Le Samouraï Virtuel (Snow Crash)

Ce livre est particulièrement intéressant, mais est aussi un sacré fouillis conceptuel.

L'univers, d'abord, est unique et va plus loin que bien des œuvres Cyberpunk les plus pessimistes : Les Etats-Unis sont devenus un territoire composite, partagé entre des dizaines d'Etats ou Etats-corporations aux divers statuts qui se partagent de manière diverse son territoire. Ainsi, à Los Angeles même, on peut trouver des morceaux du Grand Hong Kong de Mr. Lee, de la Mafia américaine de Tonton Enzo ou de dizaines d'autres groupes ou corporation. Et la CIA et la bibliothèque du Congrès ont fusionné pour devenir la Central Intelligence Corporation qui achète du renseignement à des individus et le revend au plus offrant. Bref, un cauchermar anarcho-capitaliste où des "banlises" (sortes d'enclaves de banlieues) sont aussi de quasi-Etats pouvant obéir qu'à leurs propres lois et ainsi pratiquer par exemple de la discrimination raciale.

Dans cet univers, les gens se connectent à un internet en réalité virtuelle nommé le Métavers dont le fonctionnement et les règles sont décrits en détail par l'auteur. Et il est amusant de voir qu'à la différence de William Gibson qui écrit presque une décennie plus tôt et connait assez peu l'informatique, Neal Stephenson semble, en 1992, en avoir une maîtrise un peu meilleure et développe des idées qui correspondent (avec 10 ans d'avance) à ce qu'on retrouvera plus tard dans les jeux vidéo tels que les MMORPG. Ainsi, Le Samouraï Virtuel est un roman qui peut être crédité d'avoir popularisé le terme d'avatar pour désigner la représentation du joueur dans un jeu vidéo (le terme avait été utilisé indépendamment un peu avant mais c'est semble-t-il le roman qui l'a popularisé). Là où Gibson poussait très loin des concepts intéressants mais abstraits et qu'il définissait peu, là Stephenson explique tout, dans le détail, ce qui donne une certaine richesse à cet univers.

Je n'entrerai pas ici dans le détail de tout ce qu'il imagine, tous les concepts qu'il déploie, car celui, fondamental, de meta-virus est au cœur de l'intrigue et il serait dommage de tout spoiler. Mais il est en tout cas très appréciable de voir l'effort de recherche mené par l'auteur pour rendre crédible (autant que possible dans un tel univers) les idées et situations qu'il développe. Cet effort de recherche prend une dimension assez fantastique quand les recherches menées par Hiro au milieu du livre l'amènent à s'intéresser aux premières civilisations humaines après l'invention de l'écriture.

Seul défaut de ce roman : son rythme. Il avait été initialement pensé pour être un roman graphique, et on le ressent à travers certaines scènes très visuelles (et très intéressantes à lire aussi). Je ne sais pas si c'est lié, mais cela mène le roman à décoller avec difficultés, et à perdre de vue ses principaux enjeux par moments dans la rotation entre Hiro et YT. Ainsi, certaines péripéties sont excessivement longues sans rien apporter de fondamental à l'histoire. C'est dommage, parce que ça en fait un énorme pavé de plus de 700 pages qui aurait gagné à être raccourci à environ 500 pages en coupant certaines péripéties franchement trop longues et dispensables et qui mènent le rythme à faire du yoyo (entre scènes d'action frénétiques et autres moments plus ennuyeux). Et c'est d'autant plus dommage dans dans les 150 dernières pages, tout devient à la fois plus clair et plus entrainant.

Bref, un roman très intéressant, une histoire passionnante, qui peut paraître un peu obscure au début mais qui trouve tout son sens à la lecture complète du livre, sur lequel il faut cependant s'accrocher en raison de ses quelques longueurs.