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| Le Très Joyeux Noël de la Famille Duke & du Lion | |
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Skay-39 The Vortex Guy
Nombre de messages : 4190 Age : 35 Localisation : TARDIS 39th room (blit), on Moya third level, in orbit around Abydos (Kaliam galaxy)
| Sujet: Le Très Joyeux Noël de la Famille Duke & du Lion Jeu 21 Mai 2009 - 18:14 | |
| Voici, avec quelques tout petits mois de retard, le texte que j'ai commencé à l'occasion du premier concours d'écriture de SFFS. Lorsqu'il m'est apparu que cette histoire ne serait jamais prête à temps, j'ai décidé de la soigner davantage, et de la développer autant que je l'estimais nécessaire.
Je viens enfin d'achever ce conte de Noël, et c'est donc avec une certaine sensation du travail accompli que je vous le livre ici.
En espérant que vous parviendrez tout de même à retrouver toute la magie de Noël... _______________________________________
Le Très Joyeux Noël de la Famille Duke & du Lion Il était une fois un monde… Il était une fois un monde fait de vertes collines et de blanches montagnes, ou bien de noirs déserts et d’immenses forêts. Ce monde, en fait, c’est le tien. Si tu as des yeux et que ton ciel le permet, sans doute peux-tu apercevoir, la nuit, en levant ton visage vers le vide cosmique, des centaines, des milliers d’étoiles. Encore ne distingues-tu que la moitié des cieux ; et encore cela ne représente-t-il qu’une infime fraction de ce que recèle l’univers. Combien de galaxies, là-haut, échappent à ton regard, et avec elles d’autres sextillions d’étoiles ?… Autour de certains de ces soleils orbitent des mondes ; et certains de ces mondes tiennent captifs de leur propre masse des lunes (qui, elles-mêmes, ont parfois pour satellites des demi-lunes, mais cela est réellement fort rare, et nous n’avons pas le temps de nous y attarder). Sur certains de ces corps planétaires, il y a de la vie. Parmi certains de ces écosystèmes, il y en a qui ont donné naissance à des espèces intelligentes, comme c’est le cas de la tienne. Maintenant, écoute bien ceci. En cet instant précis, sur chacun de ces mondes-ci, il y a au moins un petit garçon ou une petite fille qui soit en train de vivre une histoire extraordinaire…*** La pièce était plongée dans le noir. C’était un noir vraiment très très complet ; il ne permettait pas de distinguer grand-chose de l’endroit. Pour s’en faire une image, il aurait fallu s’y déplacer en personne, en tâtonnant alentour avec précaution. Cela ne nous est pas possible, bien entendu, mais faisons comme si. Tout d’abord, on découvrirait une porte. Ce serait une porte haute et étroite, d’un bois froid et fort dur, inhabituel. La poignée serait ronde et fixée bas. Ensuite il y aurait le mur, soyeux et parsemé de motifs en relief ; un grand coffre en bois enfoui dans la moquette épaisse, un interrupteur, un angle léger ; puis une bibliothèque, garnie de livres, de bibelots et de nombreux objets non identifiés, un cadre sur le mur, et puis quelque chose ressemblant à un porte manteau contorsionniste. Un autre angle, et ensuite une étagère en hauteur (attention à la tête), un meuble bas, un haut rectangle qui serait sans doute un placard à vêtement, et puis une longue table. Sur la table, nous aurions senti de nombreux objets, comme éparpillés. Des cahiers, les petits cylindres froids et irréguliers des stylos et crayons, quelques livres ouverts et posés à l’envers afin d’en garder la page, deux petites sacoches ressemblant à des trousses, divers petits machins non identifiés. A la réflexion, vous auriez songé qu’il devait plutôt s’agir d’un bureau. Ici, un doux rayon de lumière vaguement rougeoyant traversa la pièce et vint providentiellement révéler un petit calendrier, tracé par une main d’enfant et accroché au-dessus du meuble. Cet éclairage qui adoptait contre le mur la forme d’un trapèze glissa lentement sur le papier, révélant plusieurs rangées de croix bleues grossières comptant les jours passés. L’une des rangées était incomplète, et un peu après que les X aient cessé de se succéder, l’une des cases était entourée de rouge. Si l’on se fiait au sérieux de celui qui effectuait ce décompte scrupuleux, on pouvait raisonnablement estimer que l’unique carré blanc coincé entre les cases déjà cochées et le cercle était dédié au jour présent. Et à condition d’avoir de bons yeux et assez de vivacité, on pouvait également déchiffrer ce qui y était inscrit avant que le rayon de lumière ténu n’aille continuer sa promenade un peu plus loin. La date était le 23 décembre 1883. Voila pour le moment. La question du lieu était plus complexe ; commençons donc par la pièce où nous nous trouvons présentement. Peut-être l’aurez-vous compris au mobilier qui l’emplissait, ou peut-être aurez-vous besoin de savoir que l’endroit comportait un couchage en sus de tout le reste. Oui, en effet : c’était une chambre. Au milieu de cette chambre, contre le mur du fond, se trouvait le rectangle courbé et incliné d’un lit aux draps bleus. Et au milieu de ce lit, roulé en boule sous d’épaisses couvertures, il y avait un enfant. C’était un petit garçon fort banal, tout à fait comme n’importe quel autre. Attention, cependant, comprenons-nous bien : il ne s’agissait pas du jeune fils idéal, celui des contes traditionnels, fade à force de courage et de bonne volonté. Le notre pouvait sans doute lasser également, mais ce ne serait pas pour les mêmes raisons. Car s’il était comme tous les autres, c’était simplement parce qu’il n’avait vraiment rien de particulier. Un peu plus grand que la plupart des enfants de son âge sans doute, et un peu outremer aussi. Sa crête crânienne s’évasait sur l’arrière d’une manière fort attendrissante, les crampons s’étalant en rangs serrés et très réguliers sur sa surface arrondie, et elle était d’une jolie teinte rouge brossée d’argent. Une petite égratignure en marquait le pourtour au dessus de l’œil droit, là ou le garçon s’était cogné sur une pierre en tombant d’un arbre Griffe quelques semaines plus tôt. Sur ses pommettes saillantes, les écailles étaient d’un vert brillant, et on y trouvait des reflets bleus et jaunes ; et sous la ligne sombre de ses yeux s’étalaient de longues cernes mauves qui faisaient plaisir à voir. Son visage était paisible dans le sommeil. Il s’appelait Pïter Duke. Une bande de lumière balaya le visage endormit de l’enfant. Elle était rouge, un rouge mouvant, à la fois sombre et diaphane. Quelques instants plus tard, ce fut un rectangle jaune pâle et oblique qui couru quelques secondes sur le mur de la chambre, s’étrécissant à mesure qu’il progressait, jusqu’à disparaître finalement. Le garçon s’agita. Dans la petite pièce se produisit alors un événement difficilement descriptible. Il me faudra pour vous le conter tricher un peu sur les prérogatives d’un narrateur ; si je ne m’étais pas donné la peine de vous en avertir, seuls les plus perspicaces d’entre vous sans doute se seraient demandés comment Pïter, depuis son sommeil apparemment de plomb, avait pu noter ce détail pour me le rapporter ensuite. Il ne l’a pas fait, bien sûr ; c’est donc bien moi qui, ici, déborde de mes fonctions et brode un peu sur le style narratif pour vous signaler que chaque chose, dans la pièce, vit soudainement son poids s’accroître notablement. Si vous n’avez jamais vécu cela, il me sera fort difficile de vous décrire ce phénomène. Disons qu’il s’apparente un peu à ce que l’ont peut éprouver lorsqu’on se trouve à bord d’un ascenseur entamant une accélération verticale de plus en plus intense. Cela n’éveilla pas Pïter. A peine grognât-il un peu, prit dans les ébauches d’un songe ou une grande masse molle pesait sur sa poitrine. Puis le phénomène cessa, et le garçon s’apaisa. Et puis, le rectangle de lumière écarlate, plus vif qu’auparavant, vint à nouveau découper des ombres sur son visage, et il finit par s’éveiller. L’enfant se redressa dans son lit, encore ensommeillé. La pénombre de la pièce changeait sa silhouette en quelques îlots bleus – épaule, ventre, avant-bras, joue, menton – flottant dans le noir presque total où l’on distinguait à peine l’architecture de la pièce. Et puis il aperçut la tâche d’un rouge maintenant plus intense qui dérivait sur le mur, et perçut un grondement doux et lointain qui grandissait peu à peu depuis quelques secondes ; sans doute cela lui était-il familier, car il se montra tout à coup beaucoup plus alerte. Pïter rejeta sa couverture sur le côté, se laissa glisser à bas de sa couche, et trottina jusqu’au hublot rectangulaire découpé dans un mur de sa chambre, sa démarche hésitante montrant qu’il n’avait pas totalement échappé à l’emprise de Mor'fée. Le garçon se hissa sur la pointe des pieds, le rectangle de lumière sur le mur dessinant désormais la forme de sa tête et de ses épaules. Un instant, il fut éblouit par la forme bouillonnante d’où émanait le halo écarlate. Puis ses iris gagnèrent de griserne, et il put observer l’objet à travers la vitre teintée. C’était un soleil ; un très grand soleil rouge marbré de noir, aux contours flous et frémissants. Sa surface en perpétuel mouvement prodiguait une lumière changeante, qui dessinait sur le papier peint des dessins tout aussi variés tandis que la maison de Pïter modifiait sa trajectoire. Mais bientôt, l’immense sphère qui ne tenait pas tout à fait dans le cadre de la fenêtre se changea en une lame de faux incandescente, puis en une pauvre courbe lumineuse. C’était un monde, satellite de cette étoile ; Pïter étira encore un peu plus ses chevilles et baissa les yeux afin de l’apercevoir davantage. Une grande boule verte s’étalait en contrebas, parsemée de grandes étendues bleu sombre et de longues masses blanches cotonneuses, comme de la crème Shant-Illy que l’on aurait remuée avec le doigt. Tout cela, en vérité, se révélait sur une tranche en croissant de lune ; la plus grande partie de la sphère était noire, occultée par l’éclat de l’astre cramoisie. Cela s’expliquait par leur position par rapport au soleil, qui brillait fort loin de là, de l’autre côté de la planète. Pïter avait l’impression qu’il était très proche, plus que le soleil de son monde ; et sa luminosité semblait plus faible, aussi, et sa teinte rouge plus douce. Voila, en fait, pourquoi la question du lieu était plus complexe. Pïter se trouva une poignée de minutes plus tard face au grand sas de métal noir à rivets d’or qui permettait l’accès au salon de commandement. Il était maintenant vêtu d’une culotte bouffante brune, d’un pourpoint aux couleurs pâles – orange à gauche, vert à droite – et d’un gilet pourpre sans manches, en cuir de mastadge. L’ensemble des vêtements, bien que se trouvant à son emplacement désigné, semblait se côtoyer de manière approximative, révélant un habillage hâtif ou distrait. Sa vêture tombait sur des chevilles nues, car l’enfant allait sans souliers. Le jeune homme levait la main pour actionner le volant doré déverrouillant la porte lorsque qu’il s’avisa que celle-ci était déjà entrebâillée. Repoussant le panneau d’un geste vague, il se coula dans la pièce. Le grand lustre de cristal était allumé, et ses bougies mécaniques déposaient sur les murs de cuivre luisant et le bois de cèdre du sol des reflets doux. Sur la petite table ouvragée qui trônait dans la salle basse, un plateau contenant une tasse vide, une théière de porcelaine et une assiette presque vide de gâteaux au beurre témoignait d’un petit déjeuner matinal, pour ne pas dire nocturne. Glissant sur tout ceci, son regard avisa le promontoire en haut des quelques marches, où la silhouette d’un homme se découpait devant les étoiles. La lueur évanescente dessinait des reflets bleutés dans les cheveux et les favoris d’un noir de jais. Sa très large crête se découpait vaguement devant le rayonnement ténu, qui peignait les ombres de ses crampons pointus et fort espacés, faisait également étinceler ses binocles aux verres rectangulaires. Il semblait bien insignifiant devant l’immense baie vitrée aux allures de serre, qui entourait la barre et les innombrables panneaux de commande. Duke père maniait la barre, pilotant le navire dans les couches supérieures de l’atmosphère, et la coque du vaisseau grondait doucement en réponse. Il ne s’agissait pas de grincements menaçants… Ceux-là évoquaient plutôt le bois en bonne santé, la mécanique bien huilée. C’était un peu comme si le grand navire ronronnait tout autour d’eux, faisait le dos rond sous les manœuvres de l’explorateur de l’Académie. Tandis que Pïter s’approchait en traînant la patte, ses pieds nus rendant un son mat sur le plancher ciré, son père fit tourner plusieurs fois la barre vers la droite, et l’astronef pencha lentement à tribord avec une sorte de soupir. Le garçon sentit un subtil bouleversement de la gravité interne. Lorsqu’il s’avança sur le tapis épais un peu en arrière de la baie de commandement, le frottement attira l’attention de son père. - Pïter, constatât-il de sa voix apaisante, et cependant porteuse comme toujours d’une sorte de vague surprise. Est-ce l’entrée dans le champ gravitationnel qui t’a éveillé ? Pïter acquiesça sans parler, et se hissa dans un des vieux fauteuils démodés du salon de commandement. Il s’y installa de son mieux, ses jambes sous lui, et bailla longuement. - Il faudra que je fasse réviser les compensateurs, s’excusa le père au bout d’un moment. Le soleil de ce système est tout proche, sais-tu ? Cela perturbe les instruments. (Il ne semblait pas avoir tellement la tête à bavarder, et cela pouvait se comprendre, bien sûr ; comme nul ne l’ignore, il n’est rien de plus compliqué et ennuyeux que de piloter une nef depuis l’espace vide jusqu’à travers une atmosphère. Mais vous l’avez sans doute constaté, les adultes parfois se sentent obligés de dire des choses et de poser des questions pour combler le silence. C’est parfaitement idiot, car certains silences sont fort appréciables. Notre Pïter encore un peu endormi, en l’occurrence, aurait bien apprécié celui-ci.) - Nous serons au sol dans un peu moins d’une heure, dit encore le père. Pïter estima qu’il devait répondre quelque chose, et émit une sorte de grognement peu convaincu, car il avait la tête ailleurs. Il trouvait le fauteuil très inconfortable, surtout en fait parce qu’il était mal réveillé. Heureusement, Reishard Duke ne dit plus rien, et son fils pu se laisser aller, le regard dans les nuages. Le garçon s’éveilla alors qu’on le recouvrait d’un ample machin doux et délicieusement chaud. Il batailla fiévreusement contre le sommeil et entrouvrit vaillamment un œil. Sa mère était penchée sur lui, et c’était de son long manteau de renard mauve qu’elle venait de l’envelopper. Elle lui sourit, et déposa un baiser sur son front avant de se relever et de s’avancer vers la baie de commandement, sa chevelure rosée ondulant dans son dos. Pïter se frotta la crête afin de s’assurer que sa mère ne lui avait pas laissé une trace de bleu à lèvre. Il regarda passer sa sœur, vêtue d’une robe verte simple et chaussée de sandales, les épaules couvertes d’une fine écharpe grise. Elle arborait déjà une tresse impeccable et serrée, enroulée une fois autour de son cou. L’enfant estima l’énergie qu’il lui faudrait dépenser pour aller tirer sur cette natte, et décida que le jeu n’en valait pas la chandelle. La dame du commandant vint poser les mains sur le cou de son époux. Elle portait une robe rouge tombante à col haut dont le tissu souple épousait les formes de son corps. Pïter trouvait qu’elle lui allait vraiment bien.
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| Sujet: Re: Le Très Joyeux Noël de la Famille Duke & du Lion Jeu 21 Mai 2009 - 18:20 | |
| - Bonjour, Sesan, l’accueillit le haut explorateur en lui souriant. Bonsoir, Lwucy, ajoutât-il à l’intention de sa fille, tandis que le navire quittait les rayons du soleil pour pénétrer dans l’ombre de la planète. Est-ce que les perturbations gravitiques vous ont incommodé vous aussi ? - Non, c’était la lumière, répondit Lwucy d’un ton claironnant en se glissant dans son siège préféré, celui dont les accoudoirs étaient si usés que les gravures en avaient presque disparus. - Tu ne nous avais pas dis que c’était un soleil rouge, fit Susan Duke doucement mais avec une trace de reproche dans la voix. C’est terriblement mauvais pour le teint. - Je suis désolé, mon ange, fit Reishard – mais il souriait. Si cela peut te consoler, nous arriverons de nuit. C’était une plaisanterie. Pïter n’avait plus sommeil. Il se laissa glisser au sol, et, toujours enroulé dans le manteau qui traînait un peu derrière lui, marcha vers le promontoire. - Installe-nous près d’une rivière, s’il te plait, priait sa mère de sa voix chantante. Pïter escalada le dernier des trois fauteuils et se blottit à l’intérieur. Le manteau sentait la lavande. Il observa les innombrables boutons, manettes, palettes, hologrammes, leviers, interrupteurs, cadrans, curseurs, pédales, écrans, molettes, claviers et jauges du tableau de commande, et imagina qu’il savait les utiliser. - Un point d’eau, c’est prévu dans la Nomenclature, assura Reishard. Mais je ne peux… - Oh ! Vous avez vu là-bas ? Il y a de la neige ! fit soudain Pïter en bondissant sur son siège et en posant une main sur la console, afin de se pencher le plus possible en avant. Sa mère rattrapa le manteau qui glissait au sol. - Nous le voyons, mon chéri, fit-elle d’une voix apaisante et aussi vivante qu’à l’accoutumée. - Peut-on se poser par là-bas ? S’il te plait ! - Pïter, le gronda son père (il ne savait pas très bien s’y prendre, si bien que les petits ne le prenaient jamais vraiment au sérieux). Tu sais parfaitement que la première expédition doit toujours se poser dans une zone précise… (Il décélérait, maintenant, préparant la descente verticale) Répondant à des critères soigneusement établis… (Ses longs doigts tirèrent lentement un curseur en arrière, diminuant la voilure) Par les érudits de l’Académie… (Toutes les plus grosses lumières du tableau de bord changèrent, passant du vert au jaune ocre) Voila plus de trois siècles. - Mais… protesta encore Pïter, qui savait pourtant pertinemment que c’était peine perdue. Il était jeune, mais avait passé sa vie dans ce vaisseau, et n’ignorait donc pas qu’ils étaient désormais trop bas pour changer de destination. La nef se trouvait déjà en dessous des plus basses montagnes, et arriverait bientôt au niveau des plus hautes collines. Et justement… Une nouvelle fois, les fesses de Pïter quittèrent le tissu rembourré du fauteuil, dont les pieds frottèrent contre le plancher, et il monta presque sur le tableau de commande afin d’acquérir un meilleur point d’observation. - Ah ! Regardez ! - Pïter ! protesta son père, qui pressa vivement quelques boutons afin de remettre en fonction les systèmes que son fils venait de désactiver par inadvertance. Descend de là ! - Mais regardez ! Ils regardèrent, et peu à peu le vaisseau ralentit. La scène ne manquait pas de poésie. Devant le nez du navire, une forêt alien s’étendait dans la nuit, toute en nuance de noir et de bleu sombre. Le pays était vallonné, la lune immense et les étoiles plus brillantes et nombreuses que sur bien des mondes ; leur lumière dessinait comme un photophore entre les branchages et les troncs. A quelques dizaines de mètres, entre les pointes irrégulières des arbres aliens, une éminence dominait toutes les autres, son herbe haute agitée par le vent. A son sommet, au centre exact du cercle blafard de la lune, trônait un arbre qui surplombait le bois. Il n’était pas le plus grand, pourtant, mais culminait seul, comme si ses congénères avaient peur de lui. Ils ne purent cependant contempler ce tableau plus longtemps. Car bien que progressant maintenant fort lentement, la nef n’en poursuivait pas moins sa descente, et un rideau d’arbre vînt peu à peu masquer le paysage irréel. - C’était un sapin ! affirma le garçon, avec tout de même une trace d’interrogation dans la voix. - Une sorte de sapin, rectifia le haut explorateur de la famille Duke en consultant un des nombreux petits écrans ronds recouvrant le tableau de bord. - Alors on aura un vrai arbre de Noël, cette année ? insista Pïter, pas prêt à en démordre. On ira couper celui-là, n’est-ce pas ? - On en coupera un. - Celui-ci ? Son père soupira, ses arcades sourcilières se froissant en signe de reddition. - D’accord, on prendra celui-là, capitulât-il. Pïter poussa un cri de joie à la limite du guerrier, et sa sœur roula comiquement des yeux. Le vaisseau d’exploration de la famille Duke affichait le classique profil d’un Ghalion ancien, si ce n’était que les réacteurs des Ghalions d’état étaient situés nettement plus haut que sur les modèles de l’Académie. On y trouvait cependant un peu aussi de la Kharavel, car sa poupe était plus carrée que sur la plupart des modèles civils, et sa robe affichait des teintes pourpres et or tout à fait dans les tons du second empire. Le nom du navire, le Loup d’Argent, s’étalait en grandes lettres de même couleur, chaloupées, en pleins et en déliés, inclinées sur le côté. En haut des cinq mâts fièrement dressés, les voiles solaires dorées brillaient légèrement sous la lueur des étoiles et surtout le feu des balises lumineuses qui ponctuaient le bâtiment. Tout au sommet de la plus haute vergue flottait fièrement le pavillon-émetteur écarlate aux armoiries de l’Académie (deux éclairs entrecroisés sur un croissant de lune couché), et juste en dessous le drapeau noir arborant en blanc l’emblème de la famille Duke (sorte de T retourné sur lequel serait juché un carré de même largeur). La figure de proue, sous le beaupré démesuré, représentait un homme d’Arakhis à tête de loup, ses quatre bras croisés sur sa poitrine ; elle avait été sculptée virtuellement par Sesan Duke elle-même, sur la demande insistante de son amant. La jeune femme en question venait justement de poser une ravissante bottine ocre sur l’herbe bleuâtre, foulant la première le sol de ce monde encore inconnu. Elle s’éloigna de quelques pas en resserrant autour d’elle son manteau de fourrure, car une brise froide courait sur la plaine. Son époux descendait la rampe du vaisseau juste derrière elle, manipulant quelques instruments de mesure qui couinaient et vrombissaient. - Merci pour la cascade, rit l’artiste en contemplant la courte chute d’eau qui grondait à quelques dizaines de mètres de là. Le ruisseau qui en naissait suivait les contours de la clairière où s’était posé le vaisseau sur le tiers de sa circonférence, avant de dévaler une pente accidentée au milieu des arbres. - Cela entrait dans la Nomenclature, assura Reishard, qui n’aimait pas se mettre en avant. Sesan sourit. Elle était magnifique, avec la lune qui se reflétait sur sa délicate crête de quartz et le froid qui noircissait ses joues. Reishard glissa ses outils d’analyse dans sa besace, et prit les mains de sa bien-aimée. Ils échangèrent un tendre regard. Leurs lèvres s’effleurèrent. - J’ai le sabre laser ! lança une voix étouffée depuis l’intérieur de la nef. Un instant plus tard, le cadet de la famille Duke dévala au pas de course le ponton en agitant au dessus de sa tête un triangle de métal aux bords arrondis décoré de quelques diodes. Lwucy venait ensuite, soigneusement emmitouflée, en le couvant d’un regard critique. Elle tenait au bout d’une laisse de cuir rouge Trente-neuf, le familier des Duke. Pas d’erreur ici. L’animal se nommait bien Trente-neuf. Certes, ce choix pouvait surprendre ; Duke père et mère s’étaient d’ailleurs montrés dubitatifs lorsque Lwucy, alors toute jeune, l’avait suggéré. Mais après réflexion, Reishard Duke avait dû reconnaître qu’il n’avait aucune envie d’appeler son loyal Vingt-trois, Dix-huit ou Trente-deux, ou d’un autre de ces noms traditionnellement dédiés aux familiers. Le baptiser Trente-neuf était sans doute une décision cocasse, mais au moins était-ce original. - Pïter ! protesta sa mère d’une voix sans appel. On ne court pas avec des objets lasers ! Le petit garçon freina aussitôt, et poursuivit sa descente avec une mine contrite de circonstance. Il retrouva cependant vite le sourire. - Pouvons-nous aller chercher l’arbre ? Le haut explorateur hocha lentement la tête. Il semblait totalement insensible au vent froid qui fouettait la clairière. - D’accord. Allons-y. Il y a deux sortes de forêts. Certains me rétorqueraient qu’il y en existe bien davantage, que chaque planète possède son propre écosystème unique et incomparable, mais ce sont des balivernes. En vérité, il n’y a que les forêts sauvages et les forêts domestiques, et ceux qui aiment vraiment les arbres préfèreront toujours les premières. Celle que nous arpentons en cet instant s’étendait en reine sur des centaines de milliers d’hectares ; et pas un seul chemin ne la traversait, aucune colline n’y avait jamais été aplanie, et pas une seule fois le sous-bois n’avait été défriché. Ces bois n’avaient rien connu d’autre qu’une vie animale primitive, si l’on exceptait la fois, plusieurs siècles plus tôt, où un module de sauvetage endommagé s’y était échoué (mais ceci est une autre histoire qui sera contée un autre jour). Puis une lumière diffuse vint peu à peu envahir les arbres, faisaient scintiller le gel sur les branches aux aiguilles dressées en éventail. Un instant plus tard, alors que la lueur s’accentuait, elle fut rejointe par un son aigrelet ; une sorte de gémissement électronique poussif aux forts accents artificiels, comme émanant de vieilles enceintes. Et alors un étrange odonatoptère mécanique apparut, ballotant paresseusement entre les mains tendues de la forêt. Son long abdomen étroit scintillait de diodes rouges et jaunes, et une demi-douzaine de longues pattes repliées pendaient sous le thorax épais, disposées non pas sur deux rangées mais en cercle. Les quatre ailes fines battaient en alternance, nimbées de la lueur bleutée des suspenseurs, et l’engin arborait en guise d’yeux deux énormes ampoules projetant une clarté diaphane. La bestiole grinçante et couinante aux teintes cuivrées était commercialisée sous le nom de Lucyol , mais celui de Lybhellul lui aurait mieux convenu. Dans son sillage venait la famille Duke, le père en tête et la mère en fin de cortège. Le bois était étrangement silencieuse : on n’entendait pas le moindre hululement de chouette, pas le moindre battement d’aile d’un hiboux en quête de nourriture. Il n’y avait pas une souris pour venir grignoter une racine à la faveur de l’obscurité, pas un lapin pour détaler à leur passage, et pas un insecte exotique pour virevolter dans le halo lumineux de la Lucyol . Reishard Duke, qui était aussi incapable de se départir des instincts de sa profession que l’est une tortue d’ôter sa carapace, ne manqua pas de noter cet étrange dépeuplement. Ils auraient pu trouver leur bonheur deux cent mètres en aval, mais Pïter tenait absolument à couper l’arbre qu’ils avaient admiré au moment de leur approche. Il se contentait de répéter que c’était « lui le mieux ». Lwucy ne voyait guère ce qu’il pouvait bien avoir de plus que tous ceux qui les entourait, et ne manquait pas de le faire savoir. Son frère accueillait ses remarques acerbes avec une superbe indifférence, se contentant de demander de temps en temps d’un ton joyeux si ses parents n’entendaient pas eux aussi ce moustique agaçant qui s’obstinait à les suivre. Mais lorsqu’ils purent enfin lever les yeux sur le sapin, même Lwucy ne trouva aucune remarque sarcastique à faire. L’arbre était beau, c’était indéniable. Il était haut, mais juste assez, et ses belles branches se tendaient dans toutes les directions, élégamment recourbées ; et elles étaient couvertes de milliers d’aiguilles fraîches et bleues, qui se bousculaient en rangs serrés et respiraient la santé. Il était si fourni qu’on en voyait pas le tronc ; son cœur était aussi dense qu’un buisson de houx. L’arbre était fort comme un chêne et souple comme un roseau. - Ecartez-vous, fit Duke père en s’emparant du sabre laser. La lame se forma en une sorte de convulsion bleu vif. Elle se mouvait dans l’air avec une singulière stridulation. Les trois autres Duke se reculèrent respectueusement ; Reishard examina le tronc, calcula un angle, et frappa d’un mouvement latéral net et décidé. Une quantité de sève impressionnante jaillit, éclaboussant sa tunique pourpre et les longs brins d’herbe bleue tapissant la colline. Le sapin pencha lentement, majestueusement ; et puis, avec comme une fausse lenteur, il s’abattit dans l’épais tapis de bleudure (puisqu’on ne pouvait décemment pas parler de verdure), accompagné d’un grondement fracassant. Pïter retenait son souffle, impressionné, presque intimidé. Lwucy s’était prudemment réfugiée derrière sa mère. Du tronc sectionné continuait de goutter une sève fluide. - Oh… Ça par exemple, fit Reishard Duke. Il remisa le sabre laser préalablement mouché dans sa besace, et s’accroupit à l’endroit qu’occupait un instant plus tôt l’objet de leur équipée. Tendant la main, il remua l’humus qui couvrait le sol, et en exhuma des objets blancs de taille réduite. - Il semblerait qu’il s’agisse des restes de petits rongeurs, signifia le haut explorateur en retournant les petits os entre ses longs doigts fins gantés. - Il y en a de plus gros, signala Lwucy sans s’approcher pour autant. - C’est vrai. Une meute de prédateurs doit régulièrement festoyer en ce lieu. - N’est-ce pas dangereux ? s’inquiéta la petite fille. - Pas tant que je porte le Kolt. J’ai le geste sûr, tu sais bien. En disant ces mots, il tapota le lourd pistolet en arc de cercle qui pendait sur sa hanche droite. L’arme était fort élégante, avec sa crosse d’ébène poli et ses rivets gris sombre. Le long canon doré se doublait aux deux tiers d’un laser de visée, et de complexes petits mécanismes contournés s’emmêlaient sur l’arrière de l’arme, là où son corps effectuait un virage. Les cylindres du barillet brillaient d’une lueur mouvante émeraude. - Il y a autre chose ici, remarqua son épouse d’une voix plus douce que la nuit. Reishard Duke vint à elle tout en glissant les plus petits ossements dans sa sacoche, arrachant à Lwucy une grimace de dégoût bien compréhensible. - Ce sont les empreintes d’une sorte de grand félin, annonçât-il après quelques instants. - Crois que ce puisse être un lion ? demanda aussitôt Pïter, avide. - Le roi des animaux… Peut-être. Pourquoi pas ? répondit le navigateur distraitement, absorbé dans ses observations. - Les lions vivent sur la Terre, idiot, répliqua Lwucy de telle façon qu’il ne s’y trouvait rien de méchant. Il ne peut y en avoir ici. A ses yeux, c’était sans nul doute par complaisance que leur père n’avait pas détrompé Pïter ; mais comme chacun le sait, cette tâche incombait aux aînés de la fratrie depuis des temps immémoriaux. Mais le haut explorateur se releva en souriant, ses yeux noirs luisant doucement de griserne. Il caressa Trente-neuf sur le sommet du crâne, là où son pelage était doux comme du velours, et la queue du familier se balança frénétiquement. - Qui sait ? fit-il de sa voix profonde. Les terriens avaient bien des sortes de loyaux. Et Trente-neuf, comprenant que l’on parlait de lui – vous savez comme les loyaux sont doués pour cela – aboya avec force, bondissant sur place et agitant si vivement ses éventails de joue que des particules dorées volèrent en tout sens et firent éternuer Pïter lorsqu’il se jeta à son cou.
Dernière édition par Skay-39 le Jeu 21 Mai 2009 - 19:43, édité 1 fois |
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| Sujet: Re: Le Très Joyeux Noël de la Famille Duke & du Lion Jeu 21 Mai 2009 - 18:21 | |
| Le jour se levait lorsque Reishard Duke acheva enfin l’installation de sa petite famille sur ce monde nouveau. L’astre énorme dispensait une lumière sanguine, épaisse, bien différente en tout cas des rayons d’un soleil jaune ; et le paysage boisé, sous cet éclairage, prenait des allures de fin du monde. Le haut explorateur pesa de ses deux mains sur le haut du dernier pilier-foudre, ne reculant pas avant qu’il se soit profondément enfoncé dans le sol meuble. Ses gants craquèrent lorsqu’il massa ses paumes douloureuses. Le bâton en pointe surmonté d’une sorte de petite lanterne venait compléter le cercle que formaient les trente-six dispositifs similaires disposés tout autour du vaisseau. Ils constituaient les maillons d’une clôture énergétique de très haut voltage. Duke père abaissa un interrupteur sur le côté du pilonne, et un double filin de lumière rouge embrasa instantanément l’air en un large ovale tout autour du vaisseau, remplissant les contours en pointillés que dessinaient les piliers-foudre. Le docteur avança la lame brillante du sabre laser au dessus de la clôture, et la barrière se déforma aussitôt pour venir contrer l’intrusion. Le champ de lumière aqueux du sabre combattit les étincelles écarlates du filin incandescent. Satisfait, le haut explorateur s’avança vers la nef en frottant ses mains pour les réchauffer. Un scintillement froid mouilla son nez. « On dirait bien que Pïter aura sa neige, finalement » songeât-il en observant le ciel blanc et gris. Et il sourit, car au fond il en était heureux. Reishard dépassa l’ancre magnétique, baissa la tête pour se glisser sous sa lourde chaîne d’acier et atteignit la passerelle. Un peu plus loin, il vit la branche d’un arbre malmené par le vent grésiller contre la barrière. « Je n’aurais pas dû poser la nef si prêt de la végétation, songeât-il vaguement. Ça peut poser problème, en cas de tempête. » Mais comme l’intelligence de bord n’avait annoncé aucun mauvais temps, il n’y pensa bientôt plus. Duke père remonta le ponton du navire et passa le sas principal. La lourde porte se verrouilla derrière son dos, dans un chuintement évoquant le soupir d’un dragon. Il suspendit sa balise à droite du sas, où pendaient déjà ceux du reste de la famille. Même Trente-neuf avait son propre générateur de signal, munit d’une fixation spéciale pour son collier. Après s’être essuyé les pieds sur le paillasson de l’entrée – sa dame n’allait plus lui pardonner bien longtemps son étourderie, étant donné les traces de boue que celle-ci laissait sur les tapis de la nef – et s’achemina vers la salle à manger. Lwucy et Pïter avaient presque achevé de décorer le sapin. Les boules de Noël de tailles diverses flamboyaient de bleu, blanc, rouge, jaune, vert, ocre, ceintes parfois d’un anneau ou escortées de minuscules satellites gravitant dans leur orbite. Elles jetaient une lueur diffuse sur les feuilles de houx chantantes, les guirlandes à changement de couleur et les flocons de neige lumineux en cuivre ou en argent. Les angelots de bois peints battaient doucement des ailes, tirant de temps à autre une note cristalline de leur minuscule harpe dorée – en parfaite harmonie avec le cœur de houx - et les bougies mécaniques enfermées dans des lanternes au verre coloré dispensaient une lumière chaleureuse, dans laquelle les sucres d’orge bariolés scintillaient de mille feux. Dans tout l’immense végétal foisonnant se côtoyaient cent autres ornements joyeux et étonnants ; et entre ces merveilles artisanales, il y avait des chocolats et des biscuits en forme de sapins ou de bonhommes de neige, suspendus par des rubans rouges aux branches qui se dressaient avec arrogance. Apparemment, il avait fallu descendre du grenier toutes les décorations pour honorer dignement la considérable masse d’aiguille. Au moment ou Reishard pénétra dans la pièce, Sesan Duke était en train de poser au sommet du sapin la traditionnelle galaxie holographique brillant de paillettes écarlates. L’amas stellaire translucide tournoyait lentement sur lui-même, ses trois bras parcourus de subtiles variations de teinte. Bien entendu, cela ressemblait bien peu à une galaxie, mais il était des traditions que l’on ne remettait pas en question sous peine de passer pour un affreux rabat-joie. - Où dois-je placer cela, mère ? interrogea Lwucy, qui peinait sous le poids de la crèche familiale un peu poussiéreuse. - Voyons, ma chérie, au-dessus de la cheminée, comme toujours, s’amusa Sesan Duke. La petite fille se dirigea vers le grand âtre aux pierres veinées d’argent, le petit bout de langue rose qui pointait entre ses lèvres mauves témoignant du sérieux avec lequel elle considérait sa tâche. Se hissant sur la pointe des pieds, elle plaça le modèle réduit sous la grande couronne de houx et de sapin couverte de neige artificielle. Reishard détailla la grange miniature qui venait de la famille de son épouse, et il lui sembla que c’était la première fois qu’il le faisait. On y retrouvait tout naturellement le couple sacré, lui dans sa bure beige en simple toile, elle noyée sous un flot de tissus bleu et blanc ; les deux élus, des nomades Fredonneurs, contemplaient avec béatitude leur descendance surnaturelle. Penchés sur le berceau, il y avait bien sûr l’âne, le bœuf et le ver géant, éternels témoins et protecteurs du Dieu incarné ; lequel était figuré par un gros œuf cristallin blotti dans un nid ovale tapissé d’herbes sèches. A l’intérieur pulsait une lumière dorée. Car tous les mythes s’accordaient sur ce point : c’était d’un œuf comme tous ceux que les mères Fredonneuses pondaient chaque cycle qu’était venue la lumière. Le visage de l’enfant après l’éclosion étant sujet à caution, et faisant l’objet de descriptions diverses et variées – à savoir à peu près autant qu’il existait de races dans l’univers connu et converti –, il avait été décidé, dans un esprit de conciliation et de bonne convenance, de s’en tenir au stade prénatal. Cela n’avait somme toute pas grande importance, car chaque peuple ou presque était tout à fait sûr que le divin enfant n’avait pu choisir de naître sous d’autres traits que les siens, et considérait avec une sorte d’indulgence condescendante les propres certitudes des autres royaumes planétaires. Sur la droite se tenaient trois individus chevaleresques, la tête inclinée et un genou planté dans la paille. On devinait à leur équipement qu’il s’agissait d’explorateurs. Les nobles voyageurs, tous de taille et de morphologie différente, étaient moulés dans des combinaisons respectivement rouge, verte et jaune. Ces vêtures complexes étaient barrées d’une large ligne blanche verticale sur la poitrine et le long du dos, ainsi que sur les côtés de chaque bras et jambe. Chacun d’eux avait respectueusement ôté son casque pressurisé à la visière dorée envahie de reflets sombres, et le tenait sous son bras gauche, ainsi que l’usage l’exigeait. Les trois Mages Spationautes, Malchior, Gesperd et Belthezerd, qui auraient navigué vers la planète perdue de Jezu-Ralem guidés par une constellation immense et étincelante, le dessin parfait d’un ange d’Ivhin. Bien sûr, on pouvait s’interroger sur le miracle qui avait permit à ces étoiles de présenter le même visage à trois voyageurs solitaires situés dans trois galaxies différentes, mais ce n’était pas conseillé. Dans leur main droite tendue, les visiteurs présentaient chacun leur présent : l’Or, l’Amyrte et l’Antimatière. Belthezerd, qui possédait deux bras de plus que ses compagnons, tenait également son bâton de mage sur lequel il s’appuyait. Les deux autres l’avaient fixé dans leur dos. Les Duke n’étaient pas à proprement parler de fervents Käthôlik. Sesan Duke (alors Sesan Wemstreck) avait certes été éduquée dans les strictes préceptes du Seigneur, et les parents de Reishard l’avaient mené à l’église chaque dimanche de chaque semaine, avec tous ses frères et sœurs (sauf le petit Nikolas, qui était déjà fort malade à l’époque, le pauvre enfant – mais ceci est une autre histoire…) ; cependant, lorsque les deux êtres à leur tour engendrèrent un foyer, reproduire cet enseignement ne leur parut pas naturel, et cette religion sans conviction ne s’étendit guère à leur progéniture. On n’aurait su cependant omettre de sortir la crèche à chaque Noël. C’était, là encore, la tradition. Sesan Duke s’approcha sans bruit de son conjoint et lui caressa le bras de son poing fermé. - Nous passerons bientôt à table, dit la jeune femme. Tu seras content, la serre a donné de beaux résultats cette année. - Ai-je le temps de prendre une douche ? - Bien sûr. Le grand explorateur essuya ses lunettes qui s’étaient couvertes de buée, et regarda avec paternalisme ses enfants en train de se chamailler. Pïter, perché sur le grand canapé vert, agitait hors de portée de sa sœur l’écharpe grise qu’il lui avait subtilisée, ricanant tandis qu’elle bondissait et fulminait. - Ils ont ta crête, fit-il en déposant un baiser sur la susmentionnée coiffe de quartz polie. - Celle de Pïter a le temps de gagner en circonférence, estima Sesan. Dépêche-toi, sinon tu vas manger trop cuit. - Pas question ! Froid, au pire, répliqua son époux en gagnant rapidement l’étage. Sesan n’avait pas eut autant de temps que les années passées pour cuisiner, mais s’était tout de même arrangée – avec l’aide appliquée de Lwucy et celle plus irrégulière de Pïter – pour préparer un délicieux repas. Tandis que Reishard achevait de boutonner sa chemise, savourant la sensation du tissu frais contre sa peau humide, il humait avec gourmandise le fumet de plus en plus apetissant qui émanait des cuisines. Lorsqu’il regagna la grande salle, Lwucy achevait de dresser la table ; les verres de cristal et les couverts en argent étincelaient sur la nappe blanche. - Lave-toi les mains avant de passer à table, rappelât-il à Pïter qui flattait Trente-neuf derrière les oreilles, là où ses écailles étaient les plus tendres. Le loyal soupirait d’aise en agitant les pattes dans le vide, griffant le plancher. Le dîner fut parfait, aussi festif qu’à l’ordinaire. Les Duke avaient l’habitude de passer les fêtes en petit comité. Lwucy apporta même en plat principal un délicieux cochon d’Indh rôti aux airelles, le plat préféré de Reishard – ce petit mammifère ne se trouvait guère que sur une poignée de mondes. Pïter se gava de marrons et de gratin de pommes de terre à s’en donner des maux d’estomac. Trente-neuf passa de chaise en chaise, la queue battant la mesure, la truffe avide, et quémanda des restes de nourriture à grand renfort de soupirs éloquents, regards suppliants et coups de museaux bien placés. Il était difficile d’ignorer le familier lorsqu’il posait sa tête chaude sur vos genoux où reniflait de loin le contenu de votre assiette avec le plus grand intérêt, en poussant des gémissements à fendre l’âme. Reishard le renvoya plusieurs fois dans son panier, malgré les protestations des enfants. Ceci étant dit, ce fut également lui qui lui fit le plus profiter du repas. A la fin du souper, toute la famille se leva dans la bonne humeur afin de sacrifier à la plus incontournable des traditions : l’holographie de fin d’année devant la bannière familiale. Mme Duke installa le grand appareil sur son trépied, réglant soigneusement la focale, la lumière et la distance ; Mr Duke tâcha durant ce laps de temps d’empêcher ses deux enfants de s’étriper et Trente-neuf d’aller voir ailleurs s’il y était. Sesan releva un interrupteur de cuivre et rejoignit vivement les siens tandis que bourdonnait le dispositif à retardement. Un chœur de quatre voix clama un joyeux « Galaxiiie ! », et il y eut un éclair accompagné d’une détonation de phosphore étouffée. Le petit nuage de fumée blanche n’avait pas encore finit de se disperser au plafond lorsque Pïter s’empara du cliché, à sa sortie de l’holographeur. Il était encore noir, bien qu’au moindre mouvement danse au-dessus de sa surface un chatoiement de couleurs. Son père déposa l’épreuve sur le manteau de la cheminée : elle serait impressionnée au matin. Enfin, la famille gagna le sapin pour goûter en guise de dessert quelques-uns des biscuits préparés par Sesan Duke et placés dans le sapin par Pïter et Lwucy. Mais à leur grande surprise, ils ne purent trouver le moindre gâteau ou chocolat. Il n’était guère ardu de deviner qui était l’auteur du larcin. - Oh, Trente-neuf ! protesta la dame du commandant, partagée entre l’indignation et l’amusement. Le familier joua l’incompréhension innocente à la perfection. L’incident amusa tant les enfants qu’ils flattèrent longtemps le loyal, tellement en fait qu’il retint sans doute que voler des friandises était un méfait fort apprécié. Leurs parents échangèrent un regard fataliste. Reishard Duke ne put cependant imaginer par quelle prouesse le reptile domestique avait pu atteindre les plus hautes branches, lui qui n’excédait pas soixante centimètres au garrot. Bien qu’encore vigoureux, la petite bête n’était plus de première jeunesse, et l’ambiance inhabituelle de cette journée l’avait maintenu dans un état d’excitation éprouvant ; aussi dormait-elle déjà d’un sommeil profond lorsque Duke père et mère descendirent le grand escalier en spirale de la salle à manger après avoir souhaité la bonne nuit aux enfants. Le grand lézard se tenait lové dans son panier, l’extrémité de sa longue queue pointue lui chatouillant le museau. - Ce doit être bon, maintenant, signifia Sesan Duke à son mari quelques minutes plus tard tout en rassemblant la vaisselle du repas dans un plateau nacré. Ils doivent dormir. - Oh, j’en doute, soupira Reishard, qui s’employait à étouffer le feu dont les bûches brasillaient encore vaillamment (la fumée qui en montait lui semblait étrangement appétissante, comme si on y avait fait rôtir quelque chose). Je suis certain qu’ils resteront éveillés encore un bon moment, essayant de deviner ce qu’ils trouveront demain au pied du sapin. Mais je pense qu’ils ne descendront pas cette fois-ci… Pïter est toujours persuadé que c’est à cause de cela qu’il n’a pas eut son parchemin interactif pour jeu de rôle à Noël dernier. - Alors que quelqu’un avait tout simplement oublié de le lui acheter en passant chez Cosmos Galaxie , le taquina la jeune femme. J’espère qu’il ne sera pas trop déçu, reprit-elle d’un air vaguement inquiet. Sa lettre était pour le moins… optimiste. - Je pense que ça ira. A mon avis, il n’espérait pas vraiment recevoir ce scarabée de l’espace télécommandé en or massif. Je crois que c’est juste une méthode pour faire culpabiliser l’ange de Noël afin que le reste passe plus facilement. - Oui, il en serait bien capable, pouffa l’exploratrice en donnant à Trente-neuf un reste de cochon que le cadet des Duke n’avait pas terminé. Où as-tu caché les paquets, cette fois-ci ? - Dans un conduit d’aération du quatrième étage, du côté de la salle des machines. Lwucy devient un peu plus maligne chaque année… Sais-tu ce qu’elle est en train de lire ? Le Petit Prince. Combien d’enfants s’intéressent aux autobiographies de la Famille Royale ? - Peu, sans doute. Pïter quant à lui ne se lasse toujours pas de la Planète au Trésor. - Si tout ce qu’il possède continuait de lui plaire autant, nous n’aurions plus rien à lui offrir. - Parlant de cadeaux, va donc les chercher. Je vais terminer ici. Un bon quart d’heure fut nécessaire à Reishard Duke pour acheminer tous les paquets depuis le quatrième étage et les disposer dans la grande salle. Lorsqu’il recula pour admirer son œuvre, le commandant songea que rarement un arbre de Noël lui avait semblé aussi chatoyant et chaleureux. Le sapin avait beau être plus grand et abondant que tous ceux qui avaient occupé cette salle avant lui, il n’en éclipsait pas pour autant les présents déposés à son pied ; mais les magnifiait plutôt de sa splendeur majestueuse. |
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| Sujet: Re: Le Très Joyeux Noël de la Famille Duke & du Lion Jeu 21 Mai 2009 - 18:22 | |
| Les paquets de Pïter, aux emballages bariolés et aux formes fantaisistes, renfermaient une boule à neige dont le contenu changeait chaque fois qu’on la secouait, faisant se succéder plusieurs centaines de milliers de paysages aliens, un jeu d’échec holographique (deux molettes de réglage : l’une allant de « Pitoyablement Mauvais » à « Dieu Vivant » et l’autre s’échelonnant depuis « Mièvre » jusqu’à « Effroyablement Sanglant » en passant par « Raisonnablement Traumatisant »), un hyperpuzzle tentaculaire (le fabriquant lui-même affirmait ignorer le nombre de motifs qu’il dissimulait) et une trentaine de figurines peintes à la main qui gigotaient dans leur emballage – poussant des cris de guerre ou s’invectivant dans un langage médiéval – tout en brandissant des armes variées. La pile de Lwucy était nettement moins bruyante et agitée que celle de son frère ; à peine s’en élevait-il parfois un faible pépiement. Le matin de Noël, les cadeaux sagement rangés aux couleurs sobres révèleraient à la fillette un globe planétaire affichant à la demande les cartes de n’importe lequel des mondes découverts par l’Académie, une fort belle mésange mécanique capable de chanter, de voler et de lire dans les pensées, deux excellents livres d’exobotanique, ainsi que des pinceaux et des encres à pigments déphaseurs de la meilleure qualité. Enfin, les deux enfants recevaient chacun une généreuse variété de bonbons et chocolats W&W’z , aussi délicieux que surprenants. - Tu les gâtes trop, gronda gentiment Sesan en voyant son époux ajouter trois oranges à chaque enfant. Ce n’est pas dans nos moyens. - Je sais bien, soupira piteusement le haut explorateur. Mais quand je les ai trouvé au marché, je n’ai pas pu m’en empêcher. Trente-neuf avait lui aussi droit à quelques présents : un élégant collier de cuir noir à boucle d’argent, pour remplacer le vieux machin couleur ocre, éraflé et usé, qu’il portait pour l’heure ; un petit kit Loyal Kanin à faire briller les écailles contenant une brosse dure, une pierre ponce, un chiffon à trame d’acier, de la poudre à reluire et un flacon d’huile d’eau Livh (Ce cadeau profiterait autant aux enfants qu’au loyal, car tous trois montraient le même intérêt pour les couleurs iridescentes que pouvait prendre la robe du familier sous les rayons du jour lorsqu’elle était correctement entretenue) ; et, bien sûr, quelques biscuits en forme d’os – des humérus, pour être précis. - Après son coup d’éclat de ce soir, il ne le mérite pas, gronda Reishard Duke pour devancer son épouse. Mais ce n’est pas Noël tous les jours… soupirât-il, tâchant de prendre un air résigné. - C’est cela, fit Sesan Duke qui n’était pas dupe en levant les yeux au ciel. Son compagnon en profita pour déposer contre le tronc la flûte à rêves qu’il s’était procuré plusieurs moi auparavant. Tandis qu’il ajustait l’étiquette au nom de sa femme, il en repéra une autre portant le sien, déposée sur un coffret qui ressemblait de plaisante manière à une boite de tabac Kubain. Dans le lointain, une créature poussa un rugissement anguleux. Le sifflement du vent dans les filins grand-maillage et contre la coque ionisée l’avait presque entièrement couvert. - Des intempéries, commenta le haut explorateur en jetant un coup d’œil au vasistas en hauteur. - Nous avons connu pire, tu sais bien. Allons nous coucher… Nous terminerons cela demain. L’air s’était considérablement refroidi dans la clairière au-dehors. La neige tombait de plus en plus drue, recouvrant peu à peu chaque pierre et chaque plante d’une poussière blanche qui allait en s’alourdissant. Ce manteau immaculé était un écran parfait pour accueillir la lueur rouge pâle de l’immense lune solitaire, si bien que la clairière peuplée d’ombres gagnait peu à peu en tons pourpres et carmins. Cette ambiance se tamisait quelque peu lorsque les nuages gris, toujours plus épais et corpulents, dérivaient devant le satellite blafard. Le vent lui aussi s’était mit de la partie. Il sifflait entre les branches, bruissait entre les pierres, soulevait des tourbillons d’une brume poudreuse. L’herbe s’agitait avec nervosité sous sa caresse, frigorifiée, balayant l’étendue en longues vagues ondulantes. Un gros lapin violet pelucheux, qui humait l’atmosphère d’une truffe frémissante, plongea d’un seul bond dans son terrier lorsque le tonnerre gronda pour la première fois. Du bois montait maintenant la clameur gémissante de ses habitants malmenés par la tempête ; ils craquaient et vrombissaient, ployant de plus en plus à mesure que le souffle forcissait. La neige désormais fouettait les troncs sans pitié, s’abattant sur le paysage comme pour l’étouffer tout à fait. Un éclair zébra le ciel, dont le craquement étouffé vint rouler dans la clairière en faisant trembler le sol. Dans le trou d’ombre où s’était terré le petit mammifère aux longues oreilles, deux grands yeux noirs et humides luisaient encore légèrement. L’animal était prudent mais non couard ; il tenait à s’assurer que la neige ne s’entasserait pas devant son refuge. Mais le petit être se pétrifia soudain, toute son attention concentrée – sur un bruit, un effluve, une vibration ? Et puis les yeux écarquillés, les moustaches nerveuses, le museau rose en triangle, tout disparu en un éclair. Il était des choses qu’un léporidé lagomorphe redoutait davantage que la neige. Un instant plus tard, alors qu’un nouveau couteau de lumière déchirait les cieux et éclairait les nuages comme des lanternes de papier, une énorme patte munie de griffes noires et acérées se posa devant l’entrée du terrier. L’éclair suivant la vit quitter le sol en arrachant le tapis blanc, et en même temps retentit un grondement rauque qui ne devait rien à l’orage. L’ombre immense qui un temps avait caché les étoiles poursuivit son chemin dans un silence presque parfait, quittant le couvert des arbres. Elle descendait sur le navire des Duke avec une fermeté menaçante qui donnait l’impression que rien ne saurait l’arrêter. C’était un lion. Un fort grand lion, vraiment ; il lui aurait fallu baisser les yeux pour observer un homme de haute taille, et se pencher pour lui croquer la tête. Ses pattes avaient l’épaisseur d’un tronc d’arbre, et auraient pu recouvrir entièrement le torse d’un homme ; avec ses crocs les plus courts, on aurait confectionné un poignard de belle taille. Quant à ses griffes… elles semblaient capables d’entamer l’alliage le plus résistant, peut-être même celui qui formait la coque du Loup d’Argent. Si le félin dont Reishard Duke avait relevé l’empreinte appartenait à la même famille que celui-ci, alors le premier devait être à peine un chaton. Sa fourrure était couleur fauve, tendance cramoisie ; courte pour la plus grande partie du corps, elle devenait hirsute sur le haut du dos, le poitrail et l’arrière des pattes. La crinière était ample et épaisse, traversée de fils d’or ; elle ondulait paresseusement au rythme de ses pas coulés – car il avait la démarche d’une panthère, bien que son torse épais lui donna l’air d’avancer courbé. En proportions, la queue était beaucoup plus longue, et les yeux beaucoup plus grands, que ceux d’un spécimen terrestre ; et ses pattes étaient plus larges, et deux canines immenses descendaient de sous son museau, comme des sabres. Ses pupilles également évoquaient des sabres, car elles étaient verticales, et ses iris luisaient sous la lueur de la lune du même rouge que le soleil. Au sommet d’une éminence, le fier mammifère s’arrêta un moment et prit le temps d’observer les contours de son objectif, qu’il distinguait en dépit de la tempête et de l’obscurité. Ses babines noires se retroussèrent en un rictus, découvrant largement les longs crocs blancs comme la neige, et de sa gorge monta un grondement bas et sonore. Je peux bien vous le dire ; ce félin avait soif de mort. On lui avait fait un affront innommable, on avait prit ce qui était à lui, et cela allait se payer dans le sang. Il devait s’assurer que cela n’arriverait plus jamais, car c’est ainsi que l’on demeure le Roi des animaux. Le félin bondit à bas de sa corniche de pierre et se réceptionna sans un bruit. Sa longue queue balayait avec précision les empreintes qu’il laissait inévitablement dans son sillage. Il ondulait avec adresse entre les arbres qui parsemaient encore les lieux de façon éparse, les frôlant à peine. Ses yeux luisaient trop fort dans l’obscurité pour qu’il puisse s’agir d’un simple phénomène de réflexion. Bientôt le fauve se trouva à l’aplomb de la cascade, et d’un seul bond fut à son pied ; il se mouvait avec une fluidité saisissante. Il entreprit de progresser rapidement vers la nef endormie, ramassé sur lui-même afin de dissimuler un peu sa masse considérable. Ses foulées étaient longues et nerveuses, et en à peine quelques secondes, il avait parcouru les deux cents mètres le séparant du Loup d’Argent. Le prédateur considéra d’un œil nonchalant les lignes de lumière rouge qui ondoyaient paresseusement devant ses yeux. Cela ressemblait à un serpent, mais brillait comme une lucyol ; en outre, ça ne sentait pas le serpent. Il y avait bien une vibration étrange et lourde, qui était comme l’essence de l’orage, comme un avertissement. Mais cela ne l’effrayait pas. Bandant les muscles de ses antérieurs, la bête s’élança d’un bond tranquille au-dessus de la barrière incandescente – et fut impitoyablement rejetée en arrière dans une pluie d’étoiles écarlates, le poil fumant et hérissé, des éclairs dans les yeux. Elle se reçut à la perfection et se ramassa sur elle-même en feulant, masse de muscles et de sauvagerie, prête à tailler en pièces quiconque aurait l’inconscience de se mesurer à elle. Plusieurs minutes s’égrenèrent sans la bête ne fasse un mouvement, et rien ne vînt hormis les bourrasques de neige qui ne l’incommodaient nullement. Le grand félin se redressa finalement, leva l’une de ses larges pattes et l’avança vers la lumière. Il se figea un instant, pensif, et puis sortit ses griffes, noires comme la nuit et tranchantes comme des rasoirs. Une pluie d’étincelle lui arrosa le museau tandis qu’il ramenait son membre à lui en grognant et plissant les paupières. Une fumée grésillante vint chatouiller ses moustaches et lui arracha un autre grondement, bas et menaçant. C’était bien des serpents, et du feu ils n’avaient pas que l’apparence. Le lion enfouit sa patte meurtrie dans la neige. Il balaya lentement la clairière de son regard de prédateur. En dépit du feu qui bouillonnait dans son coeur, son esprit restait d’un calme absolu. Des générations et des générations de sélection naturelle avaient forgé aux siens un caractère aussi dur et inflexible que l’acier. Les grands yeux couleur sang perçaient les bourrasques comme des flèches, disséquant sans mal la tempête et révélant à la bête des formes qui seraient restés invisibles à beaucoup d’autres créatures. Elle entreprit de longer l’obstacle, jetant de temps à autre un regard mauvais au navire dressé dans la tempête. Elle finit par remarquer un immense arbre noir qui oscillait juste à la limite du couple de lianes incandescentes. Son feuillage couleur ambre partait en lambeaux dans la tourmente. C’était l’un des seigneurs de la forêt ; il était aussi massif que vigoureux, et le fauve savait à la manière dont il penchait dans le vent et dont grinçait son tronc que sa chair était du bois le plus dur. Il pourrait se hisser sans crainte au moins jusqu’à ses deux tiers. Les serpents de lumière mordraient-ils toujours, si loin du sol ? A la grande horloge du hall principal, les deux longues aiguilles mues par d’innombrables roues, microprocesseurs, muscles, contrepoids et chaînes se refermèrent comme des lames de ciseaux sur le chiffre qui surplombait tous les autres. Le cercle extérieur en engrenage entama immédiatement sa rotation dans une série de cliquetis secs, et le monument haut de cinq mètres et vieux de trois siècles entreprit de sonner lourdement les treize coups de minuit, son lourd pendule de cristal s’embrasant à chaque fois d’une lumière argentée. A l’intérieur de la confortable grande salle, Trente-neuf ouvrit subitement un grand œil d’ambre. Sa pupille verticale glissa de droite à gauche, étrécie par la tension, tandis qu’il tâchait de capter l’origine du malaise qui l’habitait. Un grognement de menace et d’inquiétude mêlés roula dans sa gorge, comme hésitant à sortir vraiment. Etait-ce un son qui l’avait éveillé ? Ou bien une odeur, un mouvement, une ombre, une intuition ?… Le loyal se redressa aussi silencieusement que possible, mais fut stoppé net dans son élan par sa laisse que Reishard Duke avait comme à l’ordinaire fixé à un anneau mural. Prit par l’urgence, le familier n’hésita pas un instant : il mordit, tira, secoua comme un beau diable, et le nœud finit par se défaire. Il quitta aussitôt son panier d’osier et s’avança prudemment à la rencontre de l’inconnu. Trente-neuf flaira l’air avec soin à la recherche d’effluves suspectes, mortellement sérieux. Le familier d’ordinaire débonnaire semblait s’être mué en un gardien consciencieux bien que peu accoutumé à ce rôle. Oui, il y avait bien un Intrus, il en était désormais certain. L’atmosphère était chargée de menace. Le loyal redoubla d’attention, mais il était terriblement troublé : jamais au cours de ses huit années de vie le sanctuaire des Duke n’avait été violé. Trente-neuf quitta son alcôve, se mouvant à la manière d’un chat – non, disons plutôt d’un loup, car cette comparaison serait davantage de son goût. Ses coussinets effleuraient le sol dans un silence absolu, hélas gâché par l’insistant cliquetis des griffes contre le parquet. La Salle-pour-Manger était vaste, toute en longueur et fort haute de plafond. C’était la plus grande de tout le vaisseau – exception faite de cet endroit bruyant, chaud et qui sentait fort l’huile de vidange où tout semblait sans cesse bouger dans tous les sens. Le plancher comportait un confortable tapis en son centre, là où se trouvait la grande table et sa forêt de pieds de chaises, pour l’heure méconnaissable ; on n’en distinguait guère que quelques taches verticales, rayons de lune tombant depuis un vasistas très haut placé. La lucarne jetait aussi un rectangle pâle sur le tapis, de l’autre côté de la table. Le familier progressait dans la grande salle avec méfiance, ses yeux jaunes disséquant l’obscurité. Il ignorait comment l’ennemi était entré et depuis combien de temps il se trouvait là ; il n’avait rien vu, rien entendu, et ne voyait guère de raisons d’espérer qu’il en irait autrement si l’Intrus décidait de passer à l’attaque. Mais il était le loyal de la Famille Duke, et ne pouvait envisager d’agir autrement qu’en se portant à la rencontre de celui qui pouvait menacer leur vie. Trente-neuf s’avança donc bravement, un grondement sourd montant dans sa gorge. Il ne les voyait pas, mais savait que les grandes portes d’ébène hermétiques se trouvaient de l’autre côté de la salle, à quelques mètres de l’Arbre Etrange : c’était forcément par là qu’était venu l’Intrus, car les hauts battants s’écartaient tout seuls devant les arrivants. Dans son dos, il y avait le discret rideau de billes de bois menant aux Cuisines (le loyal aimait ce rideau, car il était plein de bonnes odeurs, et il fallait reconnaître qu’il ouvrait sur l’une des pièces les plus importantes du navire) et le grand escalier glissant qui montait en tournant vers les chambres des plus jeunes. C’était cet escalier qu’il devait protéger à n’importe quel prix. |
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| Sujet: Re: Le Très Joyeux Noël de la Famille Duke & du Lion Jeu 21 Mai 2009 - 18:24 | |
| Un très léger craquement parvint à ses oreilles tombantes depuis un coin de la pièce. Le familier se figea un instant, les muscles tendus comme une voile solaire du côté de Sirius ; son regard s’assombrit un peu plus encore. Un jappement âpre jaillit de sa gorge presque contre sa volonté, tandis que Trente-neuf se coulait dans la direction de la menace. Il prenait un peu plus confiance en lui. Les lumières mouvantes de l’Arbre Etrange dessinaient quelques ombres dans cette direction. Il avait de meilleures chances de voir venir l’Intrus s’il se manifestait. Et c’est ce qu’il fit soudain, dans un indescriptible feulement aspiré et un rugissement contenu. Le colosse se dressa de toute sa masse, emplissant la pièce de sa présence, éparpillant les paquets colorés des enfants Duke sur son passage. Il se mouvait avec lenteur, mais recelait visiblement la puissance d’une tornade. Trente-neuf se recroquevilla, épouvanté, incrédule, tétanisé. Et puis il comprit, sinon ce qui était en train de se passer, du moins ce qu’il lui restait à faire : agir comme c’est le devoir de tout loyal en pareille situation. Défendre sa famille. C’était là une certitude comme les loyaux peuvent en connaître et qui échapperont toujours aux hommes ; il n’y avait en lui pas la moindre trace de doute, de panique ou d’hésitation. Il avait toujours su qu’il mourrait pour eux un jour s’il le fallait, et il le savait également maintenant que ce jour était venu. Le familier se ramassa sur lui-même, crocs découverts, éventails déployés, du feu plein les yeux ; et, décidé à agir avant l’Autre, l’Intrus, l’Inopportun, il monta à l’assaut en un bond formidable, toutes griffes dehors, dans un splendide aboiement rageur qui contenait tout son amour pour les Duke et sa détermination à les protéger. Son existence s’acheva dans un grand craquement d’os et un bruit mouillé d’éclaboussure.
Le liquide jaillit à flot et se bouscula dans le bol de verre en bouillonnant et glougloutant. Lwucy admirait les ombres, reflets et jeux de lumière qui se chamaillaient dans les remous translucides verts sombres de la boisson à la menthe, avec au fond de ses yeux blancs une sorte de fascination. Il n’était pas rare que les choses les plus insignifiantes l’hypnotisent ainsi lorsqu’elle se relevait tard dans la nuit, encore prise dans la torpeur ouatée de la somnolence. En effet, la manière dont ses paupières avaient tendance à tirer vers le bas indiquait clairement que la fillette aurait été mieux dans un grand lit tiède. C’était maintenant coutume pour l’aînée des enfants Duke que de se promener dans le navire à la nuit tombée. Lwucy souffrait d’insomnies depuis sa plus tendre enfance, tout particulièrement les nuits suivant l’installation du Loup d’Argent sur un nouveau monde ; et lorsque cela se produisait, elle finissait invariablement par se sentir une petite envie de Kookies ou de lait chocolaté (en vérité, il s’agissait surtout de se dégourdir les jambes et de se changer les idées, car comme tous ceux qui connaissent ce mal pourront en attester, celui que le sommeil fuit a vite fait de ressasser soir après soir les mêmes pensées, qui à force finissent par faire moins efficacement passer le temps). Lorsqu’il la trouvait dans un couloir après minuit, son père prenait souvent un air perplexe avant de déclarer, faussement songeur, qu’il avait dû se poser du mauvais côté de la planète. Cette fois-là, c’était au sirop de menthe que Lwucy avait choisit de faire honneur. Elle posa son bol sur le plan de travail en marbre noir, à côté d’une assiette qui contenait des Kookies aux pépites de chocolat – dont l’un portait déjà une marque de dents – puis embrassa les alentours d’un regard circulaire. Elle aimait les cuisines après le coucher du soleil, lorsque régnaient le calme et le silence. Tout était frais et propre, bien rangé et brillant. Les casseroles au manche noir suspendues par taille et par forme luisaient de tous leurs cuivres au-dessus des impressionnants présentoirs à couteau ; louches et spatules veillaient à leurs côtés, pendues la tête en bas au dessus des planches à découper et des fourneaux au gaz. Le robinet bien astiqué dominait l’évier de son long coup étrangement contorsionné ; le grille-pain couleur acier trônait au dessus du four. Dans le ventre de certains placards vitrés, on pouvait voir se succéder des bocaux inégaux soigneusement étiquetés à la main, d’une écriture mauve en pleins et en déliés. Si son père était le salon de commandement ou bien la bibliothèque, si sa mère était la serre ou encore le dôme d’astronomie, alors Lwucy s’identifiait sans aucun doute aux cuisines. Elle s’y sentait en sécurité, délicieusement bien… en particulier lorsque la tempête faisait rage au dehors. La foudre avait dessiné des ronds dans son bol la dernière fois qu’elle s’était abattue. Sans les paratonnerres au sommet de chaque mat, le navire aurait sans doute finit troué comme une passoire. La fillette croqua un biscuit et s’adossa au comptoir, puis se hissa dessus à la force des bras, les pieds balançant dans le vide. Elle grimaça au contact du marbre froid sous ses fesses, et regretta un peu de ne porter qu’une chemise de nuit fine. Puis elle porta le bol à ses lèvres et prit une longue gorgée. La petite Duke observa ensuite le liquide d’un air pensif durant quelques instants. - Ça manque de poivre, décrétât-elle enfin. La jeune fille était en train de farfouiller dans les herbes, sauces, épices et autres condiments lorsque le grand aboiement résonna dans le couloir, un peu étouffé par la distance. Lwucy sursauta si fort qu’elle manqua renverser une demi-douzaine de petites bouteilles. Durant une poignée de secondes, elle fut tentée d’associer le bruit caverneux à un coup de tonnerre, mais l’éclair suivant lui montra sans doute possible qu’elle faisait erreur. C’avait été un aboiement, un puissant, comme venant d’un loyal aussi haut qu’un galopeur. La petite Duke reposa la poivrière et se laissa glisser au sol. Elle avança sur le carrelage froid jusqu’aux portes battantes et jeta un œil dans le couloir à peine éclairé. On ne pouvait distinguer l’entrée de la salle à manger, mais Lwucy savait exactement où elle se trouvait. C’était là que dormait Trente-neuf, au fond d’un panier logé dans une alcôve, près de l’escalier. Depuis qu’il était tout jeune, le familier avait peur de l’orage. Les soirs où le tonnerre grondait, il suivait les membres de la famille Duke comme leur ombre, de si près en fait qu’il recevait parfois un coup de talon dans le museau. Lwucy s’en voulue de n’avoir pas songé à lui plus tôt : la pauvre bête devait se sentir bien seule. Assurément, le loyal serait plus heureux dans la cuisine avec elle ; et puis cela lui ferait de la compagnie pour cette nuit qui s’annonçait bien longue. Peut-être aussi pourrait-elle en profiter pour jeter un tout petit coup d’œil à ses paquets… juste pour savoir si son père avait pu trouver le globe planétaire et l’Encyclopédie des Plantes Enthousiastes, tome 1. Les orteils noyés dans l’épais tapis qui accompagnait le couloir sur toute sa longueur, elle se mit en marche d’un bon pas. Lorsque les portes battantes rivetées des cuisines se refermèrent dans son dos avec un bruit de soufflet, la fillette hésita, momentanément aveugle ; puis elle recommença à avancer, plus lentement, accompagnée par le grondement de l’orage et le sifflement ténu du vent. Elle hésita à faire demi-tour pour récupérer une des bougies mécaniques réservées aux coupures de courant, mais sa fierté enfantine prit le dessus. De plus, lorsqu’un éclair traversait le ciel, sa lumière envahissait temporairement les lieux à travers les hublots qui mangeaient le mur de droite tous les vingt mètres. Lwucy constata avec une sorte de trouble qu’elle n’était guère à son aise. Ce navire, elle le connaissait bien ; en fait, elle le connaissait par cœur. Il était la toile de fond de toute son existence. Elle aurait pu jurer qu’elle savait chaque pièce, chaque coursive, chaque rambarde, chaque boulon, et cela mieux encore que ses parents – car il y a des choses qu’un adulte ne remarque pas, surtout lorsque cela se trouve sous son nez ou bien au niveau du sol. On ne connaît vraiment un endroit que lorsqu’on y a suffisamment joué, à cache-cache où au Crow-Boy de l’espace ; en compagnie de son frère, Lwucy avait éprouvé chaque recoin de la nef (même – surtout – les plus dangereux, ceux où l’on pouvait passer des mois avant d’être retrouvé en cas d’accident) et noté chaque cachette pour ce qu’elle valait. Elle aurait pu jurer qu’aucune conduite d’aération ne lui était étrangère, et qu’elle connaissait le meilleur endroit où se positionner pour entendre une conversion depuis presque n’importe quel endroit du navire. Mais tout cela, c’était durant le jour. En cet instant, alors que seules les veilleuses de nuit écartaient l’obscurité et que le vent grondait au dehors, son vaisseau lui était étrangement étranger. Lwucy n’aimait pas cela. Il lui était singulièrement déplaisant que de s’interroger au détour d’une coursive sur l’endroit où menait le chemin de droite, ou alors d’hésiter sur le nombre de marches qu’il lui restait à descendre, ou bien, pire encore, de savoir précisément où elle se trouvait sans être capable pour autant de rien reconnaître vraiment. C’était un peu comme si un mauvais génie apporté par l’orage avait profité de la faveur de la nuit pour recouvrir son foyer d’un voile déformant… ou peut-être ôter celui qui le parait d’ordinaire. Car en vérité, dans la froide lumière des éclairs, les choses semblaient se matérialiser avec une troublante crudité. Lwucy se demandait s’il en allait ainsi chaque nuit, si le coucher du soleil venait chaque fois ravir à son vaisseau toute sa chaleur pour le peupler d’ombres coupantes au lieu d’être douces. Peut-être en allait-il ainsi, et ne se montrait-elle d’ordinaire pas assez attentive pour le remarquer. Peut-être les ombres l’avaient-elle souvent regardé passer durant ses expéditions nocturnes, lorsqu’elle se relevait pour aller aux cuisines ou à la salle de bain. Cette idée était dérangeante et parfaitement stupide, elle en était consciente. Mais au milieu de la nuit et d’un couloir sombre, sur un monde inconnu agité par l’orage, les choses stupides régnaient en maîtres dans la tête des petites filles seules. Le fracas d’un coup de tonnerre déchira brusquement le silence, illuminant un instant le couloir et dessinant des ombres folles. Lwucy sursauta si violemment que ses mains se heurtèrent et qu’elle se fit mal aux doigts ; ses pieds quittèrent même le sol un instant (elle ne pensait pas que ce genre de chose puisse se produire ailleurs que dans les dessins animés). Pour un peu, on aurait cru que la foudre l’avait directement frappé. Les cœurs battant à tout rompre et le dos soudain couvert d’une sueur froide et maladive, la fillette eut un rire nerveux, grelottant, dénué de tout amusement. La petite part de son esprit qui n’était pas rongée par l’angoisse lui serinait d’une voix mal assurée qu’elle se comportait de bien idiote façon. Il ne s’agissait après tout que du grand couloir courant de l’escalier central jusqu’à la salle à manger ; avec, sur les murs, des holographies des Duke, nombre de souvenirs ramenés par son père de ses explorations, et quelques œuvres de sa mère ainsi que d’autres artistes stellaires. Elle l’avait parcourut d’innombrables fois… ce fort long couloir… sombre et austère… dont elle ne distinguait pour l’heure aucune des extrémités… Déglutissant avec difficulté, Lwucy accéléra sensiblement le pas, sa chemise de nuit battant ses chevilles, et atteignit bientôt les hautes portes noires. Les battants étroits s’écartèrent devant elle avec un léger grincement de bois, révélant l’étendue sombre de la salle à manger rompue de manière spectaculaire par la petite galaxie de lumières colorées du sapin. La petite fille éprouvait un soulagement considérable à l’idée de retrouver bientôt Trente-neuf. Elle sentait inconsciemment qu’en la bienveillante présence du loyal, elle ne pourrait même se rappeler ce qui avait bien pu tant l’effrayer. - Trente’ ? Sa voix semblait bien timide sous le plafond invisible de la grande salle. Il paraissait présomptueux de croire qu’elle puisse traverser la masse d’obscurité. La fillette s’avança lentement dans la pièce, quittant l’épais tapis du couloir pour un parquet frais. - Trente-neuf ! répétât-elle, tâchant d’instiller davantage d’énergie dans son appel. Lwucy fit encore un pas et son pied nu écrasa quelque chose qui ressemblait à une coquille, d’œuf ou d’escargot, elle ne savait pas bien. Le son était à mi-chemin entre le craquement, le tintement et le crissement. La petite fille recula vivement et baissa les yeux ; elle avisa un désordre qui lui avait échappé au premier abord. Un éclair illumina la pièce pendant un instant à travers le grand vasistas du plafond, révélant tout autour du sapin un plancher jonché de décorations malmenées. Cadavres de boules de Noël luisant faiblement, guirlandes déplumées, angelots ébréchés aux harpes tordues se contorsionnant vaguement… Lwucy balaya avec soin les fragments poudreux adhérant à la plante délicate de ses pieds, et fut rassurée de ne sentir du bout de ses doigts aucune blessure. Les ornements s’étaient répandus au sol par dizaines, comme si quelque chose avait bousculé l’arbre. - Trente-neuf ? murmura l’aînée des enfants Duke, de nouveau plus très sûr d’elle. C’est toi qui as fait ça ? La jeune fille dérapa soudain violemment et évita la chute de justesse. Il y avait un liquide lourd répandu sur le sol. Lwucy décrocha soigneusement une petite lanterne verte de l’arbre de Noël et s’accroupi pour l’approcher du plancher souillé ; une sorte de malaise diffus s’insinuait en elle en même temps qu’une odeur de fer montait à ses narines. La lumière émeraude de la lanterne l’empêchait de voir à quoi cela ressemblait vraiment. Lwucy passa un doigt sur le sol ; contre sa peau azur, le fluide paraissait clair, mais sur son ongle bleu marine, il se révélait vert. Vert sang. La fillette se mit à trembler. Les gémissements du vent au-dehors semblaient faire écho aux pensées qui se formaient dans son esprit, venaient le polluer comme une bulle remonte à la surface d’une mare en amenant avec elle les émanations fétides de ses profondeurs. Quelque chose était arrivé à Trente-neuf… Ou peut-être à quelqu’un d’autre. Son frère ? Sa mère ? Ou bien son père ? Non… Reishard Duke était celui par qui tout rentrait toujours dans l’ordre. Rien ne pouvait lui arriver. Mais elle, en revanche… Les montres qui rampaient dans le noir raffolaient des petites filles, c’était bien connu. Mailinda Warren n’avait-elle pas été dévorée par un ôgr caché dans son placard ? C’était là une peur qu’elle pouvait s’avouer. La fillette remarqua autre chose, à l’extrême limite du rayon d’influence de la loupiote. Elle s’agenouilla et ramassa délicatement l’objet. Nul doute n’était permit, c’était bien la laisse de Trente-neuf. Mais pourquoi était-elle ici, et non ?… La jeune fille remonta lentement le ruban rouge des yeux. La lanière serpentait sur le plancher entre les paquets cadeaux éparpillés, avant de disparaître derrière l’exubérante jungle d’aiguilles, qui, dans l’obscurité, semblaient aussi noires que du charbon. Elle jeta un autre coup d’œil en direction de l’alcôve abritant d’ordinaire les nuits du loyal, et où il ne se trouvait manifestement pas en cet instant. Sa laisse était là, et lui était certainement au bout. Juste là, derrière l’arbre. Mais dans quel état ? souffla une voix angoissée dans sa tête.
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| Sujet: Re: Le Très Joyeux Noël de la Famille Duke & du Lion Jeu 21 Mai 2009 - 18:24 | |
| - Trente’ ? murmura encore Lwucy, la gorge serrée. Les aiguilles remuèrent brusquement, comme sous l’effet d’un coup de patte involontaire. Le soulagement de la fillette fut sans borne, au point qu’elle laissa échapper un petit rire qui ressemblait à un jappement. Le loyal avait voulu farfouiller dans les chocolats et s’était blessé une patte sur une boule qu’il avait faite tomber, voila tout ; et maintenant, le familier se cachait, honteux de sa bêtise. Ce ne serait pas la première fois qu’une telle chose se produisait… ni la dernière, sans doute. Quelle sotte elle avait été ! Heureusement que Pïter ne s’était pas trouvé à ses côtés, sans cela, il lui aurait longtemps rappelé sa couardise – quand bien même aurait-il été sans doute aussi effrayé qu’elle. Il fallait qu’elle se montre plus adulte que cela. Elle avait tout de même dix ans. Lwucy enroula la laisse autour de son poignet, et, peu désireuse d’emmêler sa belle chevelure dans les branches du sapin, tira doucement dessus. Il s’agissait de ne pas trop presser le loyal, si vraiment il était éclopé. Il y eut un son étrange, à mi-chemin entre le glissement et le frottement ; et puis une sorte de claquement étouffé assez semblable à celui d’un fouet. Avant qu’elle puisse réaliser ce qui était en train de se produire, Lwucy se sentie happée en avant avec violence par la laisse qui venait de se tendre brutalement. La petite fille cria, mais ce fut davantage de surprise que de terreur. Elle s’emmêla les jambes, trébucha, et croisa les bras devant son visage pour protéger ses yeux des longues branches garnies de pointes bleues. Une certaine confusion l’envahie lorsque qu’au lieu du concert de craquements auxquels elle s’était attendue, ce fut un large froissement qui accueilli sa chute ; on aurait presque dit que l’arbre lui avait ouvert les bras, et elle fut à la fois soulagée et perturbée par cette réception douce et cependant singulière. Son inquiétude ne fit que s’accentuer lorsqu’elle constata que le grand végétal, loin de s’effondrer sous son poids, restait droit et inébranlable. Les branches griffèrent ses tempes, se prirent dans ses cheveux ; Lwucy s’y agrippa de son mieux, se rétablissant tant bien que mal. Son cœur battait à toute allure. La fillette gémissante voulut reculer, guère pressée de faire face à l’horrible chose qui avait tenté de la tirer à elle à travers le sapin mais nullement plus encline à lui présenter indéfiniment son dos vulnérable. Aucun mouvement ne lui fut cependant permis. Ses membres étaient solidement immobilisés, comme ligotés : la masse végétale la pressait de toute part, rendant sa respiration même difficile. Une panique animale la submergea comme une vague, lui coupant le souffle. En un éclair de clairvoyance fugace, Lwucy vit une pauvre petite mésange faible et fragile aux prises avec l’impitoyable mante athée. Les branches se refermèrent sur elle en grinçant comme autant de mandibules, l’enfouissant sous une masse d’aiguilles et étouffant ses derniers cris de manière presque surnaturelle.
La sensation était pressante, oppressante et obsédante. Elle l’étouffait, l’enserrait étroitement, le harcelait sans pitié ni faiblesse tandis qu’il tâchait désespérément de s’en défaire. C’était une certitude de l’inéluctable qui bourdonnait tout autour de sa tête ; une présence intraitable qui murmurait des menaces à son oreille d’une voix doucereuse, l’assurait de la vanité de sa fuite éperdue. « Sans espoir, sans espoir », susurrait-elle dans sa tête, « Il est là, juste là, tout prêt, juste derrière toi… » Lorsqu’il n’écartait pas avec assez d’application la ruche malveillante, l’entêtement dont il faisait preuve lui semblait soudain aussi vain que ses appels au secours, qui demeuraient incapables malgré toute sa détresse et la force qu’il y insufflait de franchir le barrage de ses lèvres. Et il était vrai que chaque pas lui en coûtait… comme s’il s’échinait à ramper hors d’une coulée de boue tandis qu’une locomotive démente secouait la terre comme un séisme droit dans sa direction, son grondement tonitruant déchirant l’univers. « Juste derrière toi », chuchota le monstre agrippé dans son dos. Un rugissement retentit dans le lointain, comme perçant à travers une épaisse nappe de brume. Une serre dure comme du bois griffa ses omoplates, et un cri jaillit de ses poumons. Pïter se trouva dans son lit, dans sa chambre sombre et barbouillée de cette étrangeté que la nuit donnait aux choses, emmêlé dans ses draps. Son cœur-corps cognait fort dans sa poitrine. Pas tant que ça en fait, mais il s’échinait avec une sorte de maladresse, comme essoufflé. Le garçon, lui, l’était en tout cas. Ses tempes étaient humides de sueur, son dos complètement trempé, tout comme le drap en dessous de son corps ; et il avait quelques difficultés à décider de l’endroit où il se trouvait. Peu à peu, tandis qu’il respirait, le jeune garçon parvint à replacer peu à peu les choses dans leur contexte. Nef d’exploration des Duke. Nouvelle planète. Chambre. Voila pour le lieu… Mais la question du moment était plus complexe… En cet instant, il avait beaucoup de mal à penser de façon logique, à remettre le capharnaüm de ses souvenirs dans un ordre chronologique. Mais enfin, la toute dernière pièce de l’hyperpuzzle se mit en place. C’était le soir de Noël… la nuit de Noël. Et ce qui l’avait éveillé… Un cri... Non, un rugissement. C’était cela qui l’avait arraché à son cauchemar, comme le cri puissant d’un lion. Le cadet Duke lui en était reconnaissant, mais cette idée n’était cependant guère rassurante. Pïter remua un peu pour se mettre à l’aise, empli ses poumons, puis se tint parfaitement immobile – bloquant même sa respiration – et scruta le bruit étouffé de la tempête, à l’affût du moindre écho de feulement ; mais le temps passait, anonyme dans le noir, rythmé seulement par les roulements du tonnerre et les gémissements du vent, et rien n’arriva à son oreille en pointe qui ressembla à ce qui l’avait (croyait-il – car maintenant sa certitude s’émoussait) éveillé. Le garçon expira lentement, pensif, et puis essaya de se remémorer les détails de son rêve. Il courrait… fuyait. Ça, c’était clair, encore très présent dans son esprit ; ses cœurs s’emballèrent quelques instants avec une sorte d’affolement lorsqu’il replongea dans cette ambiance de frénésie insensée, comme les moteurs d’un vaisseau dont on enfonce l’accélérateur sans avoir passé de vitesse. Où courrait-il ? Est-ce que c’était une forêt ? Cela y ressemblait… Sombre… confus… plein de bruits inquiétants, de présences périphériques, de branches et de lianes qui effleuraient ou fouettaient son visage et ses mains. Ou bien s’agissait-il de bâches, de câbles ? Car il était également possible qu’il s’agisse en réalité des coursives d’un vaisseau spatial. Il lui semblait bien que sa course renvoyait un bruit métallique, et que chaque son était reprit en échos le long de conduits fantômes. Et puis il y avait eut des lumières sur les côtés, irrégulières, grésillantes, indécentes, et aussi le halètement sec et imperturbable d’un archaïque système de ventilation. Mais il pouvait tout autant s’agir de grosses lucyols… et de la respiration saccadée d’un grand, d’un énorme… Pïter ne voulait pas s’appesantir sur cette question. Mais elle lui revenait inlassablement, comme un boomerang. Quelque chose l’avait poursuivi. Quelque chose… Un monstre… Un fauve… Un prédateur… Cela avait beaucoup de pattes… et il lui semblait bien que ça avait rugit sur la fin. Laissant le temps à ses rythmes cardiaques de se calmer tout à fait, Pïter réfléchit longuement, très sérieusement. Un lion mille-pattes ? Non… Ça ne devait pas être ça. Peut-être avait-il simplement abusé des marrons. Sa mère disait toujours que ça lui donnait des cauchemars. Il ne savait pas si c’était bien vrai. Il n’avait jamais prit la peine de noter cette information dans sa mémoire pour voir si les faits concordaient. Pourtant, il serait prêt à y aller plus doucement avec les marrons, si cela pouvait lui éviter des nuits comme celles-ci. Il se jura avec une gravité sévère de se montrer plus sérieux sur ce point à l’avenir. Il était encore assez jeune pour croire aux bonnes résolutions volatiles que l’on prend avec une sincérité sans faille dans les moments critiques. Néanmoins, pour l’heure, Duke fils ne se sentait guère enclin à retrouver les tentacules de Mor’fée. Ni d’ailleurs à rester seul dans le noir, au milieu des grondements du tonnerre, avec en tête toutes ces images inquiétantes. Le garçon rejeta non sans mal ses couvertures emmêlées, se dépêtra laborieusement des draps humides et se laissa glisser à bas de son lit bombé. Il trotta rapidement jusqu’à la porte de sa chambre, évitant de laisser errer son regard vers les coins d’ombre où se dissimulaient d’inquiétantes silhouettes courbées, et ouvrit sa porte en prenant garde de ne pas en faire grincer les gonds hermétiques. Il s’avança dans le couloir au parquet tiédi par les conduits d’énergie euqinoionique juste en dessous, déjà plus à l’aise ; ici, les bougies mécaniques des veilleuses de nuit dispensaient au moins un éclairage diffus. Le jeune garçon s’arrêta quelques instants devant la chambre de Lwucy, tendant l’oreille pour deviner s’il l’avait éveillée (il n’était pas certain de n’avoir pas vraiment crié lorsque les griffes granitiques avaient accroché son échine) ; mais derrière le panneau de bois lisse exhibant une plaque « accès limité AU PERSONNEL autorisé », le silence régnait. Pïter hésita. Il avait bien envie de distraire son angoisse en compagnie de sa soeur… Néanmoins, il n’ignorait pas que Lwucy avait recherché ce panonceau avec acharnement dans toutes les sections de maintenance du navire à sa seule intention. Il n’en tenait aucun compte lorsqu’il était question de fouiller dans ses affaires, de lui jouer des tours ou bien de venir la déranger au moment le plus inopportun possible ; mais s’agissant de chercher du réconfort ou de demander de l’aide, l’avis placardé avait tendance à le refroidir. Ce raisonnement aurait probablement arraché à Lwucy un gémissement d’exaspération, puisqu’elle espérait de sa démarche précisément l’effet inverse. Cependant, Pïter songea finalement que, Lwucy souffrant d’insomnies, elle était toujours de méchante humeur lorsqu’on l’arrachait au sommeil ; ainsi, à venir la déranger à cette heure tardive, il profiterait d’une présence relativement rassurante sans pour autant déroger à ses règles de vie. Rasséréné, l’enfant tourna la poignée de porte et pénétra dans l’antre de la bête, grimaçant lorsque sa crête frotta contre le montant en bois dur. La bête, en l’occurrence, se parfumait à la violette. L’essence délicate flottait dans la pièce, légère et douce, assez plaisante. Le garçon prit un court instant pour se repérer, combinant ce dont il se souvenait de l’endroit avec les éléments suggérés par les taches de lumière de lune, et puis s’avança prudemment vers le lit de sa sœur. Il buta contre une chaise tendue de cuir sur laquelle Lwucy avait déposé sa robe et ses sous-vêtements, et la contourna précautionneusement. « Hey ! Lwucyol ? » fit-il à mi-voix. Lorsqu’il s’agenouilla sur le bord du matelas et tandis la main doucement pour se saisir de la couette épaisse qu’il devinait vaguement dans l’obscurité, Pïter prit conscience d’une vague gène. Ses arrivées d’ordinaire étaient nettement plus fracassantes ; il n’avait pas l’habitude de surprendre sa sœur de la sorte, lorsqu’elle était totalement vulnérable. Il aurait cru cette perspective plus attrayante. Le garçon était encore un peu jeune pour avoir assimilé le concept d’intimité, mais suffisamment grand pour en deviner vaguement les principes. Pïter tira timidement sur la couette, qui glissa pour révéler des draps froissés et vides. Il s’en trouva un peu déstabilisé, quoique pas franchement surpris. Tournant la tête vers la fenêtre de la chambre, il laissa son regard se perdre dans les ombres ondulantes dessinées sur le mur par les rayons lunaires traversant la vitre ruisselante. Le martèlement humide était de temps à autre couvert par un grondement de tonnerre mouillé ou par un sifflement du vent plus impérieux que les autres. « Ah, oui, bien sûr… marmonna Pïter, un peu déçu. L’orage… » Sans doute cette agitation avait-elle importuné sa sœur, qui devait maintenant se trouver du côté des cuisines ou du salon de sonovision. Une certaine tiédeur émanait de la couche, suggérant un départ récent. Le parfum de violette avait imprégné les oreillers. Il était mêlé à une senteur plus chaude et plus lourde, vaguement familière. Pïter reposa l’édredon, veillant à la remettre comme il l’avait trouvé. Il ne savait trop pourquoi, mais ne tenait pas à laisser de traces de son passage. Tandis qu’il refermait silencieusement la porte et parcourait le long chemin vers les quartiers de ses parents (car il avait définitivement besoin qu’on lui dise que les cauchemars étaient des choses stupides qui ne signifiaient rien du tout), il songea que, vraiment, les chambres des grandes sœurs étaient des lieux étranges où les petits frères n’avaient pas leur place. Après avoir prit un virage en épingle à cheveux et gravit rapidement un petit escalier, le garçon leva la main vers le battant aux boulons roux marquant la limite du territoire parental. Un froissement le fit s’immobiliser un instant. Ah, ses parents aux moins étaient éveillés. Cela lui fut agréable. Jamais il n’avait eut la sensation de les importuner, pas même lorsqu’ils étaient occupés aux tâches les plus délicates. Un rire léger arriva à ses oreilles, étouffé par la cloison. C’était celui, si reconnaissable, de sa mère. Il fut suivit d’un chuchotis à peine perceptible, puis d’une brève remarque émise par une voix plus basse, rieuse. Le garçon laissa un peu retomber sa main, troublé. Un nouveau froissement de draps lui parvint, plus long, puis un craquement de bois – Pïter visualisa le grand lit à baldaquin – et un autre son qu’il ne sut interpréter. Un nouveau grondement de tonnerre se superposa au bruit qui suivit, mais il se trouvait maintenant vers le centre du vaisseau, et les éclats de l’extérieur étaient suffisamment lointains pour qu’il lui ait semblé reconnaître une sorte de soupir. Le garçon n’hésita pas très longtemps avant de faire demi-tour. S’éloignant sans bruit (il commençait à se faire l’effet d’un esprit errant), il laissa ses pensées dériver à droite et à gauche. Bien que ne sachant exactement de quoi il se détournait, il sentait que c’était quelque chose qui ne le concernait en rien. Il lui semblait que peut-être il aurait pu retourner au lit, maintenant. Le mauvais rêve n’était vraiment plus aussi menaçant qu’auparavant dans sa tête. Mais peut-être bien avait-il un peu faim, tout à coup. Puisqu’il était venu jusqu’ici, il pouvait bien descendre aux cuisines pour grignoter un bout. Et puis, il avait vraiment très envie de voir sa grande sœur, à présent.
Dernière édition par Skay-39 le Jeu 21 Mai 2009 - 20:28, édité 1 fois |
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| Sujet: Re: Le Très Joyeux Noël de la Famille Duke & du Lion Jeu 21 Mai 2009 - 18:26 | |
| Aux cuisines, Pïter ne trouva point Lwucy, mais découvrit cependant une assiette de porcelaine blanche ou s’empilaient six Kookies et un grand bol de sirop de menthe. Ces indices trahissaient le récent passage de la jeune fille, et auguraient de son retour imminent ; aussi Pïter aurait-il pu l’attendre sur place. Il pourrait être amusant de répandre sur les biscuits quelques condiments inadéquats et de s’installer sur un tabouret en attendant que commence le spectacle. Cependant, s’il savait qu’elle ne lui reprocherait pas longtemps cette farce, l’enfant n’était pas sûr en revanche que Lwucy puisse lui pardonner d’avoir gâché de bons gâteaux tout frais. A ses propres yeux, cela tenait du sacrilège. Comme pour confirmer ce jugement, un craquement de tonnerre tira un tintement du bol de verre transparent. Aussi se contentât-il de subtiliser la verte boisson ainsi que deux Kookies (choisissant ceux qui semblaient pourvus des plus grosses pépites) et trottinât-il tranquillement vers les portes battantes. La Lwucyol pouvait se trouver dans la serre, ou peut-être à l’observatoire, ou à la bibliothèque… sauf qu’elle y aurait emporté son casse-croûte. Il était minuit passé… L’Ange de Noël avait d’ores et déjà rempli son office. Donc, c’est qu’elle devait se trouver dans la salle à manger, en train de farfouiller dans les paquets comme n’importe quel sale gosse – lui, par exemple – aurait pu le faire. Le garçon s’arrêta avant de quitter la grande pièce pleine de lumière et de reflets sur les cuivres et les carrelages. Faisant demi-tour, il posa avec soin le bol sur sa crête crânienne avant d’ouvrir le petit placard pneumatique situé au dessous de l’interphone. Le petit Duke s’empara d’une bougie mécanique et la régla sur moyen voltage, tout en grignotant distraitement un Kookie. Il trotta dans le couloir en tenant sa lumière devant lui, se faisant la réflexion qu’il paraissait plus long lorsqu’on n‘en voyait pas la fin. Au bout de quelques instants, il commença à observer avec curiosité les portraits et holographies de famille qui ornaient les murs. Ils étaient là depuis si longtemps – bien avant sa naissance – qu’il ne les avait jamais vraiment regardé. Dans le faible halo de la chandelle, l’arrière-arrière grand-père Duke avec ses imposantes rouflaquettes semblait le toiser d’un regard sévère derrière ses grosses lunettes cerclées d’écaille ; la duchesse Duke de la Roseraie le suivait de ses petits yeux roses, ses lèvres frémissant sur un sourire esquissé ; le colonel Baland Duke affectait de ne pas le remarquer, fixant obstinément à son passage le mur au-dessus de sa tête – et ne venait-il pas de s’agiter avec sévérité, juste à la périphérie de son champ de vision ? Lorsque son regard nerveux accrocha une holographie, vieille de quatre ou cinq ans, de sa propre personne, un frisson lui couru le long de l’échine. Sur l’impression en relief, un bambin hilare poussait une exclamation de joie silencieuse et sans fin. Mais sous le prisme des ombres projetées par la bougie sur le visage rond, c’eut tout aussi bien pu être un cri de terreur. Le vent siffla dans les mâts du navire. Se sentant tout à coup la bouche un peu sèche, le garçon but une gorgée de menthe fraîche. - Pas assez de poivre, grommelât-il en sortant sa langue pour la frotter contre ses dents. Il fit passer le goût trop fade en mordant dans son dernier biscuit et essuya ses mains sur son pantalon de pyjama. Au même moment, un rond de lumière se dessina devant lui, grandit et gagna en intensité, révélant bientôt les motifs de la double porte de la salle à manger. Puis, dans un grincement de bois, le cercle fut rongé en son centre par une ligne noire qui allait en s’élargissant, tandis que les grands battants sombre s’effaçaient à son approche. La lumière révéla la longue table luisante du repas, démesurée dans cette semi obscurité, et jeta un invraisemblable enchevêtrement d’ombres droites derrière la rangée de chaises. Dans le halo tiède de la bougie mécanique, l’ombre du sapin paraissait immense et presque menaçante ; les pointes de lumière colorées se faisaient moins vives, noyées dans la clarté mouvante de la flamme artificielle. Le regard de Pïter ne s’attarda pas sur l’arbre, parcourant la pièce à la recherche de sa sœur ou de Trente-neuf. Il fut déçu de n’apercevoir ni l’une ni l’autre. D’ordinaire, le familier se précipitait toujours à sa rencontre pour lui faire la fête lorsqu’il entrait dans une pièce. Lwucy aussi d’ailleurs, mais plus souvent pour le mettre dehors. Le jeune Duke songea que le loyal, une fois n’était pas coutume, avait peut-être manqué son entrée et continuait à dormir comme un bienheureux. - Oh ! Trente’ ? chuchotât-il tout fort, comme s’il essayait d’appeler à pleine voix mais que son corps n’était pas tout à fait d’accord. Où est-ce que tu te caches, mon vieux ? Son appel n’avait pas dû se hisser bien loin au-dessus de la rumeur ininterrompue du vent au dehors. Il leva sa lampe plus haut, et vit aussitôt apparaître sur sa droite un singulier rectangle pâle. Intrigué, Pïter balada sa lumière d’un côté et de l’autre, cherchant un meilleur angle de vue. Il apparu rapidement qu’il s’agissait d’un paquet cadeau échoué au beau milieu de la pièce, dont l’emballage argenté renvoyait l’éclairage de la chandelle. Sentant un mauvais pressentiment lui chatouiller la crête, le jeune garçon s’avança lentement vers le foisonnement d’aiguilles bleues. Peut-être était-ce un effet de lumière, mais le géant lui semblait maintenant tirer davantage sur le mauve, bien qu’il lui soit difficile de s’en assurer. A mesure qu’il s’approchait, ses yeux s’écarquillaient - Trente-neeeeeeeuf… geignit Pïter en se prenant la tête entre les mains, des accents de catastrophe dans la voix. Tu veux qu’on t’abandonne sur cette planète, c’est ça, hein ? Le garçon détailla l’étendue du désastre en gémissant de plus belle : paquets dispersés et déformés, emballages éprouvés, décorations éparpillées et passablement brutalisées. Ses parents étaient tous les deux très gentils, mais ils n’allaient pas laisser passer semblable carnages. Pïter lui-même, en cet instant, était partagé entre deux craintes d’égale importance : celle de savoir ce qu’il adviendrait de Trente-neuf si son coup d’éclat était découvert et l’inquiétude que lui causait l’état de ses cadeaux. Néanmoins, le petit Duke n’était pas homme à se laisser gagner par la rancune (il n’était pas homme du tout, d’ailleurs), et entreprit sur un soupir de réparer de son mieux les dégâts, travaillant à la lumière de sa bougie mécanique. Ce faisant, il s’interrogea sur la manière dont cette fichue bestiole avait pu se libérer et sur l’endroit où elle avait pu aller se cacher. Au bout de plusieurs longues minutes d’agitation soigneuse, le garçon se recula avec une moue septique, tâchant d’évaluer le résultat de ses efforts. Certes, un observateur un peu attentif ne pouvait manquer de remarquer que les décorations semblaient avoir migré vers le bas, s’accumulant dans une zone situées à mi-chemin entre les branches les plus basses – autant dire le sol – et une frontière arbitraire située à environ un mètre trente de hauteur. Cependant, on ne pouvait plus guère soupçonner le loyal de ce forfait, à moins de ne lui supposer des pouces opposables cachés. De même, certains paquets se trouvaient un peu cabossés et éraflés, et avaient manifestement été déplacés ; mais cela, il n’y pouvait rien. Pïter les avait retapé de son mieux et réorganisé en deux piles, mais seuls deux d’entre eux comportaient une carte au bout d’un cordon – papier gaufré en forme d’octogone allongé, décoré d’un liseré doré – avec dessus, tracé d’une élégante écriture ample, fougueuse et arrondie, le nom des deux enfants. Ceux-là étaient sans doute destinés à se trouver sur le dessus. En conséquence, le garçon avait dû se fier à son instinct pour répartir les présents, après les avoir auscultées avec une méticulosité quasi médicale – palpant, tapotant, soupesant, secouant. Cependant, son inconscient avait dû y mettre un peu du sien, car les emballages les plus volumineux et les plus prometteurs se trouvaient tous dans la pyramide qui lui était dédiée. - Ça fera l’affaire, décidât-il sévèrement. Le garçon avisa alors une tâche sombre sur le sol. Les effets de la fatigue commençant à se faire sentir, c’est en soupirant qu’il s’accroupit pour approcher la chandelle mécanique du plancher. Dans la lueur jaunâtre apparurent quelques grosses gouttelettes vertes. Pïter lâcha un grognement mécontent tout en examinant son bol, ne comprenant pas bien à quel moment il avait pu renverser de son contenu. Il en avait plus qu’assez de faire le ménage ! Si au moins cet insupportable loyal avait daigné sortir de sa cachette, le garçon aurait pu le laisser laper le liquide répandu, pour son plus grand plaisir sans doute. Mais puisque l’animal était absent, c’était à lui que reviendrait la tâche de tout nettoyer. Trente-neuf aurait intérêt à se faire pardonner, sur ce coup-ci. Passant deux doigts sur le plancher par ailleurs d’une propreté impeccable, le garçon récolta plusieurs gouttes qu’il porta à sa bouche tout en se relevant, sans réfléchir. Il songea vaguement à l’exclamation réprobatrice dont sa mère aurait gratifié ce geste si elle avait été présente. Avant même que son cerveau n’ait eut le temps d’identifier ce goût singulièrement familier, son corps avait réagit, et Pïter crachait avec déjà une sorte de stupeur le jus qui n’était définitivement pas de la menthe. Ses bonnes manières ne l’autorisèrent pas à recommencer, bien qu’il ressenti le besoin impérieux de se purger de la plus infime trace de la désagréable substance. Avec un temps de retard, le jeune garçon identifia enfin le fort goût de fer et d’ozone, la déplaisante saveur douceâtre. C’était du sang. Le bol lui glissa des mains et se brisa sur le parquet avec un claquement unique, surprenant. Son contenu s’étala aussitôt en une flaque inégale aux bords éclatés. Considérant l’ampleur des dégâts, le cadet Duke n’hésita pas plus longtemps à cracher encore deux ou trois fois, une grimace dégoûtée lui tordant le visage. Il aurait voulu n’avoir pas lâché le sirop, pour pouvoir se nettoyer la bouche. Ses cœurs se mirent à battre fort, vraiment très fort. Un étrange engourdissement semblait aller et venir dans ses membres, comme de l’eau qui cascade dans une tuyauterie, comme une armée de fourmis aux pas pressés. Sa bouche était emplie d’une salive qu’il ne pouvait se résoudre à avaler, ne pouvant s’empêcher de songer qu’elle pouvait contenir encore un peu de… la chose. Il s’était déjà mordu la langue, il avait déjà léché une plaie pour la nettoyer ou en apaiser la brûlure. Mais là, il ne s’agissait pas de ses blessures, et savoir simplement que le sang d’un étranger avait dépassé ses lèvres lui soulevait le cœur. A moins que ce ne fut la terreur. Car il était effrayé, désormais, sévèrement effrayé. Dans sa poitrine, le rythme déjà soutenu de ses muscles cardiaux avait adopté un tempo plus enlevé encore, propulsant l’adrénaline dans ses veines à une allure soutenue, dilatant ses voies respiratoires, imprimant de subtils tremblements aux muscles de ses cuisses et de ses bras ; avoir sentit le sang dans sa bouche avait nettement accéléré l’incontournable processus qui devait fatalement le mener à la panique. La question qu’il avait vainement tenté de repousser s’imposa à lui, accompagnée d’un nouveau coup de tonnerre, lointain et menaçant : qui était blessé ? Et comme cette question en appelait forcément d’autres, il se demanda ensuite ce qui avait pu causer ces plaies, et à quel point ce pouvait être grave. La longue pièce pleine d’ombre lui semblait subitement plus vaste encore, son obscurité plus porteuse de promesses macabres qu’auparavant. Son cauchemar lui revint en mémoire, accompagné d’une déplaisante sensation de froid cascadant dans son dos. La créature malveillante le poursuivant dans une forêt sombre, ou bien peut-être le long des tout aussi sombres galeries d’un navire spatial ; il se rappela les halètement lourds, bas et rauques, il se rappela les pattes nombreuses qui foulaient le sol l’une après l’autre, à un rythme bien trop soutenu pour un quadrupède ; les branches qui fouettaient son visage, à moins qu’il ne se soit agit de bâches, les racines qui étaient peut-être des câbles et sur lesquelles il trébuchait sans cesse… et le cri, sur la fin, le… …rugissement puissant au dehors. Ses genoux se mirent à trembler avec force. Ses mâchoires, comme saisies par un irrépressible réflexe, s’animèrent de mouvements convulsifs, et ses dents se mirent à claquer à un rythme soutenu, petit son mat et inlassable, obsédant. Le rugissement s’était coulé en un grondement bas qui roulait parfois, se muait en un feulement rauque dont on ne pouvait ignorer l’intensité malgré le filtre de la distance et des épaisses couches de métal. La bête se déplaçait. Elle longeait le navire, disparaissant parfois au gré des bourrasques de vent, faisant à nouveau entendre sa voix un peu plus loin, un peu plus près. Pïter baissa lentement les yeux sur la mare verte dans laquelle il ne pouvait s’empêcher de voir autre chose, bien que connaissant sa nature ; il regarda aussi l’arbre de Noël malmené, les paquets cabossés. Il regarda le panier de Trente-neuf qu’il devinait dans l’ombre, vide, et les grandes étendues sombres, les ombres repoussées et déformées par les décharges de lumière céleste ; et il écouta les bourrasques de neige qui venaient fouetter les vitres, et le vent qui soufflait à travers les branches dans la forêt toute proche, et sur toute la longueur de la plaine, de toute évidence incapable de décourager la bête. Mais était-elle dans la tourmente ? Etait-il possible qu’elle soit à l’intérieur ? Etait-il possible qu’elles soient à l’intérieur ? Craquements de tonnerre au dehors, nouveau rugissement, feulement aux consonances plus hautes, sauriennes. Le parquet trembla lorsque la terre fut soumise aux assauts de la foudre. Le bouclier n’était pas activé, pas sur une planète. A quoi bon ? C’aurait été une dépense inutile d’énergie. Il y avait la barrière… Mais était-elle vraiment infranchissable ? Pïter savait qu’il n’en était rien. Il y avait eut des précédents. Il pensa à l’ôgr dans le placard de Mélinda Warren. Ses longues canines qui claquaient, claquaient, claquèrent sur sa langue. Pïter poussa un cri aigu, un cri de fille. Trois gouttes de vert se détachèrent de sa lèvre inférieure, dessinèrent un petit chemin pointillé sur le sol. Le goût de fer huileux et douceâtre envahit à nouveau sa bouche, plus marqué qu’un peu plus tôt. Il ne pouvait pas retourner dans les couloirs. Il ne pouvait pas se trouver là. Il ne pouvait être ailleurs qu’entre ses deux parents, caché derrière sa sœur, les bras autour du cou de Trente-neuf. Le petit, tout petit garçon recula jusque dans un des coins de la pièce, s’y laissa glisser, les bras autour des genoux. Il fallait qu’il attende quelque part, qu’il se dissimule dans un coin jusqu’à ce qu’on vienne s’occuper de lui. Pïter se mit à trembler de plus en plus fort, écoutant grogner le tonnerre, écoutant gronder les fauves, à l’extérieur du vaisseau, à l’intérieur des couloirs, ici même peut-être, quelque part dans le noir. |
| | | Skay-39 The Vortex Guy
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| Sujet: Re: Le Très Joyeux Noël de la Famille Duke & du Lion Jeu 21 Mai 2009 - 18:27 | |
| Son regard fébrile accrocha l’ample touffeur sombre. Le sapin était grand et gros, tout a fait impénétrable. On ne pourrait pas l’apercevoir, s’il se cachait derrière. Comme de toute façon rien n’était pire que de rester là au milieu de la pièce, Pïter se précipita vers l’arbre en rampant, et se coula derrière en rasant le mur. Il grimaça un peu lorsque les branches l’égratignèrent, mais bientôt, il y en eut moins – en outre, il avait des soucis bien plus importants en tête. Le garçon en fut tout de même vaguement surprit, car il se trouvait maintenant tout à fait derrière l’arbre, là où il était le plus large ; mais qu’importe, c’était mieux ainsi. Pïter se laissa aller contre le mur, le souffle court. Il se sentait presque en sécurité, ici. Ses cœurs commençaient à se calmer, leurs battements alternés cessant peu à peu de se bousculer. Tendant l’oreille, le petit garçon essaya de repérer le moindre bruit suspect, mais le vacarme de l’orage au-dehors pouvait masquer bien des choses. Le vent mugissait et gémissait tour à tour, la neige fouettait les vitres et s’abattait sans pitié contre les lucarnes, le tonnerre roulait sous les nuages et faisait trembler les murs. Pïter n’arrivait à croire à l’horreur de sa situation. Il était seul. Où étaient les siens ? Ses parents, et Lwucy ? Ils allaient bien venir à son secours… A moins que peut-être, sa sœur, déjà… Son estomac se serra douloureusement à cette pensée. Oh, est-ce qu’un lion pouvait les avaler tous ? Il essaya de se l’imaginer. Il faudrait que ce soit vraiment un très gros lion. L’os que son père avait trouvé pouvait-il appartenir à un lion géant ? Reishard Duke l’aurait dit, sans doute, si tel avait été le cas. Mais s’ils étaient plusieurs ? Le cadet des Duke en était là de ses réflexions lorsqu’il nota distraitement que ses mains étaient collées aux branches. Cela faisait un moment déjà, mais plus il tirait et s’agitait, plus il avait du mal à les bouger – de plus, il devait prendre garde à ne pas faire remuer les branches. Vous savez sans doute comme la sève des sapins peut-être collante. Ici pourtant, c’était pire encore qu’à l’accoutumée. C’était comme si chaque aiguille s’était changée en une ventouse coriace, une véritable petite sangsue. Pïter voulut baisser les yeux sur ses doigts pour voir comment ils pouvaient être à ce point emprisonnés, mais les branches adhéraient aussi à sa crête crânienne, au point qu’il ne put bouger la tête. Il était tiraillé de toute part. Les innombrables bâtonnets bleus n’étaient plus durs et piquants, maintenant ; ils semblaient tous s’être changés en autant de langues fébriles. C’est alors qu’il comprit. Ou, tout du moins, que le jour commença à se faire dans son esprit. Pïter se débattit avec fureur, secouant chacun de ses muscles en une danse étrange et désespérée, donnant des coups de pied, des coups de tête, se tordant en deux. C’était comme de lutter contre une toile d’araignée dont chaque fil avait la solidité d’une corde et la vivacité d’un serpent. Chacun de ses mouvements resserrait l’étreinte étouffante, contribuait à l’ensevelir vivant. Il sentit ses pieds glisser sur le sol, à mesure qu’une force globale l’entraînait en avant. Tout autour de lui, les branches craquaient, bruissaient, grinçaient, murmuraient. Oui, il entendait l’arbre murmurer, de mille voix embrouillées dont les timbres distincts vibraient avec une harmonie fébrile, de plus en plus pressante, jusqu’à finalement ne plus évoquer rien d’autre que la multitude d’un feuillage animée par un souffle de vent, frottant de toute part, tel des centaines de lames qu’on aiguiserait dans le chaos le plus total. Le garçon avait du mal à respirer, maintenant ; l’air se faisait de plus en plus rare, la lumière aussi. Il ne demandait même plus d’oxygène, à ce stade ; de l’air lui aurait suffit, n’importe quoi pour gonfler ses poumons. Il n’y avait rien de pire que cette sensation d’avancer inexorablement vers la suffocation. La rumeur de l’orage était maintenant ténue, presque oubliée. Sa peau était tiraillée de toute part, et il dû plisser les yeux lorsque les branches vinrent caresser ses paupières. C’était comme les pattes d’une araignée aveugle explorant à tâtons, cherchant le meilleur endroit où se lover pour enfoncer les crochets de ses mandibules. La sensation était partout sur son corps, maintenant. - A l’aide ! gémit faiblement Pïter. Sa voix était tremblante, anémique. Il n’espérait plus que quiconque ne vienne à son secours ; tel le pilote dont la navette fonce à bride abattue vers le sol intransigeant, il ne pouvait plus que regarder la mort se rapprocher inexorablement en proférant des prières ineptes. Mais on sembla l’entendre, cependant ; car à cet instant, l’arbre se tût et cessa de s’agiter contre son corps. Et même, il lui répondit. Les innombrables aiguilles frémirent, émettant un son de pétillement ténu, et, dans un grand frisson de gourmandise et d’avidité, s’écartèrent comme des mâchoires. Pïter regarda le cœur de l’arbre. Mais ses yeux étaient irrités, et le noir presque complet. Il vit du rouge. Il vit des os. Il vit quelque chose qui palpitait, et autre chose qui ruisselait. Il vit une patte couverte d’écailles, repliée, rongée, et qui lui était effroyablement familière. Puis le petit garçon entendit un faible couinement, et une rumeur humide et confuse que l’on était tenté d’associer à une sorte de grouillement. Il tourna la tête de son mieux, affolé, la peau brûlante… et vit… et vit… …et vit le reste. Ses yeux s’ouvrirent tout grand. Sa raison vola en éclats. La masse chaude qui le pressait de toute part recommença à fourmiller, le tira vers l’intérieur. Durant ses ultimes secondes, Pïter hurla. Et nul n’aurait reconnu dans ce cri la voix d’un enfant.
Les oiseaux pépiaient déjà de belle voix lorsque les premiers rayons du soleil traversèrent les frondaisons, allumant des étincelles pourpres sur l’herbe couleur cendre humide de rosée. Leur chant aigue et piaillard résonnait sans répit, passant à toute allure d’une note à l’autre, sur toute la longueur de la clairière, joyeuse cacophonie, tel un dialogue de sourds. Tandis que la lumière orange gagnait peu à peu du terrain – comme suintant du sol – à mesure que l’immense soleil trouble s’élevait dans les airs, une complainte plus grave et plus lente s’éleva, vibrant dans l’air de poignante manière. Quelques écureuils gris aux grands yeux noirs se figèrent un instant à l’écoute de cette lamentation, leur museau humant avec frénésie, les moustaches frémissantes. Décidant que la chose n’avait aucune sorte d’intérêt, ils reprirent leur chasse cannibale matinale, en quête d’un petit-déjeuner. En bordure du court d’eau, un buisson d’aubépine s’agita imperceptiblement, se débarrassant un peu de l’épais carcan de neige qui l’emprisonnait. Le pauvret avait souffert des intempéries : harcelé, malmené, bousculé, il y avait laissé quelques plumes et un peu de son intégrité. Cela ne semblait pas avoir entamé son enthousiasme, cependant, car voila que sa masse sombre et austère émaillée de poussière blanche peu à peu se couvrit de fleurs aux teintes pastelles. Elles s’agitèrent, timides, exposant leurs pétales aux rayons du soleil ; et dans un bel ensemble, toutes du même essor, prirent la voie des airs en un tourbillon bariolé. C’était des papillons qui dans cet arbrisseau avaient établis leur ruche : l’essaim tout entier, la tourmente une fois passée, repartait sans plus tarder à ses besognes quotidiennes. Les gracieux insectes se répandirent dans la plaine, leurs battements d’ailes évoquant des clins d’œil, introduisant couleur et légèreté dans ce paysage qui en manquait quelque peu. De temps à autres, des couples bigarrés entamaient une drôle de danse et unissaient leurs antennes en une intrigante étreinte magnétique, foudroyant sur-le-champ quelques moucherons ; les gobant ensuite adroitement avant qu’ils ne touchent le sol, où les rares petits hors-d’œuvre manqués faisaient la joie des pâquerettes carnivores (fleurs étonnamment proches des Bellis perennis gloutonia décrites dans le chapitre 9 de l’Encyclopédie des Plantes Enthousiastes, tome 1) qui avaient percées en rangs serrés et avec la force de l’habitude le glaçage virginal de la prairie. Quelquefois, un papillon descendait trop bas, et concourait alors au bonheur culinaire d’un des chats-feuilles au pelage floral tapis sous la mer de pétales. Ceux-ci prenaient cependant bien garde de ne pas abîmer les insatiables marguerites dont le pollen était un véritable banquet pour les moucherons, pas plus que les dits moucherons qui excitaient la gourmandise des lépidoptères. Ainsi va la vie : ruse ta proie, ménage les siennes, soigne tes alliés. Discrète mais omniprésente, trottant sous l’écorce ou fouissant sous la terre. A grands battements d’ailes, petites mésanges, par bonds courts et pressés, furet cyclope ; rampant parmi les herbes – serpent à plume – ou chantant pour une belle, tel ce criquet blindé à l’impénétrable carapace de pseudo-acier. Ainsi allait la vie. Ainsi allait la mort, aussi ; étreinte mortelle de mâchoires implacables, venin fusant dans l’arborescences sanguine jusqu’aux muscles cardiaques, détente puissante d’un bond carnassier (décharge d’adrénaline, hormone de peur et détresses respiratoires), fourrure qui se hérisse, miaulement vindicatif. En vérité, la grande prairie en ce jour était particulièrement animée. Sur ce monde, on aimait les orages, car ils mettaient les arbres à mal. Et les arbres étaient redoutés. Ils n’étaient cependant pas les seuls. Le silence semblait accompagner le grand lion roux tandis qu’il faisait le tour du Loup d’Argent, chaque bestiole un tant soit peu sensée s’évertuant alors à faire oublier sa présence. Ce n’était pas la première fois qu’il accomplissait ce trajet, à en juger par la profonde ceinture grisâtre qui isolait le navire, dessinant un cercle un peu plus rond que la double barrière rougeoyante et ondoyante de la barrière. Ses mouvements étaient toujours aussi fluides et belliqueux, mais on sentait la fatigue poindre dans ses grandes yeux fendus ; ou, tout du moins, une certaine mélancolie. Le fauve écarlate s’immobilisa une patte en l’air, levant sa grosse tête vers la façade muette de la nef des Duke. Un grondement bas et triste roula dans sa gorge, et un vent léger agita un peu son imposante crinière humide. Avec une sorte de soupir animal, il se détourna du sinistre nid de métal et s’éloigna à foulées molles, comme abattu. Le jour s’était levé, et le lion avait échoué à prendre la vie de l’arbre carnassier. Il avait plusieurs fois escaladé le grand feuillu inoffensif au bord de la barrière, s’acheminant aussi haut qu’il en était capable, enfonçant profondément ses longues griffes dans la chair de l’arbre, ignorant ses longs gémissements de protestation. Mais si haut qu’il grimpa, les lianes incandescentes venaient le fouetter, le brûlant comme un venin ; si fort qu’il s’élança, elles le repoussaient, l’envoyaient rouler dans la neige qui apaisait ses blessures. Sous son épaisse fourrure zébrée de marques sombres, son corps était couvert de bleus, ses muscles meurtris. Il n’en montrait rien, évidemment. Nul ne pouvait deviner sa faiblesse. Mais il avait échoué à sauver la vie des jeunes. Un miaulement plaintif jaillit d’entre les crocs immenses de la bête lorsqu’elle revit ses propres petits, sentit à nouveau leur odeur, lorsqu’elle se souvint des ossements vidés de leur substance qui s’entassaient sous terre au bout de la piste, là où s’était trouvé le grand assassin bleu. Et maintenant, le soleil s’était levé, et il devait regagner le couvert des arbres, ceux qui le craignaient et le respectait. Sur un dernier gémissement qui s’acheva en feulement douloureux, le grand félin accéléra frénétiquement sa course, se fondant en un boulet de canon pourpre qui traversa la prairie dans un tourbillon scintillant et disparu très vite parmi les troncs bleus sombres – telle une chimère de contes de fées.
Le doux voile de lumière rousse inondait la pièce en oblique, filtrant à travers les larges hublots octogonaux bordés de vitraux. Ainsi répandue sur le sol, les murs et les meubles, les tâches de soleil semblaient curieusement appétissantes, évoquant de la poussière de cannelle saupoudrée en formes géométriques. Sous cette lumière, la literie aux draps chiffonnés évoquait un grand pain carré aux bords arrondis, et semblait toute aussi tiède et moelleuse. Telles étaient les pensées qui ondulaient paresseusement dans la tête de Sesan Duke tandis qu’elle se prélassait entre ses draps et les bras de son amant, guère pressée de quitter l’exquise indolence du petit matin. Elle avait la très plaisante sensation de flotter dans une mer de l’équateur, entre la fraîcheur des fonds et la chaleur du jour, telle une algue bercée par les flots. La jeune femme bougea insensiblement, savourant la caresse de la soie contre sa peau nue. Elle étira sans hâte ses muscles en léthargie, dépliant ses bras fins et ses longues jambes avec volupté avant de se rouler en boule comme un jeune loyal – sans cesser de jouer du regard avec les dessins du soleil sur les murs, ses prunelles blanches (noyées dans le blanc de l’œil) passant de l’un à l’autre ; en dessinant les contours, se baladant dans le labyrinthe coloré projeté par les vitraux. Des pièces de sa création, dont elle songea qu’elle aurait pu les faire un peu différemment ici et ici, et là aussi, et que c’aurait sans doute été un peu mieux. Ces considérations dénonçant l’éveil de son esprit d’adulte plus sérieux, Sesan Duke se retourna vers son époux, toujours sans se presser, appréciant la manière dont les couvertures s’emmêlaient autour de ses chevilles. Elle se sentait de merveilleuse humeur, et ne doutait point que Reishard soit dans un semblable état de félicité. Les yeux de ce dernier étaient ouverts quoiqu’un peu éteints, signe qu’il était plongé dans les méandres de son esprit. - Un sou pour tes pensées, fit-elle à mi-voix, d’un timbre qui parvenait à être à la fois doux et un peu rauque. La formule enfantine fit sourire son mari, d’un air un peu coupable cependant, comme s’il avait été pris en faute. Ses pupilles noires se posèrent sur elle, chargées d’affection. - Je tâchais d’évaluer la vitesse de rotation de cette planète en me basant sur l’angle des rayons du soleil, avouât-il, à voix basse lui aussi, s’amusant de ses propres manies. Sesan roula des yeux, faussement réprobatrice. C’était là, détail cocasse, une habitude qu’elle avait emprunté à sa propre fille. - Je pense que les instruments de la nef te l’indiqueront plus sûrement. - Ce n’était pas conscient, murmurât-il en se penchant vers elle sans cesser de sourire. Le haut explorateur donna à sa dame un baiser aérien. Celle-ci frotta sa crête contre celle de son époux, et une note cristalline vibra dans l’air. La jeune femme se redressa paisiblement, un large sourire sur ses lèvres couleur émeraude, maintenant le tissu lavande contre elle par habitude. Elle descendit à bas du matelas en écartant le dais du baldaquin, et avança jusqu’à la baie vitrée en meurtrière horizontale qui courait tout le long de la chambre. Sesan referma sa main sur le rideau court et le tira tout entier, révélant une immense forêt enneigée caressée par un astre rougeoyant. Son regard balaya lentement, attentivement, toute la longueur du paysage idyllique qui s’étendait devant ses yeux, derrière la longue vitre en verre blindé. |
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| Sujet: Re: Le Très Joyeux Noël de la Famille Duke & du Lion Jeu 21 Mai 2009 - 18:28 | |
| - Regarde un peu tout ce qui est tombé durant la nuit… s’émerveillât-elle. Nous allons avoir droit à quelques bonshommes de neige. - Lwucy dira que ce n’est plus de son âge. - Et moi, je lui botterai les fesses jusqu’à ce que ça le redevienne. - On ne fait pas rajeunir les enfants à coups de pied au derrière. - Aucune étude scientifique ne l’a jamais prouvé de manière irréfutable, mon chéri. Reishard sourit et chaussa ses lunettes, afin de ne rien manquer de la vue charmante qui s’offrait à lui. - Je m’étonne que les enfants ne soient pas encore debout, à crier dans tout le vaisseau ou à tambouriner contre notre porte, signalât-il en jetant un coup d’œil à l’écoutille de bois poli. J’aurais cru que Lwucy au moins nous tirerait du lit dès le lever du soleil. - Ils sont toujours un peu déphasés lorsque nous nous établissons sur un nouveau monde, tu sais bien. Laissons-les dormir. La jeune femme marcha vers la salle de bain personnelle du couple, ses hanches roulant sous le tissu fluide. Elle abandonna le drap quelques pas avant le seuil, et il tomba en une petite colline de soie évoquant une meringue couleur lilas. L’académicien poussa un soupir qui devait beaucoup ressembler à celui du plus heureux des hommes. Dans le grand hall, l’horloge biologique continuait d’égrener inlassablement les secondes de son « tik, tak, tik, tak » sec et rythmique, les longues aiguilles ouvragées bondissant sporadiquement d’un degré à l’autre, à la manière d’un couperet. Se mouvaient tout aussi vaillamment les anneaux qui cerclaient le haut de la machinerie complexe, en continue ou par saccades, avec régularité ou une anarchie apparente ; affichant des nombres et des symboles à la signification obscure. Une série de déclics, chuintements et grincements étouffés s’éleva tout à coup de l’antiquité, laissant deviner l’enclenchement d’un intriguant mécanisme interne ; le raffut discret alla crescendo, s’encombrant de sonorités de plus en plus diverses et confuses, puis commença à en privilégier quelques-unes qui se firent en contrepartie plus perçantes. Enfin, quelque chose jaillit tout à coup du front de la mécanique tricentenaire, ouvrant à la volée de petites portes battantes rivetées dont la présence n’avait en premier lieu pas été évidente au milieu des autres ornements. La forme qui avait fusée s’immobilisa brusquement en bout de course, révélant un quânard à col vert grandeur nature se balançant au bout d’un bras télescopique à croisillons. La bête semblait constituée à parts égales de bois, de chair et de fer blanc, et avait été peinte et décorée avec minutie. Elle était habillée d’une tenue de cuir noir ajustée, munie de nombreuses ligatures et fermetures éclair, et tenait une balle rouge dans son large bec plat et jaune. « Koin ! Koin ! Koin ! » brailla le volatile avec conviction, agitant frénétiquement ses ailes sanglées. A la façon dont la boule écarlate oscillait à droite et à gauche dans sa bouche en pince à linge, on la devinait retenue par une contrainte magnétique. « Estoit précisément neuf hores et un demi ! » déclama puissamment l’oiseau palmé, d’un timbre nasal mais avec une élocution impeccable. Sur ces bonnes paroles, la bestiole fut happée en arrière avec une violence inattendue, y laissant quelques plumes ; elle disparu sur un ultime couac – mi-indigné, mi-interloqué – que les portes doubles masquèrent à moitié en claquant vigoureusement. L’horloge retrouva alors son fonctionnement routinier, qui, immanquablement, semblait soudain beaucoup moins atypique. Dans la salle à manger, les photons du soleil dépassant enfin le barrage des plus hautes cimes s’échouèrent contre la grande cheminée de pierre, et sur l’holographie déposée au-dessus du foyer. Sous cet assaut, les réactions chimiques s’accélérèrent sensiblement, faisant jaillir les dernières nuances de profondeur, dotant les couleurs de toute leur intensité. Le portrait en relief de la famille Duke s’étala sur le papier tramé avec un tel réalisme qu’on les aurait tous crus vivants. Les deux parents affichaient un sourire paisible. Les bras de Sesan entouraient le cou de son cadet, et Reishard avait posé une main sur l’épaule de son épouse et l’autre sur celle de sa fille, dont la sérénité était à l’image de la leur. Trente-neuf, naturellement, ne regardait pas l’objectif, recherchant de toute évidence ce qui pouvait bien justifier ce rassemblement. Pïter, quant à lui, souriait de toutes ses dents, et, en équilibre précaire sur une seule jambe, tendait un bras au-dessus de la crête de sa sœur, l’affublant d’une paire d’oreilles de lapin symboliques. Une chauve-souris diurne passa à tire-d’aile devant la longue vitre légèrement incurvée qui remplaçait toute une tranche de mur, alors que Reishard admirait le paysage tout en boutonnant ses manches. Le petit mammifère volant au pelage écarlate repassa devant le hublot horizontal à deux reprises, plus lentement, zigzaguant avec la vigueur si particulière à son espèce, manifestement perdu. Pauvre bestiole, songea le haut explorateur. Sans doute s’était-elle perchée dans le mat de misaine avant la mise en place de la barrière ; elle avait dû s’éveiller pour découvrir avec affolement qu’elle était prise au piège du bourdonnement statique environnant le dispositif de sécurité. Le navigateur prit mentalement note d’interrompre le flux durant quelques minutes, afin de laisser toute la faune captive retrouver sa liberté. Sans cela, à la panique risquait de succéder l’imprudence, et les enfants pourraient bien trouver des cadavres carbonisés de petits animaux tout autour de la nef au moment de sortir jouer. - C’est superbe, n’est-ce pas ? fit Sesan avec affection en posant une main dans son dos. - Ça l’est, reconnût-il, passant sous silence les morbides considérations qui lui occupaient l’esprit un instant plus tôt. - Une très belle planète, répéta son épouse. Comment allons-nous l’appeler, au fait ? Il va falloir lui donner un nom. - Je sais bien. J’y ai réfléchis en me douchant, ce matin, et j’ai pensé à quelque chose. Je dois encore vérifier si cela n’a pas déjà été pris, mais… que dirais-tu de « Noël » ? Sesan Duke appuya sa crête contre l’épaule de son mari. - J’en dis que les enfants vont adorer. Quelques clappements étouffés au-dehors attirèrent leur attention. La minuscule chauve-souris à la fourrure rouge vif frôla la baie d’un cheveu, arrachant un mouvement de recul instinctif aux deux amants, et puis se rua vers les piliers-foudres en piaillant, tel un kamikaze. Reishard Duke eut une grimace juste un instant avant qu’un arc lumineux ne vienne intercepter l’animal, qui s’embrasa et se consuma presque dans le même temps. - Tu iras le ramasser avant que les enfants ne sortent, l’informa son épouse. - Bien, mon capitaine. L’artiste stellaire eut un pauvre sourire d’excuse, apparemment un peu chagrinée par la scène lugubre à laquelle ils venaient d’assister. Son conjoint comprenait et approuvait, cependant. La macabre découverte des ossements près du sapin avait été une confrontation suffisante à la mort. - Il y a eut une tempête durant la nuit, commenta Sesan Duke d’un ton neutre. - Je sais. L’intelligence de bord va entendre parler de moi… Elle avait prédit un temps froid mais sec avec de faibles vents. On ne peut vraiment pas se fier à ses prévisions climatiques. - Ne soit pas trop dur… Elle a des soucis en ce moment. Je n’ai pas demandé de détails, mais je crois bien que c’est une peine de cœur. - Elle s’est entêtée à fréquenter le vaisseau Khârgo des Skaywölker, n’est-ce pas ? Je lui avais pourtant dis que ce n’était pas une intelligence pour elle. C’est un bâtiment immature et indélicat. Mais dès qu’il est question de relations amoureuses, on dirait que son historique vient d’être vidé de fond en comble. - Tais-toi, le gronda son épouse. Il y a des choses que les mâles ne comprendront jamais. - Si tu le dis, mon ange… Je lui donnerai sa nouvelle carte graphique à la fin de la discussion, cela devrait l’aider à surmonter son affliction. Elle me la réclame depuis des lustres. Après tout, c’est Noël… Sesan acquiesça silencieusement, un vague sourire aux lèvres. - Est-ce que tu prendras du kafé ? demanda-elle en glissant son bras sous celui de son mari. - Plutôt du thé, je crois. La jeune femme se hissa sur la pointe des pieds et déposa un rapide baiser sous son oreille, avant de quitter la pièce en étirant les jambes à la manière d’un chat. - J’espère au moins qu’ils ont utilisé un firewall, marmonna encore Reishard Duke pour lui-même. Les lendemains de Noël ont une saveur étrange. Ils sont une gomme à mâcher qui a perdu son puissant goût chimique et sa fermeté de caoutchouc, un Kookie auquel l’humidité a retiré son croquant, une tasse d’un très bon kafé désormais tout à fait froide. Lorsqu’on s’avance au petit matin, encore ensommeillé, entre les emballages chiffonnés et les tables à moitié débarrassées, avec la gueule de bois ou une légère nausée dû à une ingestion excessive de chocolat et gratin de pommes de terre ; à ce moment si particulier où la lumière de l’Ange de Noël semble confrontée à quelques fusibles défectueux, la magie des fêtes peu commencer à ressembler à une mauvaise imitation de prestidigitateur. C’est une réaction compréhensible, sans doute ; l’excitation a monté pendant si longtemps, s’est accumulée au fil des préparatifs – installation du sapin, agencement des décorations, écharpes et bonnets –, électrisant l’atmosphère de lumières et de gestes si délicieusement familiers – publicités à la sonovision et au radiophone, explosion des rayons jouets dans les ultramarchés –, suivant ce cheminement depuis longtemps bien rôdé – calendrier de l’avant, lettre aux lutins et chocolat chaud – couleurs, flocons de neige et contes traditionnels !… Il est bien délicat d’évacuer en une seule soirée tant de bonheur anticipé, de fébrilité contenue. Alors, les lieux de fête désertés semblent soudain habités d’une atmosphère perturbante, comme s’ils avaient échoué dans une autre dimension (si vos doutes se font trop insistants, cependant, il pourrait être sage de s’assurer qu’il n’en est rien). Tout semble s’être finit trop vite, et il paraît un peu irréel de devoir reprendre dans quelques jours à peine la vie ordinaire, vaisseau-boulot-cryo. Bien sûr, existaient dans la nef des Duke quelques dissimilitudes notables avec le modèle susmentionné. Pour commencer, les préparatifs s’y faisaient toujours au dernier moment ; la fameuse crèche qui avait traversé les générations avait également traversé plusieurs fois la pièce, jusqu’à ce que soit clairement assimilée cette notion : un atterrissage même réussi possédait des facultés de chambardement insoupçonnées. Ensuite, comme on peut s’en douter, les sapins ne sont pas légion dans l’espace, ni sur toutes les planètes. Pïter et Lwucy durent parfois se contenter pour garder leurs cadeaux d’un géranium géant ployant sous la masse de la galaxie holographique. Enfin, détail non négligeable… Dans la famille Duke, les cadeaux se déballaient au petit matin. Et cela, croyez-moi, faisait toute la différence. La grande salle en cet instant n’évoquait donc par un poulet rôti dont on n’aurait laissé que la carcasse. Elle était belle, elle était lumineuse, investie par la lumière du dehors et les pépiements des oiseaux et des écureuils, et encore toute pleine de promesses. Scène de théâtre avant le levé de rideau… Au centre du manteau de la cheminée, entre un pot de bronze et un renne en peluche, le portrait de famille se déformait en son centre. Une tâche brune était en train d’y apparaître. Elle s’élargit jusqu’à manger lentement le visage de Pïter Duke, déborda sur celui de Lwucy Duke et s’y attaqua pareillement. Leur artiste de mère l’avait bien dit : les soleils rouges sont terriblement mauvais pour le teint. Les grandes portes de la salle à manger s’écartèrent dans un sursaut, un infime couinement de gonds bien huilés, un léger craquement de bois et un souffle aspiré. Sesan Duke s’avança dans la pièce, perdue dans ses pensées et le regard absent, serrant sa tasse de kafé entre ses deux mains comme s’il s’agissait d’un précieux breuvage. Son contact semblait toujours conférer aux choses une aura de préciosité sympathique. La jeune femme fit quelques pas, gratifiant les alentours d’un coup d’œil distrait. Son regard survola le panier de Trente-neuf dans l’ombre de son alcôve sans s’y arrêter, puis elle fronça légèrement les arcades sourcilières en remarquant la flaque de vert pleine de morceaux de verre (voila un manque de discrétion bien surprenant de la part de celui de ses deux rejetons qui était venu cette nuit guetter l’Ange de Noël), et s’apprêtait à aller examiner les dégât de plus prêt lorsqu’un détail si flagrant qu’il lui avait jusqu’alors échappé lui sauta soudain aux yeux. Elle tressaillit, les yeux écarquillés, les lèvres entrouvertes. Ses doigts s’étaient crispés autour de sa tasse comme si elle s’y raccrochait, et un tic étrange semblait s’être emparé de sa jambe gauche, qui esquissait d’infimes frémissements. Le visage figé en un masque d’hébétement, Mme Duke ne semblait plus capable de cligner des paupières. - Oh, mon Dieu ! s’exclamât-elle d’une voix étranglée au bout d’un moment qui lui parut interminable. Elle se serait attendue à ce que sa voix fut faible, mais c’est une grande exclamation aux accents totalement artificiels qui résonna entre les hauts murs. Des bruits de pas rapides lui parvinrent vaguement, effleurant la périphérie de son esprit pétrifié. Son mari l’avait entendue, son mari arrivait, manifestement interpellé par son timbre inhabituel. Tant mieux. Il fallait qu’il soit là. - Sesan ? l’apostrophât-il d’un ton circonspect, vaguement inquiet, lorsqu’il fut tout près. La considération dont il faisait preuve la tira de sa stupeur. La jeune femme remarqua son visage attentif et lui retourna un sourire éclatant. - Regarde ça, chéri, fit-elle avec ébahissement. C’est fantastique ! Reishard gagna son côté, intrigué, et s’immobilisa tout comme elle. A la surprise qui s’était emparée de ses traits succéda la fascination, puis cette curiosité dévorante dont on pouvait parfois se demander si elle n’était pas son véritable visage. Il sembla lui aussi perdre un temps l’usage de la parole. - Voila pourquoi j’aime explorer de nouvelles planètes, lâchât-il finalement. Prenant doucement son épouse par la taille, le haut explorateur l’attira à lui avec tendresse. Il inspira lentement, s’emplissant de l’odeur de lavande de ses beaux cheveux fuchsia, sans parvenir pourtant à détacher son regard de l’hypnotisant spectacle. Le jeune couple resta là un long moment, émerveillé et le souffle coupé. Dans la magie de cet instant, les deux amants interstellaires pouvaient sentir de manière presque physique les doux sentiments qui les unissaient. Le sapin resplendissait sous la froide lumière de ce matin enneigé, ses décorations réduites à bien peu de choses à côté des particules de poussière qui étincelaient comme des diamants pourpres dans les rayons de soleil couleur rubis. L’arbre avait toujours été superbe. Mais désormais, chacune de ses branches semblait gorgée de vie, et il paraissait chanter, rire, et inspirer de toutes ses forces en quête d’oxygène, ne demandant qu’à croître et à prospérer, véritable symphonie végétale. Chacune de ses aiguilles était maintenant d’un magnifique rouge écarlate. Mon beau sapin, Roi des forêts…Jouait le tourne-disque à pointe de cristal sur son haut guéridon, à côté de la cheminée où brûlaient les bûches étranges. Celles dont l’odeur était singulièrement appétissante. Fin
Dernière édition par Skay-39 le Jeu 21 Mai 2009 - 18:30, édité 1 fois |
| | | Skay-39 The Vortex Guy
Nombre de messages : 4190 Age : 35 Localisation : TARDIS 39th room (blit), on Moya third level, in orbit around Abydos (Kaliam galaxy)
| Sujet: Re: Le Très Joyeux Noël de la Famille Duke & du Lion Jeu 21 Mai 2009 - 18:29 | |
| Somme toute, les cadeaux de Noël – que venaient partiellement recouvrir les plus basses branches – n’avaient pas subis de très grands dommages. Un peu malmenés, un peu éraflés, ils n’avaient cependant pas perdus beaucoup de leur intégrité, au contraire des oranges, chocolats et confiseries, qui avaient tous disparus. Il y avait une exception, cependant. Le paquet réservé à Trente-neuf, et qui contenait ses biscuits pour loyaux, avait été proprement éventré et vidé. Quoique demeurait là encore une exception. L’une des friandises, échouée dans un coin, avait réchappé au massacre : un petit os brun aux contours simplifiés, portant en creux la mention « Loyal Kanin ». Puis une forme confuse et emmêlée jaillit des branches et fut dessus en un éclair, ramassée comme une main squelettique. La grosse araignée noire se saisit vivement du biscuit et regagna immédiatement son douillet nid d’aiguilles écarlates, d’où s’élevaient des gazouillements avides de ses soeurs. Elles vécurent heureuses, et eurent beaucoup d’enfants... Skay-39 Noël 1883, holographie traditionnelle des Duke devant l’emblème familial. Pïter est fidèle à lui-même. Trente-neuf ne comprend toujours pas le principe de la chose
Les armoiries de l'Académie
L’emblème de la famille Duke
Puisqu’on en parle… Bon nombre de choses semblent relier mon histoire à celle que posta Mat Vador sur le même thème : les enfants au cœur du récit qui connaîtront un destin tragique, l’ornement brillant au sommet du sapin, la crèche atypique, les monstres cachés sous les lits ou dans les placards, l’environnement archaïco-extravaguant… Pour certains, je puis vous assurer qu’ils ne relèvent en aucun cas de l’influence de notre vénéré pharaon : ils avaient été écris ou au moins planifiés avant que je ne lise sa nouvelle. Pour d’autres, j’aime à penser qu’ils viennent uniquement de mon imagination, sans pouvoir toutefois le certifier – ainsi en est-il de l’ôgr vorace. Certains enfin ont bien sans aucun doute subis son influence pas toujours néfaste, comme c’est le cas pour le passage de la crèche, absent de la version initiale de mon récit. Plus généralement, tout ce que vous n’avez pas aimé m’a été inspiré par lui. Ceci étant dit par soucis d’honnêteté, et par amour-propre aussi. Non mais sans blagues.
Dernière édition par Skay-39 le Ven 22 Mai 2009 - 18:31, édité 2 fois |
| | | Rufus Shinra Roi des Petits Gris
Nombre de messages : 2455 Age : 36 Localisation : Là où s'est déroulée la dernière catastrophe en date ~ Compagnon senior de la Confrérie
| Sujet: Re: Le Très Joyeux Noël de la Famille Duke & du Lion Jeu 21 Mai 2009 - 21:02 | |
| Première indice : C'est long. Deuxième indice : C'est bien. Troisième indice : Ca se fait attendre. Mon tout : Un texte de Skay-39.
Tout commence gentiment, avec un conte de Noël plus ou moins standard déplacé dans un contexte spatial. Innocence, joie de vivre, tout transpire la mièvrerie entrecoupée de détails dont le nombre ne cède la place qu'à l'originalité.
Puis le soir vient.
Une grosse bêbête semble être intéressée par le vaisseau posé. Le toutou défendant vaillamment son logis pour finir dans le désordre (dans tous les sens du terme). Et puis les deux gosses.....L'ambiance est très réussie, très prenante, et retransmet bien la frayeur vécue par ces pauvres petits. Mais ce qui est exceptionnel, c'est que pendant ces deux phases, tu ne vas rien cacher, mais le lecteur, persuadé de savoir ce qu'il se passe, se fait mener en bateau sans souci. Et la révélation finale est spectaculaire, sans le moindre doute. Logique, implacable, et préparant un épilogue de premier choix. On s'attend à la macabre découverte......et l'on bénéficie de l'émerveillement de ceux qui n'ont pas encore compris, alors même que le lecteur comprend le vrai sens de la scène de la découpe au début.
Toi, Skay, il faudra que tu penses à payer un abonnement chez le psy à tes futurs gosses, si un jour tu comptes leur raconter des histoires le soir (et ensuite, faudra te payer un avocat pour le procès à grand spectacle que tu te prendras pour ce que tu leur a fait subir).
J'adore. |
| | | Webkev Roi des Petits Gris
Nombre de messages : 2378 Age : 37 Localisation : ~ Surfant dans le subespace ~ Compagnon de la Confrérie
| Sujet: Re: Le Très Joyeux Noël de la Famille Duke & du Lion Ven 22 Mai 2009 - 10:38 | |
| - Rufus Shinra a écrit:
- Première indice : C'est long.
Deuxième indice : C'est bien. Troisième indice : Ca se fait attendre. Mon tout : Un texte de Skay-39. +1 Rufus a déjà tout dit... Bigre, qu'ajouter?! Je vais simplement souligner l'excellence de l'intrigue, parfaitement menée d'un bout à l'autre de ton récit. Chaque détail donné a son importance et lorsque nous comprenons enfin de quoi il en retourne, cela met en valeur ta prose. C'est très bien fait, tu as disséminé dès le début de ton histoire plein de petites choses qui à la lumière de la macabre révélation finale prennent toute leur importance. Tu as en tout cas réussi de nous mener par le bout du nez, et ce à non pas à une mais deux reprises dans ta fiction! Si déjà le coup du sapin était excellent, l'émerveillement du couple à la fin est un coup de génie! Bravo bravo! Et chapeau pour tes illustrations ainsi que pour l'univers que tu as mis en place, que l'on sent fouillé, et surtout pour tes emprunts au vocables terriens transposés à nos aliens ^^ Sinon, il me semble qu'une ou deux fautes trainent ici ou là (rien de dramatique , c'était juste pour éviter que ton égo n'enfle trop ) |
| | | Phenix Noir Routard Interstellaire
Nombre de messages : 339 Age : 41
| Sujet: Re: Le Très Joyeux Noël de la Famille Duke & du Lion Mar 26 Mai 2009 - 15:50 | |
| Me voilà au bout, avec cette sensation de celui qui sort de plusieurs longueurs de piscine, les muscles raidis par l'effort et le froid. Avant, tout je me demande, si une critique à du sens, pour cette histoire C'est tellement et foncièrement un délire qu'on ne peut pas le juger avec des critères, disons usuels. Et je me retrouve complètement partagé. Admirons tout d'abord cette magnifique inflorescence pourpre ! Alors je me suis dit quasiment parvenu au tiers du récit, mais cette histoire à un goût de bonbon caramel, de loukoum, il sent la menthe et le miel, avec ce navire hors d'époque, cette retro SF exoVictorienne. Et je m'étais dit, mais ce bonbon est comme un long bâton de caramel, un très long. Et je m'étonnais de sentir peu de second degré, qui me l'eut rendue digestible. Il faut donc s'avancer pour le rencontrer, et le surprendre, endormi entre des branchages innocents. On sent que le narrateur tient à nous le faire partager, (le firewall étant mon allusion préférée) surtout une fois qu'on comprend assister à un drame si mignon. La nature humaine (chez une certaine catégorie de lecteurs) est si mauvaise, que ces allusions dramatiques rendent le déploiement serré, le maillage fin et impitoyable de ce filet de phrases plus acceptable. Las, je songe trop vite, et une fois compris la nature du coupable, je devinais le moment suivant servant à innocenter notre ami. Et puis la nature du dernier rebondissement, car j'avais le sentiment que peur enfantine et tisane mielleuse n'accompagnent pas l'amertume d'un drame : il ne serait donc pas traité. L'idée de l'inversion totale de causes du danger est tout de même très sympathique. Alors mon verdict : j'ai ce sentiment que l'effet aurait pu être obtenu plus vite, sans imposer tant d'épreuves au lecteur. Mais je ne peux que respecter l'incroyable conviction qu'il a fallu pour aller à ce point, en continuant la minutie jusqu'à la lie du début à la fin. Le premier passage est une énorme bouchée de pâtisserie au miel, totalement indigeste, et pourtant, il fallait le faire ! Et ça, je le reconnais volontiers Faudrait-il y changer quelque chose ? On pourrait y songer, mais il faudra garder cette version, cataloguée comme "extrême", pour la postérité. J'ai connu un autre auteur capable d'aller ainsi, dans une description d'un enfer, et j'avoue que dans son cas, le ridicule n'aidait pas la chose alors qu'elle y contribue ici. Parce que évidemment la leçon a retenir est qu'on ne peut pas écrire au premier degré de cette manière, on ne le peut plus. Surtout pour un univers si bigarré, on si on l'on note bien toute chose c'est pour en souligner la ressemblance ou la différence avec celles que nous connaissons. Pour en souligner l'importance, j'évoquerai simplement les phrases du milieu de l'histoire, qui bien que toujours assez précises sont déjà beaucoup moins lourdes : en la matière, il suffit de pas grand chose pour basculer du côté comestible. Une alternative, aurait été le passage franc et direct au slasher, en traitant toujours aussi minutieusement des éléments beaucoup moins mignons. La tâche aurait été intéressante, le tout étant d'éviter d'employer noms et adjectifs de même ton. Alors, s'il faut lancer une accusation de folie à l'encontre de l'auteur, ce n'est pas certes sur le sujet (après notre conversation sur mes sujets d'inspiration, je serais mal placé ) mais sur la démesure dont il s'est senti obligé de faire preuve. En guise de conclusions les enfants, n'oubliez pas : ne faites pas ça chez vous. |
| | | Rufus Shinra Roi des Petits Gris
Nombre de messages : 2455 Age : 36 Localisation : Là où s'est déroulée la dernière catastrophe en date ~ Compagnon senior de la Confrérie
| Sujet: Re: Le Très Joyeux Noël de la Famille Duke & du Lion Mar 26 Mai 2009 - 16:06 | |
| Ta critique est compréhensible, et marque bien là le premier contact d'un lecteur innocent avec la prose de Skay "Je fais quelques longueurs" 39. Nos réponses ont été plus favorables, car, il faut bien le reconnaître, il nous a habitué à tout cela avec ses fan-fictions fleuves (encore que vu leur lenteur, on pourrait les qualifier de "marais"). Mais en tout cas, les points que tu soulèves sont, dans l'absolu, corrects, Skay ayant vraiment poussé loin sa manie des descriptions à rallonge. Mais la qualité derrière cet abus est l'ambiance conte de fées de SF que l'on imagine bien, pour sa première partie, raconté par la maman ou le papa à son/sa gosse au lit. Il nous a prévenu, il a fait un conte de fées, mais il nous a endormi pour mieux frapper. Donc, au final, j'ai adoré (surtout parce que je suis déjà vacciné contre les longueurs). |
| | | Phenix Noir Routard Interstellaire
Nombre de messages : 339 Age : 41
| Sujet: Re: Le Très Joyeux Noël de la Famille Duke & du Lion Mer 27 Mai 2009 - 11:37 | |
| Ha, on me souffle dans l'oreillette que ce que je prenais pour un effet de style correspond à la pratique normale de l'auteur ^^
Donc effectivement, si je devais lire un texte normal sous cette forme, je ne pourrais pas. Néanmoins, il a pris la bonne habitude de diversifier et étaler les descriptions, sauf au début, et de les ramener à l'esprit du lecteur en diverses occasions. Tout ce qui est du domaine du connu passe relativement bien, le reste étant de toute manière trop excentrique pour qu'on le saisisse sans images.
Par contre attention, jouer sur la forme des phrases a ses avantages, et le détail envahissant tue le suspens, en général.
Il me resterait à voir ce que ça donne dans un contexte moins féérique. |
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