l’attitude d’un joueur de poker venant d’entrevoir la possibilité de rafler la mise en une seule fois.

Quant à Lara, le regard qu’elle portait sur ses congénères était plus glaçant que le vent en Antarctique.

Les deux drægans listaient mentalement les différents moyens pouvant leur permettre de se débarrasser des autres sans passer pour les coupables évidents.

Frey, avec son allure de boucanier, était pareil à lui-même : hautain et calculateur. Lui aussi se demandait comment nuire aux autres. Dans son regard gris acier brillaient la ruse, la jalousie et une méchanceté sans fond. Ce qui en était presque choquant pour un jeune homme qui ne paraissait pas avoir plus de trente ans, et dont la beauté sauvage attirait immédiatement les regards de toutes les identités de genres et d’espèces humanoïdes, voire quelques autres.

Ésus, quant à lui, respirait la gentillesse et la sagesse. Son physique de professeur de littérature inspirait la confiance. Mais son regard indéchiffrable, trop volubile, rappelait celui d’un dangereux déséquilibré souffrant d’un dédoublement de la personnalité. Le genre qui aurait des envies de manipuler des naufragés dans un vaisseau en perdition ou sur une île déserte pour qu’ils s’entre-tuent.

De tous, Erra semblait vraiment le plus sympathique, et le plus humain. Il savait que la première impression était toujours celle qui comptait le plus. C’était exactement pour cela qu’il avait choisi son hôte avec soin. Un bel homme athlétique, d’une quarantaine d’années, aux cheveux châtains souples et ondulants, et à la barbe naissante qui lui donnait un genre mauvais garçon comme s’il voulait correspondre au critère dominant de son groupe, sans y parvenir. Dans son regard cohabitaient intelligence, ironie et méfiance, ainsi qu’une bonne dose de ruse. Il avait une beauté sauvage et naturelle que bien des drægans lui enviaient.
 
Difficile de dire si Moccus était beau. Selon les critères humains, il ne l'était pas. Il n'était d'ailleurs pas humain. De type humanoïde, certes, mais pas humain. Sa peau était grise et donnait l'impression d'être rugueuse comme du granit. Si son visage comportait deux yeux, ronds et noirs, une bouche aux lèvres très fines à la pigmentation bleu marine, il était caractérisé par l'absence de nez. À la place, il y avait une sorte de bosse. Le reste de son visage était parcouru d'autres renflements plus discrets et de lignes qui n'appartenaient à aucune espèce connue. Il était une incongruité aux yeux des autres drægans qui se demandaient comment et pourquoi l’un des leurs avait pu choisir un tel hôte. C’était un choix qu’il avait fait en toute connaissance de cause. Il entendait bien ne pas rendre de compte à ses semblables sur ce point.

Celle qui portait toute la laideur de son âme sur son visage se nommait Scáthach, une jeune femme de taille moyenne, assez menue. Ses bras et ses jambes étaient si maigres qu'on pouvait craindre qu'ils se brisent. Elle n'avait ni cheveux, ni sourcils, ni cils. Ses arcades sourcilières étaient proéminentes. À chaque fois qu'elle reniflait, son nez se retroussait. Ses grands yeux bruns, horizontalement étirés, n'étaient pas ceux d'une asiatique. Ils étaient plutôt ceux d'un animal, un oiseau de proie, et lui donnaient, sinon un air de prédateur, celui de quelqu'un qui se réjouissait du mauvais coup qu'elle allait jouer et des bénéfices qu'elle allait pouvoir en tirer. Et c’était bien ce qui occupait ses pensées en permanence. Une ligne noire traversait, en son milieu, son front bas, longeait l'arrête de son nez mutin, coupait ses lèvres charnues et rouges comme une cerise, et glissait jusqu'au bas de son menton de petite fille boudeuse. Elle disparaissait pour réapparaître le long de son cou, avant de filer sous son vêtement, une robe vaporeuse de couleur pêche qui se confondait avec sa propre peau. Elle ne portait aucun bijou, aucune parure. Juste sa robe et une paire de sandales rouge sang assorties à ses lèvres et à ses longs ongles. Ses pieds étaient comme des mains. De plus, elle avait taillés chacun de ses ongles pour en faire des griffes acérées. Les seules armes qui lui restaient encore… Un avantage qu’elle avait sur les autres et dont elle mourrait d’envie de se servir.

(Suite Chapitre 13.4)


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MessageSujet: Re: L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1)   L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1) - Page 3 EmptyMer 12 Juil 2017 - 11:50

Tome 1 : Esmelia



CHAPITRE 13.4


Suite du chapitre 13.3


Les membres des deux groupes gagnèrent les sièges opposés les uns aux autres, obligeant le troisième groupe qui se voulait neutre, à se séparer pour marquer une frontière de part et d’autre du cercle, entre les deux clans.

D'un côté s'installèrent Taranis, Perséphone, Ereshkigal, Damona et Divona. De l'autre, les deux Chanceliers divins Horus et Apollon, puis l'aveugle Circé, Boann et Priape. À la droite d’Horus restait une place vacante, ainsi qu'à la gauche de Priape. Il manquait encore deux drægans pour que l'assemblée soit complète. Derrière Circé, la blonde Calliope, sa labirée, gardait la tête haute, et observait, sans le cacher, chacun des participants, ce qui était contraire au protocole concernant les serviteurs.

Esmelia comprit son erreur, plus vite qu’elle ne la sentit. Calliope n’était pas une labirée, mais une dræganne. Pourtant son esprit était autant celui de son hôte humanoïde que celui d’une dræganne. Les deux personnalités s’étaient diluée l’une dans l’autre dans un parfait équilibre pour créer une sorte d’être psychiquement hybride. Une alchimie tellement admirable qu’elle pouvait cacher sa nature véritable même à ses pairs qui, habituellement, se reconnaissaient d’instinct comme appartenant à la même espèce, voire à la même ethnie draeganne.

A part Circé, les autres ignoraient qu’elle n’était pas une labirée, un rôle qu’elle savait jouer à merveille depuis des années, avant même de se lier à Circé, et qui lui avait sauvé la vie plus d’une fois.

Les quelques drægans qui portaient son attention sur elle focalisaient avant tout sur sa drôle de façon de les observer. Son regard ne fixait personne en particulier, et pourtant, elle semblait ne perdre aucun détail de ce qui se passait autour d'elle sans même bouger la tête. Les drægans en éprouvaient une gêne certaine avant de s'habituer à sa présence, puis ils finissaient par la remiser dans un coin étroit de leur esprit, à défaut de pouvoir l’oublier totalement. Plus ou moins, car par intermittence, la fausse servante mâchait quelque chose avec une énergie qui leur manquait à tous en ces instants. Il leur était difficile de ne pas le remarquer, et de ne pas ressentir un agacement galopant les envahir.

Le silence s'abattit durant de longues minutes sur l'assemblée. Soit personne n'osait prendre la parole, soit tous préféraient attendre les deux absents avant de commencer à discuter des sujets qui les préoccupaient.

Ishkur et Erra dormaient… Comme deux innocents.

C'était du moins ce que l'on pouvait dire du premier. Ses ronflements résonnaient de plus en plus fort et commençaient à énerver quelques-uns de ses voisins proches autant que les mastications de Calliope. De temps à autre, Ésus, lui poussait le coude de son accoudoir pour le réveiller.

Erra, lui, gardait les yeux fermés, les coudes posés sur les accoudoirs de son fauteuil de pierre, et les mains jointes en pyramides devant sa figure. Contrairement à ce qu’il laissait paraître, il ne dormait pas. Les sens en éveil, il analysait la situation dans son ensemble.

Un labiré sortit de l'ombre et vint servir une boisson de couleur dorée et de consistance épaisse à Horus.

L’ancien dieu, dont le port restait aristocratique cachait les différents revers qu’il avait subi ces derniers temps, se pencha en avant pour apercevoir la très blonde et très ronde Boann, trois places plus loin sur sa gauche, et leva sa coupe à son intention. Il avait un petit faible pour les créatures bien en chair, sans pour autant dédaigner les autres et tenait à le faire savoir autant à l’intéressée qu’aux autres mâles présents. Une manière de marquer son territoire.

Elle le remarqua et lui rendit son sourire qu’il jugea rempli de perspectives alléchantes. Au moins, si l’ennui le prenait, il aurait de quoi faire travailler son imagination. Pour apprécier les effluves de la liqueur, il porta son verre jusqu'à son nez aquilin qui ne déparait en rien l'harmonie de son visage et le huma un long moment avant de se décider à le boire.

Il le vida en deux gorgées et fit signe au serviteur qui attendait près de lui de le remplir à nouveau. Horus le remercia et le labiré repartit dans l’ombre. Comme tous les drægans présents, Horus n'appréciait pas de se trouver là. Toutefois, il était tout à fait conscient de sa chance et du fait que sa charge ne lui permettait pas d'éviter ce genre de rendez-vous. Encore moins les endroits dans lesquels ils avaient lieu.

Ces derniers siècles, le Conseil avait connu la "grande valse" des Chanceliers Divins. S'il avait été un palais, il aurait été celui des courants d'air. Entre les Chanceliers qui disparaissaient et réapparaissaient, ceux qui mourraient, définitivement, et ceux qui ressuscitaient, ceux qui perdaient leurs domaines et ceux qui parvenaient à en conquérir un nouveau, ceux qui étaient bannis... Quoi que ceux-là, on ne les réintégrait pas et jusqu'ici, il n'y avait pas eu d'exception.

— Si ça se trouve, ils ne viendront pas, alors on pourrait peut-être commencer, suggéra Divona. Je n’ai pas que ça à faire, si vous voyez ce que je veux dire.
— Non, pas vraiment, railla Métis d’une voix tout juste audible.
— Hors de question, les prévint Taranis de sa voix grave. Cela pourrait être considéré comme inéquitable. Et puis, rien ne nous presse, n'est-ce pas ?
 
C'était un « n'est-ce pas ? » qui signifiait : Il y en a d’autres qui pensent avoir quelque chose de plus important à faire ? Évidemment, personne n’osa lui avouer préférer être ailleurs, à une seule exception.

Taranis ne cessait de passer ses doigts fins dans sa barbe grise qui cachait le bas d'un visage dur. Celui d'un homme qui avait toujours eu des dispositions pour le commandement et les batailles sanglantes, claires et nettes, mais pas celles des intrigues de Conseil.

— Rien... en dehors de notre vie et de notre temps, murmura Erra suffisamment fort pour être entendu de tous, mais pas assez pour que cela soit relevé au point de devenir un motif de discussion.

Contrairement à Taranis, Divona, elle, ne recherchait pas la diplomatie. C’était même plutôt le contraire. Elle était connue pour dire clairement le fond de sa pensée, et pour cela, elle avait un langage qui lui était propre.

Traduit du drægan, cela donnait quelque chose comme :
— C'est vrai après tout, il ne pleut pas des éléphants. Mais si la labirée de Circé voulait bien cesser de remuer des maxillaires toutes les dix secondes. On dirait une capera qui aurait un trouble du comportement.

Divona était une femme sèche au profil grec et aux pommettes saillantes. Malgré ses longs cheveux bruns parcourus de fils blancs, son visage accusait ses nombreuses années de règne despotique. Ce n'était pas qu'elle tenait particulièrement à être un tyran, mais elle voulait encore moins se faire expulser de ses territoires comme l'avaient été d'autres drægans qu’elle considérait comme ayant été trop laxistes avec leurs sujets.

Elle tenait à son confort personnel. L’idée d’être une déesse sans lieu de culte fixe lui semblait tellement incongrue qu’elle l’avait repoussée de toutes ses forces dans les tréfonds les plus oubliés de son esprit et y avait posé une chape de plomb par-dessus. Depuis, l’idée ne s’en était pas remise, préférant attendre des jours meilleurs pour elle, moins bons pour la draeganne, pour pointer ses lumières là où ça écorcherait l’âme.

Sa remarque n'eut aucun effet sur Calliope qui posa sur Divona son regard absent sans cesser ses mastications. Divona dût se contenter de soupirer en songeant qu’avec un tel comportement ses propres labirés mâcheraient déjà leur langue.

Moccus s'impatientait lui aussi. Il savait comme les autres qu'il ne pouvait pas quitter l'assemblée sans se compromettre.

Un bruit de pas les fit tous regarder dans la même direction.

Sortant de l'obscurité comme ils l’avaient tous fait un peu plus tôt, Dercéto apparut soudain plus lumineuse que jamais. Ses cheveux blonds platines étaient tirés en arrière, noués très serrés dans un chignon planté au sommet de sa tête. Elle avait forcé sur le bistre autour de ses yeux et sur la longueur de ses cils pour mieux faire ressortir la couleur bleu-gris de ses iris. Une combinaison blanche aux reflets irisés moulait étroitement son corps aux formes parfaites. Chose dont elle avait parfaitement consciente et qu’elle savait utiliser à son avantage.

Elle portait des bottes à talons compensés si hauts qu’ils la grandissaient d'au moins une dizaine de centimètres.

Elle passa devant Lara et Scáthach en leur adressant le plus large sourire de sa gamme, et les gratifia simultanément d'un :
— Salut les thons !

Ou quelque chose d’équivalent en langue drægan.

Elle ajouta aussitôt :
— Loin de moi l'idée d'émettre une quelconque critique, mais vous devriez vous regarder dans une glace de temps en temps et revoir vos critères de séduction. Ce n'est pas parce que la mer est d'huile qu'il faut vous laisser aller, les filles. Oh ! C’est vrai, il n’y a que le hareng qui vous intéressent… ou les charognes.

En guise de réponse, Scáthach émit un sifflement digne d'un crotale tandis que Lara la toisa de haut en bas avec un regard qui, si Dercéto avait été un papillon ou un autre insecte, l'aurait épinglé de part et d’autre, et en plusieurs morceaux, sur la colonne la plus proche.

(Suite Chapitre 13.5)


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Tome 1 : Esmelia



CHAPITRE 13.5


Suite du chapitre 13.4


Sans plus s'occuper d'elles, la tête haute, Dercéto alla s'installer entre le divin Horus et le sage Rhadamanthe. Plus satisfaite qu'elle, en cet instant, cela ne pouvait pas exister.

Divona enfonça le clou.
— Si c'est pour entendre de pareilles évidences, je retourne chez moi, renâcla-t-elle.
— Toi, au moins, tu possèdes encore tes territoires, bougonna Priape visiblement de mauvaise humeur.

La réponse de Divona ne se fit pas attendre.
— Mon cher Priape, quand on a autant de cervelle qu'un crustacé, on ne s’étonne pas de les avoir perdus et on évite de pérorer. Et là, je suis polie.

L'intonation trop aimable de sa voix contrastait avec les paroles qui l’étaient moins.

Priape jugea inutile de répondre, du moins pour un temps. En règle générale, les femmes, il se contentait de les regarder de loin en imaginant les différentes tortures auxquelles il pourrait avoir recours pour leur faire payer les regards emplis de pitié qu'elles posaient sur son visage ravagé.

— Cela dit, Dercéto et Divona n'ont pas tort, en rajouta Bacchus plus moqueur que méchant. Elles font peur à voir.
— Ça suffit ! gronda Horus en frappant du poing sur l'accoudoir de son fauteuil.

Il avait une voix de ténor. Son regard fit le tour des membres du Conseil qui s'étaient immédiatement redressés sur leur siège et attendaient la suite. Quand Horus ordonnait quelque chose, on obéissait. S’il s’énervait, on se taisait. Autrement, il pouvait vous en coûter plus qu'une simple réflexion désagréable.

Il attendit un moment avant de reprendre, histoire que tous les esprits se soient bien éclaircis.
— On baisse d'un ton et on se calme. Nous sommes loin de chez nous et cela nous rend tous nerveux. Il est temps de commencer. Je pense qu'on peut sauter les présentations. Nous nous connaissons.

En tant que Chancelier Divin, le dieu-faucon ne craignait rien de ses congénères. Il exerçait encore sur eux une autorité certaine, celle d'un charmeur de serpents.

Avec Teutatès, Apollon et Ereshkigal, il était l'un des Chanceliers Divins actuels les plus puissants. Il fut même un temps où cette puissance surpassait celle de ses prédécesseurs au Grand Conseil.

Tous les drægans acceptèrent d’un signe de tête.
— On peut au moins faire tourner le qa’mus ? demanda Enki.
— Ne pas le faire nous enlèverait le seul plaisir de notre présence ici, ironisa Apollon.

Un mouvement du côté du dieu grec de la beauté attira l'attention d'Esmelia. Apollon avait mis, entre les mains de Circé, une cruche de terre ouvragée, avec des motifs en forme de serpents. Elle devait contenir le fameux qa’mus, devina-t-elle.

Le qa’mus était un nectar ambré extrêmement fort. C’était aussi un breuvage de vérité. Après en avoir bu, nul ne pouvait prétendre mentir. Ils devaient tous en boire, signe qu’ils partageaient un semblant de confiance les uns et les autres.

Circé tâta l’objet avant d’en essuyer le goulot du revers de l’une de ses manches. Alors qu’elle s’apprêtait à le porter à sa bouche, Boann, sa voisine, le lui retira des mains.
— Désolée chérie, les enfants n'ont pas le droit de boire ça.

Il n'y avait aucune méchanceté dans ses paroles, ou dans le ton qu'elle avait employé. Boann se montrait simplement protectrice envers Circé. Ce qui était plutôt rare chez les drægans. Ils n’étaient connus nulle part dans l’univers pour leur instinct maternel.
— Où est-il écrit que les "enfants" n'ont pas le droit de partager le qa’mus ? fit observer Apollon avec une certaine malice.
— J'ai assisté à suffisamment de réunions où l'on passait le qa’mus pour savoir comment elles se terminent le plus souvent. Et d’après ce que j’ai pu remarquer, il y en a quelques-uns ici auxquels cela ne réussit pas
— Au nombre où nous sommes, elle ne fera pas plus de deux tours.
— Je ne parlais pas de ceux qui en ont bu, fit observer Boann.  Quelques-uns d’entre nous n’apprécient pas d’entendre certaines vérités. Et lorsqu’elles viennent d’un Oracle, cela risque de devenir dangereux pour tout le monde.

Horus caressa la barbe qui lui couvrait le menton, attentif aux réactions de ses congénères, prêt à intervenir au cas où l’un d’entre eux prendrait ombrage de ce qui venait d’être dit. Elle avait raison, et il n’irait pas contredire Boann L’Avisée sur ce point.

Par ailleurs, du fait de sa petite constitution, Circé y serait particulièrement sensible aux effets du qa’mus.

Apollon comprenait aussi parfaitement le geste de Boann envers Circé.

Elle n’avait pas uniquement agi par esprit de protection envers la jeune fille que semblait être Circé. Elle était inquiète, tout comme lui…  

Ce n’était pas le fait d’apprendre des vérités que certains d’entre eux ne souhaitaient pas entendre de la part d’une enfant qui les inquiétait, mais plutôt que cela vienne d’une dræganne connue pour ses visions du passé et du futur.

Dans l’immédiat, ils bénéficiaient d’un répit, sans doute très court, avant la prochaine chamaillerie. Apollon ne cacha pas sa satisfaction.

Esmelia ne put s’empêcher de laisser ses sens s’attarder sur lui plus de temps que nécessaire...

La barbe naissante de l’ancien dieu de la beauté lui allait comme... à un dieu. Son corps n'avait rien à envier à ses représentations statuaires. En dehors d'un bout de tissu rouge qui lui ceignait les hanches jusqu’à mi-cuisses, et des spartiates dont les lacets s'enroulaient autour de ses mollets, il ne portait rien d'autre sur lui. Il n'avait même pas pu garder son glaive et se sentait plus nu sans lui que si on lui avait ôté ses vêtements.

Circé avait écouté l'échange en silence.
— Je ne suis pas une enfant, finit-elle par dire posément d'une voix grave et effectivement trop sérieuse pour l’âge qu’elle paraissait avoir.

Boann eut un sourire bienveillant.
— Je le sais, ma jolie, lui assura-t-elle en passant la cruche, à laquelle elle-même venait de boire, à son voisin, Priape. Mais tu en as la constitution et ....

La voix d'Horus, sur sa droite, couvrit soudain la sienne.
— Mes amis, il est temps de commencer. Ishkur, c'est à vous que revient…

Il fit mine d’hésiter avant de poursuivre :
—  ...l'honneur... de consigner nos paroles.

Horus ne put s’empêcher de sourire intérieurement. « Ishkur » et « honneur »… Deux mots qui n’allait vraiment pas ensemble, et il l’avait souligné à sa manière.

Ishkur, encore vaguement ensommeillé, se redressa lentement sur son siège, faisant mine de ne pas remarquer la fausse hésitation de Horus. Il ne tenait pas particulièrement à être le scribe de service, mais il savait aussi cette éventualité pouvait arriver à n'importe lequel des vingt-six participants présents. Avec le nombre, il avait espéré pouvoir passer à travers les mailles. Il pensait s’être fait discret, voire invisible.

Chez lui, la discrétion consistait surtout à rester immobile et silencieux, ou bien à dormir. On ne prêtait pas attention aux choses ou aux êtres qui ne faisaient aucun bruit et qui ne bougeaient pas. Ainsi, on oubliait la présence d'un arbre, d'une pierre, ou même d'un mort...

Pour peu que l'on prenne un air éteint, et que l'on essaie de se fondre dans le décor, ou encore comme dans le cas présent pour Ishkur que l’on tente de ne faire qu'un avec l’inconfortable le fauteuil de pierre sur lequel on est assis, on pouvait facilement se faire oublier. La plupart du temps, du moins...

Cette fois, cela avait échoué. Pourquoi ? Avait-il tiqué sans s'en rendre compte à l’une des paroles d’Horus ?

La raison était bien plus simple.

Horus était doué pour remarquer les tire-au-flanc.
— Bien, nous commencerons par faire le point sur …

Un mouvement d'agitation et des éclats de voix le stoppèrent net et lui firent tourner la tête à sa gauche.

Tous les regards convergèrent vers le même endroit. Excepté celui de Calliope, mais il était impossible d'en être certain.


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MessageSujet: Re: L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1)   L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1) - Page 3 EmptyMar 29 Aoû 2017 - 10:28

L’ORIGINE DE NOS PEURS


Tome 1 : Esmelia



CHAPITRE 14.1


15 mai 2125 du Calendrier grégorien. Nouvelle Orléans, Louisiane, États-Unis. .



C’était venu au cœur de la nuit. Cela venait toujours au cœur de la nuit. Toujours le même rêve.

Il courait comme si sa vie en dépendait. Ses poumons étaient remplis d’un air si pur qu’il lui brûlait les poumons et la gorge. Ce n’était pas l’air que l’on respirait sur la Terre. Il le sentait aussi sur son visage, sur son torse, sur ses bras et sur ses jambes. Il lui semblait qu’il était nu… Il courait parmi les arbres séculaires d’une forêt profonde. Des arbres immenses, sans commune mesure avec ceux qu’il avait l’habitude de voir. Pourtant, il ne s’en étonnait pas. Il n’avait pas le temps de les voir mais il savait qu’ils étaient magnifiques. Il aimait les sentir autour de lui. Il n’était pas en terrain inconnu, mais tous ses sens étaient en alerte. Il filait tel un courant d’air. Chacun de ses pas était sûr. Il ressentait la fermeté de l’écorce et la douceur de la mousse végétale sous la plante de ses pieds nus. Il ne butait contre aucune racine, ne trébuchait sur aucune pierre, ne glissait pas sur la mousse, ne s’enfonçait pas dans les tas feuilles tombées et décomposées tout au long des saisons passées. Comme ces arbres, il pouvait supporter les chaleurs plus torrides ou les froids le plus cinglants, les sécheresses brûlantes, les tempêtes violentes, les pluies battantes ou encore les neiges glacées. Les saisons étaient plus rudes, plus mortelles que sur la Terre.

Dans ce monde – son monde – tout ressemblait à ce qui existait sur la Terre, mais à une échelle autrement plus grande, plus puissante et plus majestueuse. Les éléments et tout ce qui constituait ce monde étaient appelés différemment, dans une autre langue, et plus que sur Terre, elles devaient lutter pour vivre. Il ne faisait pas exception. C’était pour cela qu’il courait. Pour devenir plus fort et pour vivre aussi longtemps que possible.

Pourtant, il n’avait jamais connu son monde d’origine…

Il ignorait quel avait été son nom de naissance. Il ignorait même si ses vrais parents lui en avaient donné un. Le destin en avait choisi autrement, et d’autres lui avaient choisi un nom et un prénom : Reiyloo Guurdwahaldotir. Il aurait pu porter un nom plus simple. Un nom bien à lui… C’était, semblait-il, ce que faisaient les siens, au cours d’une sorte d’initiation lorsqu’ils entraient dans « l’âge d’homme ». Il ignorait le terme exact, mais c’était ainsi que, dans ses rêves, ou plutôt ses pires cauchemars, il l’avait traduit. Mais il avait choisi de garder le nom de ses parents adoptifs. Des humains. Encore que, d’un certain point de vue, il était aussi humanoïde qu’eux.

Américains, de passage en Belgique, Guurdwahaldotir l’avaient trouvé errant sur une route de campagne, en état de choc, et l’avaient recueilli. Ce qui s’était passé à cette époque, il l’avait appris par bribes, parfois incertaines, quelques années plus tard, dans le camp d’internement. Ce dont il pouvait être certain, c’était qu’il n’avait jamais connu son monde d’origine. Il était né et avait vécu ses premières années dans un vaisseau spatial. Il n’avait donc jamais pu courir à en perdre haleine dans une de ces vastes forêts dont seuls, peut-être, quelques rares survivants ayant visité sa planète possédaient encore le souvenir. Pour autant qu’il s’en souvienne, il n’avait jamais rencontré quelqu’un de son espèce. Son rêve n’avait donc aucun sens. Pourtant, à chaque fois que ce rêve revenait, il avait l’impression, à son réveil, de l’avoir vraiment vécu. Dans une autre vie peut-être… si les membres de son espèce conservaient, ou se transmettaient des résidus de mémoires ancestrales.

Il ne se souvenait pas comment il était arrivé sur la Terre. Il savait seulement que le vaisseau s’y était écrasé. Lorsque ses parents adoptifs l’avaient trouvé, la région était en plein bouleversement à cause de cette catastrophe. Les autorités comme la presse nationale et internationale parlaient alors d’un dépôt de bombes oublié par les nazis qui avait explosé détruisant le village dans lequel il se trouvait et faisant une centaine de morts. Encore aujourd’hui, cette version était la seule et unique connue. Cette explosion avait laissé une région traumatisée par la cruauté humaine. La guerre était encore bien présente dans les esprits des autochtones.

Dans les jours qui avaient suivi, personne ne s’était manifesté pour reprendre l’enfant, et personne n’en avait signalé la perte non plus. Les Guurdwahaldotir avaient alors supposé que sa famille ou ceux auxquels il avait été confié devaient se trouver dans le village. Il y avait effectivement un petit orphelinat tout près de ce village qui avait été lui aussi détruit. De nombreux enfants nés de l’Occupation allemande y avaient été recueillis. Avec ses grands yeux bleus, son teint pâle et ses cheveux blonds, l’enfant pouvait être un de ces « fils de bosch » comme on les appelait irrespectueusement à l’époque. Les Guurdwahaldotir se fichaient de ses origines alors même qu’ils avaient perdu presque toute leur famille dans les camps. Cet enfant ne pouvait être responsable des actes des adultes. Au contraire, il ne pouvait être que l’avènement d’une ère nouvelle, un enfant de la paix. Il serait donc élevé dans le respect de la vie, quelle qu’elle soit.

Les Guurdwahaldotir le gardèrent donc avec eux et n’eurent aucun mal à l’adopter officiellement quelques mois plus tard. Ils le ramenèrent ensuite en Suisse où ils s’étaient installés au début des années cinquante. Ayant perdu leur fils unique dans les rangs de l’armée américaine, et la totalité de leurs parents les plus proches dans les camps, le couple s’était donné pour mission de réunir les membres des familles que la guerre avait séparés en retrouvant les déportés et les prisonniers de guerre.

Reiyloo avait vécu une dizaine d’années dans ce pays. Il en apprit les trois langues principales, ainsi que l’anglais, et les parla parfaitement dès les premières années. Pourtant, ce fut à peine si ces années passèrent sur lui. Lorsque ses parents adoptifs quittèrent leur pays pour s’installer en Amérique, tout au plus semblait-il n’avoir que dix ou onze ans. Ses parents avaient mis moins longtemps pour comprendre qu’il était différent, qu’il ne grandissait pas comme les autres enfants. Même son évolution psychologique était considérablement ralentie. Il n’était pas un idiot, loin de là. Ses facultés d’apprentissage dans certaines disciplines le démontraient. Mais le temps sur lui avait une prise différente du commun des mortels.

Cette étrange particularité n’effraya jamais ses parents qui avaient longtemps agi envers lui comme s’il s’agissait d’une chose tout à fait normale. Ils en firent de même avec tous les étrangers qu’ils étaient conduits à côtoyer de près ou de loin. Pour le protéger, ils abandonnèrent leur vie en Suisse et s’installèrent en Suède. Puis ce fut l’Angleterre, la France, le Cameroun, la Tunisie, l’Inde, le Japon, l’Australie, Hawaï et plusieurs autres états des États-Unis. À chaque fois, ils se bâtissaient une nouvelle vie, se construisaient une nouvelle identité, dans ces mondes qui leur étaient totalement étrangers, mais dont ils décodaient très vite les failles. Ils étaient ainsi parvenus à protéger leur fils durant plusieurs décennies. Ils avaient faits tout ce qu’ils avaient pu. Mais si le temps n’avait donné que quatre années de plus à l’enfant qu’ils avaient adopté, il leur en avait donné dix de plus pour chacune de ces années.
(Suite chapitre 14.2)


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MessageSujet: Re: L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1)   L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1) - Page 3 EmptyMar 29 Aoû 2017 - 10:32

Tome 1 : Esmelia



CHAPITRE 14.2


Suite du chapitre 14.1
Il perdit ses parents à quelques mois d’intervalle. Ils furent enterrés dans le cimetière du dernier village dans lequel ils avaient vécu, quelque part dans le Nebraska. Pour les gens du cru, il était leur petit fils. Il fut seul à la cérémonie comme à la mise en terre. Mais même dans le plus petit des villages, il y avait toujours quelqu’un pour s’inquiéter du sort d’un adolescent et tenter de faire les choses bien… Les services régionaux de l’aide à l’enfance le prirent en charge malgré son refus. Habitué à fuir durant des années, il avait fini par fuguer du foyer où il avait été placé en attendant que des membres de sa famille soient retrouvés. Bien sûr, personne ne fut trouvé. Contrairement à lui…

Une alerte le concernant avait été mise en place dans l’un des innombrables bureaux du CENKT qui le recherchait depuis des années, semblait-il. Elle résonna le soir du 20 décembre 1999. Les hommes du CENKT ne mirent pas longtemps à retrouver sa trace et à comprendre combien il pouvait leur être précieux sur différents plans. Son dernier noël n’en fut pas un, et sa première nuit du vingt-et-unième siècle, une nuit dont il avait mainte fois rêvée, il la passa dans une salle d’observation stérile du CENKT tandis que dans une autre pièce, des scientifiques essayaient de s’entendre sur ce qu’ils devaient faire de lui. Ce n’était pas du tout le réveillon qu’il avait imaginé. Hélas, c’était celui dont il se souviendrait à jamais.

Un tiers de siècle de vie sur la Terre, et il ressemblait encore à un adolescent. N’importe quel médecin terrien aurait été bien en peine de le deviner. En fouillant un peu plus profond, évidemment… Ce qui signifiait lui ouvrir les entrailles. Des scientifiques du CENKT ne s’étaient pas gênés de le faire. Il en avait vu des dizaines. Un seul s’était vaguement soucié de son bien-être. Du moins l’avait-il longtemps pensé. S’il n’avait pas été unique en son genre, et si les bouchers pour lesquels il avait servi de cobaye avaient découvert les secrets de l’immortalité, aujourd’hui, il ne serait plus qu’un tas d’os dans une fosse commune, un charnier clandestin, ignoré du commun des mortels, oublié de ses bourreaux. Tant d’autres créatures qu’il avait croisées dans cet endroit cauchemardesque avaient malheureusement connu ce destin.

Les humains l’ignoraient peut-être encore mais ils faisaient partie de ces êtres dits intelligents dont l’espérance de vie était pourtant la moins longue qui soit dans l’univers connu de certains « explanètriés ». Il connaissait aussi des êtres dont l’espérance de vie était moitié inférieure à celle des humains. Dans le camp où il avait été prisonnier durant dix longues années, il avait rencontré une dizaine d’espèces extraterrestres différentes. Il avait rapidement deviné qu’il en existait d’autres, qui se cachaient des humains, mais il ignorait combien et lesquelles. Même aujourd’hui, et même s’il avait entendu quelques bruits, quels noms… comme les drægans et les sturniens, des champions de la longévité. Il avait entendu dire que ces derniers pouvaient vivre jusqu’à dix mille ans.  Il aurait aimé les rencontrer, ne serait-ce pour comprendre pourquoi sa propre horloge biologique semblait s’être déréglée. Durant sa captivité, il avait commencé à vieillir plus vite, et maintenant, il vieillissait comme un être humain… Finirait-il par vieillir deux fois, trois fois, dix fois plus vite qu’eux ?

Les drægans pouvaient vivre encore plus longtemps que les sturniens selon ces mêmes rumeurs, mais ils étaient tellement belliqueux, qu’aucun n’avaient pu atteindre un âge canonique. Il s’était bien sûr demandé s’il n’appartenait pas à l’une ou l’autre de ces espèces, bien qu’il ne sente aucune envie de tuer son prochain et que, selon toute vraisemblance, son métabolisme ne mettrait pas dix mille ans pour le conduire au pays des rêves éternels. Enfin, on disait les deux espèces éteintes, et sérieusement, être vraiment le dernier représentant de son espèce n’était pas une perspective qui l’enchantait. Ne serait-ce que pour en savoir plus lui-même, sur son espérance de vie… Sur ce qui pouvait le tuer… Dans le meilleur des cas, il pouvait aussi appartenir à une espèce qui mettait un temps fou à atteindre la maturité, et une fois cet objectif atteint, souvent accompagné du désir de procréer, leur corps se mettait subitement à vieillir. Cette perspective d’une dégénérescence accélérée le hantait souvent depuis qu’il s’était… depuis quelques années.

Les créatures qui vivaient le plus longtemps étaient-elles les plus chanceuses ? Il n’en était pas certain. Même s’il manquait d’informations sur ce sujet, il savait qu’une longévité exceptionnelle ne s’accompagnait pas forcément d’une perpétuation de l’espèce. Est-ce que l’existence de ces espèces comptait plus ou moins que celles des autres ? Quelle était leur influence dans leur monde d’origine ? Car il avait appris au moins une chose au contact des autres espèces extraterrestres, contrairement aux humains : toutes les espèces qu’il avait rencontrées connaissaient l’existence des autres depuis des lustres. Elles vivaient ensemble, commerçaient ensemble, et parfois guerroyaient les contre les autres, mais cela n’était plus arrivé depuis des millénaires. Au point qu’elles s’étaient toutes trouvées désemparées face à l’arrivée d’un ennemi inconnu et implacable. Elles n’avaient rien trouvé de mieux que s’unir dans une même fuite.

Il n’avait jamais vécu tout cela, il n’avait même jamais rencontré d’êtres dans sa situation avant… Alors comment pouvait-il avoir un souvenir aussi précis de son monde ? Ce n’était pas un enfant qui courait dans cette forêt, mais lui, adulte, tel qu’il était lorsqu’il s’était endormi la veille au soir. Il courait sans savoir d’où il venait, sans savoir où il allait. Il se sentait tellement bien. Même la douleur dans ses muscles et dans ses poumons lui faisait du bien. Plus encore, il se sentait en communion avec la forêt. Il se déplaçait rapidement, aussi silencieux que ses habitants non humanoïdes. Il était parvenu à la limite de la sylve et fut ébloui par une lumière tellement intense qu’elle sembla lui récurer les rétines. Lorsqu’il baissa la tête pour lui échapper, il se rendit compte qu’il se trouvait au bord d’un précipice. Il eut beau tenter de reculer, même d’un simple pas, il n’y parvint pas. Pourtant, il ne chuta pas. Il resta juste en équilibre. Alors, il essaya de sonder l’abîme profond pour voir ce qui s’y cachait, quel danger pouvait en surgir, mais le rêve s’arrêtait là, toujours.

Et le cauchemar commençait...


(Suite chapitre 14.3)


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Tome 1 : Esmelia



CHAPITRE 14.3


Suite du chapitre 14.2


Un cauchemar qu’il avait vécu et qu’il aurait préféré oublier. Plus qu’un cauchemar, un traumatisme. Le camp du CENKT qui valait tous les camps de concentration que lui avaient décrits ses parents adoptifs… Il ne voyait pas d’autres mots pour cette prison où des humains enfermaient les créatures vivantes et intelligentes. Cette prison, dernière destination d’êtres qui mourraient parfois au nom d’une science et d’une politique qui n’en avaient que les noms, souvent sous les coups des apprentis bourreaux, supervisés par d’autres hommes plus expérimentés. Très vite, il avait compris que ces hommes-là avaient peur. Peur de ce qu’ils ne connaissaient pas, peur d’être un jour à leur place... Tantôt, il était l’adolescent, le jeune adulte qui avait survécu à ces dix années de camp dans des conditions effroyables. Tantôt, il était l’adulte actuel, témoins de toutes les cruautés imaginables de la part des humains, ou des survivants.

Combien de fois avait-il regretté de ne pas avoir suivi les enseignements de Michaïl, son père adoptif ? Toujours fuir. Pourtant, il était revenu dans sa dernière maison pour reprendre quelques affaires. Il aurait dû se douter qu’il y serait attendu. Ne serait-ce que par les autorités locales. Au lieu de cela, il s’était retrouvé face au CENKT. Un des soldats, ou peut-être plusieurs, lui avait tiré dessus. Il n’avait guère mis plus d’une minute avant de sentir ses muscles se tétaniser, refuser de lui obéir jusqu’à en perdre le contrôle. Il s’était senti glisser dans l’obscurité, sombrer dans un abîme béant, une chute sans fin…  


24 décembre 1999.
Il avait repris conscience dans une cellule obscure qui sentait l’humidité. On lui avait ôté tous ses vêtements. Bien que n’ayant pas le souvenir d’avoir été touché à ces endroits par une fléchette anesthésiante, il avait atrocement mal à la base de nuque et au dos de la main droite. Plus tard, il s’était rendu compte qu’on lui avait tatoué des signes et des chiffres sur le dessus de sa main. Entre conscience et inconscience, il perdit très vite le compte des jours durant lesquels il y resta enfermé sans voir qui que ce soit. Seule la faim, la soif de plus en plus fortes lui indiquaient qu’ils étaient là depuis plusieurs jours. L’anesthésiant était d’une telle puissance qu’il n’avait même pas eu le courage de se lever pour vider ses intestins et sa vessie. Il était resté, prostré, vautré à même le sol.

Il savait qu’il se trouvait dans un état pitoyable lorsque les soldats l’avaient traîné hors de sa cellule. Même à moitié conscient, aveuglé par la lumière blanche au-dessus de lui, il devinait que ceux qui l’emmenaient étaient les hommes qui l’avaient capturé. Les mains attaché dans le dos et chevilles entravées par de solides chaînes, il n’aurait jamais eu la stupidité de résister à sept hommes armés jusqu’aux dents. On lui avait même bâillonné la bouche, et l’un de ses gardiens, derrière lui le tenaient en laisse.

Il ne leur opposa pas plus de résistance lorsqu’ils le nettoyèrent à coups de puissants jets d’eau. Il n’en avait plus la force. Il ne pouvait que suffoquer sous les assauts glacés. C’était sans doute pour cela qu’on lui avait fait subir ce traitement. Aussi nombreux, armées et aguerris étaient-ils, les soldats le craignaient d’une certaine manière. Qu’imaginaient-ils donc ? Qu’il était un assassin en puissance ? Il n’avait jamais tué de sa vie, pas même un animal en souffrance.

Cela démontrait surtout qu’ils avaient sans doute eu affaire à des prisonniers autrement plus réactifs que lui. Il n’avait pas cherché à se rebiffer contre les plaisanteries salaces de ses gardiens, ni aux attouchements brutaux de l’un d’entre eux. Visiblement, ils cherchaient à le provoquer. Ce n’était pas pour rien qu’ils gardaient leurs tasers à portée de main. On leur avait peut-être demandé de tester son seuil de tolérance à l’humiliation et à la douleur, probablement pas de le tuer. Il ne pensa alors plus qu’à une seule chose : contenir sa peur, et cette haine qui fleurissait en lui, quelque part dans les profondeurs de son âme brisée, plus que sa souffrance. Seules les paroles de son père qui disait toujours que cacher le meilleur de soi-même était préférable à la mort l’empêchèrent de basculer dans cette rage meurtrière qu’il sentait monter en lui et dans la folie. Mieux valait qu’ils n’aient aucune idée de ses véritables capacités, même s’il pensait qu’il n’en avait aucune en matières de combats, d’évasion ou de survie…

Toujours sous bonne garde, ils l’avaient ensuite traîné jusque dans la salle d’observation. Il y était resté plusieurs heures avant qu’un médecin, accompagné de trois gardes, ne vienne lui injecter un nouveau sédatif. Malgré l’engourdissement physique, il resta conscient. Installé sur un brancard, il fut conduit dans une salle qui tenait autant du bloc opératoire que de la salle de torture, lui sembla-t-il dès qu’il y fut introduit. La dizaine d’hommes et de femmes présents s’activèrent autour de lui, lui prélevant des cheveux, des morceaux de peau, du sang et il ne savait quoi d’autre. Il eut droit à une ponction lombaire, des tuyaux dans chacun de ses orifices, des électro-encéphalogrammes, des radios de chaque parcelle de son corps, et des tests qui devinrent plus douloureux les uns que les autres, car l’anesthésiant avait fini par ne plus faire effet. Cela dura des heures et des heures, puis il fut de nouveaux totalement endormi. Sa dernière pensée avait alors été de ne jamais se réveiller…


(Suite Chapitre 14.4)


Dernière édition par Ihriae le Mar 19 Déc 2017 - 9:17, édité 2 fois
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Tome 1 : Esmelia



CHAPITRE 14.4


Suite du chapitre 14.3

4 janvier 2000.

Il s’était réveillé assis et menotté à une table d’interrogatoire, dans une pièce entièrement blanche et fortement éclairée, sans miroir derrière lequel on pouvait l’observer. Il ne voyait aucune caméra, pourtant il se sentait surveillé. La première chose qu’il ressentît ce fut la douleur fulgurante de sa nuque à son cerveau. Il avait l’impression qu’on lui avait implanté un corps étranger à la base du crâne. Au prix d’une douloureuse contorsion, il découvrit qu’on lui avait greffé une sorte d’implant dans le haut de la nuque. Il comprit que cet appareil devait sans doute permettre de le localiser ou d’effectuer certains relevés biologiques.

D’autres douleurs apparurent à mesure que les effets de l’anesthésiant se dissolvaient dans son organisme. Elles n’avaient rien à voir avec sa position inconfortable. Il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre qu’on lui avait arraché au moins deux molaires et une canine. Ce n’était pas la première fois qu’il perdait l’une de ses canines. Enfant, il les avait perdues deux fois, et elles avaient repoussé. Combien de temps leur faudrait-il pour s’en rendre compte ? Les scientifiques avaient déjà vérifié s’il possédait des capacités de régénérescence immédiate. Ils lui avaient brûlé l’intérieur de la main gauche après l’avoir profondément ouverte au scalpel. Il se rappelait avoir hurlé de douleur après avoir tenté d’y résister. Au moins, elle avait été bandée proprement. Tout comme son torse. Il ignorait ce qu’on lui avait fait mais c’était aussi douloureux que le reste.

Une femme était entrée dans la salle. Elle était de type sud-américain, petite et mince. Ses cheveux bruns étaient retenus sur sa nuque. Elle était discrètement maquillée. Dans d’autres circonstances, il l’aurait trouvée plutôt jolie. Son uniforme montrait qu’elle faisait partie des soldats, mais elle avait l’air plus sympathique que ceux auxquels il avait eu affaire jusque-là. Elle installa un appareil photo, et se mit à le mitrailler sous tous les angles. Il essaya de lui demander ce qu’on lui voulait ? Pourquoi se trouvait-il ici ? Que lui avait-on fait et pourquoi ? Il avait eu l’impression que ses paroles étaient à peine intelligibles, tellement sa gorge et sa bouche lui faisaient mal. Elle ressortit avec ses appareils sans répondre à la moindre de ses questions, sans lui adresser le moindre mot. Pas même un sourire. Elle laissa juste un petit réveil sur la table. C’était clairement pour mettre sa patience à l’épreuve. Il resta encore deux bonnes heures assis à la table, à supporter les douleurs de plus en plus lancinantes.

Au bout de ces deux heures, un homme entra dans la pièce. Il était grand, plutôt athlétique. Sa peau était noire. Il devait avoir une bonne trentaine d’années. Il portait aussi un uniforme militaire. Ce qui frappait le plus chez cet homme, c’était son regard bleu aux reflets argentés. L’homme semblait avenant tout d’abord, et déterminé, mais Reiyloo en découvrit très vite la dureté et l’absence de compassion. Il avait amené sa propre chaise qu’il avait posée sans violence. La femme soldat était revenue. Elle avait installé une caméra derrière l’homme, et un micro sur la table. Enfin, elle avait déposé un dossier devant l’homme, puis elle était sortie.

L’homme avait ouvert le dossier et l’avait rapidement parcouru. Reiyloo aurait donné cher pour savoir ce qu'il contenait.

L’homme s’éclaircit la gorge :
— Quel est votre nom ?
Que voulait dire cette question ? Son nom, il devait l’avoir dans le dossier, non ? Il n’arrivait pas à comprendre… Le mieux était de répondre sincèrement. Peut-être aurait-il une chance d’être libéré. Peut-être y avait-il eu erreur sur la personne…
— Reiyloo Guurdwahaldotir. Et vous ? Qu’est-ce que je fais ici ? Que m’avez-vous fait ?

En guise de réponse, il ressentit un choc électrique partant de sa nuque et se dispersant dans tout son corps. Il resta groggy durant quelques secondes.

L’homme attendit d’avoir à nouveau toute son attention avant de poursuivre :
— Pour qu’il n’y ait aucun malentendu entre nous. Primo, cet appareil n’est pas seulement destiné à vous localiser au cas où l’idée stupide vous viendrait de vous évader. Je peux aussi vous tuer où et quand je le souhaite. Secundo, c’est moi qui pose les questions et vous y répondez. Je pense que c’est clair ?

Il aurait voulu acquiescer, mais il s’en sentit physiquement incapable.

Il eut au cours de ses dix années d’emprisonnement la malchance d’expérimenter l’implant. Sûrement plus qu’à son tour, il avait subit les contrecoups du choc électrique. Plus d’une fois, il était resté inconscient durant plusieurs jours. Sans oublier le corps endolori et la gueule de bois qui suivaient ces périodes car ses geôliers prenaient un malin plaisir à le laisser parmi des extraterrestres qui entendaient lui faire payer se trop grande ressemblance avec les humanoïdes qui les tenaient en chaîne et qu’ils avaient appris à haïr plus que leur pire ennemi.
— Êtes-vous né sur la Terre ?

Il avait ouvert la bouche, cherchant autant à répondre quelque chose qu’à cacher sa surprise, et plus encore à gérer ses douleurs.

L’homme avait alors refermé le dossier en soupirant et l’avait fixé une longue minute avant de reprendre la parole.
— Je vais être sincère avec vous, Reiyloo. Si vous avez le moindre espoir de sortir d’ici, abandonnez-le. Vous n’êtes pas de cette planète. Nous ne vous y avons pas invité, et il est hors de question que vous la quittiez. Cela fait des années que nous nous préparons à une invasion alienne. Nous savons qu’il existe plusieurs espèces extraterrestres, et nous ignorons laquelle nous attaquera, la première, ni quels seront ses alliés… Cependant, nous savons qu’elle tentera d’annihiler, ou d’assimiler ou de détruire l’espèce humaine. Nous nous préparons à ce jour depuis des dizaines d’années, et nous faisons tout ce qui doit être fait pour l’éviter. À commencer par vous étudier. Vous savez ce que l’on dit : pour vaincre son ennemi, il faut commencer par le connaître.

Il avait senti une peur panique l’envahir. Cet homme pensait-il vraiment qu’il était un extraterrestre ? Jusqu’ici, il avait s’était seulement imaginé qu’il était un peu particulier. C’était ce que ses parents lui disaient toujours. Beaucoup d’humains avaient des particularités. Certains vieillissaient plus vite que la normale. À douze ou treize ans, ils ressemblaient à de petits vieillards. Ils atteignaient rarement leur majorité. Alors pourquoi n’existeraient pas, à l’inverse, des êtres humains dont la longévité était exceptionnelle ? Pourquoi ces hommes du CENKT ne pouvaient-ils pas l’imaginer ? Qu’y avait-il dans son dossier qui indiquait que ce n’était pas le cas ?


(Suite Chapitre 14.5)


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MessageSujet: Re: L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1)   L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1) - Page 3 EmptyMar 29 Aoû 2017 - 10:44

Tome 1 : Esmelia



CHAPITRE 14.5


Suite du chapitre 14.4
L’homme était sorti. Il fut aussitôt remplacé par un autre de l’équipe médicale, un type maigre et osseux aux cheveux filasse et au regard gris plutôt doux. Il était accompagné de trois soldats qui lui avaient de nouveau entravé les chevilles et les mains. L’un d’entre eux avait voulu lui passer la laisse, mais le médecin avait refusé net. Il s’en était suivi une discussion tendue entre les soldats et lui. Comme pour prouver qu’il avait raison, le médecin s’était tourné vers lui.
— Reiyloo ?

Il avait mis un temps à comprendre que l’on s’adressait à lui.
— Avez-vous l’intention de nous poser des problèmes ? avait demandé le médecin.

S’il avait été un vrai médecin, il n’aurait jamais posé cette question. Il aurait tout de suite compris que dans l’état où il était, il lui aurait été bien difficile de piquer un sprint après avoir mis KO trois molosses. Sans compter qu’il devait y en avoir quelques autres derrière la porte. Sauf qu’ils s’imaginaient tous qu’il n’était pas humain. Alors, finalement, la question était légitime. Lentement, il secoua la tête. Il n’essaierait pas de s’échapper. La douleur le fit grimacer.
— L’implant va être douloureux durant quelques jours, le prévint le médecin. Je vais faire de mon mieux pour soigner ça et le reste… Je m’appelle Jordan Teller. Je ne suis pas vraiment médecin. Je suis biologiste. Mais je vous promets de faire de mon mieux.

Il n’avait pas su quoi répondre. C’était la première fois, depuis qu’il était dans cet endroit, que quelqu’un lui montrait un peu de compassion. Jordan Teller avait tenu parole. Il avait soigné sa main, et sa nuque. Il lui avait expliqué que le tatouage servait à l’identifier. Il devrait le scanner pour obtenir ses repas et sa ration d’eau, pour entrer dans les douches et les sanitaires, et même pour rentrer dormir au « dortoir ». Rares étaient les prisonniers qui bénéficiaient d’une cellule individuelle. Ceux-là n’étaient même pas en contact avec les autres.

Le biologiste lui avait aussi retiré son pansement autour de son torse, et il avait découvert qu’on l’avait ouvert comme un cadavre. Cela lui avait été insupportable. Malgré tous ses efforts, il n’avait pu s’empêcher de laisser couler ses larmes.
— Je suis désolé, avait dit le biologiste. Je vais essayer de retarder votre intégration d’une semaine ou deux… le temps d’aller un peu mieux, mais je ne peux rien vous promettre.  
— Mon intégration ?
— Il y a d’autres… extraterrestres, ici. Et l’homme que vous avez vu, tout à l’heure, le colonel Jameson, a ordonné de vous mettre avec eux. Mais, je doute que vous surviviez plus d’une journée dans votre état. Cet endroit est un enfer, vous vous en rendrez vite compte.
— Des extraterrestres… Je ne comprends pas… Je suis un être humain…
À dire vrai, il n’en était déjà plus du tout persuadé.

Le biologiste n’avait pu obtenir qu’une semaine. Il était venu chaque jour le soigner. Cependant, au cinquième jour, des soldats l’avaient sorti de l’infirmerie, toujours pieds et poings liés, et l’avaient conduit dans ce qui allait être sa prison durant les dix années suivantes.

Il n’avait pas revu l’homme qui l’avait soigné. Du moins, pas jusqu’à son évasion.

Il n’avait jamais pensé que les extraterrestres existaient vraiment, et il s’était retrouvé au milieu d’êtres dont certains étaient des plus étranges physiquement. Psychologiquement, aucun ne lui ressemblait. La plupart étaient nourris par la haine de l’Être Humains. Quelques autres étaient fous à lier, traumatisés par tout ce qu’ils avaient subi durant leurs années de captivité. Tous n’avaient connu que cet enfer. Il avait été le seul à avoir vécu parmi les humains et à éprouver de l’empathie pour eux. Ils l’avaient senti et l’avait payé très cher.

Grâce à ses parents, il avait eu la chance de vivre une vie de terrien et de vivre parmi ces derniers. Il savait que tous les terriens n’étaient pas des brutes. D’autres prisonniers n’avaient pas eu cette chance. Comme seuls référents humains, ils n’avaient connus que des gardiens pervers et des scientifiques sans étique. Cela dès leur arrivée sur la Terre. Aux yeux des extraterrestres, les terriens passaient d’autant plus pour des monstres qu’ils ne les comprenaient pas. Les usages et les coutumes, les religions, les référents… Tout les différenciait de ces créatures. Ils comprenaient maintenant pourquoi personne ne leur avait parlé de la Terre…

La seule loi qui existait dans ce camp était celle du plus fort. Il n’était pas préparé à ça, ni au reste. Personne n’aurait pu l’être. Peut-être aurait-il dû s’intéresser un peu plus aux films de science-fiction. Il n’allait pas très souvent au cinéma, et lorsqu’il y allait, c’était pour voir les comédies romantiques ou musicales dont sa mère raffolait. Sa connaissance de la science-fiction se limitait à ce qu’il avait pu voir à la télévision ou dans de vieilles bandes dessinées et à ce qu’il avait pu lire dans quelques livres. Le bestiaire que ces ouvrages présentaient avait tout à envier à ce qu’il avait eu sous les yeux une fois jeté dans le camp.

Il y avait des êtres de toutes sortes. Certains ressemblaient plus à des animaux, même lorsqu’ils étaient bipèdes, qu’à des humanoïdes. D’autres comme les rouenders devaient mesurer un peu plus de deux mètres et peser pas loin d’une tonne et demie. Mais ce n’étaient pas ceux qui étaient les plus dangereux. Ceux-là semblaient avoir été lobotomisés, ou en tous les cas maintenus dans un état semi végétatif par leur implant. D’autres au contraire étaient petits et agiles. Des grands, des petits, des gros, des minces, des poilus, des plumés, des imberbes, des peaux roses, des peaux bleues, des peaux si claires que certaines en paraissaient blanches, et d’autres multicolores, des yeux de toutes sortes, et des dentitions dont certaines n’étaient pas faites pour manger uniquement des légumes…

Il y en avait qui, comme lui, ressemblaient à des humains. Mais contrairement à lui, quand on avait la malchance de les approcher de trop près, on se rendait vite compte qu’il y avait quelques différences notables. Certains avaient des oreilles pointues, d’autres de véritables langues de serpent. D’autres possédaient des muscles ou des organes que les humains n’imaginaient même pas. Il y avait des femmes, des hommes, des mâles, des femelles, mais il n’avait vu aucun enfant. Il avait longtemps été le plus jeune prisonnier. En tous les cas, il était le dernier arrivé au camp. Cela constituait deux handicapes d’importance dans une société qui avait perdu toute notion de civilisation, quelle qu’elle soit.

Comme il l’avait fait avec les soldats, face aux autres prisonniers, il avait gardé profil bas, se contentant d’écouter et surtout d’observer. Il ne connaissait aucune des langues utilisées dans le camp, et il était conscient des regards qui s’étaient posé sur lui dès qu’il avait été jeté dans l’arène. Il avait pris soin de ne montrer aucun signe d’hostilité qui aurait pu lui coûter la vie. Cela n’avait pas suffi évidemment.

(Suite Chapitre 14.6)


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MessageSujet: Re: L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1)   L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1) - Page 3 EmptyMar 29 Aoû 2017 - 10:48

Tome 1 : Esmelia



CHAPITRE 14.6


Suite du chapitre 14.5


Au cours de ces dix années, parmi tous ces extraterrestres, il y en avait qu’il avait particulièrement craint, et qu’il souhaitait aujourd’hui ne plus jamais croiser, comme les cilliardis, des humanoïdes de petite taille aux grands yeux entièrement noirs. Lorsqu’ils posaient leur regard sombre sur vous, ce n’était jamais bon signe. Leur renvoyer la pareille, histoire de les impressionner, était impossible. C’était comme une plongée dans le vide spatial. Plus dangereux qu’eux, il n’y avait que les keynaanides et les satiniens, pour des raisons différentes. La seule satinienne du camp l’avait ignoré, puis lorsqu’il avait tenté une approche directe, elle avait tenté de l’égorger. Il s’en était fallu de peu et l’intervention d’un keynaanide.

D’instinct, il avait tout fait pour éviter les keynaanides. Son instinct ne l’avait pas trompé. Ils étaient au sommet de la chaîne alimentaire du camp. Ils prenaient ce qu’ils voulaient quand ils le voulaient pour assouvir leurs divers appétits. Il avait pu s’en rendre compte avant la fin du premier jour, lorsqu’ils les avaient agressés, lui et un de ces sauvageons méandres qui était trop affaibli pour se défendre. Ils avaient attaqué sans préambule, dans l’indifférence générale. Ils s’étaient amusés un temps avec eux. Au bout de compte, cette fois-là, il était parvenu à leur échapper. Curieusement, le méandre, lui, n’avait pas cherché à lutter, et lorsqu’ils en eurent assez de leurs jeux sadiques, les keynaanides l’avaient égorgé. Ils avaient ensuite traîné son corps à l’écart, et l’avaient dévoré.

Les keynaanides dominants étaient toujours les premiers. Ensuite venait le reste du clan. Après leur passage, il ne restait plus rien du méandre.

Il s’était longtemps demandé combien de temps il faudrait pour qu’il serve lui aussi de dîner à ces goules qui n’avaient d’humanoïdes que leur aspect physique. Une partie de son être voulait abandonner et mourir au plus vite, mais une autre restait combative parce qu’il n’était pas ce qu’il était sans raison, et surtout parce que ses parents adoptifs ne l’avaient pas protégés pour rien.


13 mars 2010
Chacun des trois mille sept cent vingt deux jours qu’il passa dans ce camp devint une lutte pour sa survie, contre les keynaanides, mais aussi contre les humains qu’ils soient médecins ou soldats. Aurait-il pu vivre encore un mois, ou une semaine de plus ou même un jour de plus dans ce camp. Il en était arrivé à un point où le seul fait d’ouvrir les yeux au réveil lui était insupportable. Il ne pouvait plus supporter ce qu’il était devenu, encore moins ce qu’il devait subir… Pourtant, comme n’importe lequel des jours précédents, le trois mille sept cent vingt troisième jour, il s’était levé et s’était rendu au réfectoire. Il n’avait pas mis longtemps à remarquer que quelque chose avait changé. Il remarqua aussitôt que la garde avait été doublée.

Au moment, il se faisait cette remarque, la sonnerie annonçant la distribution de nourriture journalière avait résonné dans tout le camp. Une troupe de scientifiques apparut derrière les vitres de la tour de garde qui cernait la cantine. La plupart d’entre eux prenaient des notes. Il y en avait même un qui filmait. Pourtant, il ne voyait pas ce qu’il y avait à noter ou à filmer. Comme tous les matins, les gardes avaient balancé des morceaux de viande, certains crus, d’autres cuits, et du pain plus dur qu’un morceau de béton armé. Et comme tous les matins, les keynaanides furent les premiers à se présenter dans la cour. Ils prélevaient leur part, avant de laisser les autres s’arracher les restes. En général, la satinienne y allait aussi. Pour une raison qu’il avait toujours ignorée, les keynaanides ne lui avaient jamais refusé ce droit. Pourtant, cette fois-là, la satinienne n’était pas allée. Son instinct lui disait, lui hurlait même que ce n’était pas normal. La faim le tenaillait. Il hésitait sur la marche à suivre. Cette incertitude lui avait sauvé la vie. À l’instant où les keynaanides s’étaient jetés sur la viande, les soldats avaient tiré sur eux. Certains, plus rapides que les autres parvinrent à échapper à la fusillade.

Toute la journée, les soldats les avaient pourchassés et débusqués dans le camp. Les dommages collatéraux avaient été importants. Plus d’une fois, il avait pensé qu’il allait être tué lui aussi, mais ils ne s’étaient pas intéressés à lui. En fin de journée, les soldats avaient regroupé les méandres survivants, la satinienne et deux autres espèces et les avaient sortis du camp. Pour aller où, il l’ignorait, mais cela n’augurait rien de bon. De plus, même si ce n’était pas son souci le plus immédiat, maintenant qu’il n’y avait plus de keynaanides. Les luttes d’influences pour savoir qui deviendrait l’individu supérieur ou l’espèce dominante du camp allaient bientôt commencer.

Avec quelques autres prisonniers, il avait été réquisitionné pour évacuer les corps et nettoyer les cellules désormais sans occupants. Cela leur avait pris toute la nuit. Il avait eu du mal à trouver le sommeil durant les deux heures qui lui restaient à dormir.  

Pas un seul instant il n’avait imaginé que cela s’arrêterait là.

Au matin, aucun des cinq ivernes n'apparut, pas plus que les gobelem et les tuathas. Il devina qu'ils avaient été extraits de leurs cellules tôt dans la matinée, alors qu'ils dormaient encore. Il s'étonnait de n'avoir rien entendu... Puis il se souvint de l'eau. Comme il n'arrivait pas à s'endormir, il en avait bu, et s’était endormi aussitôt après. Il en déduisit que leurs geôliers avaient mis quelque chose dans l'eau pour les rendre plus dociles. Pourquoi n’utilisaient-ils pas tout simplement les transpondeurs ? Ils pouvaient assommer n’importe qui d’un simple choc électrique…

Il ne restait désormais plus qu'une vingtaine d'extraterrestres dans le camp. Ceux qui, comme lui, étaient rares ou uniques, et dont la morphologie se rapprochait le plus de celle des êtres humains. Cette ressemblance les sauverait-ils ? C'était aussi ce que devaient espérer les autres. Ils étaient loin d'imaginer le sort qui leur était réservé.

Deux jours plus tard, ils eurent tous droit à une série d'injections. Ce fut à cette occasion qu'il revit Jordan Teller. En fait, il ne le reconnut pas immédiatement. D'abord parce qu'il était beaucoup trop inquiet pour sa propre vie. Son instinct lui hurlait de toutes ses forces que ce traitement s'inscrivait dans la continuité de l'opération de nettoyage.

Il se trouvait dans un groupe de sept individus : un couple de nordhales, une isséï-Bacca, deux frères satiniens et une adooris. Celle-ci est aussi unique en son genre que lui. On aurait pu facilement la prendre pour une petite gymnaste. Elle avait de grands yeux verts aux iris vertical dans un petit visage ovale et de grandes oreilles pointues qui évoquaient celles d’un fennec. En réalité, elle était pour moitié adooris seulement. Le reste était humain. Pour Cette raison, et malgré son jeune âge apparent, elle intéressait particulièrement le CENKT. Cela faisait deux ans qu’elle était dans les locaux du CENKT, mais seulement un mois qu’elle avait été placée dans le camp. Les rouenders l’avaient immédiatement prise sous leur protection. Il ignorait quels liens pouvaient rattacher ces deux espèces si différentes l’une de l’autre.

Durant ces deux ans, elle avait sûrement subi plus de tests et de prélèvements que lui en dix. Aussi se montra-t-elle extrêmement docile lorsqu’une infirmière lui fit avaler une série de médicaments. Il se montra plus hésitant. Pourquoi l’idée de ne plus se réveiller l’inquiétait-il tant maintenant alors qu’il l’avait souhaité tant de fois. C’est à cet instant qu’il reconnut le biologiste par mi les scientifiques présents… Il n’avait jamais oublié son nom… Jordan Teller. Ni totalement son visage, même si celui-ci avait pris dix ans de plus. L’homme semblait toujours aussi maigre, et il avait l’air fatigué, mais il y avait quelque chose dans son regard… Quelque chose qu’il n’avait plus revu depuis la mort de ses parents… Une sorte de détermination positive…


(Suite Chapitre 14.7)


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MessageSujet: Re: L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1)   L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1) - Page 3 EmptyMar 29 Aoû 2017 - 10:52

Tome 1 : Esmelia



CHAPITRE 14.7


Suite du chapitre 14.6

Teller lui avait parlé d’une voix calme, sans émotion, et il avait pris docilement, comme les autres, tout ce qu’on lui donnait à avaler. Ce n’était pas tant les paroles du scientifique que son regard qui l’avait rassuré. Ce ne fut que deux heures plus tard, environ, alors qu’il était couché dans sa cellule, que les douleurs se firent sentir. Et à mesure qu’elles s’intensifiaient, il commença à regretter ce dernier sursaut de confiance qu’il avait eu en l’Être Humain. Cette fois, c’était terminé.

Des autres cellules, lui parvenaient des gémissements de douleur. Il y en eut de plus en plus, un véritable concert auquel il joignit sa voix. Il se tordit de douleurs durant une heure au moins. Petit à petit les gémissements cessèrent et les souffles se turent, définitivement. Il frissonna, sentit monter la nausée. Peut-être même vomit-il… Il finit par sombrer dans le sommeil profond de la mort.

Le froid et la pluie glaciale, un mauvais goût dans la bouche mirent ses sens en alerte. Une gifle, brutale, acheva de le réveiller. Il ouvrit les yeux mais son corps refusa de bouger. Il faisait nuit, à l’exception des phares d’une voiture garée un peu plus loin.

La première chose qu’il vit vraiment fut le visage de l’adooris qui le scrutait, plus perplexe qu’inquiète. C’était elle qui lui avait donné la gifle. Comment une aussi petite créature, à l’apparence plutôt douce, pouvait être de douée d’une telle force ? Il tourna lentement la tête. La douleur dans sa nuque se répercuta dans son crâne violemment. Il vit le biologiste qui discutait avec les nordhales. Il leur remit quelque chose dans les mains, et le couple le quitta sans autre cérémonie.

Il ne resta que l’adooris, le biologiste et lui. Il se rendit compte qu’ils étaient au milieu des arbres.

Jordan Teller vint vers eux et s’accroupit à ses côtés. D’un étui, il sortit une seringue remplie d’un liquide foncé et la lui planta au creux du bras droit. Il n’avait eu aucun mal à trouver la veine.
Il essaya de se redresser, en vain. La douleur lui vrilla le crâne une nouvelle fois et le monde tangua autour de lui.

Teller posa une main froide su son front.
— Pas de fièvre. C’est une bonne chose. Cela signifie qu’il n’y a pas d’infection pour l’instant. J’ai retiré le transpondeur sur votre nuque. D’où la douleur. Ça va passer, mais vous allez avoir très mal durant des semaines, peut-être des mois…
— Qu’est-ce qui… Où sont les autres ?

Un voile de tristesse passa dans le regard bleu délavé du biologiste.
— La plupart sont morts… Je ne pouvais pas tous vous libérer… Seulement quatre d’entre vous…  

Libre ? Était-il enfin et vraiment libre ? En tous les cas, il était en vie. Encore sous le choc, il essaya de reprendre le contrôle de son corps et de son esprit.

Le biologiste le comprit.
— Encore quelques minutes. Je vous ai mis une double dose… On ne va pas pouvoir se permettre de rester là longtemps.

L’adooris prit alors une décision :
— Ensemble, on n’a aucune chance, décida-t-elle. Maintenant, c’est chacun pour soi.
Elle se redressa.
— L’humain a raison, si vous restez-là, vous êtes morts.
Elle observa Teller, puis lui, un bref instant. Elle allait ajouter autre chose, mais elle préféra partir.

Il la vit disparaître derrière les arbres. Il restait maintenant seul avec Teller. Il ne se sentait pas en état de courir, ni même de marcher. Pas encore… Maintenant qu’il était libre, que ferait-il dans ce monde qu’il avait quitté involontairement dix ans plus tôt ? Fuir ? Encore et toujours ? Était-ce vraiment une vie ?

Le scientifique s’était assis à côté de lui. Il ne lui avait pas lâché la main droite. De temps à autre, il la serrait un peu plus fort, attendant une réaction musculaire de la part de son « patient ».

De longues minutes passèrent. Reiyloo observa le visage de Teller. Il faisait peur à voir tellement il était pâle. Il avait alors senti quelque chose de liquide et chaud couler sur sa main. Du sang. Il ne pouvait pas se tromper sur la nature de ce liquide même s’il ne le voyait pas encore. En levant un peu les yeux, il remarqua la tache sombre sur le manteau de Jordan Teller. Il comprit que le scientifique avait été blessé au cours de l’évasion.
— Comment est-ce arrivé ? parvint-il à demander.

Teller eut un pauvre sourire.
— Un peu long à expliquer. Je crains de ne pas en avoir le temps.
Teller avait fait ce qu’il avait pu, c’était maintenant à lui de prendre le relais. Ses années de cavales avec ses parents lui revinrent brutalement en mémoire. Il savait ce qu’il devait faire maintenant. Bien plus clairement qu’il ne l’avait jamais su avant ces dix dernières années.

Il parvint à s’assoir, péniblement.
Teller l’y aida.
— Je pense qu’on va avoir besoin l’un de l’autre un moment, fit le biologiste, comme si cette idée ne l’enchantait pas particulièrement.

Il observa l’humain un bref instant en se demandant ce qui l’avait poussé à risquer sa vie pour sauver quatre extraterrestres condamnés à une mort certaine. Difficile de savoir ce que pensait vraiment le scientifique.
— Qui êtes-vous ? finit-il par demander.
— Un homme qui vient d’en tuer trois en une nuit après s’être comporté comme un lâche durant des années, répondit Teller.
Il n’y avait aucune hésitation dans sa voix.

Le cauchemar cessait enfin.
Il se réveillait toujours, incapable de s’endormir à nouveau.
La seule chose qu’il pouvait faire pour se calmer, c’était de vérifier que ses affaires étaient prêtes au cas où il aurait à quitter les lieux en urgence. Et comme cela suffisait rarement, il sortait discrètement de son appartement et allait courir deux bonnes heures dehors. Une manière pour lui de se maintenir en forme et de vérifier qu’il n’y avait rien d’anormal dans le quartier, ou dans ceux qui l’avoisinaient.


Dernière édition par Ihriae le Mar 19 Déc 2017 - 9:23, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1)   L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1) - Page 3 EmptyMer 6 Sep 2017 - 11:47

L’ORIGINE DE NOS PEURS


Tome 1 : Esmelia



CHAPITRE 15.1


Du 10 au 15 mai 2125 du calendrier grégorien. XXIIe siècle. Date et lieu stellaire inconnus.


Amaterasu sortit de l'obscurité. Elle s’était débattue avec les voiles gratte-langues, remparts entre l’obscurité et la lumière. Elle en était visiblement agacée. Sans se laisser perturber par l’étrangeté des lieux, Elle entra dans la lumière. Elle remit un peu d’ordre dans sa tenue, une robe rouge et or qui laissait ses épaules et ses bras dénudés, fortement serrée à la taille et au niveau des seins dont la naissance n’en était que plus visible. Elle donnait l’impression que chaque souffle de sa propriétaire devait être extrêmement douloureux. Ses longs cheveux noirs, relevés, étaient retenus par une barrette de jade. Le visage de la déesse, aux traits asiatiques finement dessinés, habituellement très pâle, avait pris les couleurs de la colère. Dans son regard noir dansaient des éclairs qui ne demandaient qu’à être libérés de leur trop petite prison. À travers les jurons qu’elle ânonnait dans une langue qu’aucun d’eux ne connaissait, pas même Tsukuyomi, les autres drægans devinèrent qu’elle acceptait mal d'avoir été séparée de sa suite et, surtout, de n'avoir pas pu garder une seule arme sur elle. Pas même ses habituels et luxueux apparats, des boucles d'oreilles, des bagues et bracelets qui cliquetaient à chacun de ses mouvements et étaient autant d’armes tranchantes ou contondantes possibles dont elle savait très bien se servir.

Plus qu’une profonde colère, Mead’ avait ressenti une rage viscérale en elle.

Avec un sourire moqueur, Apollon se pencha à l'oreille d’Horus qui fronçait les sourcils en observant la flamboyante déesse.
— Au cas où tu l'aurais oublié, Horus, je te rappelle que c'est toi qui as validé son retour au Conseil des Chanceliers divins, lui murmura-t-il tout bas. Ereshkigal, Perséphone et moi-même étions contre. Va savoir pourquoi Hafgan, Bodb et Nephtys, eux, étaient pour. Il a fallu que tu fasses pencher la balance en leur faveur.
— Cela ne leur a pas porté chance puisqu'ils sont morts. Personnellement, je me suis toujours demandé ce que cela allait me coûter. Je pense que je ne vais pas tarder à le savoir.
— Boann a raison à propos de la cruche, soupira Apollon en se redressant sur son siège de pierre. Ce jour-là, on aurait dû éviter de la faire tourner plus de trois fois.
— J'admets que cela m'aurait évité de perdre de la tête. D'un autre côté, c'était elle ou...

Il se tut un court instant, comme pour chasser un mauvais souvenir, avant d’ajouter à voix basse, avec un sourire carnassier.
— Cette femelle s'y connaît pour faire tourner la tête aux mâles. Enfin, si seulement c'était une femelle.
— Si seulement nous étions des mâles, répondit Apollon songeur, sans parvenir à détacher son regard de la gorge découverte de l’ancienne déesse asiatique. Il ne pouvait voir que le renflement de ses seins comprimés par sa robe, mais cela lui remémorait quelques antiques souvenirs.

Au lieu de rejoindre son siège, entre Priape et Erra, Amaterasu s'approcha du centre et commença à tourner autour de la dalle centrale sans y poser un pied comme si elle souhaitait que chacun des drægans présent puisse admirer sa beauté intergalactique.

Ce fut au tour d’Horus de se pencher vers Apollon. Il lui glissa en grec :
— Amaterasu est du genre à vous aspirer toute votre énergie jusqu'à la moelle... Si elle ne vous dévore pas avant.

Apollon le savait, mais il s'abstint de lui demander comment, lui, le savait.

Comme si elle l'avait entendu, Amaterasu s'arrêta en face d’Horus et le foudroya du regard.
— Pourquoi n'ai-je été prévenue de la tenue de cette réunion qu'au dernier moment ? Pensiez-vous que je serai trop occupée pour me joindre à vous ?

Le "jeune" Bacchus fit une remarque en latin qu'elle ne prit pas la peine d'essayer de comprendre, ponctuée d'un petit rire sardonique.
Il ne l'aimait pas.
Elle non plus.

Rhadamanthe, lui, se fit encore moins discret, et marqua sa désapprobation en pouffant de dédain, tandis que d'autres se contentaient de froncer les sourcils.

Horus prit sur lui et fit un effort pour paraître aussi détaché que la situation le lui permettait.
— Je te trouve bien arrogante, Amaterasu, de prétendre que nous aurions préféré la tristesse de ton absence à la joie de ta présence. Sans doute quelqu'un, dans ton entourage, a-t-il voulu respecter le deuil qui t'a frappée.
— Par "quelqu'un", veux-tu parler de mon cher frère, Tsukuyomi, ici présent, le seul de mes frères encore en vie ?

C'était moins une question qu'une affirmation dans laquelle perçait une contrariété non dissimulée. Nul n’ignorait que ses relations avec son jumeau drægan comme humanoïde, avaient toujours été chaotiques. Contrairement à celles qu’elle entretenait avec Susanoo. Celles-ci avaient toujours été au beau fixe et ponctuées de nombreuses causes communes. Clairement, elle aurait préféré le premier mort plutôt que le second.

Tsukuyomi ne semblait guère atteint par cet état d’esprit. S'il l'était, il le cacha derrière un sourire humble.
— Pardonne-moi, ma sœur. Mon intention n’était absolument pas de te froisser.
Bien en peine aurait été celui qui aurait cherché le mensonge dans la voix douce de Tsukuyomi ou dans son attitude.

Amaterasu eut un rictus mauvais à son égard et une ombre menaçante accentua la profondeur obscure de ses pupilles.
— Si je le pouvais, je t'arracherai ce stupide sourire de ton visage ? N'as-tu donc aucun honneur ? C'est notre frère, Susanoo, qui a lâchement été assassiné. Il aurait pu devenir un grand dieu s’il avait eu un empire à diriger. Sa mort demande vengeance.

Un frère comme celui-ci, Tsukuyomi s'en passait très bien. Ses relations avec Susanoo avaient cessé lorsque celui-ci avait fait exécuter son chambellan parce qu’il n’aimait pas ses manières trop raffinées. Ses exactions ne s’étaient pas arrêtées là, hélas. Alors il n’allait pas pleurer la mort de ce frère qui n’avait jamais cessé de faire preuve de jalousie envers lui depuis leur plus tendre enfance. Il n'avait eu que ce qu'il méritait. Elle aussi.
— Pitié, Amaterasu. Nous savons tous que si Susanoo avait eu un empire, tu aurais tout fait pour le lui prendre, comme tu l'as fait avec d'autres... et avec moi. Il fut un temps où tu souhaitais ma mort. Si Horus ne t'avais pas intégrée au Conseil en échange de ma... de ma vie, tu m'aurais dépecé sans la moindre hésitation... Aujourd'hui, tu espères mon soutien ?

Elle ne répondit rien et se contenta de hausser les épaules. Son soutien ? Il était loin du compte. Ce serait la dernière chose qu'elle aurait envie de lui demander. Non. La dernière chose qu’elle aurait envie avant de mourir… Ce serait de le tuer de ses propres mains et de lui arracher le précieux cœur de son hôte avec les dents.

Elle se tourna à nouveau vers Horus et Apollon.
— Si vous n'étiez pas des Chanceliers divins, je vous ferais ravaler vos paroles et cracher toutes vos dents avant de vous arracher la langue.
— Continue, tu m'excites, la provoqua un peu plus Apollon.

Amaterasu maîtrisa l'aversion qu'elle avait toujours eue à son égard. Elle ne surprit aucun des autres drægans lorsqu'elle gagna le centre du cercle et monta sans hésitation sur le socle central. La plupart d’entre eux avaient suivi avec curiosité ses courtes joutes verbales avec son frère, puis avec les deux chanceliers divins. D’autres n’en avaient pas grand-chose à faire. Et tous se disaient que plus vite, elle grimperait sur l’estrade, plus vite elle en redescendrait. Après tout, d'une certaine façon, Apollon l’y avait invitée en lui disant de "continuer".
— Pour le meurtre de mon frère, commença-t-elle, je demande réparation. Je veux la tête de Baal, et je veux le tuer de mes propres mains et dévorer l’achi qui est en lui comme je suis en droit de le faire.

Quelques drægans clignèrent des yeux, autant en entendant ce mot, qu'ils ne prononçaient que très rarement et avec le plus grand respect, que le nom de Baal, et en prenant conscience du sort qu’Amaterasu réservait à Baal. Elle ne manquait pas de culot. Malgré tout, Mead’ eut le sentiment que du côté de Lara, Scáthach et Erra, tout le monde ne serait pas opposé à cette demande.

(Suite Chapitre 15.2)


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MessageSujet: Re: L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1)   L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1) - Page 3 EmptyMer 6 Sep 2017 - 11:57

Tome 1 : Esmelia



CHAPITRE 15.2


Suite du chapitre 15.1


Apollon secoua la tête. Il se pencha légèrement en avant, les coudes posés sur les bras de son fauteuil
— Oublie ton projet de vengeance, la prévint-il avec calme et froideur.

Elle le foudroya du regard.
— Ce n'est pas à toi que je m'adressais, Apollon. Mais puisque tu souhaites intervenir pourquoi, selon toi, renoncerais-je à cette "vengeance" ?
— Peut-être qu'entre toi morte, et Baal vivant, je préfère la seconde solution, riposta-t-il immédiatement. Si tu persistes à t’attaquer à lui, c’est forcément ce qui arrivera. Personne ne peut à tuer Baal. Même le plus acharné d’entre nous. Il y en a, ici même, qui ont essayé. Ils peuvent donc en témoigner.

Quelques têtes se tournèrent en direction de Scáthach qui émit un gloussement étrange et inhumain.
Elle leur renvoya un regard meurtrier.

Amaterasu fulminait toujours, mais de manière plus intérieure.
— Me menacerais-tu, Apollon ? minauda-t-elle.
— Bien sûr que non. Entre Chanceliers divins, ce genre de chose n'a pas lieu d'être.

Rhadamanthe ne cachait pas que la joute entre Amaterasu et Apollon ne l'amusait guère. Il avait l'impression qu'un gros matou jouait avec une petite souris. Toutefois, la souris n'était pas seulement maligne, elle était aussi diablement dangereuse.

Il décida d'intervenir avant que les choses tournent mal.
— Nous n'avons pas le temps ni d’intérêt à mettre un duel entre vous en place, Apollon.
Puis il s’adressa directement à la déesse :
Amaterasu, nous allons considérer ta demande. Expose-nous tes arguments et, à leur lumière, nous déciderons.
— Parce qu'on a le temps pour cela, Rhadamanthe ? s'insurgea Anat.  

Il lui répondit en réprimant une bouffée d'agacement :
— Nous le prendrons. Quelqu'un y voit-il une objection ?
Personne n'en vit, même si Anat et Enki cachèrent moins leur réticence que les autres.

D'un signe de tête, Rhadamanthe invita Amaterasu à s'exprimer.
— Ce que j'ai à dire ne tient qu'en une seule phrase : j'accuse Baal, Chancelier Divin déchu et banni du Grand Conseil et de la Source des dieux, d'être un voleur et un meurtrier, et je réclame un châtiment exemplaire envers lui… et tous ceux qui l’ont aidé à quitter Tartar.  

Elle se tut, espérant avoir fait sa petite impression. En plus de sa beauté saisissante, cette dræganne respirait la toute-puissance. Elle le savait, et tels des charmes magiques, elle utilisait ses atouts au maximum de leur influence.

Mais ce n’était pas cela qui les avait impressionné, ni son discours. Encore que… En évoquant la planète Tartar, la plupart d’entre eux avaient frémis d’horreur. Cette planète, pourvue d’une atmosphère permettant la vie, était sans doute l’une des plus inhospitalières qu’ils connaissaient. Elle se situait à la limite des territoires connus en direction de l’Inkus, l’une des six directions géospatiales. Cette direction avait été calculée plusieurs millions d’années auparavant par une civilisation dont il ne restait que peu de traces en dehors de celles qu’elle avait laissée aux navigateurs issus de différentes espèces. Du coup, le système de repérage avait été conservé pour la navigation spatiale et restait un bon moyen de se faire comprendre par tous en cas de naufrage ou de lecture de coordonnées.

Après un instant de silence qui laissa à chacun le temps d'assimiler la requête d'Amaterasu et d'en peser soit les bénéfices qu'ils pourraient en tirer, soit au contraire les dommages qui en découleraient, et en même temps de ressentir un certain respect envers celui qui était parvenu à quitter Tartar en vie, Rhadamanthe reprit la parole.
— Voilà qui n'est pas nouveau. Baal a toujours été un menteur et un manipulateur. C’est dans sa nature même, et dans la nôtre. Quant à être un meurtrier... Il n'est pas un seul drægan dans ce cas. Le contraire aurait fait de lui un être d’exception. Je m'étonne seulement que ton frère ne soit pas mort plus tôt. Son ambition et son manque de discernement, entre autres, l'ont souvent conduit à se heurter à des adversaires plus puissants que lui, ou plus avisés. Bacchus, Shamash et Ishkur, ici présents, pourraient en témoigner.

Ishkur redressa la tête. Deux fois ! Il avait été pointé du doigt deux fois en quelques minutes. Il n’appréciait pas du tout de se voir donner en exemple contre son propre camp. Depuis qu'il avait établi une alliance avec Amaterasu, il jouissait d'une paix divine, et souhaitait que cela demeure ainsi aussi longtemps que possible. Il savait que les trêves et les pactes avec elle étaient fragiles. Dans l'immédiat, il avait trop à perdre s'il devait l’affronter comme ennemie. Notamment un poste de Chancelier Divin qu'il comptait obtenir dans un avenir plus ou moins proche…

Il ne pouvait se permettre de confirmer énergiquement comme Bacchus et Shamash, mais rester en retrait pouvait le rendre suspect aux yeux des autres drægans.
Il se contenta d'un hochement très bref.

Les yeux sombres d'Amaterasu brillèrent avec intensité.
Horus et Apollon crurent y voir un sentiment de victoire, et de ruse, alors qu'elle n'avait pas de quoi se réjouir. Elle préparait d'autres mauvais coups, c'était certain. Ils connaissaient son ambition démesurée. De côté, elle n’avait rien à devoir à Susanoo. Peut-être était-ce même elle qui avait fait de lui ce qu’il était. De plus, aujourd'hui, c'était Baal, et s’ils accédaient à sa demande, demain – un demain très proche – ce serait sans doute leur tour.

Ils devinaient aussi que la mort de Susanoo n'était pas la seule motivation de la funeste réclamation de l’ancienne déesse. Sa haine envers Baal avait toujours été évidente. La jalousie qui la brûlait comme un feu ardent ne suffisait pas à expliquer cette haine abyssale.
— Qu'est-ce qui vous embarrasse dans ma demande ? Il y a quelques mois, vous n'auriez pas hésité... Il est l’auteur d’un…

Teutatès lui intima le silence.
— Nous n’avons jamais pu avoir la confirmation de ce crime pour lequel il a tout de même été condamné, mais admettons que Baal ait assassiné Susanoo. Pourquoi serait-il un voleur ? Les rumeurs disent qu'il possède plus que ce que certains d'entre nous disposent encore : une armée de labirés, des alliés qui lui sont fidèles, des vaisseaux de guerre, et des planètes sur lesquelles il est encore vénéré et qu’il peut gouverner à sa guise.

Lara crut bon d’intervenir en soutien à sa consœur :
— Vous l'avez dit : ce ne sont que des rumeurs. Comme la plupart d’entre nous, il a tout perdu. Pensez-vous vraiment que les peuples des planètes qu'il gouvernait continuent à le suivre alors que tous les autres se sont libérés de leurs prétendues… "chaînes" ? Ils nous ont abandonnés, nous. Pourquoi en serait-il autrement avec lui ? Qu'est-ce qui le différencierait de nous ?
— On se le demande encore.

Divona avait parlé plus pour elle-même que pour répondre à la question de Lara. Cette discussion l’ennuyait et elle ne cherchait surtout pas à le cacher.

Amaterasu ne sembla pas l’entendre. Elle poursuivit, les observant les uns après les autres, en quête de leur soutien.
— Le peu qu'il lui restait, vous le lui aviez pris lorsque vous l'avez déchu de ses privilèges de Chancelier Divin, non ? En réalité, il ne possède plus rien... RIEN. Même pas sa dignité.
Perséphone frissonna. Elle ne souhaitait pas avoir Amaterasu pour ennemie. Elle réprima un sursaut lorsque celle-ci eut un rire aussi soudain qu’insolent.

Teutatès, lui, n'avait guère envie de rire. Il interrompit net cette expression d’impertinence ou de folie, ou les deux à la fois.
— Comptes-tu nous dire ce que Baal a volé à ton frère, oui ou non ?

Tsukuyomi remua sur son siège.
— Vous ne devinez pas ? fit-il mi-figue mi-raisin, d’une voix presque chantante.  

Un ange sembla traverser le cercle à grand pas pour se diriger vers Tsukuyomi. On eut même dit que Perséphone et Dercéto le suivirent du regard jusqu’au beau jeune homme comme s’il avait reconnu un frère en lui.


(Suite Chapitre 15.3)


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MessageSujet: Re: L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1)   L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1) - Page 3 EmptyMer 6 Sep 2017 - 12:02

Tome 1 : Esmelia



CHAPITRE 15.3


Suite du chapitre 15.2


Si quelqu'un avait la réponse, en dehors d'Amaterasu, cela ne pouvait être que son dernier frère. Les regards des deux drægannes sur lui se faisaient tellement insistants que cela attira l'attention des autres. Que cherchait donc sa sœur ? À le rendre complice de Baal ? Elle savait pertinemment… Ses espions l’avaient sûrement renseignée à l’instant même où les labirés de Baal s’étaient présentés à lui…

Tsukuyomi soupira douloureusement. S’il ne prenait pas l’initiative, elle en profiterait pour lui asséner un de ces coups dont elle avait toujours eu le secret. De plus, s’il tardait à répondre, les autres allaient lui tomber dessus…

Une pensée parvint à l’esprit de Mead’ :
… comme la petite vérole sur le bas clergé en se demandant ce qu’il leur cachait d’autre.
Ce n’était pas exactement la pensée de Tsukuyomi, mais cela y ressemblait beaucoup.
— Une épée que nous possédons... On lui a donné plusieurs noms, mais là où nos ancêtres en auraient pris possession, dans un monde féodal, elle a été surnommée Kusanagi, la coupeuse d'herbe. On la dit créée par un dieu pour un empereur de ce monde, la Terre. Enfin, c’est ce que dit la légende. Nul ne sait Si elle s’y est vraiment trouvée à un moment… ou si la Terre a jamais existé. Elle a sans doute beaucoup voyagé, et connu de très nombreuses civilisations. Le fait est que c’est notre famille qui possède cette épée.

Ishkur leva la tête et essaya de croiser le regard d’Horus. Il se demandait si cela valait la peine de faire état de l’histoire d’une vulgaire épée dans ses notes.  Il remarqua immédiatement qu’Horus avait ostensiblement l’esprit d’un côté, et les yeux d’un autre. Ishkur comprit qu’il en était quitte pour relater toute l’histoire dans ses moindres détails. Intérieurement, il les maudit : Horus, Tsukuyomi et sa satanée épée.

Ce dernier poursuivait :
— J’ai fait mes propres recherches. En vérité, c’est l’un des nôtres qui l’a forgée : Goibné.
— Que devient ce bon vieux Goibné, chuinta Moccus d’une voix sirupeuse. Cela fait un moment qu’on ne l’a pas vu. Ses armes pourraient nous être utiles en ces temps… agités.  
— Sans aucun doute, répondit Tsukuyomi sans laisser paraître la moindre émotion sur son visage ou dans sa voix. Encore eut-il fallu que Susanoo et ses amis ne lui coupent pas la tête lorsqu’il a refusé de leur en forger de nouvelles.

Il ne leur racontait pas toute l’histoire, vieille de plusieurs siècles. Mead’, elle, la connaissait… Elle s’en souvenait aussi sûrement que si elle l’avait lue dans l’esprit de Tsukuyomi. Mieux, sans doute.

Goibné vivait sur Namedi, en plein territoire des Dananns. Pour rien au monde, il n’aurait quitté ses terres, sauf pour un ami et un allié auquel il devait un service. Susanoo s’était fait passer pour Tsukuyomi et avait attiré Goibné jusqu’à Meriion, une planète forestière, où ses associés et lui-même lui avaient tendu un piège et l’avaient assassiné. Certes Goibné avait refusé d’accéder à leur demande, mais ce n’était pas uniquement pour cela qu’il était mort. Susanoo n’avait pas uniquement agi pour son propre compte, cependant il en avait tiré avantage. Il s’était ensuite rendu à la forge du vieux dieu, sur Namedi, avec un faux ordre de Goïbné. Il y avait pris tout ce qu’il avait pu trouver. C'est-à-dire assez peu de choses, finalement. Il avait rapidement compris que Goïbné n’entreposait pas ses armes là où il les fabriquait. Seulement, il était trop tard pour l’interroger sur ce point. Il y avait néanmoins récupéré Kusanagi comme si elle n’attendait que lui pour retrouver sa place naturelle auprès de sa famille. L’épée perdue, pensait-il, par son père lors d’un combat. Il avait longtemps regretté de n’avoir pas trouvé d’autres armes divines. Amaterasu le lui avait fait payer un temps…
— Mais ma sœur se trompe... poursuivait Tsukuyomi. Kusanagi n'est plus en possession de Baal. L'un de ses labirés est venu me la remettre, hier soir, sur l’ordre de son maître.

Amaterasu dut faire un gros effort pour, à la fois, feindre l’ignorance, cacher sa déception de voir une attaque possible contre son frère anéantie dans l’œuf, et pour garder ses idées claires afin de trouver un autre moyen de parvenir à ses fins.
— Vous voulez dire sa ijà’kô, corrigea Rhadamanthe.

Son expression montrait clairement son amusement.
Tsukuyomi fronça les sourcils. Rhadamanthe, le traître qui hébergeait Baal et sa putain esclave, et qui faisait mine de ne pas prendre parti pour ou contre l’ancien dieu phénicien.
— Non. Il s'agissait bien d'un labiré, finit-il par répondre. En fait, ils étaient quatre.
Un éclair sombre passa dans le regard de Rhadamanthe.

Baal n'avait officiellement pour seule suite que sa ijà’kô. Il n’avait accepté de le recevoir sur son vaisseau qu’à cette seule condition. Pas de gardes. Pas d’armes. Du moins d’armes lourdes ou d’explosifs. Il avait fait scanner sa vedette avant son atterrissage. Elle ne contenait en tout et pour tout que deux passagers : Baal et la ijà’kô. Ses hommes avaient fouillés les deux passagers. À part une lame paralysante que chacun possédait, ils n’avaient rien pu trouver d’autre.

Mais visiblement, son ancien protégé avait assuré ses arrières. Rhadamanthe ne pouvait pas vraiment lui en vouloir car il se trouvait en plein territoire ennemi. Plus d’un drægan aurait cherché à le tuer s’il n’avait pas eu l’assurance que Baal y était préparé. Mais de là à penser qu’il ne pouvait même pas avoir confiance en lui, alors qu’il lui avait sauvé la vie plus d’une fois… La rumeur disait peut-être vrai. Qui savait combien de vaisseaux furtifs appartenant à Baal s'étaient glissés parmi les leurs ? Qui savait combien d'espions il avait encore à son service à l’intérieur de chacune des maisons divines ? Peut-être même que l'un d'entre eux se trouvait parmi les membres du Conseil...

Le niveau de suspicion qu'ils nourrissaient envers ses congénères grimpa de quelques échelons.

Amaterasu s'était ressaisie.
— Il est venu rendre l'épée, et tu l'as laissé repartir ? Comme ça ?
Les lèvres de Tsukuyomi esquissèrent un sourire de satisfaction.
— Je n'avais aucune raison de tuer un labiré, fut-il celui de Baal, répondit-il d'une voix calme, même s’il admettait mal que sa sœur mette en doute le bien-fondé de ses décisions.

Après tout, même s’il n’éprouvait aucune compassion envers lui, il devait bien cela au "déchu". Celui-ci l'avait débarrassé de deux des quatre problèmes délicats qu'il cherchait à gérer depuis un bon moment : un frère, Susanoo, belliqueux et inconscient de ses actes, et une compagne, Ame-No-Uzume, volage et aussi dangereuse qu'Amaterasu dont elle recevait secrètement l’enseignement. Au moins, il n'aurait plus à craindre que sa nourriture soit empoisonnée ou que sa couche soit sa dernière demeure. Facultativement, le problème d’espionnage était aussi réglé. Bien entendu, cette résolution amenait un nouveau problème. Amaterasu allait devoir trouver un ou une remplaçante à Ame-No-Uzume si elle voulait continuer à le surveiller. Il allait devoir se montrer vigilent. Mais au moins, il pouvait se concentrer sur les autres problèmes l'esprit plus tranquille. Amaterasu était l'un d'entre eux. Avec un peu de chance, elle n'en serait bientôt plus un.

— Le problème est donc réglé, résuma Teutatès sur un ton qui résumait assez bien le côté expéditif de l’affaire. En conséquence, nous n’accéderons pas à ta demande, Amaterasu.
— Alors c’est comme cela ?
— C’est comme cela, répéta Horus. Que cela te plaise ou non, il faudra t’y faire. Nous ne pouvons accepter de répondre à une demande dont les intérêts sont uniquement personnels alors que nous œuvrons pour le bien de notre communauté.
— Pour ce qu’il en reste.
— Justement ! gronda Horus.

Son ton n’admettait aucune réponse. La belle déesse le comprit et haussa les épaules en descendant de son estrade. Intérieurement, elle était furieuse et une foule de mots grossiers à leur encontre se bousculaient dans son esprit. Elle choisit de les garder pour elle. Elle se disait aussi que tôt ou tard, ils allaient s’en mordre les doigts.
— Tout cela n’est que simulacre, marmonna-t-elle entre ses dents tout en rejoignant sa place, auprès de Priape.

Il fut le seul à l’entendre. Il lui fit un vague sourire qui se transforma en grimace malgré lui, à cause de sa joue creuse. La mort aurait pu sourire que cela aurait exactement eu le même effet. Pour une fois, il éprouvait une vague compassion pour une femelle. Oui, il comprenait sa frustration. Oui, il était d’accord avec tout ce qu’elle avait dit, et même avec ce qu’elle avait pu faire… Il n’aurait pas agi autrement… en d’autres circonstances.

(Suite Chapitre 15.4)


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MessageSujet: Re: L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1)   L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1) - Page 3 EmptyMer 6 Sep 2017 - 12:10

Tome 1 : Esmelia



CHAPITRE 15.4


Suite du chapitre 15.3


Il y eut un bref silence avant qu’une petite voix se fasse soudain entendre.
— De toutes les façons, sa requête, c'était juste pour la forme. Elle savait à quoi s'attendre. Je parierais même qu'elle avait exactement prévu comment cela se déroulerait, et qu’elle se passera de votre autorisation pour accomplir sa vengeance. En tous les cas, moi, à sa place, c'est ce que je ferais.

D’un mouvement parfaitement synchronisé, vingt-six paires d’yeux se fixèrent sur la jeune Circé en essayant de deviner jusqu’à quel point elle était sérieuse. Seule, Calliope resta de marbre comme si elle était aussi sourde que sa supposée maîtresse était aveugle.

La magicienne avait la voix de l’enfant qu’elle semblait être et la conviction d'une adulte. Avait-elle, elle aussi, des raisons de haïr Baal ? Et, surtout, l’un d’entre eux devait-il la craindre ?

Dercéto, elle, ne put s'empêcher de sourire. Elle avait pensé, en partie, la même chose que la jeune fille. Cependant, elle l'aurait exprimé d'une manière beaucoup plus fleurie si Circé ne l'avait pas prise de court. Ce qui était assez inhabituel de la part de la jeune fille qui ne s’était jamais intéressée aux petites querelles qui animaient généralement les Conseils.
— On n'aurait pas d'autres problèmes plus urgents à régler ? interrogea soudain Scáthach de sa voix éraillée, et inhumaine.

Elle renifla bruyamment à plusieurs reprises. Quelque chose agaçait ses narines. Elle jeta un coup d’œil furibond à Dercéto qui, non loin d’elle, s’aspergeait le fond de la gorge avec une sorte de vaporisateur à parfum.

Mead’ ne pouvait affirmer s’il s’agissait réellement de parfum ou d’autre chose.

En tous les cas, la dræganne avait l’air de savourer autant ce qu’elle avalait que le fait d’avoir énervée Scáthach.  
— Si j'ai bien compris, on va encore reparler de LUI, ajouta Divona toujours revêche. Décidément, on l'a viré du Grand Conseil et on ne l’a pas invité à une réunion depuis des lustres, encore moins à celle-ci, mais IL n'aura jamais été aussi présent. Je me demande bien ce que nous ne savons pas encore à son sujet. On devrait peut-être lui faire porter le qa’mus dans ses appartements, sur ton vaisseau, Rhadamanthe.
— En fait, je l'avais invité à se joindre à nous... lui répondit Dercéto d'une voix tranquille comme s’il s’agissait d’une simple formalité. Il a refusé.

Divona la regarda en se demandant si elle l’avait vraiment fait ou non, ou s’il s’agissait seulement d’une provocation. Elle finit par décider que Dercéto l’avait fait.
— Manquerait plus qu'il ait accepté, lâcha-t-elle, tout en se demandant pourquoi il avait refusé.

Autrefois, il aurait sauté sur l’occasion.

La discussion prit soudain un autre tour.
— Quelle sont nos forces actuelles ? demanda Anat.

Sa question ne s’adressait à personne en particulier.

Ce fut Apollon qui lui répondit en se levant de son siège et allant se placer sur la dalle centrale, là où s’était tenue Amaterasu, quelques instants plus tôt.

Son physique d’athlète attirait inévitablement les regards féminins, et les "mâles" le lui enviaient. De sa voix forte et claire, il ne ménageait habituellement pas ses effets pour capter l’attention de l’assistance. On finissait par en oublier son corps musclé et quasiment nu. Son visage aux traits déterminés était, quant à lui, diablement avenant.
— Notre situation est aussi simple que claire : tout ce qu’il reste de notre… peuple… se trouve ici ou presque. Stationné en orbite de Lahassa. Quant aux civilisations que nous avons édifiées… Autant dire qu’elles n’existent quasiment plus.

Un murmure d’effroi parcourut l’assistance.
— Vous… vous voulez dire que… que nous ne sommes plus que… que vingt-sept…

Taranis se souvint soudain qu’au moins un drægan n’avait pas été invité.
— … enfin vingt-huit…
— Compte tenu de ceux qui ont répondu à notre appel, un peu plus, admit Apollon. Et tous ne sont pas venus. Certains se cachent dans les derniers mondes encore viables. Leur situation est telle qu’ils ne survivront, hélas, pas longtemps ans notre aide, et autant vous le dire dès maintenant, certains d’entre nous, ici présents, mourront dans les jours, dans les semaines, ou dans les mois à venir.
— Parle pour toi, beau gosse, fit Divona. Moi, je ne compte pas m’éterniser dans les parages, et j’ai pris toutes mes précautions.
— Si tu penses que ce sera suffisant, libre à toi.

Erra se redressa sur son siège, l’œil mauvais, la mâchoire crispée. Ce genre de prédiction avait le don de l’irriter. Cela ne l’avait jamais vraiment inquiété parce qu’il n’y croyait absolument pas, contrairement aux autres. Et puis, il s’était toujours dit, au cas où, qu’il ne resterait pas passif si l’avenir la voyait sur le point de se réaliser. Toutefois, il se conforma à l’attitude de ses congénères, histoire de ne pas se faire remarquer plus que nécessaire. Simultanément, il se demandait quels avantages il pourrait tirer de cette nouvelle situation.
— Un instant, s’exclama-t-il. On pourrait revenir en arrière, s’il vous plaît ? Qu’est-ce que cette histoire ? Encore une prédiction de notre petite sorcière bien aimée ?

S’il avait tourné la tête, ne serait-ce qu’une fraction de seconde, en direction de Circé, il aurait remarqué le regard assassin qu’elle posa aussitôt sur lui. Que l’on mette ses prédictions en doute était une chose. Elle n’obligeait personne à les prendre au sérieux, même si jusqu’ici, la plupart d’entre elles s’étaient vérifiées. Qu’on la traite de sorcière était une forme d’insulte. Elle ne fabriquait pas de potions magiques avec de la bave de reptile, le sang ou les organes de quelque créature que ce soit. Encore que, l’idée lui vint soudain d’essayer, un jour, avec le cœur d’Erra, s’il en avait un, si petit soit-il.

Cela dit, il y avait bien une prédiction mais ce n’était pas l’une des siennes car elle existait bien avant sa naissance.

Circé avait aussi autre chose en tête, comme dissimuler ses pensées.

Elle les cachait si bien que Mead’ ne parvenait pas à les lire, encore moins à les deviner. Craignait-elle la présence d’un télépathe parmi eux ? L’avait-elle vraiment sentie tout à l’heure ? Ou bien sa magie lui avait-elle appris à se protéger instinctivement ?
— Combien reste-t-il de mondes viables ? demanda de nouveau Anat.
— Environ quinze pour cent, lui répondit Apollon d’une voix dans laquelle perçaient résignation et fatalisme.

Ésus soupira quasiment de soulagement. Il n’était pas du genre fataliste, ni même résigné.
— Essayons d’abord de voir l’aspect positif de la situation, fit-il d’une voix douce presque timide. Quatre-vingt-cinq pour cent des univers détruits, cela signifie que les autres… formes de vie sont autant atteintes que nous, sinon plus, n’est-ce pas, Apollon ?
— C’est exact, Ésus. Je suis certain que nous allons tous pouvoir apprécier ton sens de l’à-propos.
— Quinze pour cent ? poursuivit Esus. L’univers que nous connaissons compte des milliards de galaxies… et celui que nous ne connaissons pas en compte peut-être bien plus. Cela laisse suffisamment de galaxies pour nous en contenter. On sait que la menace semble venir de la zone profonde de Colininkus.  Nous pourrions nous déplacer dans la direction opposée, Gelinkus, ou même dans toutes les autres. Nous ignorons ce que nous pouvons trouver dans le Minkus, l’Inkus, l’Arrior et l’Alvin, mais cela pourrait nous sauver durant quelques centaines d’années, peut-être un millier… Peut-être même pourrions-nous reconstruire nos royaumes et gagner suffisamment de force pour vaincre cet ennemi que tout le monde semble craindre sans jamais l’avoir combattu.
 
Apollon vit Frey sourire. Dès qu’il était question de mondes à conquérir, certains drægans ne pouvaient s’empêcher d’y voir l’occasion de leur ascension.

Il reporta son attention sur l’orateur.
— C’est même plus qu’il nous faut. Que nous soyons cinq, dix, vingt-sept et plus, nous avons l’occasion de rebâtir nos empires exactement comme nous le souhaitons, assujettir ce qui reste de créatures pensantes, ou non pensantes, et conquérir de nouveau monde, ériger de nouvelles civilisations en leur ôtant tout désir de rébellion contre leurs bienfaiteurs.
— Tu as quoi à la place du cerveau, Esus ? s’étonna soudain Perséphone. Tu n’as pas entendu ce que vient de dire Apollon, ni le son de tes propres paroles ? Quatre-vingt-cinq pour cent des mondes que nous connaissons ont été rayés de la carte sans même que cet ennemi y mette les pieds. En combien de temps ?
— En cinquante ans… Peut-être cent. Nous ne pouvons en avoir la certitude, répondit Apollon. Pas plus que celle de l’absence ou de la présence de cet ennemi dans ces mondes car personne n’a pu en témoigner jusqu’à présent. Aucune planète n’a été détruite. Il n’y a tout simplement plus aucune vie apparente. Elles sont comme… Mortes. Le plus curieux, c’est que nous n’avons pu intercepter qu’un seul vaisseau…

(Suite Chapitre 15.5)


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MessageSujet: Re: L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1)   L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1) - Page 3 EmptyMer 6 Sep 2017 - 12:12

Tome 1 : Esmelia



CHAPITRE 15.5


Suite du chapitre 15.4


Perséphone ne lui laissa pas le temps de terminer :
— Vous pensez que ces univers et tout ce qui les peuplait ont disparu sans laisser de traces juste parce qu’ils en avaient l’envie ? Pour des créatures dont l’espérance de vie est de moins d’un siècle, c’est déjà quelque chose de savoir que leur monde va être détruit de leur vivant… Il est impossible qu’il n’y ait pas eu d’appel à l’aide de leur part. Sauf si rien n’indiquait l’imminence d’une attaque ennemi et que cette-ci ait été foudroyante… Alors… dans le meilleur des cas, même si nous mettons de la distance entre nous et cette chose qui a, peut-être, anéanti la vie dans ces galaxies, nous ne pouvons être certains de l’endroit où elle se niche vraiment. Lorsqu’elle nous trouvera, elle ne fera qu’une bouchée de nos forces. Quelle différence que cela soit aujourd’hui, ou dans un millier d’années ? Quelques-uns d’entre nous, ici présents, seront encore en vie pour le voir. Ils auront seulement passé le reste de leur existence à fuir. Tu veux conquérir autant de mondes que nos aînés avec tes belles armées, Esus ? Ne te gêne pas. On se souviendra de toi comme le shura qui voulait être Zeus ou Odin pendant…

Elle fit mine de réfléchir, avant d’ajouter avec un sourire narquois :
— À l’échelle de l’univers… Pendant rien du tout. Même pas le temps de la chute d’un grain de sable dans le Grand Sablier du Temps avant que nous soyons tous exterminés.

Anat toussota. Elle entrevoyait clairement dans la disparition de ces milliards de galaxies, et plus encore dans le discours de Perséphone, la marque d’un ennemi si puissant qu’il valait mieux ne pas se trouver sur son chemin. Ce genre d’ennemi n’aurait aucun besoin de dieux déchus et inutiles. Valait-il mieux mourir plutôt que d’accepter le joug de l’esclavage ou une mort encore plus atroce que ce qu’elle pouvait imaginer ? Dans ce cas, elle préférait choisir sa mort et celle de ceux dont elle avait la responsabilité ou l’amour. Demain ou un millier d’années avait dit Perséphone ? D’après ses oracles, l’ennemi était à leur porte. Il avait peut-être même déjà infiltré leurs rangs.

— Nos aînés étaient tellement remplis d’arrogance, fit Esus calmement. C’est ce qui leur a coûté la vie. Cette folie et cette trop grande estime qu’ils avaient d’eux-mêmes ont été le point de départ de notre chute. À cause d’eux, de nombreuses civilisations ont découvert que, non seulement nous n’étions pas des dieux, mais surtout, que nous n’étions pas immortels. D’autres civilisations l’ont aussi appris. Nos empires sont tombés les uns après les autres. Nous ne pouvions plus exercer la moindre influence sur les civilisations que nous avions érigées. Pire encore, nos créations ont pris les armes contre nous. Beaucoup de drægans sont morts avant d’avoir pu fuir et se réfugier dans les pires trous de l’univers.
— Nos créations ? C’est ainsi que tu les voies ?

Esus planta son regard dans celui de Teutatès.
— Sans nous, ces créatures seraient encore en train de se rouler dans la boue ou le sable de leurs misérables planètes. Au lieu de nous remercier de les avoir sortis de leur état de bêtes immondes, ils nous ont… chassés et bannis.
— Parle pour toi, Esus, fit Perséphone dans un sourire mi-figue, mi-raisin. En ce qui me concerne, j’ai encore mon empire… Il en va de même pour Ereshkigal.
— Pareil pour moi, ajouta Divona.
— D’un autre côté, qui voudrait d’une planète obscure, sableuse, ou sans la moindre once de Terre et balayée par les vents. Des mondes inhabitables, ils sont beaux vos royaumes, pouffa Scáthach.
— C’est vrai que Mélime, côté soleil, ça chauffe un peu… Mais ça manque de chaleur, contrairement aux enfers, fit Dercéto avec un sourire ironique.
— Ma planète te plairait sûrement pas, lui renvoya Divona. Toi qui refuse de montrer la peau de ton hôte au soleil de peur qu’elle se flétrisse trop vite.
— Mesdames ! les interrompit sèchement Apollon qui voyait une nouvelle bataille de mégères se profiler.

Dercéto et Divona acquiescèrent. La situation était suffisamment grave sans en rajouter.

Erra prit la parole avant qu’Apollon décide d’aborder un autre sujet.
— Il n’en reste pas moins que l’idée d’Esus n’est pas totalement dénuée de sens. Tels que nous sommes aujourd’hui : déchus, sans royaumes ni fidèles, qui voudrait traiter avec nous ? Personne évidemment. Pas même nos voisins les plus proches, je suppose. Si nous retrouvons notre magnificence d’autrefois, nous pourrions négocier notre… reddition. Quel ennemi ne verrait pas un avantage à s’allier avec ceux qui leur apporteraient des forces supplémentaires ?
— Un ennemi dont nous ne connaissons rien, répondit Teutatès d’une voix sombre. Un ennemi qui ne fonctionnerait pas du tout comme nous, et dont les motivations nous seraient alors totalement inconnues.
— Qu’en est-il de la Nâga ? demanda soudain Taranis.

Son mouvement n’avait rien d’anodin.

Esmelia perçut le léger frémissement de Circé à l’évocation de la Nâga.

La Nâga était un groupe de drægans dissidents qui avaient toujours refusé de passer pour des dieux aux yeux des civilisations. À peine acceptaient-ils de passer pour des magiciens ou des prophètes, ou même des visionnaires. On prétendait même qu’ils étaient, en partie, à l’origine de la chute des dieux car c’était l’un d’eux qui aurait révélé leur mortalité. Pire encore, les nâgas refusaient de prendre des humanoïdes pour hôtes afin de bien se différencier des autres drægans. Ils excluaient aussi de prendre des hôtes sans le consentement de ces derniers. Les nâgas étaient considérés par les drægans, au mieux comme de dangereux rêveurs, au pire comme des extrémistes néfastes pour l’espèce toute entière.
— Circé pourrait peut-être nous éclairer sur le sujet. Elle est la seule parmi nous avec laquelle ils acceptent encore d’avoir des contacts.

Erra ne cachait en rien l’aversion que lui inspirait la Nâga et tout ce qui s’y rapportait de près ou de loin. Il méprisait donc la jeune fille qui, d’après lui, nourrissait bien autre chose qu’une simple estime à leur égard. Cependant, il n’en avait pas la certitude absolue.

Il n’était pas le seul. Perséphone, Teutatès et Apollon soupçonnaient aussi d’autres liens entre la Nâga et la jeune fille. Cependant, la première n’aurait su que faire de la confirmation de ses doutes. Elle n’avait donc jamais cherché à vérifier. Le deuxième avait des sentiments bienveillants à l’égard de la petite magicienne, et s’il n’affichait aucune antipathie envers la Nâga, il considérait que leurs convictions ne regardaient qu’eux seuls. Quant au troisième, il ne voyait pas le moindre bénéfice à tirer d’une information sans fondement.

Aucun des trois n’avait jamais considéré Circé comme une adversaire à écarter ou une ennemie à anéantir.

Ce ne fut pas Circé qui répondit, mais Divona dont le passe-temps favori était justement d’enquêter sur la présence d’espions Nâga dans ses rangs.
— La Nâga n’est plus ce qu’elle était du temps de Peche, Tacle et de Tenghy, expliqua-t-elle. Lorsque celui-ci a été… tué… Leurs ambitions ont radicalement changé de direction.
— C’est plutôt leur moralité qui a changé de direction, ironisa Dercéto.
— J’ai entendu dire, enchaîna aussitôt Perséphone qu’ils sont devenus aussi corrompus que les Atrides, et qu’ils cherchent les moyens de prendre notre place…
— Ça, ce n’est pas nouveau, ma puce, fit Boann avec un léger sourire. On dit aussi qu’ils se sont radicalisés.
— On dit encore qu’ils sont en lutte ouverte contre les labirés… les tehotoroos… Ceux menés par Gambre le sanguinaire, Benoré, Raemati-Stah-Etm et quelques autres.
— On dit beaucoup de choses à leur sujet, Erra, fit remarquer Horus. Un peu trop même pour que la moitié soit vraie.
— C’est un fait, acquiesça Erra.
Même s’il était rarement d’accord avec Horus, celui-ci connaissait le sujet, et son opinion était fondée.
— Il n’empêche, reprit Ésus, on n’a pas beaucoup vu les Nâgas ces derniers temps. Peut-être qu’eux aussi, ils ont fini par être exterminés.
— Et on se demande bien qui sont les suivants sur la liste, maugréa Divona.


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MessageSujet: Re: L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1)   L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1) - Page 3 EmptyMar 19 Sep 2017 - 9:15

L’ORIGINE DE NOS PEURS


Tome 1 : Esmelia



CHAPITRE 16.1


26 juillet 2125 du calendrier grégorien. Montréal, Canada, Terre.

Elle reprenait conscience, lentement. Elle ne souviendrait sans doute pas de sa vie dans ce monde ci. Personne à part lui, Ciaran Wayllerand, ne s’en souviendrait. Et celui, celle ou ceux qui avaient provoqué la nouvelle onde. Mais il n’était absolument pas certain que le responsable soit un être vivant, humain ou autre. Cela pouvait être autre chose. Sauf qu’en cet instant précis, à part le Destin, ou un effroyable mécanisme, il ne voyait rien d’autre. Ce qu’il distinguait surtout, c’était les problèmes que cela allait entraîner. Qu’en serait-il de Rheya ? La perdrait-il à nouveau ?

Il l’avait observée lorsqu’elle prenait des photos sur le quai… À un moment, leurs regards s’étaient croisés. Il avait ressenti un léger frisson sous sa peau. Rien de comparable à ce qu’il avait ressenti le jour où il l’avait vue pour la première fois. Cela avait été une émotion si brutale, si profonde, qu’il ne s’en était jamais complètement remis. Il n’y avait alors plus eu un instant où elle n’occupait pas ses pensées, où il ne ressentait pas l’envie d’être auprès d’elle, et même de la toucher, ou seulement de lui parler. Il aurait dû garder ses distances, l’observer de loin. Mais cela avait été plus fort que lui… Il s’était néanmoins ressaisi, la mort dans l’âme. Le temps avait passé depuis, sans faire son œuvre. Il lui semblait pourtant l’avoir tenue dans ses bras la veille. Mais elle, sur le quai, elle ne l’avait pas reconnu. Une chance pour lui que la mémoire de la jeune femme soit défaillante. Il en était presque déçu.

Il l’avait suivie discrètement lorsqu’elle était rentrée chez elle, et il avait passé une partie de la soirée à l’observer de l’immeuble qui se trouvait en face du sien. Il l’avait vue s’écrouler… Il avait alors craint que l’ennemi qui les poursuivait se soit de nouveau attaqué à elle, mais cela ne pouvait pas être possible car il l’avait détruit. La nouvelle onde allait changer la donne. Ce qu’il avait fait ces dernières années serait probablement effacé. L’ennemi pouvait réapparaître. Si tel était le cas, il aurait appris de son précédent échec. Sa vengeance serait implacable. Se souvenir de sa mort n’était pas une chose souhaitable, surtout pour votre pire ennemi, surtout si vous avez massacré celui-ci.

L’onde... Rheya y avait été sensible. Il ignorait pourquoi.

Une simple humaine ne pouvait pas la percevoir. Et pourtant… Qui était-elle vraiment ? Pourquoi, selon Mead’, était-elle si importante ? Il devait tout faire pour la protéger, même s’il devait y risquer sa vie, ou la perdre. La perdre ? Il n’en était pas question. Comment pourrait-il la protéger s’il était mort ? Et pourquoi Rheya lui échappait-elle aussi facilement alors qu’il était capable de retrouver n’importe qui ? Rechercher, trouver, suivre, protéger, cela faisait partie de son travail. Pourquoi ne parvenait-il qu’à la sauver in extremis ? Cette fois encore, n’était-il pas intervenu trop tard ? Que se serait-il passé s’il n’avait pas été là ? Deux fois, il avait failli la perdre. C’était deux fois de trop. Désormais, il ne la quitterait plus. Il donnerait sa démission. Tant pis pour l’AMSEVE, l’ATIDC, tout le reste et même pour son ami, Premier Ministre.

Cela faisait des semaines qu’elle n’avait pas repris connaissance. Il s’était évidemment préoccupé des protégés de Rheya : Louise Fromont était repartie chez son père, dieu seul savait où. De même que Leo, son petit ami. Le cas de Neil avait été plus délicat à gérer. Lorsqu’il avait compris qu’il ne reverrait pas Rheya avant un long moment, son comportement avait changé. En quelques jours, il s’était profondément altéré. Devenu un danger pour lui-même et pour ses neveux, sa sœur, Mareaid, avait dû se résoudre à le placer durant quelques jours dans un établissement spécialisé en attendant de trouver une meilleure solution. L’état physique de Neil avait alors commencé à se dégrader à son tour. Sans compter qu’il s’était mis à délirer. Ciaran avait suggéré au général Doherty de le rapatrier à la base plutôt que le laisser sans surveillance accrue et le savoir en train de raconter à qui saurait l’écouter les missions auxquelles il avait participé et les secrets de l’AMSEVE. Doherty avait convenu que c’était sans doute le mieux pour Neil. Sa sœur avait aussi accepté son retour au Pôle Sud avec soulagement. Une fois sur place, Neil avait été pris en charge par Jaimini Latchoumaya. Celui-ci avait accepté de mettre ses activités entre parenthèses durant quelques jours, le temps que Neil reprenne pied. Si tant est que cela arrive, il faudrait plus de quelques jours pour cela.

Comme tout le monde, dans l’entourage de l’ancien scientifique, personne ne savait pourquoi il avait choisi d’effacer sa mémoire, et surtout, comment en tant que scientifique multi-diplômé, multi-récompensé pour ses découvertes, il n’avait pas calculé les conséquences d’un mauvais dosage du produit qu’il s’était injecté. Personne ne savait non plus ce qu’il avait pu mettre dans son dangereux cocktail médicamenteux.

Ciaran savait très bien que de nombreuses données lui étaient encore inconnues. Son propre passé le plus lointain lui échappait. Pourtant Mead' avait tout planifié. Il avait un rôle important à jouer, et Rheya avait aussi sa place dans son plan. Même s’il devait à nouveau la perdre, il la retrouverait plus rapidement cette fois-ci. Le destin de Rheya était tracé de l’aube au crépuscule des temps, lui avait simplement dit Mead'. Avait-il souhaité en savoir plus ? Lui avait-elle expliqué ce qu’elle avait prévu pour Rheya et pour lui ? Il ne s’en souvenait pas. Il devrait le découvrir par lui-même.
Parfois, il doutait de Mead' et de ses intentions.

Ses craintes étaient d’autant plus renforcées qu’avant de mourir, Sid' lui avait dit que Mead' le trahirait. Celle-ci l’avait pourtant sauvé. Sauvé de quoi ? Ou de qui ? Il l’avait oublié. L’avait-il seulement su ? Il se souvenait seulement de celui qu’il avait été : 'Cian le Briseur de destins. Pourquoi Mead' l’avait-elle choisi, lui, et envoyé en mission ? Il devait retrouver Rheya et la protéger jusqu’à ce que son destin s’accomplisse. La protéger contre qui ou contre quoi… Il ne l’avait compris qu’après la première onde. Celle que 'Jiva avait provoquée.

'Jiva était mort aujourd’hui, il avait été abattu après le massacre qu’il avait commis dans la librairie. Ciaran avait dû s’y prendre à deux fois pour parvenir à l’abattre même s’il était plutôt bon tireur, quelle que soit la distance. Les autorités avaient longtemps cherché qui pouvait être celui qui avait abattu le terroriste. Elles avaient même supposé qu’il avait éliminé le tueur de la librairie pour que celui-ci ne donne pas le nom de ses supposés complices… 'Jiva n’aurait jamais donné sa complice.

'Jiva avait été comme lui, autrefois : un Tisseur. Mais sa mission à lui était d’assassiner Rheya. Les autres Tisseurs l’avaient envoyé afin de contrer les plans de la renégate Mead'. Il y était presque parvenu. Rheya avait été touchée par plusieurs des tirs de l’assassin et des innocents étaient morts. Elle aurait pu mourir elle aussi. Ciaran se le reprocherait toujours. 'Cian, le Tisseur qu’il avait été, avaient outrageusement échoué dans sa mission.

Il n’avait même pas prévu qu’il y aurait un second tisseur, un second assassin… Si proche de lui qu’il ne l’avait pas senti : Sid', dont la mission consistait à le neutraliser lui. Sid' qui, durant trois ans avait pris vécu sous les traits de Rose, sa compagne.

Avait-il senti la mort sous cette peau aimée ? L’avait-il seulement aimée ? Il n’avait jamais franchi l’étape ultime de la demande en mariage. Y-avait-il seulement songé ? Sans doute… Mais il ne se souvenait pas y avoir pensé sérieusement. En tous les cas, pas durant les trois dernières années, celles où Rose n’était plus qu’un costume endossé par Sid’. Comment ne l’avait-il pas remarqué plus tôt ?

Des questions. Toujours des questions. Auxquelles il n’avait aucune réponse à apporter.  
Ciaran soupira. Il s’interrogeait sur sa capacité à mener sa mission, sur son avenir, sur l’existence de la femme étendue dans ce lit d’hôpital, juste devant lui, dans cette chambre tellement impersonnelle. Et par-delà tout cela, il devait montrer l’image d’un être humain comme les autres, ou presque. Au moins, ça, il y parvenait assez bien. C’était même grâce à cela qu’il ne perdait pas pieds dans ce monde qui n’était pas le sien et qui changerait très bientôt.

Ciaran repensa aux ondes. La première lui était parvenue il y avait un peu plus de deux ans. Elle l’avait submergé comme une vague venue de très loin, d’une autre époque. Il avait alors compris que les changements infimes produits autour de lui n’étaient pas aussi anodins qu’il l’avait pensé lorsqu’il les avait remarqués. Il ne s’agissait que de petites touches, mais cumulées, elles avaient provoqué des effets irrévocables. Personne autour de lui ne semblait s’en apercevoir. Les humains continuaient à vivre leur vie, comme tout ce qui constituait cette planète. Ou presque. Mais, lui, il se souvenait d’animaux qui n’existaient plus. De fleurs rares que l’on trouvait aujourd’hui en grande quantité, de monuments qui en avaient remplacé d’autres qui avaient disparu sans laisser de traces de leur existence… Si infimes qu’aient pu être les changements initiaux à l’échelle de la planète, ils existaient bel et bien, et leur croissance avait été exponentielle.

(Suite Chapitre 16.1)


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Tome 1 : Esmelia



CHAPITRE 16.2


Suite du chapitre 16.1


La seconde onde, il l’avait ressentie quelques mois plus tôt. Elle atteindrait son espace-temps dans quelques semaines, quelques mois au plus tard. Il ignorait encore quels changements elle provoquerait. D’un point de vue physique, ceux-ci n’étaient pas encore perceptibles.

Se pouvait-il que Rheya l’ait pourtant ressentie ? Que cette seconde onde soit la cause de son malaise et de son coma ? Rheya était apparemment quelqu’un de peu ordinaire, mais à quel point ? Jusqu’à présent, en dehors de sa bonté naturelle, et d’une joie de vivre certaine qui la rendait, à son avis, plus exceptionnelle que la moyenne, elle n’avait pas montré d’aptitude différente d’un être humain ordinaire… Pourtant, si des Tisseurs étaient déterminés à la supprimer, cela signifiait qu’elle était une aberration à leurs yeux. Mais en quoi ? Les Tisseurs avaient-ils envoyés d’autres assassins ? Était-ce ces derniers qui avaient provoqué la seconde onde ? 'Jiva et Cid' avaient-ils provoqué la première ? Ils étaient pourtant arrivés dans ce monde bien avant lui… Peut-être même avant Mead'.

Au moins, Rheya était encore en vie, pour l’instant.

Elle aurait dû quitter le pays, être renvoyée auprès de sa famille, mais il avait fait le nécessaire pour s’y opposer. Il avait eu une opportunité et il l’avait saisie. C’était un mal nécessaire pour pouvoir rester auprès d’elle. Il lui avait fallu entrer son nom dans le dossier d’enquête qu’il menait pour le compte du gouvernement britannique. Cette enquête portait sur les soupçons de malversation de l’ATIDC. Il avait ainsi fait de Rheya un témoin capital dans une affaire de détournement de fonds, et de matériel militaire. Après tout, elle avait bien été approchée à plusieurs reprises par l’Aerospace & Terraforming Industrial Development Corporation.

Ciaran avait su profiter de sa position à l’AMSEVE. Il dépendait officiellement de l’ONU, mais son véritable employeur était le gouvernement anglais qui lui avait confié une sorte d’enquête de moralité sur l’ATIDC. Les Industries Wong-Redfield avaient récemment pris une ampleur économique et géographique sans précédent depuis près de deux décennies. Les dirigeants venaient d’ouvrir plusieurs filiales dans le nord de l’Europe, au Royaume-Unis et avaient établi le siège social de ces filiales en Irlande. Ils s’ajoutaient à ceux déjà existants.

Mais, surtout, ils avaient signé des contrats mirobolants pour la future terraformation de Mars avec différentes nations, pas toujours alliées. Enfin, il y avait eu la fusion avec la quasi-totalité des entreprises Larson. Cette opération inattendue avait donné du grain à moudre à tout ce que la planète comptait d’économistes et de journalistes, spécialisés ou non. La seule interview que l’héritier Larson ait donnée avait tourné en boucle durant des jours sur les différents supports médiatiques. Même pour ceux qui avaient tout fait pour l’ignorer ses dernières années, la vie de Halley Larson était désormais connue de tous.

En ce qui concernait l’ATIDC, à elle seule, elle pouvait maintenant anéantir l’économie de tout un pays comme la Grande-Bretagne, démanteler l’Union Européenne plus qu’elle ne l’était déjà, renverser des gouvernements, ou au moins leur imposer ses points de vue, tant la charge économique, sociale, et financière qu’elle représentait était désormais plus que titanesque.

Ce consortium, avec toutes ses filiales et ses obscurs départements, travaillait en étroite collaboration avec de nombreux pays aux intérêts opposés. Il était donc normal qu’une enquête soit diligentée à leur encontre. Cela aurait même dû être fait depuis longtemps. Mais les dirigeants de l’entreprise l’avaient toujours fermement refusé, prétextant la protection de leurs exceptionnelles découvertes effectuées à la suite des travaux en collaboration avec l’AMSEVE. Sur ce point, même les lois les plus récentes abondaient dans leur sens. En l’occurrence, pour aborder l’ATIDC, il avait dû nécessairement faire un détour en passant par l’AMSEVE.

Ciaran n’en était pas à sa première enquête en immersion. Même si celle-ci s’annonçait bien plus retorse et non moins dangereuse que les précédentes. Cependant, sa dernière immersion remontait déjà à une dizaine d’années lorsqu’il était policier, à Europol. Depuis, il avait quitté ses fonctions, pris quelques années de congé sabbatique. Et puis, il y avait eu l’onde… Il s’était retrouvé du jour au lendemain à travailler pour Interpol. Sans l’avoir véritablement vécu, il se souvenait comment le Premier Ministre anglais de l’époque l’avait convoqué dans son bureau et lui avait annoncé qu’il avait été mis à disposition par son administration. Son dossier professionnel avait été envoyé au Secrétaire Général d’Interpol. Le service de recrutement l’avait pris en considération et un poste lui avait été proposé. En songeant que cela pourrait être un moyen de retrouver celle dont il ne connaissait pas encore l’identité, Ciaran avait immédiatement accepté la proposition. Le Premier Ministre lui avait aimablement assuré qu’il le voyait à la tête de l’Organisation d’ici quelques années. Ciaran avait considéré ces paroles comme étant une forme de politesse. Ce genre de poste ne l’intéressait pas. Il risquait de l’exposer inutilement. Ce qu’il essayait d’éviter autant qu’il le pouvait. Déjà qu’avec celui qu’il occupait à l’AMSEVE, question exposition, c’était largement suffisant.

Ses premières missions à Interpol n’avaient pas été des plus enthousiasmantes. Pourtant, cela lui avait parfaitement convenu car il avait eu tout le loisir de mener ses recherches personnelles. Il avait fini par découvrir Rheya Alluedol, mais il n’avait pu empêcher que l’on attente une première fois à sa vie en la prenant pour une cible vivante. Aujourd’hui, il savait que sa découverte et la tentative d’assassinat étaient étroitement liées. S’il avait été plus prudent dans sa vie privée…

Heureusement, Rheya s’en était remise de cette agression. Du moins autant qu’elle l’avait pu. C’était quelques temps après qu’elle soit sortie de l’hôpital qu’il avait pu l’approcher, plus qu’il ne l’aurait dû. Une erreur de sa part qu’il avait essayé de réparer, mais le mal avait été fait. Pas à elle, mais à lui, car c’était lui qui avait été touché, et depuis, il en souffrait atrocement. Malgré tout, il n’avait cessé de la garder à l’œil, même lorsqu’il se trouvait dans l’antarctique, à l’AMSEVE, sans qu’elle s’en rende compte.

Après l’épisode du tireur fou, il n’avait pas renouvelé son contrat avec Interpol. Il avait trouvé celle qu’il cherchait. Il devait maintenant la protéger. Il avait donc préféré un poste de consultant aux Nations Unies. C’est comme cela qu’il était rentré à l’AMSEVE, où son rôle consistait moins à être consulté sur différentes questions administratives qu’à faire le tampon entre l’AMSEVE et le reste du monde. Il en était devenu l’attaché de presse, le gestionnaire de crise et le négociateur, tout en gardant un lien étroit avec son gouvernement, car le nouveau Premier Ministre de son pays était une de ses connaissances. Celui-ci n’avait pas hésité à lui confier l’enquête sur l’ATIDC. Il l’avait accepté d’autant plus volontiers que l’ATIDC s’était intéressée à Rheya. Il voulait savoir pourquoi et si cela avait un lien avec le plan de Mead’. Et si les choses tournaient mal pour sa protégée, ou pour lui, l’AMSEVE serait à la fois leur refuge et leur porte de secours. Ils pourraient quitter la Terre, comme William MacAsgail l’avait fait, et se réfugier dans un trou perdu quelque part dans l’univers. Cela ne devait pas beaucoup manquer ce genre d’endroit, mais combien en existait-il qui échapperaient aux Tisseurs.  

Il ne lui avait pas fallu longtemps pour repérer des irrégularités financières, et structurelles. En suivant le cheminement de certains fonds, il avait découvert que l’ATIDC ne s’intéressait pas seulement à l’espace et à la terraformation potentielle de planètes. Elle éprouvait aussi de l’intérêt à ce qui se passait sur Terre, notamment ce qui touchait à la situation écologique de certaines régions du monde. Est-ce que cela expliquait toutes les irrégularités financières ? Il en doutait. Mais d’un autre côté, l’ATIDC ne ménageait pas ses moyens pour mener certaines actions humanitaires.

Récemment, il avait mis la main sur des documents évoquant les situations politiques, économiques et sociales de différents pays d’Afrique de l’Est : le Caire, le Soudan, l’Ethiopie. Une filiale de l’ATIDC avait demandé une série de rapports en vue d’une possible action de protection des fonds sous-marins de la Mer Rouge et du Golfe d’Aden. Une autre avait fait la même chose, soi-disant pour compléter les données d’un programme destiné à prévoir les perturbations sismiques dues à la dorsale de Sheba, la colonne vertébrale du jeune océan – 120 millions d’années tout de même au compteur, mais à l’échelle de l’univers, il était encore bien jeune – qui s’ouvrait entre l’Afrique et l’Arabie. L’objectif officiel était de mettre tous les moyens financiers et humains possibles en œuvre pour prévenir les populations et les déplacer au besoin. Il n’avait jamais cru que l’ATIDC agissait uniquement par altruisme, ou même pour de simples abattements fiscaux, ou encore pour accroître sa notoriété publique. De toute évidence, quelque chose intéressait les dirigeants de l’ATIDC dans la région, mais il ignorait encore ce que cela pouvait être.

(Suite Chapitre 16.3)


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MessageSujet: Re: L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1)   L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1) - Page 3 EmptyMar 19 Sep 2017 - 9:23

Tome 1 : Esmelia



CHAPITRE 16.3


Suite du chapitre 16.2


De son côté, Rheya s’était installée au Canada. Elle avait même rapidement trouvé un travail dans une agence de cautionnement. Elle avait repris le cours de sa vie. Elle avait une vie privée normale. Elle avait même rencontré un homme, un enseignant. En essayant d’en savoir un peu plus sur lui, Ciaran avait découvert qu’il ne prenait pas leur liaison au sérieux et continuait à sortir avec d’autres femmes. En plus de la jalousie, il avait éprouvé un profond sentiment de dégoût. Comment pouvait-il désirer d’autres femmes alors que Rheya était la femme la plus extraordinaire ait été donné de rencontrer. Ciaran avait alors compris à quel point ses sentiments pour Rheya étaient profonds ? Ciaran s’était alors rendu au Canada. Il avait rencontré l’infidèle amant et ne lui avait laissé que deux choix qui n’en étaient pas vraiment. Soit il quittait Rheya dans les plus brefs délais, soit elle serait mise au courant dans des délais encore plus brefs. L’enseignant avait choisi la première option. Mais il n’avait pas trouvé mieux que de vider l’appartement de sa compagne et, une fois cela fait, toujours alors qu’elle se trouvait à son travail, et de rompre par un simple SMS. Un classique de ces vingt dernières années.

Évidemment, cette séparation brutale l’avait profondément affectée. Elle avait déménagé dans un autre quartier de Montréal. C’est à cette époque qu’elle avait fait la connaissance de Neil Doyle, de sa sœur Mareaid, puis d’Henri Fromont et de sa fille Louise. Il aurait pu en profiter pour entre à nouveau dans sa vie, vraiment. Pas seulement comme l’amant de passage qu’il avait été autrefois. C’était peut-être le meilleur moyen de veiller sur elle finalement. En plus, il était libre en tous points aujourd’hui. Il avait vendu son appartement Londonien après la mort de Rose. Il lui faudrait prouver qu’il était digne d’être son compagnon pour les années à venir, pour la vie même. Pour elle, il changerait de vie. Avec son curriculum et ses relations, il n’aurait aucun problème à trouver un bon travail.

Il aurait pu, oui, mais il ne l’avait pas fait.

Pourtant, depuis Rose, ou Sid’ comme il devait plutôt s’attacher à l’appeler, il n’avait pas eu l’envie de se trouver une autre compagne. Rheya occupait ses pensées, et ses sentiments ne pouvaient aller ailleurs que vers elle.

Physiquement, elle ne tenait pas la comparaison avec sa compagne, Rose, qui avait été une très belle femme. Elle avait même été un mannequin très recherché par les photographes, quelques années avant qu’il la rencontre. Les années n’avaient fait que la rendre plus belle encore. Aujourd’hui, il se demandait encore qui de Rose ou de Sid’ il avait rencontré. Avait-il un peu plus aimé la première plus que la seconde ? Quand la seconde avait-elle remplacé la première ? Avant ou après leur rencontre ?

Rheya était différente de Rose en tous points : taille moyenne, environ un mètre soixante-cinq, plutôt ronde, teint clair et naturel, souvent halé par le soleil, yeux couleur noisette, cheveux longs et châtain foncé, souvent serrés dans un chignon ou une natte. Elle avait surtout un caractère enjoué malgré les épreuves qu’elle avait subies. Curieuse de tout, elle croquait la vie à pleines dents.
Elle n’était pas du tout le genre de femmes qu’il avait fréquentées et dont Rose était sûrement la quintessence. Était-ce cette joie de vivre qui l'avait attiré ? Cet éclat rieur dans son regard ? Cette force dans son sourire comme si rien n’avait de prise sur elle, ou sa vivacité d’esprit ? Il n'arrivait pas à définir ce qui le charmait le plus en elle. Sa beauté, loin de tout artifice, de toute sophistication, ne se remarquait pas au premier coup d’œil. Elle était plus profonde, et moins éphémère que celle, glacée et glaçante, de sa compagne.

Ciaran frissonna. Il ne faisait pourtant pas froid dans cette chambre d’hôpital. C’était surtout ses souvenirs qui le ramenaient toujours plus loin dans son passé…

Ses collègues qui voyaient en Rose et lui le couple parfait lui enviaient son prétendu bonheur et sa vie de privilégié. Ils ignoraient que sa vie, il l’avait construite pièce par pièce, tout comme l’homme qu’il voyait, aujourd'hui, matin et soir dans le miroir : un homme de quarante ans qui atteignait presque les deux mètres, d’allure sportive même lorsqu’il portait un costume et une cravate, des cheveux courts, blonds comme les blés, des yeux bleu turquoise qui faisaient souvent se retourner les femmes sur lui, et une "peau d’anglais", plus acclimatée au brouillard et à l’humidité qu'au soleil et à la sécheresse du Sud.

Sa vie n’avait jamais été un long fleuve tranquille. Il avait failli mourir à plusieurs reprises. Les seules séquelles qu’il en gardait aujourd’hui, à part quelques cicatrices physiques, c’était l’absence de ses souvenirs d'enfance et d’une partie de sa jeunesse. Il se souvenait vaguement de sa période militaire en Irak et en Afghanistan, de son entrée dans la police après son service, et des missions d’infiltrations qui finissaient par toutes se ressembler. Mais c'était les souvenirs d'un autre homme. Un homme qui n'était plus et qu'il ne serait jamais, il l’espérait. En revanche, il se souvenait clairement de Mead’, et de sa vie de Tisseur, du moins dans les grandes lignes, et de cette nuit… celle de son réveil brutal dans une chambre qui n’était rien de plus qu’un taudis puant. Il n’y avait qu'une paillasse à même le sol, une chaise cassée, et une glace brisée au-dessus d'un lavabo crasseux qui servait à tout, sauf à se laver.

Il était resté des heures assis dans un coin de la pièce, à essayer de comprendre ce qui lui arrivait, ce qu’on lui avait fait. Il avait commencé à sentir les premières douleurs à l'aube. Il n'avait pas mal à un endroit particulier. Il ne savait même plus ce que c'était que d'avoir mal. C'était là, et cela le rongeait, chaque minute un peu plus. Il y avait aussi ces tremblements qu'il ne parvenait à faire cesser. Une rage irraisonnée, venue de nulle part, grondait comme un animal monstrueux dans sa tête, et cherchait à l’éventrer du fond de sa cage thoracique. Il en était venu à se taper la tête contre les murs, puis le corps, à donner des coups partout où il le pouvait, à déchirer les vêtements qu'il portait et qui lui brûlaient la peau... Il avait tenté de l'arracher elle aussi, de mettre sa chair à nue. Il aurait sans doute réussi s’il n’en avait pas été empêché...

Il ne se souvenait plus de ce qui s'était vraiment passé après sa crise. Il s'était simplement réveillé poignets et chevilles liés à un lit, des bandages et des pansements sur tout le corps. Il avait essayé de se libérer en vain. Il s'était débattu jusqu'à l'épuisement contre cette situation et contre cette autre douleur, celle du manque, qui avait remplacé la précédente. Sur un miroir, placé près du lit, il avait vu son visage : osseux, creux, cerné, décharné, presque sans cheveux, les yeux cernés d’ombre, les pupilles éteintes, le nez cassées, les lèvres gercées et les dents jaunies. Le visage d'une créature innommable au fond de l’abysse. Celui d'un putain de camé qui avait failli faire sa toute dernière overdose… Non… qui avait fait sa dernière overdose. Il en était mort… Et lui, il était là… dans ce corps usé, délabré, corrompu. Il en avait pleuré de dépit et de frustration, puis hurlé de terreur tant ce corps, cette enveloppe l’avait révulsé.

Petit à petit, avec le temps, le manque l'avait quitté. Il s'était senti apaisé.

Chaque matin, à la même heure, durant les neuf ou dix jours qui suivirent son internement, un homme était venu s’asseoir en silence dans sa chambre, sur le fauteuil près de la fenêtre. Durant tout ce temps, l'homme s'était contenté de l'observer. Il avait un regard empreint de calme et douceur. Ciaran l’avait même trouvé apaisant, pour un psy. Du moins, c’est ce qu’il croyait. Passé ces premiers jours, l'homme avait commencé à lui poser des questions. Mais ‘Cian ne savait comment y répondre. Parce qu'il en ignorait les réponses, et parce qu'il ne savait plus comment faire fonctionner ses cordes vocales intelligiblement. Il savait crier, hurler, mais il ne parvenait pas à parler. L'homme avait toujours avec lui une tablette sur laquelle il tapait – ‘Cian le comprit plus tard – les informations qu’il recueillait, ses impressions, ses réflexions. Son compte-rendu sur chacun de ses patients.


(Suite Chapitre 16.4)


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MessageSujet: Re: L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1)   L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1) - Page 3 EmptyMar 19 Sep 2017 - 9:31

Tome 1 : Esmelia



CHAPITRE 16.4


Suite du chapitre 16.3


Un matin, l'homme lui avait retiré ses attaches. ‘Cian n’avait su quelle attitude adopter. Il s’était senti perdu. Il était resté assis sur son lit à regarder l'homme qui semblait attendre quelque chose de lui, mais il ignorait quoi. Alors, il ne fit rien d'autre qu'attendre lui aussi.

Les infirmiers et les autres médecins avaient, envers cet "observateur", beaucoup de considération, de l’admiration même. Ils écoutaient ce qu'il disait, ils buvaient la moindre de ses paroles. L'homme était dans son élément, ici. Pas lui. Il voulait quitter cet endroit, cet hôpital psychiatrique, le plus vite possible. Mais d’abord, il voulait d’abord comprendre les codes de ce monde dans lequel il venait de débarquer et en savoir plus sur celui dont il avait pris la place.

Si quelqu'un avait des réponses ou des explications à lui donner, ce ne pouvait être que cet homme. Il ne pouvait pas parler, alors il fit de son mieux pour essayer de lui faire comprendre en évitant de se montrer menaçant. Comme il ignorait quel était le seuil de tolérance à la menace de l’homme, il devait se limiter au strict nécessaire en matière de communication. Sans quoi, il se retrouverait de nouveau attaché à son lit.
— Savez-vous où vous vous trouvez ? lui avait demandé l'homme après un long moment d’observation.

‘Cian n’avait pas bougé d'un cil.

L'homme l'avait observé attentivement, guettant chacune de ses réactions. Au bout d'un moment, il posa une autre question.
— Savez-vous ce qui vous est arrivé ?

Pour le savoir, il ne le savait que trop bien, mais il doutait que son explication, s'il pouvait la lui donner, serait propre à satisfaire l'homme. Il préféra ne pas montrer plus de réaction qu'à la première question.
— Savez-vous au moins quel est votre nom ?

‘Cian ne put s’empêcher de sourire légèrement. Il était sonné, certes, mais pas débile au point de ne plus savoir son nom. Encore que certains souvenirs lui échappaient bel et bien. Ceux de son hôte commençaient seulement à faire surface, mais pas tous.

L'homme s’était levé de sa chaise. Son temps de présence était dépassé depuis un moment déjà, mais, au lieu de s'en aller vers la porte, il posa sa tablette sur sa chaise et s'approcha du lit.
— Puis-je m'asseoir près de vous ?

Sans attendre de réponse, il s'installa au pied du lit, face à lui.
— Je suis le docteur Martin Adams, et vous, vous êtes Ciaran Wayllerand. Vous êtes dans un centre de repos. On vous a amené ici à la suite d'une crise psychotique due à une consommation excessive de drogues. Une overdose, si vous préférez. Vous avez aussi tenté de vous mutiler au cours de cette crise.

Ciaran Wayllerand. C’était le nom de son hôte. Son nom, maintenant.

Martin Adams avait tendu les mains vers son patient, sans brusquerie, et avait soulevé sa manche droite. ‘Cian avait suivi le geste du regard, et découvrit de profondes griffures sur son avant-bras gauche qui remontaient vers son épaule. Elles commençaient seulement à cicatriser. C’était la première fois qu’il les remarquait... Il comprenait mieux pourquoi, lorsqu’il se trouvait entravé, certaines parties de son corps le démangeaient. Le médecin retira sa main, mais ‘Cian avait voulu savoir s'il en avait d'autre. Il avait soulevé son autre manche et avait vu son bras parcouru d'autres cicatrices. Il avait déboutonné le haut de son pyjama et en avait découvert d’autres sur son torse. Il aurait sans doute vérifié chaque partie de son corps si le médecin ne l'avait pas arrêté.
— Vous avez blessé l’un de vos collègues. Vous en souv...  

Le médecin s'arrêta net. Il avait de perçu cette première réaction émotionnelle qu’il recherchait chez chacun de ses patients et qui lui indiquait si, oui ou non, il pourrait leur venir en aide et les sortir de l’impasse dans laquelle ils se trouvaient.
— Cela vous attriste d'avoir blessé un homme qui essayait de vous venir en aide ?

‘Cian avait fermé les yeux un moment. Cela remontait à si loin lui semblait-il.

Il se souvenait… Avant d’être entravé, il s’était battu contre des secouristes qui avaient tenté de l’empêcher de se mutiler. Il en avait attaqué un et l’avait frappé à plusieurs reprises... D’où lui était venue cette violence ? Il avait même ressenti le désir de détruire, de tuer… Heureusement pour lui, et pour l’homme qu’il avait agressé, il avait été maîtrisé avant de commettre l’irréparable.

Il était vraiment passé par les pires moments de son existence dans ce "centre de repos" physiquement et psychologiquement. Il avait maudit ceux qui avaient laissé son hôte aller aussi loin dans la dépendance, tout en sachant qu’il était le seul responsable de son état. Dans les vagues souvenirs de Wayllerand, un bon agent savait quand il devait se retirer. Les missions d’infiltration, c’était sa spécialité, et il n’y avait pas meilleur que lui. Même sous la torture, on ne pouvait l’obliger à dire qui il était vraiment, ni pour qui il travaillait. Il était capable de se sortir de n’importe quelle situation, mais cette fois, c’était celle de trop. Il avait perdu le contact dans tous les sens du terme.

Dehors, un oiseau chanta. Il n’aurait su dire de quelle espèce il était. Ni pourquoi, il l’entendait précisément à cet instant, alors qu’il n’avait sûrement pas cessé de chanter comme tous ses congénères au point que cela donnait parfois l’impression qu’une volière était installée dans le parc de l’hôpital, peut-être pour donner le sentiment aux malades qu’il y avait toujours des oiseaux prêts à chanter pour eux.

Il repensa à celui qu’il avait été, celui qu’il était devenu, et celui qu’il était. Aujourd’hui, il était tout autant Ciaran que ‘Cian, même s’il n’avait pas la totalité des souvenirs de Ciaran. Il n’avait pas non plus tous ceux de ‘Cian.

Martin Adams entra dans la chambre de Rheya. Ciaran se leva du fauteuil dans lequel il s’installait depuis quelques semaines, pour la veiller, à chaque fois qu’il pouvait venir à Montréal. Cela faisait trois ans qu’il n’avait pas revu le Docteur Adams. Il avait annulé ses trois visites annuelles en prétextant que son travail lui prenait tout son temps. Martin Adams lui en fit le reproche, mais sur un ton qui, comme autrefois, se voulait apaisant. Il n’avait pas changé physiquement. Il n'était pas de grande taille, ni de corpulence colossale. Ses cheveux étaient toujours très noirs et coupés très courts, sa peau mate et ses grands yeux sombres, derrière ses petites lunettes, et ses pommettes hautes trahissaient ses origines de natif américain. Les deux hommes commencèrent à converser à voix basse.
— Tu es certain qu’elle ne présentait aucune disposition au suicide avant…
— Je sais reconnaître un candidat au suicide lorsque j’en vois un. Je te rappelle que c’est un peu mon métier… Du moins, ça l’a été. Je peux te confirmer que malgré ce que cette femme a traversé, ce n’est pas une option envisageable pour elle.
— J’ai lu son dossier, et je sais ce qui lui est arrivé Ciaran. C’est en partie pour cela qu’elle est ici. Je ne sais pas ce qu’elle a pu absorber. Rien n’est apparu dans les analyses, mais son organisme lutte contre quelque chose. Je pourrais la réveiller et lui demander si elle a bu ou mangé quelque chose.

Ciaran pensa à Neil… Était-elle tombée sur l’un de ses cocktails fatals ? Avait-il essayé de concocter en douce un remède à son mal qu’elle aurait avalé par inadvertance ? C’était possible mais peu probable. Il n’en avait pas la preuve, mais son instinct lui susurrait que cela n’avait rien à voir avec Neil.
— Non, je l’ai vue… avant. Elle était très bien. C’est autre chose.
— Eh bien, en tant que médecin, je n’ai aucune explication à son geste, et à ce qui lui arrive maintenant.
— Peut-être que le corps étranger que tu as extrait de son cerveau y est pour quelque chose ?
— Ou peut être que c’est tout simplement la conséquence logique de son traumatisme. D’après ce que je sais, depuis qu’elle est dans ce pays, elle n’est jamais allée voir un psy, alors qu’elle aurait dû. J’ai l’impression que vous vous ressemblez beaucoup sur ce point.  
— Cela t’amuse de me le reprocher ?
— Je te rappelle simplement que c’est moi qui signerai ton accréditation le jour où tu voudras retourner sur le terrain, et avant d’être mon ami, tu es mon patient.
— Merci de me le rappeler, mais je suis très bien où je suis, pour l’instant.
— La bureaucratie te plaît tant que cela ?
— Tant qu’on me fiche une paix royale. Et pour ce « corps étranger », qu’est-ce que cela pourrait être ?
— Je l’ignore. Cela ressemble à une puce électronique, peut-être une sorte de balise GPS. Que sais-je ?  Je l’ai envoyée à un labo privé qui va l’étudier sous toutes ses coutures, et nous dire tout ce que nous voulons savoir à son sujet : son origine, sa nature et ses fonctions... Nous saurons si cela a influencé ou non le comportement de ta protégée.


(Suite Chapitre 16.5)


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MessageSujet: Re: L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1)   L'Origine de nos peurs / OdP (Tome 1) - Page 3 EmptyMar 19 Sep 2017 - 9:40

Tome 1 : Esmelia



CHAPITRE 16.5


Suite du chapitre 16.4

Ciaran sentit plus qu’il ne l’entendit son portable émettre un bourdonnement. Il avait pris l’habitude de le mettre en mode vibreur avant d’entrer dans la chambre de Rheya. Il le sortit de son étui à sa ceinture, et jeta un coup d’œil à l’écran. Le numéro du bureau du Général Doherty s’y affichait. Il aurait dû retourner à la base la veille, mais il en avait décidé autrement. Allait-t-il avoir droit à un rappel à l’ordre ? Il s’étonnait déjà que cela ne soit pas arrivé plus tôt. Quelle serait la réaction du Général Doherty lorsqu’il lui annoncerait qu’il démissionnait ?

Peut-être sabrerait-il le champagne. Ciaran savait que Doherty ne l’aimait pas, tout comme la plupart des autres membres de l’AMSEVE. Mais le Général avait une raison supplémentaire de ne pas l’apprécier. Sa fille Rubie Pepper s’était amourachée de lui. Il n’avait rien fait pour l’encourager, au contraire. La jeune femme avait un caractère entier et des difficultés à gérer ses émotions. Elle acceptait mal les refus quels qu’ils soient et trouvaient toujours le moyen d’arriver à ses fins. Toutefois, il ne s’était jamais senti menacée par elle. Il s’était toujours dit qu’il saurait la gérer le jour où cela s’avérerait nécessaire.

Le docteur Adams interrompit sa réflexion.
— Est-ce que le nom de TransHumMana te dit quelque chose ?
— Absolument rien.

Au moins, ce n’était pas une filiale de l’ATIDC, sinon il l’aurait su immédiatement.
— C’est une société spécialisée dans la fabrication d’organes artificiels ou cyberbiologiques à partir de véritables tissus biologiques.
— Je sens que je ne vais pas vraiment apprécier la suite, n’est-ce pas ?
— C’est peu de le dire. On a passé ton amie au ScanDeep, et on a radiographié ses organes. On a vérifié avec les infos que nous avions dans son dossier médical. Il n’y est absolument pas fait mention de TransHumMana.

Le médecin se tut un court instant, comme s’il ne voulait pas que les mots sortent de sa bouche, mais ceux-ci se bousculaient déjà sur sa langue et ne demandaient qu’à sortir de sa bouche.
— Son dossier a été falsifié. Ce n’est pas trois balles que ton amie a reçues dans le corps, mais probablement plus… Au point que certains de ses organes ont dû être remplacés comme ses poumons, son foie, sa rate… Si je te demande si connais TransHumMana, c’est parce qu’on a retrouvé leur signature sur les organes de remplacement, et sur son squelette. Ils ont quasiment tout remplacé… Je peux confirmer que c’est bien les dirigeants de TransHumMana qui sont propriétaires des brevets. Mais j’ignorais qu’ils avaient dépassé le stade de l’expérimentation. Je n’avais jamais vu cela avant… Ses organes sont aussi impeccables que ceux d’une jeune fille de quinze ou vingt ans, et son ossature est plus solide que celle de n’importe quel autre être humain. Elle a été entièrement reconstruite. Cette femme est une miraculée, tout comme toi. Toutefois, et c’est aussi étrange que le reste, ces organes qu’ils ont greffés sur ton amie sont, certes, génétiquement modifiés, mais pas du tout cyberbiologiques, ou même transgéniques. Ils ont été prélevés sur des individus vivants.

Ciaran avait du mal à tout saisir. Que lui avait-on fait de plus qu’elle n’aurait pas dû subir ? Il y avait sans doute une explication logique. Si elle avait été blessée bien plus qu’il ne l’avait supposé, alors ceux qui l’avaient soigné avaient fait leur possible pour la sauver…
— Des organes prélevés sur des êtres vivants ?
— Un seul probablement.
— Sûrement un don.
— Quel genre de don ? Il y a des listes de donneurs d’organes, et des listes de patients en attente de greffes qui sont vingt fois plus longues, et qui attendent depuis très longtemps. Elle est passée sur une table d'opération le jour qui a suivi son agression. Pour une greffe, je dirai que cela relève quasiment de l’impossible, elle n’avait donc aucune chance de passer en tête de liste pour plusieurs greffes.
— J’aurais aimé te dire que j’y étais pour quelque chose, mais ce n’est pas le cas.
— Je sais que tu n’y es pour rien. Même avec tes relations, tu n’aurais rien pu faire. Mais ceux qui l’ont fait, tenaient soit à ce qu’elle vive, soit à expérimenter leurs découvertes in situ. Et pour cela, ils s’en sont donné les moyens.
— Ils lui ont sauvé la vie.
— Nous pouvons le supposer. Reste à savoir quel en sera le prix. Je ne suis pas certain non plus qu’ils lui aient demandé son autorisation. En fait, ils n’avaient pas le droit d’agir comme ils l’ont fait.
— Moi, ça me convient. Elle est en vie et c’est tout ce qui compte.
— Oui, mais elle, personne ne lui a demandé ce qu’elle voulait vraiment. Il y a des gens qui ne peuvent pas vivre avec les organes des autres.
— J’ignorais surtout qu’il y avait des médecins pour le penser.
— Ce n’est pas ce que je veux dire. Notre rôle est de sauver des vies, mais l’opinion de nos patients est aussi importante que nos choix. N’importe quel médecin dénoncerait ceux qui l’ont utilisée comme cobaye.
— Tu vas le faire ?

Martin Adams haussa les épaules et soupira.
— Je n'ai pas encore pris ma décision. Je veux en savoir plus. Mais je ne peux m’empêcher de me demander ce qui est arrivé à la personne qui a donné ses organes, et surtout si elle l’a fait volontairement, car je n’ai trouvé aucune trace de ce donneur dans les dossiers de l’hôpital qui l’a soignée, elle et les autres victimes de l’attaque terroriste.

Peut-être était-ce une filiale cachée de l’ATIDC, ou des Industries Larson que l’ATIDC venait de reprendre. Il y avait trop de zones d’ombre dans cette pyramide d’entreprises tantôt enchevêtrées les unes dans les autres, tantôt si distantes qu’elles ne semblaient pas appartenir à la même entité. D’après ses calculs, certaines sommes détournées étaient tout simplement astronomiques, et il n’avait pu trouver où tout cet argent était allé. Jusqu’ici, il n’avait fait que supposer que l’ATIDC menait un programme parallèle à celui de l’AMSEVE, avec ses propres équipes d’exploration. Mais rien n’était venu conforter cette hypothèse en dehors du fait que certains fonds alloués par l’ATIDC à l’AMSEVE semblaient dédoublés. Dans l’autre sens, les découvertes de l’AMSEVE profitaient d’une manière ou d’une autre à l’ATIDC. Bref, il se passait quelque chose, mais Ciaran n’arrivait pas à en obtenir la confirmation. Les laboratoires TransHumMana et leurs activités avaient le mérite d’offrir une autre possibilité. À condition qu’ils aient un lien avec l’une des filiales de l’ATIDC. Une chose était certaine, le consortium possédait de faces, l’une officielle et respectable, et l’autre officieuse et mystérieuse. Deux entités siamoises, mais une seule avait une existence réelle. L’autre semblait ne relever du fantasme de la théorie du complot.

Il sentit le regard insistant de Martin.

Il n’avait aucune envie de lui faire part de ses pensées.  
— Tu me tiens au courant pour l’objet, lui dit-il simplement. Et je veux savoir comment cela a pu entrer dans sa tête… le plus vite possible.

Il prit la main droite de Rheya dans la sienne brièvement. Elle était chaude. Le dos de sa main était très doux alors que la paume lui sembla légèrement rêche.

Après un moment de réflexion, Ciaran ajouta :
— Si c’est nécessaire à sa survie, tu le remets en place. Si cela sert à la contrôler, tu le désamorces, et si c’est les deux… alors je te fais confiance pour prendre la meilleure décision.

Ciaran sortit de la chambre.
— Je ne suis pas ingénieur en robotique, protesta Martin Adams. Cette technologie réclame des compétences que je ne possède pas.
— Alors trouve celui qui les a et supervise-le.

Le médecin l’attrapa par le bras et l’obligea à se retourner et à le regarder droit dans les yeux.
— Ciaran, si je dois aider cette femme... il faut que je sache... elle et toi... Il y a quelque chose entre vous ?

Sinon comment expliquer son intérêt à l'égard de Rheya Alluedol ?

Ce qu'il ressentait pour elle paraissait-il si évident au médecin ?

D'abord, Ciaran ne laissa rien paraître. Puis, il secoua la tête en signe de négation.
— C'est l'objet qui m'intéresse, mentit-il. Uniquement l'objet.
— Tu n’es pas très convaincant, lui répondit le médecin. En réalité, tu éprouves plus que de l'intérêt pour elle. Je n’arrive pas à savoir si c’est de l'amour, tu caches trop bien tes sentiments, mais cela y ressemble beaucoup. Enfin, si c'est le cas, il va falloir que tu éclaircisses ta situation, sinon certaines personnes vont en souffrir. Toi le premier.


(Suite Chapitre 16.6)


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Tome 1 : Esmelia



CHAPITRE 16.6


Suite du chapitre 16.5


Des choix, toujours des choix... Mais Martin avait raison, bien sûr. Les choses pouvaient être simples. Il pouvait renoncer à tout pour rester auprès d’elle. Il pouvait attendre qu’elle se réveille. Il lui avouerait ses sentiments, lui expliquerait qu’il veillait sur elle depuis des mois… À cet instant, il pourrait la perdre définitivement parce qu’elle se sentirait trahie, abusée...

Comment pourrait-il lui avouer qu’il était tombé amoureux de la femme qu’il devait protéger, sans y réussir d’ailleurs ? Qu’il l’aimait à tel point qu’il la surveillait jour et nuit par tous les moyens possible ? Elle le prendrait immanquablement pour un cinglé. Et comment pourrait-il lui avouer qu’il avait tout fait pour pourvoir l’approcher, qu’il y était parvenu et qu’ils avaient passé plusieurs nuits ensemble tout en sachant qu’elle ne s’en souviendrait pas d’un jour à l’autre, ou des mois plus tard...

Dix-neuf mois plus tôt, il s'était rendu à une soirée dans une boîte réputée du sud de la France. Il savait qu'elle y serait. C'était l'époque où elle écumait ce genre de lieu avec sa bande de copines. Il voulait l'approcher, juste pour lui parler, lui dire que son rire lui faisait du bien, que la première chose à laquelle il pensait en se levant le matin, c’était son sourire. Évidemment, ce n’était pas ce qu’il lui avait dit.

Ce soir-là, dans cette boite, c’était la première fois qu’il la voyait en chair et en os, depuis son agression. Elle avait changé physiquement. Elle avait perdu du poids, s'habillait plus court, plus moulant. De châtain, elle était devenue très brune, les cheveux très courts coiffés en bataille. Elle se maquillait beaucoup trop à son goût. Cela lui donnait un air de punkette, un peu gothique. Mais il ne l’en avait trouvé que plus désirable. Ce n'était pas seulement son physique, c'est aussi quelque chose dans son attitude…Cette espèce d’insoumission qui rivalisait avec sa fragilité sans parvenir à en prendre le dessus.

Il l’avait gentiment dragué. Elle avait commencé à jouer avec lui avec des mots, des petites phrases bien senties, puis avec des gestes. Il avait vite compris ce qu'elle attendait de lui, et il n'avait pas essayé de lutter. Au contraire. Dans cette nuit pleine de bruits et de lumières artificielles, où les hommes et les femmes, l'alcool aidant, n'étaient plus ce qu'ils étaient à la lumière du jour.

Lui, il n’avait aucun besoin de boire. Son alcool, c’était Rheya. Il se sentait rempli d'un désir fou pour elle au point d'en oublier ses principes fondamentaux. Son attention était tellement tournée vers elle qu’il en avait aussi oublié toute prudence, et n’avait pas remarqué la surveillance dont il faisait lui-même l’objet. Il y avait aussi sa culpabilité de n’avoir pas su la protéger d’un tueur.  

Toute la soirée, il lui avait raconté des histoires drôles, et là chaque fois qu’elle riait, ce n'était pas seulement son visage qu'il voyait, ni sa gorge... Son regard se posait plus bas, sur sa poitrine généreuse qui se soulevait au rythme de son rire, ses seins qu'il imaginait sous la caresse de ses mains, son corps… Plus il essayait d’être rationnel, plus son envie d'elle se faisait pressante comme si c’était une nécessité bien au-delà de sa propre volonté. Il en avait oublié tout le reste... Il n'existait plus que ce désir puissant, impétueux et incontrôlable qui se déversait dans chacune des parties de son corps comme un torrent violent jusqu'à l'ivresse de tous ses sens échauffés. Pour un peu, il en aurait même mis le feu à la discothèque.

Ils avaient quitté la soirée avant la fin. Elle l'avait ramené chez elle. Il n'avait jamais eu besoin de mode d'emploi pour comprendre la corrélation entre le désir et la physiologie humaine. Pourtant, il avait tout de même été surpris par l'intensité de son désir. Il l'avait aimée avec une telle force qu'il avait lâché prise pour n'être qu'avec elle, en elle, corps et âme. Peu importaient les conséquences que cela aurait sur sa vie et sa carrière. Seule sa mission comptait. S’il restait auprès d’elle, plus rien ne pourrait lui arriver. Il avait eu la certitude que ces instants étaient précieux et, en même temps, que rien ne pourrait jamais l'empêcher de rester auprès d'elle. Même son corps refusait de se détacher du sien. Le moindre de leur geste, le moindre de leur souffle lui semblait magique.

Ce n'était qu'au matin qu'il avait rassemblé ses esprits, et qu'il avait compris l'étendue de son acte fou. Il s'était senti totalement désemparé. Mais ce qui avait été fait ne pouvait être défait. Il ne pouvait pas bâtir une relation sur un mensonge. Il l’aimait, c’était un fait. Mais viendrait le jour où il devrait lui rendre des comptes. Elle le ressentirait comme une trahison. Il la perdrait probablement et cela il ne s’en sentait pas capable. Il ne pourrait le supporter et les conséquences se feraient sentir sur la réussite de sa mission. Cependant, il ne regrettait rien. Il ne voulait surtout pas oublier ce qu'il avait ressenti, son corps contre le sien, ses mains parcourant sa peau délicate, s'agrippant à ses mains, à ses épaules, à sa taille, ses baisers tendres ou fougueux, et son regard plongeant dans le siens à la recherche de son âme. Il s’était senti en paix, en harmonie avec l’univers, et elle aussi, il en était certain.

Il aurait dû retourner à l’AMSEVE. Au lieu de cela, il avait envoyé un mail au Général Doherty et prétexté un mauvais rhume qui l’obligeait à repousser son retour de quelques jours. La base était interdite aux porteurs de virus. Et si vous aviez le malheur de passer outre, de tomber malade sur place, ou de ramener un germe quelconque de l’une des missions d’exploration, il y avait des chambres d’isolement qui vous bloquaient sur place durant une quarantaine de jours, le temps d’être certain que personne ne pourrait être contaminé. Un mensonge très simple qui n’en était pas totalement un car il ne se sentait pas si bien que cela, même si cela n’avait rien à voir avec un virus. Ce fut plus compliqué d’expliquer à Rose pourquoi il devait rester en France, et surtout pourquoi elle ne devait pas y venir alors qu’elle prétendait en mourir d’envie.

Il avait donc bénéficié d’un répit de quelques jours et il n’avait pu s'empêcher de revoir Rheya, plusieurs fois. Chacune de leurs rencontres commençait et se terminait toujours de la même façon. Les choses auraient été bien plus simples si leur relation avait été linéaire. Le fait qu’il revive à chaque leur rencontre, leur nuit d’amour, et leur séparation comme si c’était la première fois ne le satisfaisait pas réellement. Il voulait quelque chose de plus solide, de plus construit. Mais il se disait aussi qu’il valait mieux qu'elle passe la nuit avec quelqu'un qui ne voulait que son bien plutôt qu'avec un inconnu qui pouvait la tuer... ou dont elle pourrait tomber amoureuse. Encore eut-il fallu qu’elle se souvienne de lui.

Depuis l’attentat, elle n’avait pas la mémoire des visages, ni celle des corps apparemment. Lui, il ne pouvait oublier son visage, encore moins son corps. Si quelqu'un d'autre que lui osait la toucher... Il ne pouvait pas supporter cette idée. Pourtant, il avait dû s'y faire...

Les vagues d'amour qui l'avaient submergé ces quelques nuits ne s'étaient jamais totalement dissipées à son retour à l’AMSEVE. Il avait repris sa vie et ses activités habituelles. Avec le temps, elles avaient fini par laisser une impression de vide, de manque comme il n'en avait plus connu depuis quelques années. Il éprouvait des sentiments profonds à l'égard de Rheya, mais tant qu'il gardait ses distances avec elle, cela restait supportable. Il pouvait continuer à donner le change à ses collègues, à ses supérieurs hiérarchiques, et même à sa compagne.


(Suite Chapitre 16.7)


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