ESGALINEAR, LE CHANT CACHÉ DES MERS
ET L’HISTOIRE DE GAEROST
Il est un chant dont l’histoire, pourtant partagée par les trois grands peuples des Terres du Milieu, est ignoré aussi bien par les Eldar que les Atani et les Naugrim. Ce chant fut, plus tard, injustement nommé Esgalinear, Le Chant Caché des Mers. Injustement car ce chant ne fut nullement caché mais oublié. Un oublie aussi massif que volontaire, qui relégua cette histoire au rang de vague rêve lointain. C’était après Dagor Bragollach, la fin du siège d’Angband et la mort du Fingolfin, mais avant que Sauron ne s’en prenne à Minas Tirith, au temps où les Noldor arrivaient encore à repousser les attaques des Orcs près du Sirion, recelant les pouvoirs d’Ulmo.
En ces heures troubles, les Valar connaissaient une inquiétude grandissante. Plus de quatre cent cinquante années s’étaient écoulées depuis l’arrivée de feu Fingolfin, mais les Valar ressentaient toujours un soupçon d’amour pour les enfants d’Ilúvatar, malgré le départ des Eldar. Les Quendi qui étaient restés en Aman comblaient de joie les habitants de Valmar, mais cela n’empêchait pas certains de s’interroger sur l’avenir des Elfes en Terres du Milieu.
Ulmo était d’entre eux. Derrières ses marques de grandeurs et son masque inflexible, il cachait désespérément un cœur plus gros qu’Isil. Il avait toujours été celui qui s’était le plus rapproché des Elfes depuis leur exil volontaire. Il ne niait pas le gouffre que la tristesse de leur départ avait creusé au plus profond de son être, et c’est en aidant de temps en temps les fils d’Ilúvatar qu’il essayait de combler le puits sans fond qui abîmait son cœur. Il était depuis fort longtemps impressionné par les capacités des Elfes et la rapidité avec laquelle ils s’étaient habitués aux Terres du Milieu. Ils avaient, de plus, maintes fois réussi à déjouer les plans de l’infâme Melkor, qu’ils appelaient Morgoth, et avaient toujours su le pousser dans ses derniers retranchements.
Mais après son retour à Angband et l’arrivée des frêles Derniers-Nés, l’inquiétude d’Ulmo germa avant de devenir aussi grande que l’un des Arbres de Lumière. Les Noldor l’assaillaient sur presque tous les fronts et maintenaient un siège durable autour de la forteresse. Mais l’Ennemi Noir se moquait, cloitré dans les profondeurs d’Angband, des risibles Elfes. Advint alors l’affrontement l’opposant au vénérable Fingolfin qui força Melkor à sortir de son terrier. Comme il fut dit plus tôt, le fis de Finwë ne put s’en sortir, mais il quitta le monde en infligeant de sévères blessures à son adversaire, dont il ne se remit jamais.
Ulmo eut vent de l’affaiblissement du pouvoir de Morgoth et, contre l’avis des autres Valar, il voulût porter un coup fatal au Prince des Ténèbres. Mais ses frères protestèrent. Manwë décida que les Quendi exilés avaient choisi leur destin en connaissance de cause et que s’ils avaient réussi à porter atteinte au pouvoir de Melkor sans aide extérieure, ils pouvaient très bien le faire plier tous seuls. Ulmo, contrarié par la décision des Valar, s’exila dans la Grande Mer. C’est là bas que l’un de ses Maiar infiltré à Angband lui apporta une nouvelle angoissante concernant les plans de Morgoth. Il était bien connu que les Orcs avaient peur de l’eau comme de la Lumière d’Aman, ce qui, en temps normal, empêchait toute tentative d’invasion par le front marin. Mais la nouvelle laissait entendre que Morgoth avait réussi à lever une armée de créatures, Orcs, démons, Elfes et Humains corrompus, suffisamment nombreuses pour prendre à revers les Noldor par la Mer du Sud et signer l’arrêt de leur domination en Arda.
Ulmo fut stupéfait par la gravité de la nouvelle et la porta sans attendre en Aman, pour informer les autres Valar. Mais une fois de plus, Manwë refusa d’écouter Ulmo, affirmant que si le destin des Quendi était de trouver la mort face à Morgoth, alors ils devaient l’affronter et périr. Alors Ulmo dit :
-Ô Manwë, toi qui nous surpasse en sagesse et en pouvoir, comment peux-tu laisser dans l’embarras les Enfants d’Ilúvatar qu’il nous a demandé d’aimer et de chérir ? Je sais que par le passé, ils ont choisi un chemin différent de celui que nous aurions aimé qu’ils prennent, mais de grands hommes et de grandes femmes sont nés depuis ce temps là et ont porté sur leurs épaules le lourd fardeau de la malédiction de leurs ancêtres. Je sais aussi que leur retour à Valinor est chose impossible et que, quand bien même nous le leur offririons, ils le refuseraient. Mais je sais surtout que la malédiction portée par les Quendi tient également sa source de la ruse et la tromperie de Melkor et que, s’il a réussi à les corrompre, c’est parce que nous lui avons accordé une confiance qu’il ne méritait pas. Si nous laissons notre frère détruire les Noldor, il détruira par là même la création d’Eru.
Mais Manwë ne prit aucune pitié et répondit :
-Ulmo, tes arguments ont une valeur certaine. Cependant, les Eldar se doivent d’affronter les conséquences de leur choix. Nous les avions prévenus.
Alors Ulmo s’en alla une fois de plus le cœur rempli de tristesse. L’embarquement des troupes de Morgoth se tiendrait dans près d’une semaine, un temps bien trop court pour permettre aux Enfants d’Ilúvatar de rassembler seuls une garnison sur les côtes sud. L’Ennemi Noir allait vaincre aussi surement que le jour se levait sur Arda tous les matins.
Il décida qu’il était temps de défier les autres Valar. Il savait que la plupart de ses frères redoutait ses pouvoirs, et qu’il disposerait d’un certain intervalle de temps avant que Manwë ne se rende compte de ses agissements en Terres du Milieu. Il demanda donc à ses plus proches Maiar de lui construire une forteresse imprenable dans la Mer du Sud, sur le chemin que devaient emprunter les troupes de Melkor. Ils chantèrent en chœur et la beauté de leur mélodie fit jaillir des profondeurs de l’océan une magnifique montagne. Alors Ulmo joignit son chant à celui des Maiar et, ensemble, ils façonnèrent la montagne pour lui donner des allures de cité. Ils la baptisèrent Gaerost, la Forteresse des Mers, se dressant, imposante, dominant l’horizon de ses belles tours étoilées projetant au loin une lumière intense pour guider les âmes perdues et dérouter les légions ennemies qui ne verraient en son lieu et place qu’une source aveuglante à laquelle ils ne pourraient pas échapper.
Ulmo décida qu’il était alors temps de prévenir les Elfes, les Nains et les Humains. Il alla en personne voir les Noldor et leur chef Fingon et leur demanda de lever une armée pour l’aider à combattre près de Gaerost. Fingon accepta d’aider Ulmo à les sauver et pris la tête d’un contingent formé des Elfes les plus braves des ses troupes. Ulmo se dirigea ensuite vers les Humains et Baragund prît la tête d’une légion d’hommes courageux. Le Valar finit enfin son voyage en allant voir les Naugrim et un nain du nom de Naert se porta volontaire pour mener son peuple à la victoire.
Ulmo concentra ses pouvoirs pour amener les trois chefs et leur armée en Gaerost, pour combattre le vil Morgoth. Les Enfants d’Ilúvatar découvrirent sur place de nombreux navires taillés dans un bois plus pur que ce qui se trouvait en Terres du Milieu. Ils embarquèrent et créèrent une ligne de défense mobile entre Gaerost et les armées de Melkor.
Des bâtiments noirs comme l’âme de l’Ennemi apparurent soudainement en face de la barrière. Ils étaient menés par Sauron, son sombre serviteur et puissant sorcier. Des flèches tombèrent sur les hordes ennemies et bientôt, les plus proches appareils se préparèrent à l’abordage. Le combat fit rage et les pouvoirs d’Ulmo aidèrent tant bien que mal les Enfants d’Ilúvatar à contenir les créatures de Morgoth.
En Aman, Manwë fut mis au courant des agissements de son frère dans la Mer du Sud. Cette fois, Ulmo était allé trop loin, alors il se rendit lui-même sur place pour arrêter le puissant Valar. Arrivé sur la Forteresse des Mers, il rencontra Ulmo qui œuvrait dans le sens des habitants d’Arda. Manwë somma son frère d’arrêter sur le champ et de renvoyer les Enfants d’Ilúvatar d’où ils venaient. Ulmo refusa.
Manwë concentra alors la force de la fureur des Valar et la dirigea sur Ulmo qui fut jeté par-dessus bord, dans la Mer du Sud, et perdit ses pouvoirs. Sans l’aide du géant des mers, les elfes, humains et nains ne pouvaient plus repousser les assauts du maléfique Sauron et furent contraints de se replier sur Gaerost. Contre toute attente, ils y retrouvèrent Manwë et non Ulmo. Alors le Roi des Valar dit :
-Vous êtes arrivés ici de façon illégitime. Ulmo s’est opposé à la volonté des Valar et n’a pas respecté notre décision. Il fut donc puni, et ceux qui l’ont suivi devront subir le même sort.
Fingon en personne s’adressa à Manwë :
-Ô grand Valar, nous avons suivi Ulmo car il nous offrait une cause juste, une victoire à la place d’une défaite écrasante. Par sa pitié, il décida qu’il n’était pas temps pour nous de quitter Arda. Il contra seul les plans de Morgoth, le Valar qui vous a trahi. Pourquoi le punir alors qu’il servait le bien ?
-La parole des Valar fait acte de loi sur Arda. Ulmo ne l’a pas écoutée, et vous non plus.
Dans un fracas assourdissant, la terre trembla et la Forteresse des Mers tomba en ruine. Les quelques soldats encore en vie s’enfuirent sur leurs navires et furent soulagés de voir que leurs trois chefs vivaient encore.
-Voyez toute l’étendue du pouvoir des Valar. La malédiction vous poursuit, nobles Eldar, peut être s’achèvera-t-elle ici et maintenant. Ce n’est pas à nous d’en décider.
Mais lorsqu’il finit sa phrase, Manwë fut touché par une imposante lance noir et or qui le transperça de part en part. C’était Sauron, qui avait profité de l’inattention du Valar pour lui jeter une lance empoisonnée. Manwë s’effondra sur les ruines de Gaerost. Des nuages noirs s’emparèrent de toute la Mer du Sud et l’ombre de Melkor survola les terres avant d’atterrir près du corps de Manwë.
-Il est temps de mettre un terme au règne des Valar. Je suis le maître incontesté d’Arda et nul ne peut s’opposer à mon courroux.
Il leva son Marteau des Enfers et s’apprêta à porter un coup fatal à Manwë. Mais les elfes avaient préparé leurs flèches et tirèrent sur l’armure imposante de Morgoth. Il dévia alors la trajectoire de son arme et vint l’écraser sur le bateau de Fingon, déroutant pas là même les autres navires.
Alors Melkor s’approcha du Roi des Valar et recommença son geste impitoyable. Mais lorsqu’il abattît Grond, il heurta le corps d’Ulmo qui s’était interposé entre lui et Manwë. Le sacrifice du Roi des Mers prit fin dans un vaste silence qui s’empara de toutes les Mers du Sud.
Ilúvatar, parmi les étoiles, connaissait l’avenir de ses Enfants de par le Chant de la création du monde, qui trace leur destin et chaque pas de leurs aventures. Il aimait comparer le Chant et la vie sur Arda et se réjouir de la concordance des deux visions.
Mais un jour, le Chant Originel et le cours des choses prirent deux chemins séparés. D’après ce qu’il entendait, la situation en Arda était plutôt calme, les Eldar repoussaient avec succès les Orcs, et Melkor ne planifiait aucune attaque de grande envergure. D’après ce qu’il voyait, Ulmo faisait face aux autres Valar et construisait une forteresse, Gaerost. Cela ne faisait pas parti du Chant Originel alors Ilúvatar s’inquiéta grandement.
Il suivit donc avec attention cette toute nouvelle aventure, qui pourrait certainement lui réserver bien des surprises. Dans le même temps, il examina le Chant de plus près, et se rendit compte qu’un autre chant y était dissimulé. Celui-ci avait également été joué lors de la création du Monde, mais par aucun des Valar, ni même par Melkor. Ilúvatar baptisa cette entité Lindin, le Chanteur Silencieux.
Les évènements commencèrent à déborder en Arda. Manwë priva Ulmo de ses pouvoirs, puis Melkor arriva pour mettre fin au règne des Valar. Juste avant la mort d’Ulmo, Ilúvatar décida d’arrêter le Chant. C’était une décision difficile, car elle impliquait d’arrêter la vie en Arda, ce qui le priverait de la plus belle des mélodies. Mais cette situation n’était que temporaire et le Chant reprendrait de plus belle.
Il convoqua alors Fingon, Baragund et Naert, ainsi qu’Ulmo, Manwë et Melkor. Tous se retrouvèrent dans le noir parsemé d’étoiles de l’Univers. Leur voix résonnait au plus profond de leur cœur, et celle d’Ilúvatar transperçait leur âme en y laissant une douce amertume. Il leur expliqua la situation, le Chant caché de Lindin, et leur annonça que les évènements devaient avoir pris une toute autre tournure. Il les mit devant un choix : continuer selon le chant incertain de Lindin et renier la volonté d’Eru, ou effacer ces évènements de l’histoire du Monde et reprendre selon le Chant Originel. Tous acceptèrent d’oublier et de rejoindre le Premier Chant des Valar.
Melkor protesta, car les évènements allaient dans son sens. Ilúvatar lui indiqua que c’était le cas pour le moment, mais que tout pouvait changer d’une minute à l’autre, tant ce nouveau chant était incertain. Lui-même avoua qu’il ne savait pas où cela menait. Alors Melkor accepta d’oublier, se pliant devant la puissance d’Ilúvatar, surpris que le plus grand des grands ignorait quelque chose d’aussi important.
Le Chant Originel reprit son cours. Gaerost disparût, Ulmo récupéra ses pouvoirs, et les armées furent toutes ramenées sur leurs terres d’origine. Manwë et Ulmo oublièrent leur différent, Melkor oublia sa stratégie maritime, et les Enfants d’Ilúvatar oublièrent leur bref passage en Mer du Sud, car ce n’était pas cela qu’avait prévu le Chant Originel.
Là-haut, dans les étoiles, Ilúvatar se réjouît à nouveau de la concordance entre le Chant et les évènements d’Arda. Mais une crainte parcourût son être. Lindin, un être suffisamment puissant pour dissimuler une partie de son chant dans le Chant Originel se terrait, quelque part, et personne ne savait qui il était, ni où il se cachait.
Ce court récit m'a été inspiré par Le Silmarillion, dont il me reste encore quelques pages à lire. Je ne suis pas un habitué du Seigneur des Anneaux et de son univers, j'ai simplement vu les trois films, et le Silmarillion garde un aspect assez obscure dans mon esprit en ce qui concerne les lieux et les dates. Cela peut donc expliquer les quelques incohérences et/ou invraisemblances, sans doutes présentes, dont je m'excuse humblement.
C'est ma première expérience d'écriture hors des sentiers battus de la Science Fiction, sur les chemins qui la traversent. Je suis conscient de ne pas avoir choisi le plus simple des univers pour commencer, mais bon, maintenant que c'est fait, il est trop tard pour revenir en arrière.
J'espère donc ne pas vous avoir trop ennuyé