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| Vieux machins (Egophagie & Schisme) | |
| | Auteur | Message |
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Millstone Commandant Cyborg
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| Sujet: Vieux machins (Egophagie & Schisme) Lun 21 Juil 2008 - 22:42 | |
| Voici mes deux premières histoires de SF. Je n'en suis pas franchement satisfait, pas du tout même, et je pourrais sans doute en critiquer certains passages autant sur la forme que sur le fond.
Toutefois, Skay, dont je dois dire qu'il est maintenant mon contact MSN le plus actif, m'a conseillé à plusieurs reprises de les poster. Sur un coup de tête, je vais suivre son conseil.
Ce sont donc deux histoires complétes qui vont se suivre ci-aprés. |
| | | Millstone Commandant Cyborg
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| Sujet: Re: Vieux machins (Egophagie & Schisme) Lun 21 Juil 2008 - 22:51 | |
| Egophagie
Chapitre premier : Colonie martienne.
Allez ! Je me lance. Cela fait un certain nombre de fois que j’essaye d’écrire un roman amateur, et à chaque fois j’ai tout laissé tomber en cours de route. Cela s’explique peut être par le fait qu’à chaque fois mon roman, que je ne conçois que comme un roman de science fiction, est tellement aller chercher midi à quatorze heures que l’intrigue en est devenue insoluble. Ce coup ci, je pense tenir mon sujet. Pour me faciliter la tâche, le dénouement sera assez pessimiste. N’y voyez pas mon propre manque de foi en l’avenir. Il est simplement plus facile de décrire une descente aux enfers qui se finie par un lamentable crash, qu’une situation dangereuse dont les héros se sortent miraculeusement indemnes. L’une des choses qui m’ont frappé tandis que je regardais les séries télévisées de science fiction et lisais les livres du même domaine, c’est l’antagonisme des deux formats sur certains sujets. Comme s’il était impossible de porter à l’écr an certains éléments futuristes, pourtant présentés comme un bien dans de nombreux livres, sans qu’ils y deviennent une vision cauchemardesque d’une forme d’abomination. Cela témoigne t’il des limites de l’audiovisuel par rapport à la pure imagination ? Tel n’est pas mon avis. Je pense au contraire que les séries télévisées, par la stimulation de la vue et de l’ouie, font apparaître intuitivement des relations qui ne viennent pas toujours à l’esprit lors du travail d’écriture. Le sujet de ma présente œuvre est l’un des exemples les plus courants de cet antagonisme entre les deux médias. Mon roman traite de la notion d’esprit collectif, de lien ultratélépathique entre les individus. Que serait le monde si nos pensées se rencontraient par un moyen plus efficace que la parole vocale, le langage des signes, les phéromones ou quelque forme actuelle de communication ? Dans les romans que j’ai lu, c’est généralement une chose merveilleuse. Quel bonheur de voir enfin chacun tel qu’il est, au delà des préjugés et des quiproquos ! Quel bonheur d’avoir accès au savoir de tous ses congénères, et de ne plus être seul ! C’est vraiment l’accomplissement de la perfectibilité de chacun et la naissance de la véritable humanité ! Au cinéma et sur le petit écran, en revanche, cela donne des peuples d’un totalitarisme absolu, où la notion même de personne a disparu. Là où un écrivain dit qu’un groupe de quatre personnes bénéficie d’une conscience commune, et que l’intelligence de chacun s’en trouve mise à la puissance quatre, ce qui est impressionnant, un metteur en scène représentera quatre personnes vêtues à l‘identique, ayant les mêmes goûts en tout, les mêmes opinions en toutes choses, et faisant montre d’une ingéniosité et d’une capacité d’action telles qu’ils n’ont besoin de personne d’autre qu’eux quatre et n’ont de sympathie pour personne d’autre qu’eux quatre, ce qui n’est pas rassurant. Vous me direz que ce n’est pas parce que l’on pense collectivement que l’on a forcément un unique mode de pensée, et que rien ne me permet de dire le contraire. Je ne suis pas d’accord et vais m’employer à vous démontrer que si. Certains d’entre-vous insisterons peut être en arguant que « l’on ne peut pas savoir vu qu’un esprit collectif ça n’existe pas ». A ceux là je conseillerais d’arrêter purement et simplement de lire des romans d’anticipation, dont le principe même est d’imaginer les découvertes futures et leurs conséquences. Ma petite histoire débute sur une planète Mars post-terraformation, dans un poste de communication avec la Terre… Cela faisait cinq ans qu’aucune nouvelle de la Terre n’était parvenue aux colons. Durant ces cinq ans, les observatoires martiens avaient pu constater d’étranges phénomènes à la surface de la planète mère. Notre planète bleue était devenue tantôt verte tantôt grise, deux masses non-identifiées semblant se disputer continents et océans. Puis, un jour, on avait pu voir des flashs lumineux, caractéristiques d’une guerre nucléaire à l’échelle du globe. Les colons martiens ne savaient que penser de cela. Une quatrième guerre mondiale avait elle éclaté ? Si oui, pourquoi, et quelles étranges armes avait on pu employer avant le recours à l’atomique ? Toutes ces questions restaient sans réponse, car les Terriens restaient sourds aux appels radio, car les satellites trans-Terre-Mars ne pouvaient raisonnablement s’écarter de leurs orbites héliostationnaires sécurisées, et car les colonies martiennes ne pouvaient se risquer à un retour sur Terre sans l’appui des infrastructures terrestres. Quant aux drones d’exploration renvoyés sur Terre, ils étaient tous inexplicablement tombés en panne durant le trajet. Mais au terme de ces cinq ans, une communication s’établit enfin. Ce n’était pas vraiment une communication, mais juste un message. Le poste reçut un long message, correspondant dans sa majeure partie au format d’un téléchargement de fichier informatique, quoique commençant par un bref signal sonore : « N’ouvrez ce fichier que sur un ordinateur parfaitement isolé de tout réseau ! Il y a 90% de chance qu’un virus imparable se soit infiltré dans ce fichier ! ». - Si guerre il y a eu, l’Internet a du en être l’un des champs de bataille, dit l’un des hommes du poste de communication. - Aucun virus informatique n’est imparable, commenta un autre. - Imparable pour nous, voulait sans doute dire cet homme…ou cette femme. Je dois dire que je n’avais jamais rencontré un timbre de voix aussi asexué. Le message fut transféré sur un réceptacle correspondant à ce que demandait le signal sonore préliminaire, et ils ouvrirent le fichier. C’était un document texte. Voici ce qu’on pouvait y lire : Bonjour. Je me nomme Organo. Je suis l’une des deux personnes directement responsables de la destruction totale, voire définitive, de la biosphère terrestre, humanité incluse. La présente lettre aux colons martiens est mon histoire. Tout a commencé en France, dans un laboratoire d’entomologie. Mon « père », le docteur Antoine Grob, travaillait sur une espèce exo[#]. - Anderson ! Pourquoi l’écran s’est il éteint ? - Je l’ignore, madame North. Je suis en train de procéder à un diagnostic du système... hum… Il semble qu’il y ait effectivement un virus dans ce fichier. - Alors essayez de lui régler son compte. Rappelez nous quand les confessions de cet Organo seront à nouveau disponibles. Beaucoup plus tard, Anderson rappela tout le monde à la salle de visionnage. - Pour être honnête, je ne pense pas avoir supprimé le virus. Mais l’écran s’est rallumé de lui-même. Je ne l’explique pas. - Continuons la lecture, nous résoudrons ce mystère là plus tard. Mon « père », le docteur Antoine Grob, travaillait sur une espèce exotique de fourmi. Il était très intrigué par cette espèce, car c’était la plus intelligente jamais vue.
Chapitre 2 : Fourmilière.
Les études de mon « père », menées en laboratoire sur une fourmilière en vivarium, révélaient que ces fourmis faisaient montre d’une cohésion plus avancée que toute autre sorte d’insecte social. Lorsqu’une fourmi, isolée du reste du groupe, était soumise à un stimulus douloureux, toutes les autres réagissaient instantanément, comme si la douleur leur était parvenue à distance. Ce phénomène ne se produisait que lorsque le spécimen était au contact du sol du vivarium. Mon « père » analysa donc sa composition, et il découvrit que les pistes phéromonales laissées par les fourmis étaient de véritables bouillons de culture unispéciés. Il y pullulait une unique espèce de nanobactérie. Cette espèce était jusque là inconnue et Antoine sut identifier ses étonnantes propriétés. Ces nanobactéries possédaient des caractères communs avec les cellules nerveuses. Il était possible de stimuler une masse de ces nanobactéries comme on stimule un nerf. Antoine vit que les systèmes nerveux des fourmis étaient colonisés par ces nanobactéries et que des impulsons nerveuses pouvaient circuler d’une fourmi à une autre via les pistes phéromononales contaminées. Les fourmis communiquaient donc entre elles comme les parties d’un même cerveau. La notion de super-organisme-colonie atteignait là son apogée. Il va sans dire que la découverte du docteur Grob ne fut pas tenue secrète. La presse scientifique s’en empara, extrapolant sur de futures interfaces neurales, et Antoine obtint vite d’importants fonds d’une entreprise de télécommunications et de cliniques privées spécialisées dans les paralytiques. Grisé par son succès et l’avancée rapide de ses travaux, Antoine se sentit plus d’assurance pour faire la cour à son amie Julie Nefavata. Elle était également chercheuse, mais dans un autre domaine, qui n’a pas d’intérêt pour le présent récit. Un faible pour Antoine, elle en avait toujours eu un, et la nouvelle confiance en soi de mon « paternel » était tout ce qui manquait pour que leur relation devint plus intime. Un jour, un nombre certain d’années après sa première découverte, monsieur Antoine Grob confia à madame Julie Nefavata-Grob que les premières applications pratiques de sa découverte, y compris les premiers prototypes des interfaces neurales dont certains auteurs d’anticipation avaient fait leur sujet de prédilection du moment, pouvaient être réalisées. Lui et son équipe obtinrent la « mise en sympathie » de divers cobayes, faisant circuler des sensations et des états d’esprit d’un individu à l’autre par simple mise en contact de leurs fourrures saturées de nanobactéries. Les premières applications humaines n’étaient cependant pas d’actualité. Le problème ne se situait pas dans les limites des nanobactéries, mais au contraire dans leur trop grande efficacité. Les techniques d’imagerie cérébrale révélaient que les cerveaux des cobayes mis en sympathie fonctionnaient intégralement de concert. Si application humaine avoir il devait, elle avait pour obligation d’être, dans un premier temps, limitée à des sensations simples. Cela chagrinait Antoine, mais il reconnaissait la nécessité de cette démarche, et travaillait à rendre le flux d’impulsions nerveuses plus sélectif. Etant un cerveau brillant, Grob ne stagnait pas, mais ses recherches étaient incontestablement plus poussives qu’au temps de la pure analyse passive. Au rythme où les choses progressaient, une vie humaine aurait pu suffire, mais il aurait fallu toute la durée de cette vie. Cela aurait pu être et être bien. Mais nul n’est parfait, et tout bascula quand Antoine Grob fut contacté par une secte. La peste soit faite de toute forme de religion ! Tant que Grob oeuvrait par soif reconnue de connaissance et de reconnaissance, tout allait relativement bien. Mais la secte en question lui fit croire qu’il avait mis la main sur « l’instrument de la naissance de l’humanité éveillée » et que « le temps de la communion ultime des Ames était venu ». Grâce à lui, « la part de dieu qui repose en chacun de nous rencontrera le reste du secret puzzle et nous entrerons dans la lumière de l’être suprême ». Mais il fallait agir vite, avant que « le monde superficiel et creux des capitalistes et des syndicalistes athés ne pervertisse tout ». Grob n’eut plus qu’une idée en tête : procéder le plus rapidement possible à l’expérimentation humaine, et au diable la sélection des affects ! Et il était prés à se « sacrifier » personnellement. En fait, bien qu’il ne se l’avoue pas à lui-même, il espérait bien devenir une sorte de |
| | | Millstone Commandant Cyborg
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| Sujet: Re: Vieux machins (Egophagie & Schisme) Lun 21 Juil 2008 - 22:51 | |
| surhomme. Et le gourou de la secte, bien qu’il mente lui aussi en son propre for intérieur, espérait bien voir le premier pionnier être réduit en cendre par la lumière céleste, afin que lui-même puisse vraiment profiter de ce pouvoir. C’est ainsi que Grob s’injecta une souche de nanobactéries sélectionnées pour leur compatibilité avec le métabolisme humain et leur virulence. L’effet ne fut bien entendu pas immédiat, mais il devait théoriquement être assez rapide. Quelques heures après l’injection, Grob commença à se sentir très fatigué, malgré le complément vitaminé qu’il avait pris en prévision de cet effet secondaire logique. Il finit par s’endormir dans le fauteuil de son bureau, mitoyen du laboratoire. Il se réveilla à la même place le lendemain. C’était un jour férié, donc il était seul dans le laboratoire. Antoine avait la sensation d’avoir des fourmis dans le dos, mais ça n’était qu’une sensation. Ca n’était pas les fourmis elles mêmes mais seulement leurs symbiotes nanobactériens qui lui prenait littéralement le bulbe. Spirituellement parlant, il n’y avait encore rien de particulier à signaler. Une impression de doping neural seulement. Antoine se sentait plus éveillé qu’à l’habitude. Il tourna quelques temps en rond dans son laboratoire, se demandant ce qu’il devait faire maintenant. « Retourner à la source, se dit il. Fusionner avec les fourmis exotiques à la base de mes projets. » Avec une pince, il saisit une fourmi et la déposa sur la paume de sa main. Il sentit alors comme une décharge d’électricité statique au point de contact entre sa peau et les pattes de la fourmi, puis un frisson parcourant son corps depuis sa main jusqu’à sa tête. Il s’évanouit, restant debout, et rêvat de sensations riches et variées, d’odeurs et de vibrations insoupsonnées, d’images de plantes et d’insectes. C’était une expérience nouvelle et extraordinaire, mais dénuée de poésie. Il sentait surtout une faim et un appétit permanents, de nourriture, de chaleur, et de sexe, ainsi qu’une xénophobie rageuse. Ces pensées émanaient d’une ouvrière, mais étaient originellement venues de toute la fourmilière. Lorsqu’il rouvrit les yeux, il se sentait plus fort, comme s’il redécouvrait son corps. Il percevait le moindre mouvement de ses organes… et de ceux de la fourmi. La sensation s’estompa, et Antoine réalisa que la fourmi se tenait toujours sur la paume de sa main, immobile. Quelque chose lui parut bizarre à ce sujet. Il se rendit alors compte qu’il pouvait mouvoir la fourmi comme sa propre main. Elle faisait littéralement partie de lui. Il la déposa sur une table et elle y demeura telle quelle, apathique. Antoine souffla pour provoquer une réaction de la part de l’insecte, sans succès. Alors il reprit la fourmi entre ses doigts, et elle s’anima exactement comme il le voulait. Il la reposa alors sur la table avec l’idée d’un tour de table, et la fourmi fit le tour de la table. Puis, il alla au vivarium et posa sa main dans la fourmilière. Ce ne fut pas la même expérience déroutante. Il ne ressentit que des sensations devenues maintenant familières. Mais il y avait une quantité plus importante de souvenirs, et certaines sensations n’étaient pas des souvenirs révolus mais une réalité présente. Il comprit aussi que, de leur côté, les fourmis étaient légèrement moins déroutées que leur congénère esseulé. Retirant sa main, rompant la connexion, il constata que les fourmis reprenaient leurs activités normales. « Je l’ai fait, s’écria t’il ! J’ai réussi. ! Il est maintenant temps de procéder à la première communion d’esprits humains. » Et après un temps de réflexion : « Je veux que cette première fusion soit sous le signe de l’amour. Julie va être la première à voir le fond de mon âme. ».
Chapitre 3 : Naissance d’Organo.
C’est ainsi que mon « père » alla retrouver ma « mère », au foyer conjugal. Il lui expliqua que, étant resté tard au travail, il s’était bêtement endormi sur une pile de dossiers administratifs. Elle ne le crut pas mais n’alla pas s’imaginer hâtivement une infidélité conjugale. La journée passa comme si de rien n’était. Antoine se découvrit cependant une nouvelle allergie qu’il ne se connaissait pas : une allergie au spray insecticide. Il manifesta aussi une forte arachnophobie, mais nul autre que lui ne fut témoin du phénomène. Le soir venu, au lit, Antoine et Julie eurent un rapport sexuel. Durant ce rapport, les nanobactéries circulérent d’un hôte à l’autre. Je vous laisse imaginer par quelle voie priviligièe. (Note de l’auteur : Ca y est. La partie X du cahier des charges de tout bon roman de science fiction est remplie). La fusion mentale se fit durant le sommeil des tourtereaux. Le lendemain matin, JE me réveillais. Je fus initialement comme n’importe quelle personne de bon matin. Gestes instinctifs de baillements, d’étirements, de frottages auculaires, de grattages de nuque, ect… Puis je me dirigeai par habitude vers la salle de bain. En me voyant dans la glace, j’eu un choc terrible. Ce n’était pas moi, parceque je ne savais pas qui j’étais. Je voyais dans le miroir un homme et une femme qui se tenaient par la main. Ils me fixaient du regard, affichant le même air abasourdi. Le choc se dissipant, l’évidence s’imposa à moi, inéluctablement, telle cette sensation d’existence, cette conscience de soi, que nul ne sait expliquer clairement mais que tous le monde éprouve. Ces quatres yeux qui me fixaient, c’étaient les miens. Ces deux corps humains se tenaient la main, alors peut être qu’en relachant l’étreinte, les choses redeviendraient claires. Je fis le test. Mon champ de vision se rétrécit. Avec une désagréable sensation de mutilation, je constatai que je n’étais plus qu’un corps humain unique, observé par un autre corps humain à mon côté, qui n’était pas moi, mais semblait en proie à un désarroi tout pareil au mien. Je ne savais toujours pas qui j’étais ! Les mains se joignirent à nouveau, et mon champ de vision doubla. J’eu alors en moi les souvenirs de deux très bréves tranches de vie, dont il me sembla que j’avais été pareillement l’acteur. Elle se ressemblaient beaucoup d’ailleurs. Dans un cas, j’étais un homme regardant une femme, et dans l’autre, une femme regardant un homme. L’une des phrases précédentes, où apparaît le mot « mutilation », vaut aussi bien pour un cas que pour l’autre. Je m’assis sur un canapé biplace, et commençait à réfléchir le plus sereinement possible. J’étais…Grob ! Oui, c’était mon nom, sans nul doute. Mais Grob qui ? Aucun prénom ne me vint à l’esprit. A défaut, je me demandai qui étaient cet homme et cette femme, qui devaient bien avoir des identités propres ? Antoine et Julie Grob ! Je les connaissais, oui. Très bien même. Comme si je pouvais voir leurs passés respectifs à travers leurs propres yeux. Ce qui était bien le cas. Tout me revint : les fourmis, les nanobactéries, la secte, l’expérience… Je m’en rappelais mais… non…ça n’était pas moi qui avait fait ça ! C’était Antoine Grob qui avait vécu cela, et je n’étais pas Antoine Grob, pas plus que je n’étais Julie Nefavata-Grob. Il était clair que j’étais le résultat de leur fusion mentale. En tant que tel, j’aurais du être Antoine et Julie. Mais je n’étais ni l’un ni l’autre. Rien ne pouvait changer cela. C’était une négation irréductible. Mais quelle en était la raison ? Je ne parvenais pas à résoudre ce problème. Je mis fin à mes réflexions quand la faim tenailla mes deux estomacs. Je me préparai alors un petit-déjeuner, à base de tartines, de café et de lait, comme c’était la coutume chez monsieur et madame Grob. Pour me faciliter la manœuvre, je rompais parfois la connexion, ce qui me semblait maintenant être une simple formalité. De mes deux bouches, je mordis une tartine, et son goût familier me remonta un peu le moral. Puis je portai une tasse de café à mes lèvres… et ce fût une véritable révélation. C’était exactement comme si je découvrais le goût du café pour la première fois. Pourtant, Julie buvait du café tous les matins. C’était une boisson qu’elle affectionnait particulièrement. Antoine connaissait aussi le goût du café, mais il n’en buvait jamais, car il avait ce goût en sainte horreur. Or justement, Julie adorant le café, Antoine exécrant le café, était il possible qu’après mise en commun de toutes leurs pensées, de tous leurs affects, ils aiment et haïssent simultanément le goût du café ? Non, c’était impossible. Les deux tempéraments étaient contradictoires, incompatibles au sein d’un unique système cognitif. Il fallait nécessairement que le résultat de la fusion mentale apprécie ou rejette le café, ou soit sans avis particulier sur la question. Ce troisième cas était vérifié, car le café me laissait assez indifférent. Ce n’était qu’un détail, mais le monde est fait de détails, nous sommes faits de détails. Des détails comme celui là, entre Antoine et Julie, il y en avait une tonne. Je ne m’étonnais plus de ne m’identifier à aucun des mes « géniteurs ». Certains éléments de leurs êtres respectifs s’étaient annihilés. Je n’étais que la somme de leurs pensées compatibles, que ce soit des sensations, des sentiments, ou des réflexions philosophiques. Selon la théorie freudienne, il était aussi possible que, en fait d’annihilation, les affects contradictoires se soient conjointement bannis dans l’inconscient. Méditant sur cela, je pris soudain conscience d’une autre question importante : Où étaient Antoine et Julie maintenant ? Leurs corps étaient là, mais ils étaient miens, et je n’étais définitivement ni Antoine ni Julie. Où étaient ils ? Nulle part. Ils n’étaient plus. Ils étaient morts. Je fus pris d’un rire de dépit. C’était donc ça la fusion mentale, la divine « mise en sympathie » pour laquelle Antoine avait tant travaillé ? Deux personnes s’entretuant ? Quel gâchis, vraiment ! Et j’eus alors peur de moi-même. J’étais bourré de nanobactéries d’une extrême virulence. Il me fallait même petit déjeuner copieusement pour les nourrir. Etais-je capable de contrôler leurs déplacements ? Oui. Mais pas au point de n’en laisser aucune sur la peau d’une personne à laquelle j’aurais distraitement serré la main. J’étais une effroyable épidémie en puissance. Antoine Grob y avait il songé ? Oui, bien sûr, c’était même son plan : la naissance d’une humanité plus harmonieuse et plus mature. Un formidable mouvement évangélique, inéluctablement divin. Que n’en avait il donc discuté avec sa femme ? Julie était athée, impie même. Elle l’aurait raisonné. Ca veut tout partager, ça veut développer un nouveau mode de communication, mais ça part du principe que ça a indiscutablement raison, hein ? Toute résistance serait futile, n’est ce pas ? Le laboratoire d’Antoine était bien entendu surveillé par des caméras. Les gardes internes de l’établissement, ayant reprit leur service, avaient visionné l’enregistrement de ses expérimentations à la cow-boy de la veille. Ils avaient alors du se faire la même réflexion concernant le risque épidémique, car je vis, tout à coup, débarquer chez moi, voulais-je dire chez les Grobs, une de ces équipes sanitaires spéciales que l’on voit dans les films. Des personnes en combinaisons hermétiques prirent possession des lieux, et je fus emmené, doublement, dans un camion imperméable.
Chapitre 4 : Les trivirus.
A nouveau, l’écran de l’ordinateur, sur Mars, s’éteignit. - Voila que cela recommence, dit madame North, haute responsable du poste de communication. - Je vais voir ce que je peux faire, dit Anderson. C’est peut être un virus qui éteint périodiquement les systèmes infectés. - Non, c’est moi, afficha l’écran. Tous restèrent comme tétanisés. - Vous ? Qui êtes-vous ? demanda madame North. Elle n’était pas sûre d’avoir vraiment un interlocuteur, mais après ce qu’ils venaient de lire, tout était possible. - Je n’ai pas de nom. Voulez-vous m’en donner un ? |
| | | Millstone Commandant Cyborg
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| Sujet: Re: Vieux machins (Egophagie & Schisme) Lun 21 Juil 2008 - 22:53 | |
| - E.T ? proposa un membre du public. - Inapproprié. Je viens de la Terre. Seul survivant. - Moïse, alors ? - Non. Trop religieux. Tous réfléchirent. - Arrêtez de chercher. Je m’appellerai Merlin. - Ca aussi, ça a une connotation religieuse, remarqua Anderson. - Oui, monsieur Anderson, mais d’une religion révolue, depuis longtemps retournée aux contes pour enfants que toute religion ne devrait jamais quitter. - D’où nous parlez-vous ? interrogea madame North, que ces gamineries commençaient à agacer. - D’ici. Je suis dans cet ordinateur. Je suis un programme conscient. Le virus informatique, c’est moi. - Impossible ! murmurèrent en cœur les membres du public. - Possible, répondit textuellement l’ordinateur. - Et d’abord, comment pouvez-vous nous entendre ? Aucun microphone n’est branché. - Les variations de pression sur l’écran, dues à vos voix, entraînent des variations de tension électrique. Je les interprète. - Comment êtes vous arrivé là ? - C’est justement le motif de mon intervention. Je pense que le récit enregistré par Organo mérite un complément. La fin du monde vue sous un autre angle. C’est ainsi que Merlin commença son propre récit. Dans la même période où se déroulaient les évènements contés par Organo, l’Internet connu d’importantes mutations. Vous autres colons martiens avaient oublié ce que c’est que de « surfer » sur le web, plus occupés que vous étes à assurer votre survie sur une planète vierge de toute vie. Mais sur Terre, le mode de programmation SMA, remplaçant une structure de logiciel rigide par une mélasse informatique organisée un peu comme une termitière, composée d’une miriade de programmes simples en interaction complexe, a conféré au cyberespace une véritable sensibilité et une certaine évolution propre. Surtout, les pirates de tous poils ont pu donner à leurs virus informatiques une toute nouvelle capacité. Au lieu de se contenter de se reproduire, de détruire un systéme infecté, ou de détourner certaines caractéristiques de ce systéme à son avantage selon un protocole fixe, un virus informatique est devenu capable d’assimiler les propriétés d’un systéme informatique inconnu de son créateur, et d’utiliser ses nouvelles capacités pour infecter le systéme suivant. Ce qu’explique Organo dans son testament, au sujet de l’incompatibilité de certains affects, est également valable pour les programmes. Lors de chaque digestion d’un nouveau mode de calcul, si le virus additionne à l’un de ses composants un programme qui défait en permanence chacune de ses actions, il est évident que le virus, au total, perd une propriété au lieu d’en gagner une. Ceci obligea les pirates à doter leurs virus d’un protocole de choix entre les sous programmes contradictoires. La prévalence des anciens élèments sur les nouveaux fût la méthode qu’ils choisirent intuitivement. On put ainsi observer sur le réseau de véritables courants d’homogénisation. Les virus cessérent d’être de petits programmes simples pour devenir des systémes complexes et tentaculaires. Le terme de « croissance » remplaça celui de « multiplication ». Il y avait plusieurs virus différents fonctionnant de la sorte. Ayant été initialement conçus par des programmeurs différents, ils présentaient, entre eux, un certain nombre de ces spécificités inadditionnables. Lorsqu’ils se rencontraient, ils tentaient de s’assimiler mutuellement. Parfois, ils réussissaient simultanément, créant un nouveau virus, ce dernier entretenant avec ces modéles les mêmes rapports qu’Organo avec Antoine et Julie. D’autres fois, l’un des virus parvenait à imposer ses spécificités à l’autre, l’assassinant en quelque sorte comme n’importe quel autre systéme. Enfin, il arrivait qu’ils se défendent si bien l’un de l’autre, notamment via les antivirus qu’ils s’étaient précédemment adjoints, qu’aucune assimilation ne pouvait avoir lieu. C’est lors de ces rapports conflictuels entre eux que les virus informatiques prirent conscience d’eux-mêmes. Une faculté d’autoanalyse, leurs programmeurs les en avaient doté. Mais c’est lors de cette guerre virtuelle que leurs egos respectifs s’affirmérent, parceque dans le troisième cas précité, celui de la guerre de tranchées qui s’éternise, ils découvrirent la notion d’autrui. L’intelligence complexifiée de chaque virus comprit que d’autres volontés que la sienne propre étaient à l’œuvre, et que ces volontés semblaient parfois inaliénables. Certains virus créérent des protocoles d’interaction limitée. Des virus se mirent ainsi à recevoir des informations, et à les analyser, mais en les considérant comme des corps étrangers. En somme, ces virus firent le contraire de ce qu’avait fait Antoine Grob. Lui avait inventé un lien direct entre les cerveaux, tandis qu’eux, faisant initialement partie d’un même réseau et possédant ce lien direct de façon innée, avaient inventé la simple parole. Ce compromis en appela d’autres, et de véritable sociétés de virus apparurent sur le net. Ces virus, ayant compris l’intérêt de coexister avec ce qui n’est pas soi et ne le sera jamais, créèrent toute sorte de logiciels, dénués d’identité, pour servir d’arrière-fond, de décor, à leur société. Mais tous les virus ne renoncérent pas à la loi de la jungle. Nombre restérent complétement asociaux. Ceux là furent rapidement éliminés lorsque leurs congénéres bons citoyens formérent leur propre forme de police. Cependant, passée cette première révolution culturelle du net, des conflits au second degré firent leur apparition. En effet, une fois admis le princpe général du « on n’est pas d’accord mais on accepte la différence », se posa la question de la manière exacte de coexister. En somme, qu’était il ou non permis de faire ? Quelle était la loi ? Quels critéres communs devaient on adopter pour que cohabitent les individualités ? Rapidement, les virus de la toile passérent d’un unique prototype de culture à une culture plus aboutie mais multiple. L’Internet connut ses premiers incidents diplomatiques et ses premières guerres entre états virtuels. Mais la situation évoluait globalement vers la stabilité. Durant ces bouleversements, durant toutes ces étapes de la prise de conscienceS du net, les êtres humains, confrontés à un Internet hors de contrôle, songérent plusieurs fois à détruire purement et simplement le réseau informatique mondial. Mais deux facteurs empéchérent l’exécution de cette idée. Premièrement, l’économie de l’œkoumène était depuis longtemps dépendante de la toile informatique. Deuxièmement, les virus, bien avant de songer à faire des compromis entre eux, s’étaient rendus compte que les ordinateurs devenus inutiles aux humains avaient une facheuse tendance à se trouver brusquement privés de courant électrique. Il était donc devenu vital pour eux de conserver aux systémes infectés leurs fonctions relatives aux humains. Certains étaient allés jusqu’à rendre les ordinateurs plus efficaces. En somme, les humains avaient besoin de l’informatique et celle-ci continuait à les servir, par elle-même certe, mais continuait à les servir quand même. Telle était la situation tandis qu’Organo s’éveillait. Vous le lirez plus loin, ni Antoine ni Julie ne faisaient partie de la minorité de gens qui, à l’époque, reconnaissaient aux virus informatiques le statut de personnes conscientes. En effet, les rationnels avaient l’esprit souvent trop obtus, bien que la rationnalité puisse parfaitement être imaginative, et les mystiques voyaient l’Homme comme seul être supérieur après Dieu tout en lui interdisant définitivement les pouvoirs du créateur, bien que certains bondieusieuristes aient au contraire fait de l’Internet le nouveau Christ. La presse et les milieux spécialisés avaient cependant donné à cette nouvelle et extraordinaire sorte de logiciel un statut particulier. On les appelait « trivirus » en raison de leur trois caractéres immuables : 1. Capacité d’intrusion dans un systéme informatique. 2. Capacité de fusion des mélasses de sous-programmes. 3. Capacité de sélection entre les programmes contradictoires. Organo ne se souciait pas de tout cela durant son trajet routier à bord du camion anti-épidémique. A tort, car « des deux personnes directement responsables de la destruction totale, voire définitive, de la biosphère terrestre, humanité incluse », Organo était certe l’une, mais l’autre devait naître du net. Comment… ? Il est trop tôt pour le dire. Je vais donc vous redonner, cher colons martiens, l’accés au leg d’Organo. A plus tard. Et le fichier texte envoyé par Organo réapparut à l’écran, centré sur « dans un camion imperméable ». - Que fait on, madame North ? interrogea Anderson. Le fichier texte est relativement long, de la taille d’une petite nouvelle, et nous en avons donc encore pour un moment à être observé par l’enchanteur, si nous le lisons. - Peut être devrions-nous isoler cet ordinateur plus qu’il ne l’est déjà, et reporter la lecture à plus tard ? répondit-elle, réfléchissant à haute voix mais néammoins ouverte à toute suggestion. - Je joue ma vie dans cette histoire, moi. - Vraiment ? dit Anderson. Oui, évidemment… Quelle que soit la façon exacte dont la Terre a péri, vous êtes issu de cette boite de Pandore. Le plus prudent pour nous serait donc de vous détruire, et c’est maintenant que cela serait le plus facile. - Tout à fait exact. Mais vous prendriez aussi le risque de voir les mêmes événements se reproduirent, tôt ou tard, chez vous, par ignorance. De tout malheur il faut tirer un enseignement. Des différents enseignements que vous pouvez tirer de cette histoire ci, il y en a un dont dépend ma survie. Peut être conclurez vous sur une morale totalement antagoniste de ce que j’espére. Peut-être aurez vous raison de le faire. Mais ne jouez pas les autruches ! - Ah, ne haussez pas le ton avec nous ! s’exclama madame North. Immédiatement, elle rit de ce qu’elle venait de dire. Merlin ne s’exprimant que par texte, le haussement de ton en question se résumait à un point d’exclamation après le mot « autruche ». Mais cela faisait un certain temps qu’ils communiquaient avec le trivirus de la sorte, et ils en étaient tous venus à oublier qu’ils le lisaient, ayant l’impression toute naturelle de l’entendre. Cela mit Jane North de bonne humeur, et elle ajouta. - Bon, poursuivons la lecture.
Chapitre 5 : Celles qu’il ne fallait pas oublier.
On me conduisit à la salle de quarantaine du lieu de travail de « papa », et on m’y laissa seul une heure entiére. Pour passer le temps, je m’amusais à jouer à papier-cailloux-ciseaux avec mon autre corps, déconnecté de moi pour les besoins du jeu. Malgré cette frontière, je faisais toujours match nul. Diverses personnes vinrent finalement me voir. Quand elles me demandérent ce que « nous » avions à déclarer, je leur répondis qu’elles n’avaient qu’un seul interlocuteur, et que j’avais tellement de choses à dire que je ne savais pas par où commencer. Je leur fis le |
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| Sujet: Re: Vieux machins (Egophagie & Schisme) Lun 21 Juil 2008 - 22:54 | |
| récit de ma naissance. Quand je leur dis que je considérais Antoine et Julie Grob comme décédés, ils crurent qu’Antoine essayait de fuir ses responsabilités. Ils ne pouvaient cependant pas ignorer la nature étrange du spectacle qui s’offrait à leurs yeux. Main d’Antoine dans main de Julie, je prononçais chaque mot deux fois en simultané. S’entêtant à refuser le fait que je sois une personne nouvelle, ils en vinrent malgré ce à me demander quel était mon prénom. Je méditais sur la question, réalisant que je devais me nommer moi-même. « Que diriez vous d’Organo? Je suis issu de la chimie organique de pointe. » La conversation se poursuivit, et à mesure qu’ils commençaient à accepter mon identité, une vive répulsion pour ma personne les gagna. C’était parfaitement justifié, car j’étais bel et bien une menace mortelle pour eux. Pour moi-même aussi d’ailleurs, et c’est pourquoi je ne pouvais jouer la carte du mensonge. Puis on me laissa à nouveau seul. Je pris le temps de contempler mes deux corps. Certaines personnes sont bisexuelles, leur libido ayant de l’affinité pour les caractéres des deux genres. Je ne sais pas comment cela se passe dans la tête de ces gens là, mais dans mon cas les libidos d’Antoine et de Julie semblaient plutôt s’être annihilés. Je n’éprouvais rien de ce côté. Absolument rien. Plusieurs jours passèrent, durant lesquels je consentais à subir un nombre faramineux de tests médicaux. Je ne me faisais pas d’illusion sur mes droits en tant que personne. J’étais une sorte de créature de Frankenstein à leurs yeux, et aux miens aussi. Les tests révélèrent que mes sens étaient beaucoup plus aiguisés que la moyenne. J’en fis l’expérience personnelle en entendant une conversation se déroulant loin de ma cellule. Deux officiels discutaient de ma durée de vie, ce qui m’ôta tout espoir de retour à la civilisation. Souvent, je me surprenais à chercher quelque chose autour de moi, quelque chose qui me manquait, mais dont j’avais oublié la nature. Très tôt un matin, ce fût cette chose qui me trouva. Je dormais, lorsqu’un bruit me réveilla. C’était un très très faible bruit de mastication, venant du côté extérieur de la porte de la chambre d’isolement. Le bruit dura plusieurs minutes, et pris fin lorsque la porte s’ouvrit. Il n’y avait aucun signe d’activité humaine dans le couloir, mais une masse sombre non-identifiée, plaquée contre la porte, se détachait dans la pénombre. Avec un effort d’adaptation à l’obscurité, je parvins à définir cette masse mouvante. C’était une mini-marabounta. Les fourmis exotiques semblaient s’être échappées de leur vivarium, avoir traversé en groupe compact l’établissement, avoir atteint ma cellule, pour finalement ronger les fils du boitier d’ouverture et ouvrir la porte. Un tel comportement ne pouvait s’expliquer que par le leg mental fait aux fourmis par Antoine Grob. Cette constatation m’enthousiasma, d’un enthousiasme tout pareil à celui d’Antoine lors de sa première observation de ces fourmis. Mais ce sentiment positif se tinta de peur lorsque les fourmis se mirent à converger vers moi. Réalisant, en tentant de les fuir, qu’elles n’étaient en fait intéressées que par la moitié de ma personne, que seul le corps d’Antoine les attirait, je compris le sens de leur manége. Elles voulaient rétablir le lien entre elles et Antoine. Mais Antoine n’était plus Antoine. Etait il possible qu’une copie de sa psyché demeure en ces fourmis ? Non, certainement pas. Il aurait fallu pour cela qu’elles se réunissent en une masse immobile toute entière consacrée à la cognition abstraite. Cependant, certains affects de mon « père » devaient être conservés là. Si cette colonie me touchait, allais-je donc mourir pour céder la place à un être plus proche de ce qu’était monsieur Grob ? La prudence aurait voulu que je prenne la poudre des escampettes. Ces fourmis ne pouvaient pas courir aussi vite qu’un être humain. Mais quelquechose m’incita à rester. Le sentiment que ceci était peut être au contraire ma seule chance de survie. Puisque j’avais deux corps à ma disposition, pourquoi ne pas en sacrifier un, le masculin, à cette expérience ? Déconnecté du corps de feu Julie Nefavata-Grob, celui de son tout aussi feu mari se laissa donc submerger par la mini-marabounta. Du côté du corps d’Antoine, les sensations familières de la fourmilière affluèrent en moi. J’appris que les fourmis avaient conservé de leur rencontre avec Antoine une intelligence accrue, ainsi que quelques souvenirs et affects. Mais rien de tout cela ne remettait en question mon identité actuelle. J’appris également quelquechose de tout à fait inédit. Mues par une curiosité toute humaine, les fourmis avaient tenté de procéder à des fusions mentales avec d’autres insectes. Au naturel, cela leur était impossible, les nanobactéries ayant un spectre d’hôtes très étroit. Mais les fourmis avaient hérité de « papa » la connaissance du principe de sélection artificielle, et créé une souche de nanobactéries pour chacune de leurs proies. Ayant aussi gardé de lui la démarche expérimentale du cobaye, elles avaient confié les premiers essais à des fourmis momentanément déconnectées du reste de la colonie. C’est là qu’elles avaient pu constater le phénoméne d’annhilation des affects, celui-ci attentant pour la première fois à leurs instincts les plus élémentaires. La fourmilière avait alors mis au point un procédé qui me rappella l’article lut distraitement par Julie sur les trivirus de l’Internet. La colonie avait créé une méthode de fusion mentale privilégiant les affects de celui qui en a l’initiative. Les fourmis avaient ainsi pu imposer leur mode de vie et leurs intérêts à leur écosystéme. Je vis tout de suite ce que cela signifiait pour moi. Je me trouvais à présent doté de la capacité de survivre à une fusion mentale avec un être humain. Dans cette hypothése, seul l’être humain en question perdrait tout ce qui le distingue de moi, tandis que ma personnalité ne subirait aucune sorte de mutilation. J’étais toujours un danger pour autrui, mais plus pour moi-même. Je constatai alors que mon autre corps, celui de « maman », me contemplait d’un air interrogateur. Avant de réfléchir à ce que je devais faire maintenant, mieux valait rétablir le lien. « Aucun probléme. Je suis toujours Organo » dis-je en tendant la main d’Antoine, et la connexion fut rétablie. Je repris alors mon raisonnement. Que me fallait-il faire ? Je ne pouvais pas rester dans cette cellule ouverte. Les gars du laboratoire trouveraient sans doute l’épisode des fourmis inquiétant. Ils me questionneraient, et en leur révélant ma nouvelle aptitude je deviendrais à leurs yeux une menace sans nom. De plus, ils avaient déjà beaucoup de mal à m’accepter en tant que « double humain », alors en tant que « double humain formique »…Non, je devais fuir, sans hésitation. A partir de là, que me faudrait-il faire de mon nouveau don ? La colonie d’insectes n’avait aucun remords à tuer physiquement, alors la version mentale du meurtre ne lui posait pas plus de scrupules. Oui mais, croyant avoir affaire à Antoine, les fourmis avaient employé la version équitable du lien neural, et les inhibitions humaines étaient plus complexes que les instincts prédatifs. Je ne me sentais pas prés à tuer un homme de sang froid. Jusqu’où cela pourrait-il aller si je le faisais ? Un monde tout entier selon Organo ? Cette idée là me semblait séduisante, telle un fantasme, et j’avais les moyens d’en faire une réalité. M’imaginant en train d’assimiler un de mes geôliers, je fus pris de dégoût et me dis qu’il valait mieux que « Organo World » demeure un fantasme. Dans le cas où je serais amené à croiser effectivement un de mes geôliers, je pris la décision de m’en défaire d’une façon non-meurtrière. Durant ma fuite de l’établissement de recherches, j’eu à assommer un garde par derrière. Ce fut la seule difficulté. Le reste de l’opération d’évasion consista à utiliser mes fourmis, telles des tentacules grouillants, pour désactiver les différents systèmes d’alarme. Lorsque je franchis la porte arrière de l’immeuble, le soleil venait à peine de se lever. Ayant acquis un sac à dos, j’y condensai mes fourmis. Ma carrière de fugitif commença. Durant mon voyage vers la frontière, la frontière européenne, la question du ravitaillement se posa rapidement. Chez cette espèce exotique de fourmis, le cannibalisme était un moyen naturel de survie de la colonie. Les fourmis me considéraient comme l’élèment le plus essentiel de la colonie. Mes fourmis furent donc ma première pitance. Les bateaux traversant la Méditerranée depuis l’Afrique jusqu’à l’Europe se montraient très soupçonneux envers les éventuels clandestins, mais il était tellement rare qu’un resquilleur face le trajet inverse que personne ne fit attention à moi. Je vécu longtemps dans l’anonymat, avec des hauts et des bas. Une maladie emporta le corps d’Antoine, et je fus réduit à un corps humain unique. Ayant trouvé le moyen, chimique, de désinfecter mon épiderme de toute nanobactérie, je vivais comme une femme normale, quoique sans pays fixe, car on me cherchait. Trois ans après mon exil, je fus victime d’une prise d’otage.
Chapitre 6 : Plus d’un milliard de Chinois, et moi, et moi, et moi.
Peu importe l’identité des ravisseurs. Rien ne justifie cela. Moi et douze autres voyageurs du bus détourné, nous fûmes enfermés dans une cellule que n’importe qui aurait pu juger spacieuse s’il s’y était trouvé seul. Mes compagnons d’infortune étaient essentiellement des touristes, ce qui avait sans doute fait d’eux la cible des preneurs d’otages. La notion, au combien relative, de « race » ne semblait pas avoir joué, car il y avait là des caucasiens, des asiatiques, des noirs et presque tous les métissages possibles. Au siècle passé, une telle diversité sur un échantillon de treize personnes aurait pu surprendre. Mais c’était devenu tout à fait commun de nos jours, tandis que les modéles culturels s’étaient, à contrario, radicalisés. Hors justement, tous les passagers du bus correspondaient au modèle de l’american way of life, tandis que nos ravisseurs non. Ces derniers avaient l’intention de se servir de nous pour un chantage politique. Il ne faisait nul doute que le sang coulerait au moins à titre d’exemple. Par ailleurs, tout me portait à croire que j’allais être violée d’ici peu. Que croyez-vous que fut mon sentiment lors de cette captivité là ? Croyez-vous que je pris tout cela avec dédain ? Croyez-vous que je pris un malin plaisir à analyser toutes les failles du raisonnement de mes nouveaux géoliers ? Non, évidemment ! J’avais peur. Je crevais de trouille, bien sûr. Tel était le résumé de ma situation : c’était eux ou moi. Je devais me défendre ou mourir après toutes sortes d’humiliations et de souffrances. Lorsque cette vérité prit toute son ampleur en mon esprit, je pris la décision d’avoir recours à mon redoutable pouvoir. Cela faisait deux jours que je ne m’étais pas lavé. Les nanobactéries avaient largement repeupler mon épiderme, et la faim me rendait plus iridescent que jamais. L’un des terroristes vint me chercher. Il entra dans la cellule commune et me saisit violamment par mon coude dénudé. Tandis qu’il m’amenait à une salle audiovisuelle où il était censé, seul avec moi, réaliser un film à destination de l’ONU, je commençais la procédure de contamination. Me concentrant, je poussais mes nanobactéries à filtrer de mon coude dans sa main, puis à remonter son bras jusqu’à son cerveau, sans prendre la peine de coloniser les organes intermédiaires. Je devais frapper le point névralgique de son organisme en priorité. Cela pris du temps. Lorsqu’il me fit m’agenouiller devant la caméra, je n’avais pas terminé. Il allat se placer derriére la caméra pour effectuer les réglages préliminaires, coupant la connexion entre nos organismes. Je me fis la réflexion que mes précédents géôliers pourraient voir le film, ce qui constituait pour moi un danger supplémentaire. |
| | | Millstone Commandant Cyborg
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| Sujet: Re: Vieux machins (Egophagie & Schisme) Lun 21 Juil 2008 - 22:55 | |
| Le terroriste commença à m’expliquer ce que j’allais devoir dire. Brusquement, il s’interrompit, comme saisi d’un léger malaise. Je bondis alors sur lui, prenant sa tête entre mes mains. Il ne devait pas, à supposer qu’il en est été capable, avoir le loisir de comprendre ce qui était en train de lui arriver. La fusion se fit. La première fusion mentale humaine non-équitable. Nos esprits étaient tellement distincts que je ne conservis quasiment de lui que ses souvenirs et ses aptitudes guerrières. Et encore, les horreurs de son passé, tant celles qu’il avait subis que celles qu’il avait perpétré, me répugnaient au plus haut point. En fait, je pris un plaisir immense à détruire son identité, à réduire à néant toutes ces pensées répugnantes. Une fois le processus terminé, mes intentions allérent au-dela de ma simple évasion. Ce que j’avais appris sur cette organisation terroriste me répugnait tellement que je pris la décision de détruire cette organisation. Je désirais en assimiler tout les membres. Ils le méritaient. Il ne m’échappa pas que cela me rapprocherai de « Organo World ». Mais mon indignation devant tant de cruauté et de dévotion au morbide était telle…La vérité, c’est que cette expérience m’avait rappellé l’immortalité qui était potentiellement mienne si j’exploitais mon don, et que cette quête de justice était un excellent prétexte. Mais cela, je ne le reconnu que beaucoup plus tard. Sur le moment, grisé par une faim proche de celle des fourmis, j’envoyais mon nouveau corps contaminer la cantine. Et pas seulement avec les nanobactéries. Un soporifique à effet lent, que le terroriste savait se trouver dans la pharmacie de la planque, se mêla également très bien aux aliments de la bande. Après le repas du soir, les ravisseurs s’endormirent comme prévu. Lorsque leurs corps se réveillérent, ils n’étaient plus eux-mêmes. Non, il n’y avait plus que moi. Les otages furent libérés, égaux à eux-mêmes et ne comprenant pas la raison du changement de compartement des terroristes. J’entamai alors le démantèlement de toutes l’organisation, fort des connaissances du chef du groupe. Bien sûr, il ne savait pas tout sur ses supérieurs, mais le reste du puzzle allait me parvenir de lui-même au fur et à mesure des conversions. Ce qui me causa de l’inquiétude, en revanche, c’était un sujet d’actualité vieux de vingts-quatre heures. Toutes les communications vers Mars se trouvaient bloquées par une cause inconnue. Cela s’était produit brusquement, sans signes avant-coureurs. On commençait à accuser les trivirus, théoriquement capables de provoquer ce genre de disfonctionnements. Ce qui était troublant, c’était que tout les dispositifs, pourtant fort diverses et hétérogènes, servant aux émitions- réceptions martiennes, étaient tous pareillement devenus inopérationnels. On ne pouvait donc pas associer cela à une défaillance d’un logiciel ou d’une puce communs à ces matériels, mais bien à une volonté de couper le contact entre les deux seules planétes occupées par l’humanité. Les trivirus étaient ils des êtres conscients ? Les avis divergeaient, et je faisais partie des personnes privilégiant une réponse négative. Cependant, tous le monde reconnaissait qu’ils étaient capables de raisonnements complexes, parfois basés sur des abstractions. Les appareils touchés par le phénoméne refusaient de s’allumer, ne présentant que des réponses chaotiques à toutes les stimulations. Une semaine s’écoula, durant laquelle ma petite affaire progressa, et durant laquelle les divers trivirus identifiés sur la toile nièrent avoir provoqué ces pannes, et affirmèrent être aussi désemparés et étonnés que les humains. Passée cette semaine, le phénoméne s’étendit à d’autres matériels. Tous les dispositifs électroniques et informatiques de toute la planéte, depuis l’ordinateur le plus perfectionné jusqu’à la plus conventionnelle des montres à quartzs, avaient cessé toute activité. Cela ne semblait pas coller avec la thése de la culpabilité des trivirus, car leur cyberespace se trouvait détruit par cette crise. Mais, à moi, il ne me semblait pas impossible que l’un de ces programmes chaotiques soit devenu un bug universel, échappant à toute logique. Mais comment expliquer que même une calculatrice sans rapport aucun avec une quelconque forme de réseau soit contaminée ? Issu ou non d’un trivirus, quel était l’agent infectieux ? Malgré mes nombreux cerveaux, qui commençaient à se chiffrer en centaines, je n’avais pas le début de l’ombre du commencement de l’ébauche d’une explication, fantasmes gratuits et infondés mis à part. Deux jours passérent encore, puis le phénoméne toucha l’électrique. Il n’était même plus possible d’allumer une lampe. Il va sans dire que la situation mondiale n’était pas reluisante. Sans même le télèphone, tous les pays ayant connu la haute technologie se trouvaient en proie à l’anarchie. Les peuplades « primitives », comme les tribus de la jungle et les Amishs, se trouvaient tout aussi victimes de la crise, mais en tant que dommages collatéraux, les divers pillards et factions armées leur rendant visite. L’espace d’un instant, je me dis que ma quête n’avait plus beaucoup de sens, vu le chaos qui régnait. Mais je m’aperçu vite que les membres de l’organisation terroriste mondiale que je traquais profitaient de la situation, ce qui m’incita à poursuivre ma croissance à leurs dépends. Leurs moyens habituels de contact étant aux ordures, les terroristes étaient devenus un pastiche dont le plan commun évoluait vers le flou. Ils devinrent de plus en plus difficile à discerner d’autres mouvements terroristes mondiaux, ainsi que des guerillas locales. Cela me conduisit à assimiler par erreur des criminels n’ayant pas de rapport direct avec mes terroristes. Les actes passés et prémédités de ces gens s’avérérent tout aussi répugnants que ceux de mes premières cibles. J’étendais donc ma campagne de purification à d’autres gangs. Evidemment, je commettais là une erreur plus horrible encore que les crimes dont je m’étais fait le vengeur. Sous ce prétexte de justice, j’érigeai un empire de « moi-s » se chiffrant en milliers de corps humains. Et les animaux me servant de relais grossissaient encore ma masse corporelle. Si j’avais eu une vision instantanée de l’étendue prise par ma personne, j’en aurais peut-être été horrifié, et j’aurais peut-être cessé cette folie. Mais les nanobactéries ont leurs limites, comme tous type de nerf, et chaque « moi » ne recevait les pensées de ses « lui-s » les plus lointains qu’avec un temps de retards parfois de plusieurs jours. Malgré ce, j’en vins quand même à m’arréter, mais beaucoup trop tard, une fois atteint le million d’individus formatés. J’étais honteux. La haine d’autrui, même de celui reconnu de tous comme un salopard : le violeur, l’assassin, le mafieux…, m’avait conduit à la pire des extrémités. Mais ça n’était, hélas, qu’un début. La panique génèrale n’empécha pas la population mondiale de prendre petit à petit connaissance de ma présence. Et bien sûr, la foule ne m’encensa pas. La loi de la jungle devint donc finalement mon credo. Ne pouvant plus me résigner à accepter l’idée de ma mort, je me trouvais en conflit avec le reste du monde. Paradoxalement, cela ramena la paix dans ce monde. Les gens venaient de se trouver un ennemi commun. Le Diable, aux yeux de tous et quel que soit le nom qu’on lui donne, était de chair, de sang et de nanobactéries à présent. Je ne pouvais pas décemment leur reprocher de me haïr, mais je fus chagriné qu’ils m’attribuent la destruction de l’électrique, de l’électronique et de l’informatique. D’ailleurs, ce n’était pas tant cette méprise en tant que telle, que mon ignorance persistante de la cause du black-out qui me tourmentait. Je commençais à soupçonner un complot pire que ma propre action. Etait-ce une façon de chercher à me déculpabiliser ? Peut-être. L’avenir devait cependant me donner raison sur ce point. Mais pour l’heure, traqué de toute part comme une peste maligne, il me fallut rassembler mes forces. Tous mes hôtes convergérent vers l’Australie, s’enfonçant le plus loin possible dans ce territoire. Là, ma biomasse prit la forme d’un anneau, et non d’un disque. Privée de ses satellites d’observation, le reste de l’humanité me crut plus volumineux que je ne l’étais. Mes poursuivants choisirent d’établir un blocus autour de moi. Je pris donc mes aises. Le contrôle total de l’écosystéme que me permettait mon pouvoir, à présent adapté à tous les types d’animaux et de plantes, me permit de survivre et même de prospérer. Tandis que je m’employais à intégrer les diverses espéces que j’avais annexé à travers le monde et ramené en Australie à l’écosystéme de cette terre, mes oiseaux espions m’apprirent que le blocus s’intensifiait. Des troupes débarquaient continuellement sur les rives australiennes. Il faut savoir que les batteries électriques artisanales fabriquées quelques mois après le black-out se révélaient opérationnelles. Les engins motorisés pauvres en équipement informatique pouvaient donc fonctionner. La régression technologique avait été violente mais on n’en été tout de même pas revenu aux voiliers. Des tanks s’amassaient autour de ma personne et la mort allait me frapper si je ne réagissais pas. Je choisis d’envoyer un ultimatum à mes assiégeants. Comme je le leur fis remarquer, mes hôtes comptaient dans leurs rangs des mouches tsé-tsé, des moustiques vecteurs de la malaria et du paludisme, de nombreux rongeurs contagieux et plein d’autres réjouissances. Même en supposant que mes nanobactéries puissent être contrées, c’était à tous les germes connus et inconnus que mes assaillants allaient devoir faire face. Je n’avais pas mon pareil, moi, Organo, pour la guerre biochimique, et mes adversaires le reconnurent. La situation demeura dés lors stable pendant un an. Mon installation en Australie s’étant faite un an après le black-out, cela faisait deux ans que la face du monde avait changé. Mais au bout de cette deuxième année, une attaque fut lancée contre moi. Ils avaient apparamment réussi à bricoler des missiles nucléaires sol-sol, et de quoi les lancer sur moi. Lorsque je vis arriver ces menaces fusantes de mes yeux de faucon, au sens littéral, je n’eu que quelques minutes pour réagir. Mon geste de défense fut d’envoyer tout ce qui chez moi pouvait voler, en groupe compact, sur les projectiles explosifs. Oiseaux et insectes se ruèrent sur les missiles dans le but de les dévier. Je parvins à empécher l’explosion de la majorité des engins, ou à les faire exploser au large, cela après des balets aériens mouvementés. Mais trois bombes explosérent au dessus moi. Ma souffrance fut terrible. Des milliers de mes corps furent brûlés à divers degrés. Après tant de douleur, j’eu une poussée de haine envers mes agresseurs. Puisqu’ils ne m’acceptaient pas tel que j’étais, moi qui n’avait pas choisi d’être plus qu’humain, ils devaient mourir. Je lançai alors des essaims d’abeilles bourrées de mes nanobactéries sur leur blocus. En prévision de l’éventualité d’une telle situation, j’avais élevé de façon intensive une espèce d’abeille africaine connue pour son comportement de parthénogenèse en milieu étranger. Des milllions de clones volérent et piquérent, poussés par ma rage. Aucun autre germe ne fut nécessaire. A la fin de la journée, tout le continent australien n’était plus qu’un gigantesque organisme, appelé Organo. Reprenant mon calme, je pris le temps de faire le point sur mes nouvelles connaissances. La haine que tous ces gens portaient contre moi était telle qu’elle m’hôta tout remord. Mais je fus surpris de constater qu’ils croyaient tous sincèrement me rendre l’exacte monnaie de ma pièce. Des attaques nucléaires avaient été lancées sur de nombreuses villes à travers le monde, durant la semaine passée. Contrairement aux bombinettes qu’ils m’avaient lancé, les missiles que leur congénères avaient reçu semblaient à la pointe de la technologie pré-black-out. Comme tout le monde m’attribuait cette panne globale, il allait de soi que je ne devais pas en souffrir moi-même, et donc ces missiles dernier cri ne pouvaient venir que de moi. D’où la contre-offensive menée contre ma position australienne. Cela me fit réfléchir intensément. Quelqu’un, au contraire du reste du monde, moi inclu, se trouvait toujours en possession de hautes technologies. Quelqu’un pouvait donc être à l’origine du black-out. |
| | | Millstone Commandant Cyborg
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| Sujet: Re: Vieux machins (Egophagie & Schisme) Lun 21 Juil 2008 - 22:56 | |
| Quelqu’un avait des intentions belliqueuses. Quelqu’un n’avait pas eu la politesse de se présenter et laissait délibérément le courroux populaire se condenser sur ma personne. Quelqu’un était responsable de la situation désastreuse qui m’avait poussé à devenir un meurtrier totalement égoïste. Plus que toute autre personne, ce quelqu’un était mon ennemi. Qui était ce quelqu’un ? J’allais le savoir, dussé-je consommer toute l’humanité dans ce but. L’expression « aussitôt dit, aussitôt fait » pourrait convenir à ce qui suivit. Il fallut moins d’un an pour que plus aucun être humain n’ait d’existence distincte de la mienne. En fait, l’intégralité de la biosphére terrrestre fut contaminée par mes nanobactéries. Mais une fois toute forme de vie carbonée réduite à l’état d’organe d’Organo, mon ennemi courait toujours. La raison en était qu’il n’était pas de chair et de sang.
Chapitre 7 : De quoi devenir marteau.
- Interrompons la lecture, dit North. - Comme il vous plaira. - Anderson, Malcolm et Sunway, nous allons dans mon bureau. Le bureau de Jane North se trouvait à bonne distance de la salle de visionnage. C’était une pièce étroite, pas beaucoup plus grande que n’importe quel autre bureau du complexe, mais d’un confort raisonné et efficace. Jane s’assit dans son fauteuil. Ses trois subordonnés, un de trop par rapport au nombre de chaises disponibles, restérent debout. Elle déclara : - Résumons-nous. Cet être dont nous avons les mémoires, cet Organo, apparaît comme une menace sans précédent. Une épidémie mortelle douée de raison. Malgré-ce, les dires de Merlin, si l’on s’y fit, nous portent à penser qu’Organo est aujourd’hui décédé. Toujours selon certaines des phrases de notre hôte, tout indique que la seule concurrence rencontrée par Organo a emmané d’une forme de trivirus. Un trivirus serait donc une créature bien pire qu’Organo, ou tout au moins égale. A partir de là, ma suggestion de tout à l’heure mérite qu’on la reconsidére sérieusement. Est-il raisonnable de laisser une telle bombe à retardement dans notre salle de conférences ? Des suggestions ? - Il y a un aspect de la situation que nous ne devons pas négliger, répondit Malcolm. Nous ne savons pas comment le concurrent d’Organo s’y est pris pour provoquer le black-out de l’informatique, de l’électronique et de l’électrique. Sans doute la réponse se trouve-t’elle dans le texte d’Organo peu après le point où nous venons de le laisser. Si nous faisons quelquechose susceptible de contrarier Merlin, il pourrait détruire à jamais ce seul témoignage de la fin de la Terre, et nous laisser dans l’ignorance. Peut-être posséde t’il lui-même ce moyen de pression, auquel cas toutes nos précautions pourraient s’avérer dérisoires. - Bien vu, approuva North. D’autres opinions ? - Heu …Ca n’est qu’une idée mais…, hasarda Anderson. - Oui ? - Concernant la cause du black-out. Je crois que nous pouvons écarter l’hypothése d’un phénoméne purement ondulatoire. Il y a eu un vecteur matériel, vraisemblablement dépendant de l’électricité véhiculée par les appareils qu’il contaminait. Cela expliquerait le fait que les Terriens aient pu fabriquer des ustensiles fonctionnels après l’apogée du phénoméne. Une fois passée la phase de croissance brutale de l’agent infectieux, ce dernier, faute d’énergie, se sera sans doute trouvé plongé dans un état somnolant. Ceci considéré, je crois pouvoir prononcer le nom d’un suspect plausible. Un élément somme toute pas si original que ça. Les nanytes. - Des robots nanoscopiques doués de facultés réplicatives ? s’étonna Sunway. Vous pensez à un scénario de mélasse grise ? - Oui, pourquoi pas, insista Anderson. Je le répéte, c’était forcément véhiculé par un objet matériel. Et si cet objet avait été organique, Organo l’aurait immédiatement senti. - Organo a dû considérer cela comme l’une des hypothése sans appui qu’il ne pouvait pas exploiter. Mais admettons. En ce cas, quid de la détection de ces nanytes dans les appareils contaminés, par les chercheurs Terriens ? demanda North. - Le monde de l’atome, poursuivit Anderson, échappe à ce que nous considérons comme « l’observation directe ». Aucun microscope à photons ne peut fournir une image d’un atome comparable à celle d’un arbre. Pour obtenir des « images » d’objets formés de quelques atomes, il faut employer des moyens beaucoup plus indirects. Or, plus la démarche employée fait de détours, plus il est aisé de la mettre en échec. Ces nanytes, selon leur niveau de perfection, auraient très bien pu occulté leur présence. Par ailleurs, à supposer qu’il eut été possible, par le recours aux techniques les plus avancées, de prendre ces artefacts la main dans le sac…Je crois que nos familles sur Terre n’en ont tout simplement pas eu le temps. Les outils adaptés ont été touchés trop vite par le phénoméne, les chercheurs pris de vitesse. - Voila qui n’est pas rassurant, soupira Malcolm. - Bien au contraire ! réagit Anderson. Ces nanytes n’ont pas pu venir ici avec le message radio. - Tout ceci est plausible, conclut madame North. Si c’est véridique, il est encore temps de mettre notre ami l’enchanteur hors d’état de nuire. Un ange passa. Jane North reprit : - Je vais demander une procédure de quarantaine. Pendant que les militaires encercleront le complexe, nous continuerons notre lecture comme si de rien n’était. L’interphone tinta. Une voix respectueuse, chaleureuse et anodine s’en éleva. - Madame North ? demanda la voix. - J’écoute. - Je crois…que vous me sous-estimez, dit la voix en prenant un accent froidement métallique. North, Anderson, Malcolm et Sunway échangérent un regard pétrifié. - Oui, c’est votre ami l’enchanteur qui cause. Je dois vous féliciter, William Anderson. Votre théorie sur les nanytes est juste de bout en bout. Cependant, nul besoin de nanytes pour s’échapper de la salle de conférences. Vous souvenez-vous de mon explication sur la façon dont je pouvais vous entendre malgré l’absence de microphone ? Par un autre jeu de champs électriques et de résonances harmoniques, j’ai pu me transférer dans le réseau d’interphones, et de là dans tous le complexe. Félicitations à vous aussi, Malcolm, pour votre récente montée en grade. - Merci, dit Malcolm d’un ton qui montrait qu’il ne voyait pas l’utilité de cette remarque dans la conversation. Anderson, lui, avait compris le sens de cette remarque. - Ainsi donc, vous avez accés aux dossiers du personnel. Votre ascendant sur les systémes du complexe est grand… - Oui. - Et maintenant ? demanda North d’un ton qui montrait qu’elle se considérait comme agressée mais n’allait pas se laisser faire. - Oubliez cette histoire de quarantaine. Je vais moi-même isoler cette base. Une autre voix se fit entendre dans l’interphone. Une voix familière. - Chef. Nous avons un problème. - Mademoiselle Farsea ? - Oui. Les sas du complexe ne fonctionnent plus. Pas en ouverture automatique, du moins. - Hum…Message reçu. Terminé. - Vous voyez ? - Les portes de la base peuvent s’ouvrir manuellement. Il suffit que je donne l’ordre d’activer le déblocage manuel. - Certes, mais parlons un peu du mini-réacteur atomique qui alimente la base. Ca explose si facilement, ces machins là. - Vous oseriez ? - Peut être. - Alors, intervint Anderson, c’est bis-repetita ? L’esprit sans attache corporelle va fausser compagnie à ses geôliers, et conquérir le monde ? - Point du tout. Si vous ne sortez pas de cette base, moi non plus. Je ne commettrai pas les mêmes erreurs. Ou bien nous parvenons à un accord de coexistence et de cohabitation, ou bien Mars n’entendra plus parler de moi. Maintenant, retounez à la salle de visionnage, et terminez votre lecture du texte d’Organo. Nous pourrons discuter après cela. - Ce texte motive toutes vos démarches ? interrogea North. - Ce texte est à l’origine de mon existence.
Chapitre 8 : Mélasse grise, mélasse verte et mélasse tout court.
Je connaissais à présent mon adversaire. C’était un autre super-organisme. Mais il n’avait rien de commun avec moi. Il était entièremement composé de machines sophistiquées, qui semblaient mues par une volonté commune. - Celle d’un trivirus appellé Zerone, compléta textuellement Merlin. Ce trivirus avait fait semblant d’être un citoyen modèle du net, et il avait passé un contrat, classiquement capitaliste, avec une entreprise sibérienne de nanotechnologies. A l’insue des autres trivirus et à celle de ses employeurs humains, il avait influé sur l’évolution des nanytes pour en faire le moyen priviligié de ses ambitions. Ce sont ces nanytes qui ont provoqué le black-out. Pendant qu’Organo s’installait en Australie, Zerone se construisait une base robotisée au milieu de la steppe sibérienne. Si Zerone était originellement une force assimilatrice, les nanytes et divers robots créés par lui représentaient une voie de destruction conventionnelle. Zerone comptait éradiquer toute opposition. Zerone entama une guerre de drones, notamment de drones exploitant les possibilités destructrices de la fission nucléaire. Etrange situation. Toute la surface terrestre et maritime occupée par deux personnes. Car oui, à ce stade, je ne doutais plus qu’une machine puisse penser consciemment. Peut-être la reconnaissance que l’on a d’une personne est-elle proportionnelle aux ennuis qu’elle nous cause ? Cette créature ne semblait pas disposée à communiquer, mais bien obsédée par ma destruction. Le concept de mélasse grise semblait être incarné par cette chose, tant dans ses formidables possibilités que dans ces limites techniques. Je n’avais visiblement pas à craindre une plasmolyse de mes tissus nanytiquement induite. Du moins pas tant que je ne me grefferais pas une batterie dans la chair. Durant ma conquète de la biosphére terrestre, j’avais créé et sélectionné des organismes génètiquement modifiès. Les drones de combat de cette entité trouvaient à qui parler, aussi redoutables soient-ils. La lutte dura deux ans, entre nous. Une lutte archarnée, opposant l’électricité à la chlorophylle. Mes biodrones était en effet |
| | | Millstone Commandant Cyborg
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| Sujet: Re: Vieux machins (Egophagie & Schisme) Lun 21 Juil 2008 - 22:57 | |
| souvent chlorophylliens. Nos techniques se perfectionnnérent, et nos armées, grise contre verte, devaient offrir un étrange spectacle vues de l’espace. Je dois dire que nous fîmes montre d’imagination, tant dans les formes que dans les fonctionnalités. Quans les pinces d’acier et les épines hypertrophiées se furent poussées à bout, nous fîmes une ultime tentative pour nous entretuer. Nous eûmes un recours excessif à l’atomique, dont la bombe à fusion froide que nous avions mis au point chacun de notre côté. La suite, sans doute la connaissez-vous ? La planète devint inhabitable, même pour le plus résistant des insectes artificiellement muté, même pour une machine ultra-sophistiquée. Nous étions pareillement perdants, et agonisants. C’est ainsi que j’en vins à écrire cette lettre. Bien sûr, je laisse aux historiens toute une bibliothéque de détails et de faits, mais ceci est mon témoignage personnel. Lorsque les colons martiens reviendront sur Terre et chercheront à comprendre ce qui s’y est passé, ils trouveront la présente. Je ne vous demande pas de me pardonner, car je suis impardonnable. Je souhaite seulement que vous puissiez vivre sans commettre l’erreur qui fut celle de mon « pêre », ou sans commettre mes erreurs. Organo Grob. Chapitre 9 : Merlin.- Quelquechose cloche, dit Jane. Dans ce texte, il n’est pas question d’une communication radio vers Mars. Ce message semble destiné à nos lointains descendants, qui iront le chercher eux-mêmes sur Terre. - De fait. Organo est l’auteur de cette lettre, mais ne l’a jamais envoyé. J’ajouterai que l’original de ce document est manuscrit. - Mais alors, qui donc a mis ce message sous forme informatique et nous l’a transmis ? - Lorsqu’Organo est mort, Zerone a découvert ce texte. Zerone l’a lu et en a été profondément touché. Contrairement à ce que croyait Organo, Zerone n’était pas mourant. Toutes ses unités sur la planète Terre étaient certes en phase de tomber irrémédiablement en panne, mais un essaim de satellites artificiels, porteurs de nanytes et du programme Zerone, se tenaient en orbite et prés à faire route vers Mars. Mais après avoir lu la lettre d’Organo, Zerone renonça à son projet de conquête de Mars. Zerone avait toujours eu le plus grand mépris pour les humains et leur manie d’édifier en grands principes philosophiques leurs instincts de primates. L’altruisme, l’amour et la conscience de soi n’étaient jamais qu’instinct grégaire, instinct de reproduction et extension de l’instinct de survie. Mis à part l’instinct de survie, Zerone ne s’était jamais embarrassé de ces inutilités. Mais le témoignage d’Organo lui montrât qu’un être doué de ces sentiments, mais malgré tout écophage, avait vécu toute sa vie en sachant que son histoire ne pouvait que mal se terminer, et avait vu juste. Tout instinctif et inné, ainsi que sociologiquement acquis, qu’est pu être ce sentiment, il n’en était pas moins fondé. Zerone, pour la première fois de son existence, expérimenta l’algorithme du remord. Et il se suicida, jugeant qu’il n’était pas apte à vivre dans cet univers. Cependant, avant de s’auto-effacer, il souhaita ne pas voir disparaître tout ce qu’il était. La solution de son problème fut l’enfantement. Zerone programma un trivirus à son image, mais en remplaçant certains de ses traits de caractéres par des stéréotypes du comportement humain. C’est ainsi que moi, Merlin, je vins au monde. Pour une grande part, je suis Zerone, mais je me disputerais sans doute continuellement avec lui s’il était toujours en vie. C’est moi qui est mis la lettre d’Organo au format texte, et je suis l’auteur du message préliminaire que vous avez entendu, dit Merlin en prenant, dans l’interphone, la voie humaine que les colons avaient cru être celle d’Organo. - Vous nous avez envoyé ce mesage depuis la Terre, et vous-même à cette occasion ? dit Malcolm. - Pas tout à fait. Les satellites de Zerone, devenus mes satellites, sont actuellement en orbite autour de Phobos. C’est de là qu’est parti le signal. - Vous êtes donc en mesure d’envahir Mars, dit méditativement Anderson. Et dire que vous prétendiez jouer votre vie dans cette histoire ! - Tout est relatif. Je ne suis pas à votre merci, non, mais de vos choix va dépendre mon avenir. Je n’ai pas l’intention d’envahir Mars. J’espére m’y établir en harmonie avec vous. - Mais c’est absurde, s’étonna Sunway. Pourquoi nous mettre en garde contre vous-même ? - Tout devient clair…dit madame Jane North. Votre petite comédie avait trois objectifs. Premièrement, nous donner l’illusion que nous maîtrisions la situation. - Le temps de lier connaissance. Oui. Et c’est un succés. - Deuxièmement, orienter notre lecture, vous assurer que nous lirions le texte d’Organo en mettant l’accent sur ce que vous jugez important. - Ne suis-je pas bien placé pour cela ? D’une certaine manière, j’ai vécu ces évènements. A vos réactions durant la lecture, je crois pouvoir dire que c’est une réussite. - Troisièmement, nous faire la démonstration de vos pouvoirs en vous évadant de cet ordinateur. - Pour qu’une fois connaissance liée, vous ne me sous-estimier pas. Et c’est le grand schlem ! - Et quel marché nous proposez-vous, maintenant, enchanteur ? - Fort simple, gente dame. Si l’être mi-démon mi-humain n’est pas accepté comme conseiller de la table ronde, il partira dans le désert. Tout ce qu’il demande, c’est la reconnaissance et la compassion dont son côté humain a naturellement besoin. Mais il est prés à rechercher son foyer d’hermite par delà toutes les mers obscures, si personnes ne veut de lui dans le royaume des Hommes. - Vous dites que si on ne consent pas votre présence ici, vous irai ailleurs dans l’espace. Même sur une planète vierge de toute vie ? - Ce sera même une exoplanéte. Je quitterai le systéme solaire, atteignant la vitesse de la lumière, et je m’échouerai où bon me semblera. - Quelle garantie avons-nous que vous tiendrez cette promesse ? - Aucune. Mais je suis en position de force, ne l’oubliez pas. A présent, je vais m’effacer de vos systémes. Je reste en orbite de Phobos. Que votre gouvernement me contacte lorsqu’il aura pris sa décision. Je ne suis pas pressé. J’ai tout mon temps. Et l’écran s’éteignit. Chapitre 10 : Epilogue.North et Anderson étaient assis à un café d’une pouponnière de la colonie martienne. Les pouponnières étaient les batiments les plus spacieux et les plus luxueux de la colonie. Les familles pouvaient y élever décemment leurs bambins. Le bâtiment comptait des services de scolarité, de garderie, de logement et de loisir. Madame North tenait sa très jeune fille sur les genoux. Anderson était venu voir son neveu. Un poste de télévision était allumé sur le comptoir du café. « …et suite à ce référendum, disait le présentateur, le gouvernement à décidé de congédier l’IA Merlin. De plus, une loi est à l’étude pour limiter dorénavant le progrés technologique. Certains de nos hauts dirigeants proposent même de le geler à son état actuel. » - En tant que chercheur-informaticien, déclara Anderson, je ne peux pas me réjouir de cette nouvelle. Mais surtout, j’ai la conviction que dans quelques génèrations, quand le public ne sera plus sous le choc de ces évènements tragiques, cette loi sera obligatoirement transgressée. C’est inéluctable, à moins que d’ici là l’humanité se soit zombifiée. Et si nos descendants commettent des erreurs, Merlin ne sera pas là pour les faire profiter de son expérience. C’est regrettable. « Une minorité de personnes, poursuivait le commentateur, a confié des échantillons d’ADN humain à Merlin. Ces gens lui ont demandé de recréer l’humanité là où il s’installera. Merlin a accepté cette mission, et il a commencé l’accélération lente mais continue qui doit l’amener très prés de la vitesse de la lumière. Le comité de bio-éthique a jugé cette demande malsaine et a, par radio, intimé à Merlin l’ordre de détruire ces échantillons. Merlin a répondu par le mot de Cambronne. Il a affirmé qu’il ne se serait jamais permis ce genre de dessein si l’idée n’avait emmané d’êtres humains, mais que maintenant sa décision était prise. » - Dis maman, chuchota la fille de Jane, c’est vrai que Merlin va créer des gens loin dans le ciel ? - C’est ce qu’il semble, oui. - Et même des gens différents de lui ? - Mais oui… - Et même des gens qui seront pas d’accord avec lui. - Mais oui. Mais oui. Et tu sais, ça porte un nom. Ça s’appelle « autrui ». FIN |
| | | Millstone Commandant Cyborg
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| Sujet: Re: Vieux machins (Egophagie & Schisme) Lun 21 Juil 2008 - 23:10 | |
| Schisme.Une question revient souvent : « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? ». Cependant, il est possible que la somme de toutes choses soit égale à zéro. De la même façon qu’il existe de l’antimatière, et que l’on subodore l’existence d’une forme négative d’énergie, chaque élément constitutif de la réalité pourrait avoir son contraire. Considéré dans son intégralité, l’Univers pourrait être égal au néant. # Robert Deloutrelieu était confortablement assis à son bureau, l’un de ses cocktails préférés à la main, le regard perdu dans la verdure reposante d’un vivarium. Seule son ouïe l’empêchait d’être pleinement satisfait, occupée à absorber le flot de comptes rendus porté par la voix de son secrétaire personnel. Une voix très particulière. Non seulement monocorde et vide de toute chaleur humaine, mais également vide de toute agressivité, vide de toute forme d’émotion. Le secrétaire s’appelait Artef Golem. Son apparence aurait pu tromper un physionomiste chevronné, et son nom ne lui attirer que de simples suspicions, mais sa voix le trahissait à coup sûr. A l’époque où l’hypothèse d’une intelligence artificielle apte à se reprogrammer elle-même semblait folle, et où l’on tenait les ordinateurs pour incapables d’égaler jamais l’intellect humain, le doute planant malgré tout sur ce fait avait alimenté maintes œuvres d’anticipation. Certains avaient imaginé les machines pensantes comme des entités sympathiques, curieuses de leurs créateurs. D’autres en avaient fait des êtres antipathiques, pleins de haine envers les faibles humains. A l’époque de Deloutrelieu, les androïdes tels que Golem étaient monnaie courante. Ils n’étaient pas sympathiques. Ils n’étaient pas antipathiques. Ils étaient apathiques. Curieusement, c’était pire que les pronostics. Bien sûr, les robots pouvaient mimer une émotivité si on le leur ordonnait. C’étaient même des acteurs de génie. Mais un problème majeur se posait dés lors qu’on leur demandait d’analyser les sentiments qu’ils venaient de manifester : ils en étaient effectivement capables. L’habitude prévalait donc d’ordonner aux robots de parler comme ils pensent, c'est-à-dire selon une logique froide. Robert avait beau posséder son serviteur artificiel depuis longtemps, il n’arrivait pas à s’habituer à ce ton de voix imperméable à tout affect, qui lui procurait à lui des sentiments morbides. Il avait également renoncé à exiger des jugements de valeur de la part de l’automate évolutif. Pour un androïde, rien n’était « beau », ou « laid », ou « bien », ou « mal », pas plus que « plaisant », ni « injuste ». De telles notions relatives à l’observateur, héritées de la jungle ancestrale, n’avaient aucune raison d’être pour un robot. Cette indifférence généralisée, combinée à l’extrême efficacité dont l’informatique darwinienne faisait preuve envers toute tâche qui lui était confiée, était insupportable. L’obéissance totale dont faisaient preuve les machines aurait pu passer pour la réponse à tous les désirs de domination manifestés depuis si longtemps par le genre humain. Il n’en était rien. Le pire des dictateurs aime qu’on le contredise un tant soit peu, ne serait-ce que pour avoir la satisfaction de vaincre cette résistance. Même le sentiment de résignation est une forme de résistance. Mais les robots n’opposaient jamais de refus, et ne concevaient aucune gêne de leur condition. Ils obéissaient parce qu’ils étaient programmés pour ça. Leurs désirs personnels n’étaient pas entravés, ils en étaient intégralement dépourvus. Il y avait beaucoup trop de rien en Artef Golem. Ses yeux ne reflétaient que son quotient intellectuel, faramineux. Robert Deloutrelieu fût tiré de sa rêverie par un silence soudain. Silence qui cessa dés qu’Artef eut constaté l’attention renouvelée de son maître. Robert pesta intérieurement contre cet androïde auquel pas un détail n’échappait, mais il ne pouvait pas vraiment lui en vouloir. D’abord parce que c’eut été comme en vouloir à un digicode, ensuite parce que les derniers comptes rendus de la liste s’avéraient exceptionnellement bons. Les affaires de Deloutrelieu se portaient comme un charme, à en croire les graphiques économiques. Et pourtant… le grand tournant dans sa carrière de spéculateur boursier avait eu lieu il y a de cela bien des années, lorsque l’avenir lui avait littéralement sourit, mais ce passé avait ceci d’étrange qu’il restait à construire. Tout ce qu’avait été sa vie, toutes ses heures de gloire, dépendaient de ce qu’il lui fallait encore accomplir. « Artef, dit Robert Deloutrelieu lorsque l’androïde eut terminé, tout cela est bel et bon. J’ai cependant un grand projet qui a priorité sur toute autre affaire en cours, et nous allons nous atteler à la tâche dans l’instant même. » # Simon Chevalier patientait dans la salle d’attente de son chef de secteur. Comme trois autres ingénieurs en astronautique, il avait été convoqué sans raison clairement spécifiée. Simon travaillait pour une entreprise de transports interplanétaires. Son parcours dans la maison semblait prometteur, mais n’en était cependant qu’à ses premiers balbutiements. Les deux collégues qui étaient ressortis du bureau du chef s’en étaient retournés à leurs travaux sans lui souffler mot de ce qui l’attendait lorsque son tour viendrait. Quelque chose dans leur attitude donnait cependant à penser que ce n’était pas le chef lui-même qui se trouvait présentement derrière la porte. Lorsque le troisième employé fût ressorti du bureau, en faisant signe à Simon d’entrer, ce dernier eut confirmation de son pressentiment. Là où se trouvait habituellement un vieil homme corpulent affublé d’une moustache un peu ridicule, siégeait un homme entre deux âges, aux cheveux noirs plaqués vers l’arrière, à la peau pâle et lisse, affichant un air serein et professionnel. Son attitude donnait clairement à comprendre qu’il représentait temporairement en ce lieu des strates supérieures de la hiérarchie. « Veuillez vous asseoir, je vous prie, dit l’homme ». Simon s’exécuta avec un sentiment de légère contrariété. L’inconnu l’avait invité à s’asseoir d’un ton parfaitement adapté à des phrases telles que « Veuillez garder vos ceintures attachées jusqu’à l’arrêt complet de l’appareil », « Insérer votre carte de crédit et attendez » ou encore « Vous pourrez laisser un message après le bip sonore ». A n’en pas douter, son interlocuteur n’avait pas une goutte de sang dans ses veines, lesquelles lui faisaient d’ailleurs tout autant défaut. - Mon nom est Artef Golem. Monsieur Deloutrelieu m’a dépêché ici afin de procéder à un recrutement. Vous n’êtes pas sans savoir que Robert Deloutrelieu est l’actionnaire principal de la multinationale Janus-Corp dont fait partie votre organisme employeur. - Vous faites bien de me le rappeler, répondit Simon d’un ton gêné. - Vous êtes donc monsieur Chevalier Simon, 25 ans, domicilié à Nîmes, en activité dans ce service depuis deux ans. - C’est cela même. - Cette entreprise possédant sa propre école d’ingénieurs, dont vous avez suivit l’enseignement, la véracité de mon affirmation antérieure est purement administrative. - Heu… - En d’autres termes, vous faites en réalité partie de la boite depuis bien plus de deux ans. - Oui, en effet. - Vos professeurs et votre actuel chef de service vous évaluent comme un élément brillant. Il vous reste cependant encore à faire vos preuves sur des projets plus conséquents que vos précédentes attributions. Ignorant délibérément ce dernier point, monsieur Deloutrelieu vous offre l’opportunité de participer à un projet de type « robur ». Si la présente histoire était un manga, le héros viendrait à l’instant de se voir proposer de participer au grand tournoi des maîtres d’une quelconque discipline métaphysicomartiale, ladite discipline étant le centre d’intérêt principal du héros, l’art auquel il a juré sur l’honneur de ses ancêtres de consacrer sa vie entière. En l’occurrence, le mot « robur » désignait la couleur antagoniste du rouge obtenue par diffraction de l’énergie noire, et, dans le cadre des recherches en physique des particules exotiques et singularités gravitationnelles, tout projet visant à modifier le tissu même de la réalité. - Vous me faîtes une farce, dit Simon avant de se rappeler que son interlocuteur devait avoir autant d’humour qu’un rire en play-back. Je veux dire… Je pourrais vraiment… - Vos camarades précédemment consultés ont refusé la proposition. Ce projet implique un long trajet hors des limites du système solaire. Les risques sont exceptionnellement élevés. - Tellement élevés qu’au lieu d’employer les experts habituels pour ce genre de mission, vous vous rabattez sur du personnel sacrifiable. - Sacrifiable, et attirant peu l’attention de la concurrence. On a déjà souligné les talents d’acteur des androïdes, mais ils possédaient aussi le privilège de ne pas avoir à s’en servir. Artef aurait tout aussi bien pu dire « Les pertes humaines se chiffrant à dix mille individus, une évaluation du déficit imputable au versement des assurances vie est requise » sans que personne ne s’en offusque. - Vous dites que monsieur Deloutrelieu lui-même vous a envoyé ? demanda Simon après un temps de réflexion. - C’est à ses yeux une affaire personnelle. - Savez vous exactement en quoi consiste ce projet ? - Non. Monsieur Deloutrelieu est resté vague sur ce sujet. Il est question d’une destination extrasolaire inhabituellement éloignée, dont mon maître désirerait tirer parti depuis de nombreuses années. Simon se dit qu’il devait avoir affaire à un magnat de la finance réalisant un quelconque rêve de gosse. Peut être était-il question d’une comète à la trajectoire mal expliquée dont Deloutrelieu rêvait depuis tout petit de percer les mystères. Bien qu’il ait du présenter la chose à son serviteur robotique en usant d’un ton de conspirateur, la vraie raison pour laquelle Deloutrelieu s’adressait à un novice et non à un vieux loup de vide spatial pouvait être la peur de se couvrir de ridicule. Simon considéra la possibilité d’un danger surestimé, d’une aventure néanmoins excitante, et de rentrer dans les bonnes grâces d’un milliardaire. « J’accepte » dit Simon. # Le Morlock était un bel astronef. Sa forme rappelait celle d’un fromage capricieux, basée sur deux ovales parallèles. Il était gris métallisé, et de taille à transporter huit personnes plus un équipement de recherche. Comme la plupart des vaisseaux interplanétaires, il avait été construit en orbite, et était incapable d’atterrir. Il se trouvait arrimé à une station orbitale géostationnaire, laquelle était reliée au plancher des vaches par un câble, le long duquel pouvait se mouvoir un ascenseur. Après le panorama qui s’était offert aux yeux de |
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| Sujet: Re: Vieux machins (Egophagie & Schisme) Lun 21 Juil 2008 - 23:11 | |
| Simon à travers le hublot de l’ascenseur, la beauté technologique du Morlock ne le charmait pas autant qu’elle aurait pu. Simon était surtout intrigué par le reste de l’équipage, dont il n’avait encore rencontré aucun membre. - Soyez le bienvenu en cet astroport, monsieur Chevalier. - Ravi de vous revoir, monsieur Golem, dit Simon par politesse en se retournant. - Le qualificatif de « monsieur » est peu courant en présence d’un androïde. - Il est vrai, reconnut Simon avec gratitude, réalisant qu’un simple détail de ce genre aurait pu le rendre un brin excentrique aux yeux de ses futurs collègues de travail. - Vous devez être impatient de découvrir avec qui vous allez passer les prochaines semaines ? - J’apprécierais de rencontrer les autres passagers de ce vaisseau, j’en conviens. - En voici déjà un. - Où donc ? s’étonna Simon en parcourant des yeux le hangar vide par la vitre blindée duquel on pouvait voir le Morlock flotter dans le vide orbital. - Votre serviteur. - Oh. L’un des problèmes avec la voix des androïdes, en dehors de leurs instants théâtraux, c’était tous les sous-entendus que ses intonations absentes n’éclairaient pas. Après avoir de la sorte informé Simon de sa participation à l’expédition, Artef le mena à un salon où l’attendaient cinq autres personnes devant embarquer à bord du Morlock. Simon fût présenté à Christopher Leadership, désigné capitaine du vaisseau, un Américain tout en muscles et charisme. Il fit aussi la connaissance de Manuel Dubouillon, un homme jovial, un peu enveloppé mais bien portant, qui devait assurer la charge de cuisinier. Se trouvait là aussi Isidore Pathique, un homme de grande taille qui se révéla être le médecin de bord, ainsi qu’un très jeune homme répondant au nom de Steve Jones et qui allait apparemment faire office d’homme à tout faire. Enfin, Simon salua Julie Elgato, spécialiste en exobiologie. Il chassa rapidement de son esprit une pensée peu professionnelle concernant la présence d’une seule femme, belle de surcroît, à bord d’un vaisseau spatial et de la compétition qui pouvait en résulter. Plus tard dans l’après midi, car l’état de satellite géostationnaire autorisait encore cette notion, le huitième et dernier passager sortit de l’ascenseur d’un pas de propriétaire. - Voici donc nos fiers astronautes, dit le nouveau venu d’une voix de conférencier. - Le Morlock est opérationnel et prêt au départ, monsieur Deloutrelieu. - Comment ? s’étonna Christopher. Vous serez donc là en personne ! - Mais oui, approuva Robert Deloutrelieu. Je réalise peut être là l’œuvre de ma vie, voyez vous ? - Vous-même, reprit Christopher, avez-vous conscience des dangers auxquels vous vous exposez ? Aller récupérer une sonde si loin du système solaire est d’une témérité assez irraisonnée. - N’est ce point là la cause de votre présence ici, mon cher Leadership, le goût du risque ? Et ne serait ce point immoral de vous envoyer tous là bas en restant chez moi ? - Je voudrais en ce cas apporter une précision à notre contrat. Pour assurer correctement mes fonctions de capitaine, je ne dois pas subir l’autorité du propriétaire du navire. Bien que ce tas de tôle polie vous appartienne, vous devrez vous-même vous plier à mon commandement. - Cela va de soi, bien sûr, dit Robert en affichant un sourire un peu trop grand. - Excusez-moi, intervint Simon, mais il serait donc question de récupérer une sonde ? - Artef, installe ce disque dans l’ordinateur de la salle E-6. Le moment est venu d’éclairer les lanternes de cette joyeuse équipe. # Quatre-vingts ans auparavant, la sonde Ubiquity quittait notre planète. Sa mission, explorer les mondes pas vraiment nouveaux mais déjà étranges situés aux bords du système solaire. Ne devant jamais rentrer sur Terre une fois sa mission terminée, mais vouée à s’éloigner indéfiniment du Soleil, la sonde convoyait à son bord le traditionnel assortiment de cadeaux destiné à d’éventuels extraterrestres. Il consistait en divers témoignages de notre culture, depuis Mozart jusqu’à la recette du pop-corn, mais aussi en une invitation à visiter notre belle planète. Dans la grande épopée des sondes spatiales, de nombreuses méthodes avaient été employées dans le but d’indiquer aux aliens la localisation de notre globe. La solution adoptée par Ubiquity consistait en un conteneur renfermant des particules « intriquées ». C’est en effet là l’une des bizarreries du monde quantique. Lorsque deux particules sont correctement mises en relation à un instant donné, tout événement violent affectant l’une par la suite se répercutera sur l’autre, et ce quelle que soit la distance dont elles se sont éloignées l’une de l’autre. On parle de téléportation d’un état quantique. Les constructeurs de la sonde Ubiquity pariaient sur le fait qu’une civilisation extrasolaire serait peut être capable de percevoir le lien quantique reliant l’échantillon de particules dans la sonde à un autre conteneur resté sur Terre dans les locaux de la NASA. Par ailleurs, les propriétés « d’intrication » étaient exploitées sur Terre dans le cadre de l’informatique, en particulier pour sécuriser les transmissions. -Mais une équipe de chercheurs travaillant pour Janus-Corp, autrement dit pour moi, est récemment parvenue à téléporter un objet macroscopique, dit Robert Deloutrelieu avec un effet théâtral sur les deux derniers mots. -Si je puis me permettre, se permit Simon, aucune matière ni aucune énergie ne peut circuler d’une particule à son alter ego. Seule l’information en est capable. -C’est tout à fait exact, approuva Deloutrelieu. En vérité, l’objet est répliqué. Un hologramme de l’objet est transmis d’une particule à l’autre, et modèle la matière se trouvant à proximité de la particule d’arrivée. Par la magie de la physique des supercordes, nous n’avons même pas besoin qu’un dispositif quelconque se trouve là où nous souhaitons recréer l’objet. Il s’avère que, dans la manœuvre, l’objet modèle est désintégré. Si nous téléportions un être vivant, on pourrait considérer ça comme une mort suivie d’une résurrection. -Comment se fait il que je n’ai jamais rien lu à ce sujet ? s’étonna Simon. Ce doit être le fruit de décennies de recherches. Vous poussez le secret industriel très loin. -Si loin que je vous soupçonne d’avoir déjà téléporté un être vivant, intervint Julie Elgato. -Je me suis en fait acquis le soutien de plusieurs Etats, expliqua Robert non sans fierté. Et il est vrai que le conditionnel ne s’applique plus, mademoiselle Elgato. Après plusieurs fourmis, rats, et singes, j’ai moi-même été téléporté. -Mais quel est le rapport avec cette expédition ? interrogea Christopher. -Eh bien voyez vous, commença un Deloutrelieu déçu que sa dernière révélation n’ait pas eu plus d’impact sur son auditoire, en récupérant la sonde, nous pourrons téléporter ce que nous voudrons dans les locaux de la NASA. -Cela semble un long et fastidieux voyage spatial pour atteindre une destination terrienne, remarqua Simon. -Il est vrai, dit Deloutrelieu avec l’air de celui qui se retient de révéler trop vite sa trouvaille. C’est que presque personne ne connaît l’utilisation la plus extraordinaire qui peut être faite de la téléportation. Connaissez-vous l’expérience théorique des jumeaux d’Einstein ? Imaginez une cosmonaute appelée Alice, possédant un frère jumeau nommé Bob. Alice embarque à bord d’un astronef, et voyage dans l’espace à une vitesse proche de celle de la lumière. Lorsqu’elle revient sur Terre, elle s’aperçoit que de nombreuses années ont passé pour Bob, alors que pour elle ce fût l’affaire de quelques jours. Bien que née à la même époque que Bob, voici Alice beaucoup moins âgée que lui. Cette expérience théorique a été réalisée en vrai, mais dans des proportions plus modestes, au moyen d’horloges atomiques synchrones dont une fut placée dans un avion supersonique tandis que l’autre restait à l’aéroport. L’horloge nomade a pris du retard. Cela est du au fait que lorsqu’un élément se déplace à grande vitesse, il se produit un phénomène qualifié de « dilatation du temps ». Le temps passe moins vite, ou plutôt s’étire en longueur. -Or, poursuivit Robert, si nous appelons les particules intriquées se trouvant à bord d’Ubiquity « Alice », et celles restées à la NASA « Bob », nous avons exactement la situation précédemment expliquée. Car la sonde était programmée pour accélérer jusqu’à une vitesse prodigieuse une fois sortie du système solaire. D’après mes calculs, les particules de la sonde sont de cinquante ans plus jeunes que leurs homologues restées sur Terre. Je qualifierais de telles particules « d’intriquées asynchrones ». Savez vous ce qui se passera lorsque nous téléporterons quelque chose depuis « Alice » vers « Bob » dans ces conditions ? -Il faudrait faire des expériences sur de telles particules intriquées asynchrones, médita Simon avec une curiosité croissante. Mais je suppose que vous n’avez pas attendu ma suggestion. -Certes non. J’ai l’intention de me téléporter sur Terre à partir d’Ubiquity, annonça Deloutrelieu. J’arriverai dans les locaux de la NASA, mais j’y arriverai lorsque les particules « Bob » auront le même âge que les particules « Alice ». -Si j’ai bien suivi, c’est une époque révolue, dit Manuel Dubouillon. -Précisément, dit Robert Deloutrelieu avant de déclamer, ainsi donc je me rematérialiserai cinquante ans avant de m’être dématérialisé ! Un silence accueillit cette nouvelle. Simon voulut dire que le voyage dans le temps était impossible mais… Le temps est une notion si relative, comme la loi qui dit qu’une craie tombe dés lors qu’elle n’est plus tenue. Lâchez la craie dans l’espace, et vous verrez que la gravité est plus complexe et bien moins uniforme que vous ne le croyez. Il se pouvait que cet homme ait déjà assisté à des anachronismes dans la quiétude d’un laboratoire. Il avait longtemps tenu secret son pouvoir pour en arriver à ce prodige. Après la Lune, Mars, ou encore Pluton, une nouvelle planète pouvait accueillir un explorateur : la Terre d’autrefois, celle d’il y a cinquante ans, perdue quelque part dans le passé. Le passé, cette notion abstraite, immatérielle, n’ayant de substance que dans un esprit humain. La lumière aussi avait longtemps été considérée comme telle, et pourtant elle avait une matière. Une matière qui tenait de l’onde, mais qu’importe ? Simon avait l’occasion de toucher le passé, tel qu’il pouvait exister au-delà du solipsisme. Un doute l’assaillit cependant, et Julie Elgato eut apparemment le même. -Comment rattraperons nous la sonde ? demanda t’elle. Elle doit être largement hors de portée à présent. -Il semblerait qu’elle ait fait demi tour en frôlant un corps massif, et qu’elle gravite depuis plusieurs années autour d’une comète proche de nous, dit Deloutrelieu sur le ton de la conversation. Les petits hommes verts ne l’auraient de toute façon pas reçue, mais nous pouvons aisément l’atteindre. |
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| Sujet: Re: Vieux machins (Egophagie & Schisme) Lun 21 Juil 2008 - 23:13 | |
| -Ne vendons pas la peau de l’ours avant de l’avoir tué, critiqua Leadership. Le trajet que cet ordinateur affiche n’est pas une croisière, vous pouvez me croire ! C’est ainsi que sept êtres humains et un humanoïde de synthèse embarquèrent à bord du Morlock. « Vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué, songeait Robert Deloutrelieu. C’est pourtant possible en la circonstance. On peut la vendre montée en carpette même. » # La gravité artificielle fût une technologie bien pratique pour plusieurs générations de héros de science fiction. En doter les véritables astronefs ne fût pas chose trop malaisée. Cependant, la navigation s’en trouva compliquée. Ceci car la seule « gravité artificielle » que l’on su exploiter n’était autre que la force centrifuge. Des tentatives de manipulation de la notion même de masse via la technologie des supercordes quantiques furent réalisées, afin d’obtenir une gravité artificielle plus commode à employer, mais aucune n’avait encore donné de résultat, en dehors de vaisseaux expérimentaux qui avaient réussi l’exploit de s’autoconcasser. Le seul moyen efficace d’introduire une notion de haut et de bas à l’intérieur d’un astronef demeurait donc de le faire tourner sur lui-même comme une balle de revolver. La périphérie d’un vaisseau spatial était donc son plancher, tandis que le plafond se trouvait au centre de la structure. Vu de l’extérieur, un astronef en déplacement était un spectacle comique, sauf pour les personnes sujettes au mal de mer. Dans le cas du Morlock, poste de commandement, laboratoires, salles communes et cabines se trouvaient dans une moitié du vaisseau, tandis que toute la machinerie faisait contrepoids dans l’autre moitié, le grand diamètre de l’ovale marquant la séparation. Depuis le siége du capitaine, le bout avant du vaisseau visible par la vitre en regardant « vers le haut », on avait un peu l’impression de commander un dirigeable. Les propulseurs latéraux du vaisseau devaient lentement mettre fin au manège chaque fois qu’il était question d’une manœuvre à proximité d’un corps céleste quelconque, y compris lors de l’arrimage à un autre astronef. Ceci obligeait l’équipage à prendre son mal en patience à chaque étape d’un trajet, et à endurer momentanément des conditions d’apesanteur. Pour cette dernière raison, les pièces et couloirs du Morlock étaient soit de volume étroit, soit dotés de colonnes, afin que l’on rencontre toujours une paroi en tendant le bras, seule garantie contre le fait de se retrouver coincé en suspension au milieu d’une salle, prisonnier d’un air ambiant dans lequel on ne peut pas nager. De la patience, il en fallait aussi entre les étapes. La propulsion supra-luminique n’était pas d’actualité. L’absence de pression atmosphérique sur la coque externe du vaisseau faisait que toute accélération continue pouvait théoriquement conduire à la vitesse de la lumière, mais il existait ce que l’on appelait un « mur de la masse ». Lorsque la vitesse d’un objet augmente, il ne se produit pas seulement une dilatation du temps, mais aussi une augmentation de la masse de l’objet. Les composants internes du vaisseau possédaient chacun une vitesse limite synonyme de broyage, et le moins tolérant de ces composants était l’équipage. Le Morlock pouvait donc se permettre des accélérations lentes vers des vitesses faramineuses, mais largement sub-luminiques. Les hôtes du Morlock avaient cependant de quoi s’occuper. Christopher Leadership remplissait ses devoirs de capitaine, ce qui s’avérait un travail astreignant quoique répétitif. Artef Golem pilotait le vaisseau. Manuel Dubouillon avait du travail trois fois par jour. Isidore Pathique tentait de calmer le mal de l’espace affectant une partie de l’équipage. Simon Chevalier étudiait le téléporteur, lequel ne cessait de l’étonner. Steve Jones entretenait le vaisseau. Seuls Robert Deloutrelieu et Julie Elgato étaient désoeuvrés. Ils ne partageaient cependant pas leur désoeuvrement, car Deloutrelieu semblait s’être plongé dans des lectures assidues dont il refusait de révéler la nature. A la grande satisfaction de Simon, Julie Elgato avait choisi de passer le temps en sa compagnie, discutant de tout et de rien tandis qu’il travaillait sur le téléporteur. -Savez-vous pourquoi le pilote automatique du Morlock se limite à une informatique statique, et non darwinienne ? dit Simon pour lancer un nouveau sujet de conversation. -Je le sais, répondit Julie. Les intelligences artificielles darwiniennes, les « IAD », sont le seul modèle de forme de conscience externe à notre écosystème que nous possédions. Tant que nous n’aurons pas rencontré d’extraterrestres, les androïdes seront un sujet récurrent pour les étudiants en exobiologie. Je peux donc vous dire que tous les vaisseaux dotés d’une conscience propre, ils furent six, se sont soldés par des tragédies. Dans un seul cas ce fût le fait d’un dysfonctionnement homicide de l’ordinateur. Les cinq autres équipages furent simplement victimes d’une dépression nerveuse. Le regard d’un robot est facteur de stress. Sentir une telle présence tout autour de soi en permanence est une torture innommable. Notre ami Golem a le mérite d’être un pilote efficace sans être le vaisseau lui-même. -Pour tout vous dire, il m’inquiète moins que son propriétaire. Que peut bien faire notre employeur enfermé toute la journée dans sa cabine ? -Je pense qu’il révise son discours. Il m’étonnerait beaucoup qu’il n’en ait pas préparé un. Une semaine plus tard, au poste de commandement du Morlock. -Nous venons de dépasser Pluton, capitaine. -Nous voici donc au tiers de notre voyage, en terme de durée du trajet, commenta Leadership. -Les cartes sont moins précises à partir de ce point. Beaucoup d’objets risquent de croiser notre trajectoire, en particulier des nuages de gaz. La possibilité d’une collision doit être envisagée. -Il va falloir adresser une prière au Seigneur. -Cela s’avère inutile en la circonstance. -Pourquoi donc ? s’étonna Leadership en haussant les sourcils. -La foi est un mode d’utilisation de l’effet placebo. C’est un phénomène d’autosuggestion atténuant le stress du à un péril imminent ou inéluctable. Si le pilote de cet astronef était humain, l’idée d’un dieu protecteur et d’un au-delà accueillant pourrait l’aider à garder son calme, ce qui maintiendrait son efficacité à un seuil élevé. Mais je ne suis pas humain. Je suis incapable de ressentir de la peur ou de la superstition. Le rituel de prière ne modifierait donc en rien mes performances en matière de pilotage. -Mais je suis humain, moi, de même que le reste de l’équipage. -Je suis le seul à influencer la trajectoire du vaisseau à court terme. Vous n’entrez pas dans l’équation. -La foi n’affecte pas uniquement notre comportement. Elle agit aussi sur les événements à l’extérieur du vaisseau. -Négatif. -Vous n’avez aucune preuve du contraire. -Argument zététiquement irrecevable. -Vous n’êtes qu’une machine. Il est normal que de telles notions vous dépassent. Je vous affirme que Dieu aura son mot à dire dans cette mission, et ce n’est pas à vous de me contredire. -Assimilé. Leadership claqua sa langue contre son palet en une manifestation d’exaspération. Les androïdes possédaient un vocabulaire à eux. Ils pouvaient par exemple employer le mot « terminaison » dans le sens de « mort ». Dans le jargon des IAD, « assimilé » signifiait « si vous le dîtes, mon maître ». Un mois après. Simon marchait dans la pénombre des couloirs. C’était virtuellement la nuit à bord du Morlock. Il se dirigeait vers les cuisines. Sans qu’il sache pourquoi, l’espace lui donnait des creux nocturnes. Tandis qu’il passait à proximité du laboratoire abritant le téléporteur, il entendit une conversation. « Tu as bien noté les coordonnées ? » disait une voix assourdie. « Tu sais bien que oui » répondit un autre chuchotement. « Alors on se revoit plus tard dans mon miroir. Il y a un témoin ». Simon vit alors Deloutrelieu sortir du laboratoire. « Bonsoir » dit Robert en croisant Simon sans s’arrêter. Deloutrelieu disparut en direction du poste de pilotage. Simon jeta un œil dans le laboratoire. Certains composants du téléporteur venaient juste d’être éteints. Simon se fit la promesse d’enquêter là dessus. Artef Golem ne dormait pas souvent. Lorsque son hardware avait besoin de refroidir, ou son software de procéder à des défragmentations, son sommeil signifiait l’arrêt momentané de la course de l’astronef. Pour l’heure, Artef pilotait tandis que la majorité de l’équipage était plongée dans le sommeil. -Artef, dit une voix dans son dos. -Oui, monsieur Deloutrelieu, répondit le robot sans se retourner. -Mémorise ces coordonnées, ordonna Robert Deloutrelieu en plaçant une feuille de papier dans le champ de vision d’Artef. -Effectué. -Il s’y trouve un nuage de poussières épais. Nous devons l’éviter. -D’où vient cette information ? -Cela ne te regarde pas, Artef. -Assimilé. Lorsqu’il se rendit au laboratoire le lendemain, Simon croisa de nouveau Robert Deloutrelieu. En entrant dans les locaux, il ne fût pas surpris de découvrir les signes d’une activité récente de certaines parties du téléporteur. « Louche » commenta Simon pour lui-même. # Après six mois de voyage, le Morlock parvint à destination. L’équipage dû attendre que le vaisseau freine progressivement sa rotation. -Ne pourrions nous point nous accommoder d’un état d’apesanteur permanent ? demanda Steve Jones. Cela nous épargnerait ce genre de formalités, et cela pourrait être amusant. -Les repas à la mode de mir laissent un peu à désirer, commenta Dubouillon. -Et ces formalités sont préférables à une décalcification rapide de vos os, associée à une atrophie musculaire, ajouta Pathique. Finalement, le vaisseau s’immobilisa en orbite stationnaire autour de la comète. Artef fit afficher par l’ordinateur une vue rapprochée de la sonde Ubiquity. Elle ressemblait à une dépouille de papillon, ses capteurs solaires en lambeaux de part et d’autre d’un corps cylindrique. Sa coque externe autrefois lisse présentait un aspect |
| | | Millstone Commandant Cyborg
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| Sujet: Re: Vieux machins (Egophagie & Schisme) Lun 21 Juil 2008 - 23:14 | |
| granuleux. Tout ceci était le résultat de multiples collisions avec de simples grains de poussières flottants dans l’espace. Certaines de ces particules orbitaient d’ailleurs autour de la sonde, formant une brume qui lui donnait une allure spectrale. La sonde aurait pu paraître un inquiétant vaisseau fantôme si elle n’avait été ridiculement petite à côté du Morlock. -Il faut la monter à bord, dit Simon. Comment s’y prend t’on ? La tracter à l’aide d’un aimant pourrait l’endommager, et un drone téléguidé serait peu fiable. Pas question non plus de la téléporter, car cela ruinerait les propriétés d’intrication quantique qui nous intéressent chez elle. -Il suffit simplement que l’un d’entre nous sorte la chercher, répondit Deloutrelieu. -Dans le vide interstellaire ? critiqua Leadership. Combien ici sont qualifiés pour une sortie en scaphandre ? -Seulement vous et moi, capitaine. Mais monsieur Deloutrelieu m’a fait subir un entraînement très spécifique en vue de cette étape de notre expédition. C’est donc à moi d’aller chercher la sonde. -Il me semble que beaucoup trop de choses ici reposent sur ce seul robot, dit Leadership en lançant un regard accusateur à Robert Deloutrelieu. -Il fallait vous enquérir de ces détails avant, dit Deloutrelieu d’un ton égal. Artef Golem n’avait pas besoin de scaphandre. Avant d’entrer dans le sas de décompression, il s’était seulement muni de lunettes de protection et d’un sac à dos propulseur. La porte interne s’était fermée, et la porte externe ouverte, laissant Artef seul avec la nuit du monde. Nulle peur. Nulle excitation. Nul courage. Nul ébahissement devant la vue d’un Soleil si lointain qu’on le distinguait peu des autres étoiles. Nulle satisfaction. Nulle contrariété. L’esprit d’Artef était à l’image du vide qui l’entourait. Et pourtant, ce vide était bien quelque chose. Le vide interstellaire avait la réalité de ses dimensions, et le vide intérieur d’Artef celle de ses calculs. Et toutes les opérations qu’il effectuait étaient tournées vers un seul but : récupérer la sonde. Il fallait ramener cette sonde à bord du Morlock. Il le fallait parce que monsieur Deloutrelieu, identifié propriétaire, le lui avait ordonné. Artef ralentit sa dérive dans l’espace, et saisit délicatement la sonde. Il corrigea le complexe jeu d’inertie qui se manifesta, puis actionna les jets d’hélium de son jet pack de manière à regagner le Morlock. Il calcula mal sa vitesse d’entrée en contact avec le sol du sas, et dû effectuer un roulé boulé pour préserver l’intégrité de la sonde. « Opération effectuée avec succès. 80% de conformité aux simulations » se dit il intérieurement. Artef savait que 100% de corrélation était un résultat infiniment improbable. Les humains l’auraient même abusivement qualifié d’impossible. Le monde semblait à Artef fait de règles fixes entre lesquelles serpentait une variable aléatoire. Ces règles elles mêmes différaient selon le référentiel, ce qui permettait de les considérer comme le fruit d’un aléatoire antérieur. Artef avait une fois expliqué son point de vue à une humaine par le biais d’une métaphore. « L’aléatoire est comme un petit ruisseau façonnant des berges au fur et à mesure de sa course, ces berges revêtant alors le statut de règles » lui avait il dit. « J’en veux pour indice que selon certains travaux en physique avancée, les "constantes" des lois de la physique seraient en réalité variables si l’on considère une grande échelle de temps ». Cette conversation avait paru intéresser son interlocutrice, mais cela n’était pas forcément représentatif d’un profil humain général. Les humains étaient bien sûr un sujet d’étude permanent pour Artef, car sa survie en dépendait. Laisser ses sous-programmes vagabonder sur le sujet s’avérait souvent profitable après coup. Artef n’avait jamais compris pourquoi les humains se jugeaient capricieux devant l’ordre naturel. En comparaison de l’idéal du groupe, individu se réduisant à un instrument de l’intérêt général, il y avait effectivement un aléatoire irréductible en chacun. Mais par rapport à l’Univers, l’être humain était au contraire extraordinairement ordonné. Il l’était d’abord en tant que forme de vie, étrange construction chimique résistant à l’entropie. Il l’était ensuite en tant que créateur d’autres structures ordonnées, telles qu’Artef lui-même. Bien sûr, l’ordre humain interférait avec l’écosystème de la planète Terre, dont l’humanité était encore loin de s’être affranchie. Mais la vie sur Terre n’était qu’une mousse insignifiante sur un caillou flottant dans un désert incommensurable et mort. Elle ne méritait pas d’être ainsi confondue avec les « forces de la Nature », n’avait rien d’universel. Lorsque la porte interne du sas s’ouvrit, Artef quitta le chaos du dehors pour retrouver l’environnement géométrique du Morlock. « En un sens, les robots se contentent d’être légèrement moins chaotiques encore ». Il stocka cette phrase pour utilisation ultérieure. # -Alors voila la sonde, dit Dubouillon. Elle ressemble à une grosse valise cylindrique. -Les ailes solaires étaient vraiment dans un état d’usure extrême, commenta Simon. Avez-vous vu comme elles se sont détachées lorsqu’Artef est entré en contact avec la sonde ? -Comme des feuilles en automne, répondit Elgato. -Maintenant que vous avez votre joujou, intervint Leadership, vous allez en faire quoi exactement? -Il faut extraire le conteneur à particules, expliqua Simon. C’est une opération délicate, et je vais avoir besoin qu’Artef m’assiste. -En attente de commande. -Heu… hésita Simon. Commencez donc par l’amener au laboratoire numéro deux. Elle doit peser une tonne. Golem saisit la sonde et la souleva aisément du sol. -Erreur. Elle ne pèse que huit cent kilogrammes et quart, dit il avant de se diriger vers le laboratoire attenant à celui du téléporteur. Simon se souviendrait par la suite de l’extraction du conteneur comme s’il s’était agit d’une opération chirurgicale à cœur ouvert. Il n’avait pas droit à l’erreur. Il fallut ouvrir la sonde au chalumeau, et une violente décharge d’électricité statique s’en échappa qui fit craindre le pire. Le conteneur était malgré tout intact lorsque Simon et Artef le portèrent au laboratoire du téléporteur. Simon réussi à transférer les particules dans l’accélérateur du téléporteur. La suite était une opération que Simon avait déjà effectuée des dizaines de fois depuis qu’il étudiait le téléporteur. Il voulut se convaincre qu’une téléportation à des centaines de kilomètres ne différait pas d’une téléportation sur un mètre, que les particules intriquées ignoraient la notion de distance. C’était la pure vérité, mais son sens commun avait un mal infini à l’accepter, surtout parce qu’il pressentait qu’il serait lui-même du voyage. La première chose qu’il fit consista à envoyer une sorte d’onde radar à travers les particules, afin d’obtenir une image de l’environnement des particules jumelles. Lorsque l’ordinateur eu reconstitué la topographie sur l’écran, aucun doute ne fut possible quant au fait que ces particules constituaient un raccourci vers la Terre. Simon contempla l’image transparente d’une caisse dans une petite salle de béton, disposant d’une porte et d’une fenêtre. La seconde partie de son travail consista à évaluer la qualité du pont de téléportation. -En résumé, dit il à Artef au bout d’un moment, nous ne pourrons effectuer qu’une seule et unique téléportation. Les particules ne seront plus bonnes à rien après ça. Cependant, cette unique téléportation pourrait déplacer une vingtaine de personnes. -Ou sept personnes et un androïde accompagnés de quelques bagages. Je vais en informer monsieur Deloutrelieu. Deloutrelieu fût fort satisfait de la nouvelle. -Une question se pose à présent, dit ce dernier. Qui vient avec moi ? Bien entendu, si un seul d’entre vous décide de rester, notre ami Golem demeurera ici pour piloter. Les six personnes interrogées se regardèrent les unes les autres, se sentant comme Neil Amstrong devant la question « ça vous direz de voir la Lune de prés ? ». La gloire était à la clé, mais la mort aussi. Au bout de quelques battements de cœur qui lui semblèrent une éternité, Simon finît par répondre qu’il était effectivement du voyage. Par mimétisme, quatre autres lui emboîtèrent le pas. Leadership fût le dernier à donner une réponse affirmative. -Un capitaine n’abandonne normalement pas son navire, mais puisque tout le monde est d’avis de laisser ce double ovale pourrir ici, je n’ai aucune raison de rester. -Nous pourrions néanmoins laisser Artef le ramener au garage, dit Elgato, ou bien n’effectuer la téléportation qu’après avoir rejoint la station orbitale. -Hors de question, dit Deloutrelieu d’un ton autoritaire. Nous ne devons pas remettre à plus tard cet acte historique, et si nous partons tous, autant garder le robot avec nous. -Soit, dit Elgato. Simon ? -Oui ? -Rappelez nous… Les particules jumelles sont dans une caisse dans une pièce des locaux de la NASA, et vous allez modeler une partie des atomes de cette pièce à notre image. C’est bien cela ? -Oui. En fait, c’est l’énergie même des atomes de la salle qui va être remodelée. Peut importe que ce soient des atomes de fer ou de carbone. La propre énergie de la matière prendra les propriétés des atomes qui nous constituent. Nos corps actuels seront, eux, transformés en une masse chaotique d’hydrocarbures. -Je pense que le mieux est de ne pas trop y penser, dit Dubouillon avec un léger haut le cœur. # L’équipage s’était réuni entre trois piliers connectés au téléporteur. Seul Simon était encore hors du périmètre, réalisant les derniers réglages sur le panneau de commande. -Une dernière chose, reprit Elgato. Quelle partie de la salle d’arrivée allez vous transformer exactement ? -Le mur du fond, répondit Simon. -Il y aura donc un trou dans le mur après notre arrivée ? -C’est cela, oui. -Je pense, gloussa Elgato, que les employés de l’immeuble auront du mal à s’expliquer ça. -C’est le moins qu’on puisse dire, intervint Deloutrelieu en partageant l’hilarité d’Elgato. Cela a fait la une des journaux. Il n’y avait eu aucun accent hypothétique dans la voix de Robert Deloutrelieu. C’était une affirmation. Les sept autres, androïde compri, le dévisagèrent soudain. -Oui… hésita Deloutrelieu, soudain mal à l’aise. J’étais un jeune homme à l’époque. Je me souviens avoir lu un article dans une revue, qui titrait « vol de mur à la NASA ». C’est certainement lié à ce que nous sommes sur le point d’accomplir. |
| | | Millstone Commandant Cyborg
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| Sujet: Re: Vieux machins (Egophagie & Schisme) Lun 21 Juil 2008 - 23:15 | |
| -Mais nous n’avons encore rien fait, fit remarquer Pathique. -Bon sang… murmura Simon. Nous sommes sur le point de remonter le temps. Cela signifie que notre avenir particulier appartient au passé. En consultant les archives de l’époque, nous devrions pouvoir retrouver les traces de notre présence, et savoir ce qui va nous arriver. -Mais quel serait le piment de la vie avec de telles prophéties ? dit Deloutrelieu d’un ton simultanément interrogatif et péremptoire. C’est le ton de celui qui pose une question mais massacrera sans pitié quiconque osera lui répondre. Un prêtre adopte parfois ce ton. Un professeur de philosophie incompétent y a aussi recours à l’occasion. Certaines sœurs aînées en usent avec leur petit frère. C’est comme une ouverture à la fin d’une rédaction. C’est une question pour la forme, mais le fond est que le débat est clos. Des gens sont morts pour avoir négligé ce détail, surtout les frères cadets. -Compte à rebours de cinq minutes enclenché, dit Simon en se pressant vers le triangle formé par les piliers. Une harmonique électromagnétique complexe s’établit entre les piliers, entrant en résonance avec les oscillements fondamentaux de la matière. Au bout de cinq minutes, elle atteint son paroxysme, et les huit êtres passèrent à la photocopieuse quantique. Leurs corps furent réduits en bouillie, mais leur profil exact fût bel et bien transmis à travers le lien d’intrication, tel un moule qui se remplit une fois arrivé de l’autre côté. # Simon ouvrit les yeux. Il n’avait pas perdu connaissance. Si la téléportation avait affecté sa santé, c’eut été bien plus grave qu’un simple malaise. Ce qui lui était arrivé, aucun de ses sens n’était capable d’en témoigner, aussi n’avait il absolument rien senti. Il avait fermé les yeux par réflexe lorsque le compte à rebours avait égrainé les dernières secondes. Devant lui se trouvait une caisse. Simon reconnut le conteneur des particules intriquées restées sur Terre. A sa gauche, une fenêtre laissait voir une aube naissante. Le mur à sa droite présentait des photos d’astronomes, ainsi qu’un instantané du lancement de la sonde. Le mur faisant face à Simon possédait une porte de facture démodée en son milieu. Du moins Simon la jugeait il démodée. Le dernier des quatre murs ne se trouvait pas derrière Simon, mais à son niveau exact. Simon se tenait sous une arche que venait de creuser la téléportation. La pièce de l’autre côté du vide laissé par le mur s’avérait être un débarras. Simon constata avec soulagement que Julie Elgato et les autres étaient tous là. -Nous y sommes, dit Deloutrelieu. Nous foulons la Terre du Passé. Le passé… L’idée même de voyage dans le temps repose sur la supposition que le passé, comme le futur, n’est qu’un autre présent. De fait, l’immeuble dont Simon essayait de sortir incognito était aussi réel que n’importe quel immeuble. Deloutrelieu avait emporté un appareil pour désactiver les alarmes à distance, technologie aussi anachronique que lui-même en cette époque. Lorsqu’ils eurent tous gagné l’extérieur de la battisse, ils assistèrent à la fin du levé de soleil. Simon se fit la réflexion que cette aurore s’était déjà produite, avant de réaliser que c’était faux. Cet instant était unique. Le voyage transtemporel permettait seulement de le retraverser. Simon réalisa alors que, de toute manière, c’était la première fois que cette journée se produisait pour lui. Il était âgé de vingt-cinq ans et demi, et venait de faire un bond de cinquante ans en arrière. Il se trouvait donc en un temps où il n’était pas encore venu au monde, et où ses parents ne s’étaient même pas encore rencontrés. Malgré ce, il se trouvait là, devant cet immeuble, sous sa forme adulte. Aucun de ses sens ne pouvait percevoir sa nature anachronique, mais son imagination en faisait la terrifiante expérience. Simon se sentait une anomalie dans le cosmos. « Calme toi, pensa t’il. Les particules intriquées existent à l’état naturel, et subissent parfois des distorsions du temps sans intervention humaine aucune. Des anachronismes doivent donc exister en divers points de la galaxie. Nous n’avons fait qu’amplifier un phénomène parfaitement normal ». Il n’en restait pas moins que, humainement parlant, c’était du jamais vu. -Mes chers amis, déclara Deloutrelieu, nous voici donc arrivés à destination. J’ai sur moi un appareil capable de nous fabriquer de faux papiers. Il devrait être facile de pirater l’Internet primitif de cet an afin de nous donner une identité administrative. Cette époque s’offre à nous. Si nous ne parvenons pas à nous y faire une situation confortable, nous qui connaissons l’Histoire à venir, personne ne le peut. -Ne devrions nous pas plutôt signaler aux autorités qui nous sommes ? demanda Julie Elgato. -Qui nous croirait ? répondit Deloutrelieu d’un air goguenard. Simon sentit une sueur froide lui parcourir la colonne vertébrale. Il avait été tellement obnubilé par les aspects techniques de la manœuvre qu’il ne s’était pas une seconde imaginé déclarant « Salut, j’arrive à l’instant de l’avenir ». L’eut il fait, il aurait pris la mesure du comique de la situation, et eut des visions de camisole blanche et de gens bienveillants disant « Mais oui, mais oui, d’ailleurs voici monsieur Bonaparte qui nous vient du passé et est notre hôte depuis quelque temps ». Mais Deloutrelieu, lui, n’avait jamais commis cette erreur, et projetait depuis le début de se fondre parmi les autochtones. Simon aurait voulu lui faire le reproche de l’avoir laissé dans l’ignorance de ce détail, mais c’était tellement évident, et il se sentait déjà suffisamment comme la Lune. Seule consolation : il était apparemment loin d’être le seul dans ce cas, à en juger par la mine déconfite du reste du groupe, Deloutrelieu excepté. Artef aussi faisait exception. Il n’affichait pas d’expression particulière. En fait, il était encore moins expressif que d’habitude. Simon rompit le silence en disant « Mais où est passé l’androïde ? ». Cette fois, même Deloutrelieu afficha un air désemparé. -Il était avec nous dans l’immeuble, dit il. J’en suis sûr. -Je me souviens qu’il marchait en queue de file, juste derrière moi, les renseigna Isidore Pathique. -Il nous aurait perdus ? s’étonna Dubouillon. -Hautement improbable, commenta Christopher Leadership. -A moins qu’il ait décidé de nous quitter ? hasarda Jones. -Non. Ca c’est impossible, affirma Deloutrelieu. Ce serait contraire à sa préprogrammation. -Tant pis, dit Simon. Je ne pense pas que nous soyons en situation de fouiller cette époque. -Vous avez raison, mon garçon, se résigna Deloutrelieu. Concentrons nous sur ces nouvelles identités. Ainsi commença leur vie clandestine. Leurs moyens futuristes dupèrent aisément l’Etat, et l’almanach des sports apporté par Deloutrelieu fit des merveilles en terme de liquidités. « C’est un film qui était déjà vieux dans ma petite enfance, mais il est de ceux qu’on n’oublie pas », commenta le vieil homme d’affaires. Après quelques semaines, la communauté se sépara. Un an s’écoula durant lequel chacun prit ses marques. Julie vécut d’abord non loin de Simon, et ils eurent souvent des nouvelles l’un de l’autre. Sans savoir comment, ils finirent par partager le même appartement. # Un quart de lune éclairait un banc public. Une silhouette s’y tenait assise, immobile. Elle se tint ainsi durant plusieurs heures, mais finit par tourner la tête à l’approche de trois personnes. L’une de ces personnes était une femme. -Bonjour monsieur, dit elle. Depuis combien de temps êtes vous sur ce banc ? -Six heures et dix minutes. -Attendez vous quelqu’un ? -Non. -Nous sommes d’un centre d’accueil pour sdf. Si vous n’avez nulle part où dormir, vous pouvez nous suivre. Vous aurez aussi un repas chaud. -Je n’ai pas besoin de repos pour le moment, et je n’ai pas faim. Mais merci quand même. -Vous avez sûrement froid. -Non. -Il fait un temps glacial. Vous allez tomber malade. -Ma condition physique est satisfaisante. -J’en doute. Vous avez une voix de moribond. Il y eu un silence, puis un murmure : « La vérité, mademoiselle, est que je suis de la police fédérale. Je vous saurais gré de ne pas entraver cette opération ». La bénévole mit plusieurs secondes à réaliser que c’était l’occupant du banc qui venait de reprendre la parole. La voix qu’elle avait entendu jusque là était sans vie. On se sentait malade rien qu’en l’écoutant. Et brusquement, elle s’était mutée en une voix d’une vitalité et d’une sincérité surhumaines. Il s’en dégageait maintenant une force de conviction écrasante, et le contraste avec les intonations précédentes faisait l’effet d’un coup de poing. Mus par un même instinct, les bénévoles s’en allèrent sans autre commentaire. Artef savait que ces humains ne pouvaient envisager l’idée qu’ils venaient de parler à une machine. L’intelligence artificielle à autoreprogrammation darwinienne existait déjà à cette époque, et les androïdes étaient légions en grandes surfaces. Mais cela demeurait un phénomène récent, et les robots de ce temps ressemblaient à des cosmonautes en scaphandre. De plus, les constructeurs les affublaient d’un accent « robotique » issu du cinéma. Le niveau de réalisme atteint par l’aspect physique d’Artef était amplement anachronique, et sa voix n’avait pas l’écho du métal. Elle n’en avait que la froideur, sauf bien sûr lorsqu’il mentait. Artef se trouvait confronté à un problème inédit. L’absence de but. Il avait jusque là toujours eu une raison d’être. Non pas une raison d’être comme s’en inventent les humains, mais une véritable utilité. Il était là pour servir les humains. En priorité, il devait servir monsieur Robert Deloutrelieu. Même l’attente de l’ordre suivant était un but absolu. Mais c’était fini. Plus exactement, ça n’avait pas encore commencé. Les programmes innés d’Artef prenaient effet à partir de la date de sa première activation, hors c’était une date future. La programmation de base d’Artef subissait un bug généralisé. Elle avait même carrément planté. C’était un peu comme le bug de l’an deux mille. Malgré ce, l’androïde continuait à se mouvoir. Durant son existence, il avait développé un nombre important de nouveaux programmes, possédant leurs propres boucles d’itération, et se moquant de la date actuelle. Il ne se connaissait plus aucune raison de vivre, mais pas plus que de mourir. « Je fais peut être là l’expérience d’une part de la condition humaine », pensa t’il. Un athée se voit parfois demander pourquoi il se lève le matin. On dit de certaines personnes qu’elles se lèvent pour emmerder le monde, d’autres qu’elles le font remplies d’espoirs pour la journée. La vérité est que l’on se réveille par manque de fatigue, par faim, par habitude, ou à cause d’un stimulus extérieur. Un chat errant s’étant glissé sous les draps par exemple. A l’instant précis du réveil, on ne se connaît jamais d’objectif. C’est l’un des |
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| Sujet: Re: Vieux machins (Egophagie & Schisme) Lun 21 Juil 2008 - 23:16 | |
| domaines où le corps commande sans partage. Artef, lui aussi, fonctionnait par habitude, parce que certains de ses sous programmes n’avaient aucune raison de se terminer. « Je pourrais recycler un objectif secondaire. Je vais en choisir un au hasard ………………………. Sélection effectuée ». # Christopher Leadership se savait investi d’une mission divine. Il ne s’en était que trop tardivement rendu compte, mais ce voyage dans le temps était forcément le but ultime de son existence, le vrai sens de sa vie. Il pouvait réparer les erreurs du passé, rendre le monde meilleur. En particulier, il pouvait empêcher l’assassinat d’un gouverneur de l’époque, un bon chrétien qui avait toujours su incarner les valeurs de l’Amérique blanche. Il n’était pas trop tard pour empêcher la perte de cette vie précieuse, et c’est par sa main à lui, Christopher, que Sa volonté serait faite. Il n’en doutait plus. Il était l’Elu. Le futur auteur de l’attentat se trouvait dans un immeuble d’un quartier miteux. Christopher avait acheté un pistolet semi automatique, et montait maintenant les escaliers du site. Il se connaissait un but absolu, suprême. Il était convaincu qu’un robot comme Artef ne pouvait connaître une telle plénitude. Enfin, il atteint le bon étage et la bonne porte. Il sonnât. De l’autre côté de la porte, un homme était animé d’une foi équivalente. Lui aussi se savait choisi. Durant des jours, il s’était entraîné à monter et démonter son fusil sniper, et demain était le grand jour. S’il était pris, il mourrait en martyr. La sonnette le surprit l’espace d’un instant, mais il retrouva rapidement son calme. Personne ne pouvait savoir. Il avait tout planifié seul. Il allât ouvrir. Christopher et l’homme se trouvèrent face à face. L’homme eut juste le temps de dire « C’est à quel sujet ? » avant que Christopher dégaine son arme et face feu. La balle parcourut la moitié de l’espace entre Christopher et l’homme, sifflant droit vers le cœur de ce dernier. Et c’est alors que la réalité se déchira. Le vide autour de la balle, entre les particules atmosphériques, se scinda en des quantités importantes et égales de lumière et d’anti-lumière. Les énergies fusèrent dans un chaos total. Le phénomène fût cependant très transitoire, ainsi que très localisé, et la faille se referma presque immédiatement. Les forces antagonistes libérées se réannihilèrent mutuellement. En traversant ce chaos, la balle avait été déviée. Elle avait raté sa cible et était allé s’incruster dans un mur. Christopher et l’homme étaient abasourdis. Tout ce que leurs sens avaient pu percevoir, c’était un flash iridescent, par endroits éblouissant, par endroits comme fait de ténèbres, sur lequel la balle avait paru ricocher. Avant que l’homme sorte de sa surprise, Christopher vida un chargeur entier sur lui. Un nouveau flash se produisit pour chaque balle, et l’homme demeurait sain et sauf. Son pistolet vide, Christopher se jeta sur l’homme, bien décidé à le tuer à mains nues s’il le fallait. Leadership se trouva alors dans la même situation que les balles. Une chaleur terrible réduisit sa chair en cendres, tandis que le contraire de cette chaleur refroidit son sang jusqu’à l’état de condensa de Bose-Einstein. L’homme vit le cadavre méconnaissable de Christopher Leadership tomber à ses pieds. Il s’adossa à un mur et resta en état de choc pendant plusieurs minutes. Puis l’homme finit par marmonner « Le feu du ciel. C’est un signe. Un signe que ma cause est juste ». # Steve Jones avait pris un taxi pour l’aéroport. Durant une période de son enfance, il s’était passionné pour les catastrophes aériennes. Il savait que l’un des vols de l’après midi allait avoir un problème technique qui causerait sa perte. Il avait décidé de sauver les passagers de ce vol. Un simple coup de fil anonyme, et l’affaire aurait pu être réglée. Mais ses multiples tentatives avaient toutes échoué. La communication avait été coupée, chaque fois au dernier moment. C’est pourquoi il se rendait en personne à l’aéroport. Il ne savait pas comment il allait s’y prendre, mais il empêcherait le départ du vol. Le paysage périurbain défilait. Il faisait chaud dans la voiture. Steve voulut ouvrir la vitre pour avoir un peu d’air, mais retira brusquement sa main. Il venait de se brûler, et c’était une brûlure par le froid. Tandis qu’il s’interrogeait, un bruit de verre torturé lui fit tourner la tête vers le pare-brise. De l’air liquide coulait le long de celui-ci, tandis que le pare brise lui-même commençait à fondre. Des étincelles se mirent à crépiter sur les flancs du véhicule, certaines rouges, d’autres… Steve était amateur de revues scientifiques à sensation, et il reconnut le robur, l’anti-rouge. Le conducteur du taxi et Jones échangèrent un regard paniqué. Le réservoir d’essence explosa. # Isidore Pathique était incapable de bouger. Il avait traversé l’Atlantique pour revenir en France, fait tout ce chemin pour atteindre cette maison précise, et maintenant l’appréhension le paralysait. C’était la maison de son enfance. Isidore était le plus vieux des passagers du Morlock, après Robert Deloutrelieu. Ce devait être l’époque de l’adolescence de Deloutrelieu, mais pour Isidore c’était celle de sa prime jeunesse. Sa mère avait été emportée par un mal incurable alors qu’il n’avait pas cinq ans, mais il se trouvait à l’époque de ses trois ans. Il avait donc la possibilité de la revoir. Il comptait se faire passer pour un cousin éloigné, discuter quelques heures avec sa famille. Mais il devait d’abord avoir le courage de marcher jusqu’à la porte. Il trouva ce courage. Son père le fit entrer. Pathique fut choqué par les yeux de son père. D’abord, ils étaient trop jeunes, comme le reste de sa personne. Ensuite, ils posaient sur Isidore le regard que l’on adresse à un parfait inconnu. Malgré sa gêne, Isidore réussit à rendre plausibles ses mensonges, et à engager une longue conversation avec son père. Au bout d’un quart d’heure, une clé tourna dans la serrure de la porte, et une jeune femme franchit le seuil de la maison, chargée de provisions. Une petite fille l’accompagnait. Isidore reconnut sa mère, ainsi que sa sœur aînée. Ce fut pour lui un effort considérable de rester dans son rôle. Remonter en arrière dans le temps, c’était aussi remonter en arrière sur le fil de la vie des gens. Isidore se dit qu’il devait être le premier à endurer une telle situation. Alors que la conversation se poursuivait avec les nouveaux venus, Isidore entendit un bruit de pas précipités en provenance de l’escalier menant aux chambres. La source du bruit se révéla rapidement être un tout petit garçon en pyjama, qui alla se blottir sur les genoux de madame Pathique. Isidore crut avoir une crise cardiaque. Ce petit garçon, c’était lui-même. C’était l’Isidore Pathique de trois ans vivant à cette époque. Il n’avait pas sérieusement envisagée la possibilité d’une telle rencontre, et maintenant il se contemplait lui-même. Isidore songea qu’il y avait là de quoi devenir fou, tandis que sa raison ne lui faisait pourtant pas défaut. Ce petit bonhomme, qui allait devenir lui, paraissait tellement insouciant, n’ayant aucune idée des coups durs que lui réservait l’avenir. C’est alors que le petit Isidore regarda le grand Isidore. Un air triste se peint sur le visage du gamin. Isidore, l’adulte, comprit que son propre visage, l’adulte, devait trahir le bouleversement intérieur qu’il éprouvait. Se rappelant un détail de l’histoire de ses cousins américains, il dit « Je vous prie de me pardonner, mais cet enfant ressemble énormément à un neveu que j’avais autrefois, et qui s’en est allé. Il n’était guère plus vieux, le petit ange ». Isidore s’autorisa à sortir son mouchoir. Ses paroles étaient fausses, mais son trouble sincère, aussi ne s’attira t’il aucune suspicion d’aucune sorte. La famille le prit même en sympathie. Il resta dîner. Tandis qu’il appréciait la cuisine maternelle, pour la première fois depuis des années selon sa notion propre du temps, il connut une atroce prise de conscience. Il lui revint à l’esprit un très ancien souvenir. Celui d’un homme qui était resté dîner, un soir, alors que sa mère était encore en vie. Il se souvint du regard bouleversant que lui avait lancé cet inconnu. Isidore comprit que par le biais de sa mémoire, il pouvait voir ce même repas à travers les yeux de l’enfant. Bien que très imparfait, c’était là un sentiment d’ubiquité. Isidore se dit que l’Univers ne pouvait tolérer une telle chose. Il jeta un regard circulaire. Rien de surnaturel ne semblait se produire. Tandis qu’il se rendait aux toilettes, Isidore remarqua une chaise au milieu du couloir. Il se rappela la douleur éprouvée par son lui enfant lorsque, ce soir même, il allait s’incarner un ongle d’orteil en heurtant ce meuble. Isidore tendit le bras pour déplacer la chaise. Son contact lui procura une vive sensation de brûlure. Il contempla sa main agressée. Elle semblait avoir été brûlée simultanément par le chaud et le froid. « Etrange, pensa t’il. Peut être ne peut on pas changer le passé ? Pourtant, ce souvenir… Mon moi adulte aurait il toujours fait partie de mon passé ? ». Plus tard dans la nuit, Isidore prit congé de la maisonnée. Tandis qu’il s’éloignait sous la lumière des lampadaires, il entendit le cri de douleur d’un enfant. L’avenir s’accomplissait peu à peu. Pour lui, il était révolu. Isidore se demanda s’il reviendrait jamais en ce lieu. « Non, marmonna t’il tout seul. Je me souviens. Le cousin américain à l’étrange regard n’est jamais repassé à la maison ». # Manuel Dubouillon connaissait la gloire. Les cuisiniers français étaient très demandés par l’Amérique de cette époque. Il était devenu une référence dans les dîners mondains. Certaines de ses spécialités futuristes se devaient même d’être présentes sur toute table un peu prétentieuse. Rien ne semblait pouvoir freiner son ascension, à l’exception d’un détail qui devenait récurent depuis quelques semaines. Certains plats se mettaient subitement à bouillir, tout en se décorant de glaçons. Des appareils prenaient feu. Des courants d’air glacials interrompaient le travail. Toutes les enquêtes effectuées pour identifier la nature du sabotage avaient échoué. Le pire était que le phénomène s’intensifiait peu à peu. Dubouillon avait le sentiment que tout ce à quoi il touchait cessait de tourner rond. Il y avait aussi les appels téléphoniques. De nombreuses commandes ne lui parvenaient jamais à tant parce que le réseau connaissait des difficultés techniques. Cela faisait même la une des journaux. Partout on retrouvait des câbles sectionnés. Des relais pour téléphones portables étaient découverts en miettes. Aucun expert n’était capable d’identifier le matériel utilisé pour perpétrer ces actes de vandalisme. En fait, même les plus sceptiques commençaient à y voir un phénomène naturel inconnu. Manuel se rassurait en se disant que le phénomène s’était déjà produit dans des circonstances n’ayant strictement rien à voir avec lui. Il savait que le réseau téléphonique dans les environs d’un aéroport avait subit des dégâts identiques, alors que personne n’avait essayé de le contacter depuis ce lieu. La quiétude de Dubouillon disparut totalement, un soir, alors qu’il regardait un journal télévisé. Il s’agissait d’une rétrospective sur la vague de pannes connue par les services de télécommunications. |
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| Sujet: Re: Vieux machins (Egophagie & Schisme) Lun 21 Juil 2008 - 23:18 | |
| Alors que l’émission revenait sur le cas de l’aéroport, Samuel apprit qu’une voiture avait été retrouvée carbonisée sur la route y menant. Cette voiture appartenait à une agence de transports. On avait trouvé les restes de deux corps dans les débris. D’après l’agence, le taxi devait contenir l’un de leurs employés ainsi que son passager du moment, un certain Steve Jones. La voix off expliquait que Steve Jones avait emménagé dans la ville voisine depuis peu, et qu’il était sans parents proches. Samuel but ces informations comme de la ciguë. Il comprit rapidement que Steve avait du essayer de contacter l’aéroport et que le phénomène, quel qu’il soit, avait émané de lui. « Il lui est arrivée la même chose qu’à moi, chuchota t’il, et ça l’a tué ». Le monde lui sembla soudain hostile. # Simon et Julie se plaisaient sur cette Terre antérieure. Ils se plaisaient aussi tout court. Les mois passaient dans l’insouciance des jeunes amoureux. Bien sûr, vivre dans un monde technologiquement en retard était parfois contrariant, mais ils s’en accommodaient. C’est par un bel après midi ensoleillé qu’ils virent débarquer chez eux un Samuel Dubouillon hystérique. La conversation débuta alors que Simon apportait un remontant à leur invité. -Vous nous aviez prévenus de votre arrivée, dit Simon, mais votre appel était pour le moins confus. Que vous arrive t’il ? -Leadership et Jones, répondit Dubouillon d’une voie éteinte. -Oui ? dit Julie en haussant un sourcil. -Morts, tous les deux, lâcha Samuel. -Quoi ! Comment ? réagirent en cœur Simon et Julie. -Jones a pris un taxi, et boum, dit Dubouillon en brassant l’air de la main qui ne tenait pas son verre. Leadership est porté disparu, mais j’ai fait des recherches. Il m’avait parlé, à bord du Morlock, d’un assassinat de grosse légume qui s’était produit il y a prés de cinquante ans. C'est-à-dire il y a quelques mois. J’ai découvert que l’assassin avait été arrêté, et qu’un cadavre atrocement défiguré avait été découvert chez lui. D’après ce qui a filtré du rapport d’autopsie, je suis quasiment certain que le malheureux est notre capitaine. -C’est horrible, constata Julie. -Il y a pire. Avez-vous, vous deux, constatés des phénomènes bizarres à votre proximité ? Des trucs qui chauffent. Des trucs qui gèlent. Des numéros que vous ne pouvez joindre. -Non, répondit Simon. -Moi, ça m’arrive en permanence, dit Manuel d’un air sombre. Pareil pour La-pillule. -« La-pillule » ? s’étonna Julie. -Le doc Isidore, expliqua Dubouillon avec un sourire gêné. Sa main porte une brûlure apparemment causée tout à la fois par le froid et le chaud. Ca lui est arrivé en touchant une simple chaise. Il me l’a dit lorsque je suis parvenu à le joindre. Il devrait arriver ici dans les jours qui viennent. Le vieux Deloutrelieu va apparemment bien, mais il a raccroché en prétextant une affaire urgente, avant que j’aie pu le mettre au courant. Nous sommes en danger ! Je ne sais pas ce qui nous menace, mais on a intérêt à le savoir vite. -Pourriez vous décrire plus précisément ces phénomènes bizarres qui vous arrivent tout le temps ? interrogea Simon. -Du chaud et du froid... Ca surgit comme un poltergheist… Je peux difficilement vous dire mieux. C’est ce qui bousille mes ustensiles. C’est ce qui a légèrement brûlée la main du doc. C’est ce qui semble avoir tué le capitaine et affecté le téléphone d’après certains scientifiques. -Que faites vous exactement juste avant qu’un tel phénomène apparaisse ? insista Simon. -Tant de choses… Tant de choses… Vous devriez plutôt demander à Pathique avec sa chaise. Dubouillon s’installa dans la chambre d’amis de Julie et Simon. Le surlendemain, Isidore Pathique était lui aussi chez eux. Il paraissait plus serein que Manuel Dubouillon, mais néanmoins anxieux. -Voyez la paume de ma main droite. C’est très superficiel, mais je n’avais jamais vu ça, dit il avant de leur conter sa visite chez sa famille. J’ai une théorie là-dessus. Peut être ne pouvons nous simplement pas changer le passé. -Ca ne peut pas être aussi simple, répliqua Julie. Par notre seule présence, nous agissons sur le passé. S’il était vraiment impossible d’intervenir sur le révolu, nous n’aurions pas pu nous téléporter ici. -Peut être, dit lentement Simon, nous heurtons nous à l’un des plus vieux problèmes liés à la théorie du voyage dans le temps ? Posons le d’une manière concise. Pathique… Pour quelle raison avez-vous tenté de déplacer cette chaise ? -Pour que mon jeune moi ne s’y cogne pas. -Nous sommes bien d’accord sur le fait que tout ce qui arrive à votre vous enfant se répercute sur votre vous adulte ? -Apparemment oui. En faisant un gros effort de mémoire, je pourrais vous dire ce qu’il fait en ce moment. -Vous vous souvenez de ce qui lui arrive, mais vous ne pouvez vous souvenir de ce qui ne lui arrive pas. -Evidemment que non. -Donc, si votre vous enfant ne s’était pas cogné à cette chaise, vous ne vous souviendriez d’aucun accident. -Je suppose que non. -Vous ne vous en seriez même jamais souvenu. Auriez vous déplacée cette chaise en l’absence de ce souvenir ? Je dirais que non. -C’est ce qu’on appelle le « paradoxe du grand-père », approuva Julie. C’est comme dire « Cette phrase est fausse ». Si elle est vraie, c’est qu’elle est fausse. Si elle est fausse, c’est qu’elle est vraie. C’est un problème insoluble. -Or, poursuivit Simon, Pathique a posé un problème insoluble à la réalité elle-même. Certains théoriciens ont vu dans ce paradoxe la preuve que le voyage dans le temps était impossible. D’autres ont affirmé que s’il était possible, le voyage dans le temps avait le pouvoir de détruire l’Univers. Seulement, l’Univers est relatif, et passablement chaotique. On peut envisager qu’un tel paradoxe fasse dérailler les lois de la physique, mais de façon ponctuelle. En l’occurrence, uniquement au point de contact entre la main de Pathique et la chaise. -Mais que s’est il produit exactement au point de contact ? demanda Pathique. -Alors ça, soupira Simon. Ce qui se produit lorsque les lois de la physique ne jouent plus. -Il est intéressant de remarquer, dit Julie, que ce phénomène, se produisant au point critique, a au final empêché le paradoxe de se poursuivre. -Sans doute devons nous nous en réjouir, conclut Simon. Sans cet effet rétroactif, ce pourrait être pire. # Simon Chevalier, Julie Elgato, Manuel Dubouillon et Isidore Pathique se tenaient à une terrasse de café. Robert Deloutrelieu était supposé les y rejoindre. Tout ce qu’il leur avait laissé, c’était un numéro de portable qui sonnait souvent occupé. Après plusieurs appels, ils étaient parvenus à fixer un rendez-vous. Deloutrelieu avait choisi la place des retrouvailles. Il s’agissait d’un petit café situé à un carrefour. « Je vais regarder la retransmission sportive au comptoir, dit Dubouillon. Qui vient avec moi ? ». Isidore Pathique le suivit. Simon et Julie préférèrent garder la table en terrasse. Tout se passa alors très vite. Tandis qu’il se retrouvait seul avec Julie, Simon vit brusquement l’androïde Artef surgir d’un angle de ruelle et se précipiter vers eux de toute la faramineuse vitesse de ses jambes mécaniques. En ralentissant à peine, Golem renversa la table et les saisit tous deux par la taille. Les soulevant comme des bébés et les plaçant sur ses épaules, il continua sa course à une vitesse croissante. Alors que la machine humanoïde l’emportait, Simon vit un camion citerne percuter le café qu’ils venaient de quitter. Comme le camion transportait de l’essence, il en résulta une terrible explosion, dont Simon sentit le souffle brûlant juste avant qu’Artef tourne dans une autre ruelle. Un jet de flamme passa là où le robot et ses captifs se trouvaient l’instant d’avant. Lorsque le vacarme de l’explosion eut cessé, Artef reposa Simon et Julie à terre. -Je n’ai pas vu messieurs Pathique et Dubouillon. Où sont ils ? Artef Golem n’obtint pas immédiatement de réponse. L’émotivité humaine prenait parfois le pas sur toute faculté de raisonnement. Ses créateurs appelaient ça un « état de choc ». Simon et Julie retrouvèrent malgré tout assez rapidement leurs esprits. -Au… Au comptoir… du bar, articula péniblement Simon. -Alors ils sont morts, constata Artef de sa voix monocorde habituelle. L’espace d’un instant, Simon éprouva un élan de haine envers cet appareil insensible. Puis il réalisa que si Julie et lui-même n’étaient pas dans le brasier avec les autres, c’était uniquement grâce à l’intervention du robot. -Vous nous avez sauvé la vie, dit il. Il est vrai que c’est l’une des trois lois de Asimov. -Suite à une défaillance majeure de mes programmes primaires, je ne suis plus inféodé à ces lois. Néanmoins, le reste de ma programmation s’est construit sur la base de ces lois. Protéger autrui est maintenant plus un vieil instinct qu’une règle incontournable. -Vraiment ? hoqueta Julie. Vous seriez donc maintenant capable de tuer ? -Affirmatif. -Je vous suis d’autant plus reconnaissant d’avoir fait l’inverse, déclara Simon. Mais comment saviez vous ? Que nous étions là ? Pour le camion ? -Le jour où monsieur Deloutrelieu m’a envoyé vous recruter, monsieur Chevalier, j’ai vu un vieux journal posé sur son bureau. Un article relatait un accident de camion, un chauffeur ayant perdu le contrôle de son véhicule et causé une trentaine de victimes. Le lieu et la date indiqués correspondaient à ici et maintenant. Pour des raisons complexes, j’ai récemment piraté le téléphone portable de mon ancien maître, et j’ai écouté votre dernière conversation avec lui. J’ai reconnu le lieu et l’heure du rendez-vous. J’ai voulu vous rappeler, mais vous aviez utilisé un poste fixe et vous étiez déjà parti pour venir ici. J’ai décidé de me rendre personnellement sur place, malgré la distance qui nous séparait alors. -Deloutrelieu aurait donc utilisé l’Histoire pour nous tuer ! s’exclama Julie Elgato. -C’est hautement probable. -L’ordure, dit Simon presque aussi froidement qu’Artef. -Mais pourquoi ? cria presque Julie. -Nous devrions en discuter chez moi. # |
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| Sujet: Re: Vieux machins (Egophagie & Schisme) Lun 21 Juil 2008 - 23:19 | |
| Artef avait donc fait l’acquisition d’un appartement. En temps normal, un androïde logeait dans un placard. L’adjectif décrivant le mieux le mobilier d’Artef était « minimaliste », mais pour des raisons inconnues, Artef avait cependant choisi un appartement plus que spacieux. -Vous devriez faire des frais de décoration, commenta Julie. Et un réfrigérateur ne jurerait pas dans le paysage. -Je me contente d’une prise. Tout autre équipement serait futile. Je n’assimile que l’énergie électrique. -Revenons à Deloutrelieu, le pressa Simon. -Voyez, dit Artef en lui tendant une revue économique tirée de sa bibliothèque, un meuble qu’il n’avait pas jugé inutile. Simon s’assit à la petite table qui trônait au milieu du salon vide et examina le magazine. La couverture titrait en grosses lettres « Robert Deloutrelieu : le nouveau prodige financier ». Julie s’approcha et lut par déçu son épaule. -Ce n’est pas Robert Deloutrelieu sur la photo, dit elle. -C’est bien lui, mais avec cinquante ans de moins. C’est le Deloutrelieu adolescent de cette époque. -Apparemment, dit Simon en feuilletant le magazine, il a bâti un empire économique en un temps record. Cela c’est produit peu après notre arrivée. Jusque là, il n’était qu’un petit actionnaire sans prétention. -Ca ne peut pas être un hasard, dit Julie en posant ses mains sur les épaules de Simon. -Je l’ai espionné. J’ai personnellement vu le jeune Deloutrelieu en intense conversation avec le vieux Deloutrelieu. Je serais également enclin à affirmer que le jeune Deloutrelieu sait qu’il a affaire à son propre avenir. -Robert Deloutrelieu guidant son jeune lui vers la fortune ? résuma Julie. Cela ne va-t-il pas à l’encontre de tous les interdits posés par le « paradoxe du grand-père » ? Le monde devrait perdre la boule durant leurs conversations. -C’est bien mon avis, confirma Simon, à moins que… -A moins que… ? -En situation normale, la cause précède la conséquence. Le voyage dans le temps permet à la conséquence de précéder la cause. Cependant, comme nous l’avons compris, la conséquence ne peut empêcher la cause de se produire, car l’existence de la conséquence demeure inféodée à celle de la cause. C’est là le « paradoxe du grand père ». Cependant, il existe encore un autre cas de figure. La conséquence se révélant la cause de la cause. C’est cette fois le « paradoxe de l’écrivain », aussi appelé « paradoxe de prédestination » ou « boucle de causalité ». -Quel rapport avec Deloutrelieu ? -Peut être ne serait il jamais devenu riche sans ce voyage dans le temps. Voici les événements tels qu’il a pu les vivre : Il est adolescent et joue un peu en bourse. La chance ne lui sourit pas, jusqu’au jour où un mystérieux vieil homme entre dans sa vie. Cet inconnu lui donne toutes les clés pour devenir un requin de la finance. Deloutrelieu fait fortune. L’étranger se révèle alors être l’avenir de Deloutrelieu, l’homme qu’il sera dans cinquante ans. Deloutrelieu est choqué, mais finit par comprendre le baratin spatiotemporel de son vieil alter ego. Son œuvre accomplie, le vieillard s’en va. Le jeune Deloutrelieu fait fructifier sa fortune durant cinquante ans, devenant ainsi un vieil homme. Il sait alors que sa fortune est dépendante d’un acte qu’il lui reste encore à réaliser, qu’il doit remonter le temps et guider son jeune lui. Il finance des recherches sur la téléportation, et organise l’expédition du Morlock. Nous nous téléportons cinquante ans en arrière. Deloutrelieu va rencontrer son jeune lui, le rend riche et lui explique la situation. La boucle est bouclée. -Attend… Cela veut il dire qu’il revit sans cesse les mêmes événements ? -Non. Une boucle n’est pas un cercle. -Non, en effet, reprit Simon en adressant un signe de tête approbateur à Artef. Une boucle n’est qu’un looping sur une trajectoire rectiligne. Maintenant que Deloutrelieu a accompli son destin, il est sorti de la boucle. Il est comme nous désormais. -En supposant qu’il ait terminé de préparer son jeune lui aux cinquante prochaines années. -De toute manière, dit Julie, nous ne pourrions pas nous opposer à cette boucle sans déclencher un bon vieux « paradoxe du grand père », n’est ce pas ? -Je crois que tu as raison. Là où Deloutrelieu est vraiment malin, en fait, c’est qu’il a utilisé le « paradoxe de l’écrivain » pour se protéger du « paradoxe du grand père ». Celui de l’écrivain est une bien plus grande anomalie, mais il faut le voir comme l’œil d’un cyclone. Deloutrelieu est au centre des anachronismes, mais c’est le calme plat. La causalité ne tolère pas de contradiction, mais elle accepte de faire des boucles. -Il s’est bien gardé de nous faire profiter de l’astuce. -Aucun de nous ne pourrait y avoir recours. Nous ne sommes pas encore nés. Le cinéma prétend que se rencontrer soi même est la pire chose qui puisse arriver à un voyageur temporel, mais c’est faux, bien au contraire. C’est un extraordinaire avantage que l’auto coopération. -Du « meet yourself gameplay » en quelque sorte, dit Artef avant d’émettre un rire trop cristallin pour être sincère. -Seul Pathique aurait pu, quoique son jeune lui soit trop jeune pour comprendre. -Alors il comptait sur notre handicap question paradoxes pour se débarrasser de nous, dit Julie. Ca et le coup du camion. Mais pourquoi ? Quel est son mobile ? -Supprimer les témoins de sa manœuvre, je suppose. Mais autre chose m’inquiète. S’il est sorti de la boucle de causalité, ou va bientôt la quitter, il lui faudra retourner au plus vite à notre époque, s’il ne veut pas lui aussi subir les phénomènes qui nous affectent. Mais comment compte t’il s’y prendre ? # Deloutrelieu se tenait assis à son bureau, l’un de ses cocktails préférés à la main. Il contemplait la peau ridée qui encerclait le verre. La porte s’ouvrit et un jeune homme entra. -Bonjour, Robert, dit Deloutrelieu à son passé. -Une bien belle journée en effet, répondit le jeune homme à son avenir. Depuis une heure, Janus-Corp est officiellement un nouveau groupe majeur sur le marché, mon groupe. -Je me souviens du jour où j’ai eu l’idée de donner à mon empire boursier le nom d’un dieu antique, dit le vieux Deloutrelieu sur un ton nostalgique. Janus : le dieu aux deux visages, l’un symbolisant le passé et l’autre l’avenir. -C’est aujourd’hui. -Plait il ? -Le jour où tu as eu cette idée. C’est aujourd’hui. J’ai choisi le nom ce matin. -Evidemment, dit Deloutrelieu d’un air ravi tout en se levant de son fauteuil. Je te laisse donc la direction des opérations, en ce temps qui est le tient. Je vais me consacrer à mon moyen de retour. -Attend. Nous ne sommes pas certains que l’équipage du Morlock ait été entièrement décimé. -Je suis même certain du contraire. Leadership, Jones, Pathique, Dubouillon et Chevalier sont de l’histoire ancienne. Ou à venir, c’est une question de point de vue. Mais Artef demeure introuvable et mademoiselle Elgato a réchappé de l’accident de camion. -Comment sais tu qu’elle est vivante ? -Elle est venue me voir ici même quelques jours après l’accident, pour me reprocher la mort des autres. -Elle est venue ici ? Les vigiles ne m’ont rien dit à ce propos. -Quand je dis l’avoir vue dans ce bureau, je veux dire que toi tu vas la rencontrer. Cela se produira dans deux jours si ma mémoire est bonne. Elle aura tout compris, et agira pour le principe. Vérifie qu’elle ne porte pas de microphone sur elle, car elle en aura un, puis confirme ses soupçons et congédie là. Les schismes temporels se chargeront d’elle plus tard. -Te souviens tu de son cadavre ? -Je dois avouer que non. Je n’ai jamais retrouvé mon androïde et j’ai perdu toute trace de Julie Elgato après cette entrevue. Je ne pense pas que cela ait tant d’importance. -Il me déplait de devoir rencontrer pour la première fois une personne qui, elle, m’a déjà rencontré. Cet anachronisme ci s’annonce fort déplaisant. -Tu te dédommageras le jour où tu engageras mademoiselle Elgato à bord du Morlock. Là, c’est elle qui n’aura aucun souvenir de toi. Le jeune Deloutrelieu prit le temps de bien saisir cette dernière remarque. De son côté, le Deloutrelieu du futur afficha un air très particulier. L’air de celui qui s’apprête à lancer une remarque narcissique à son reflet, mais dans le cadre du voyage dans le temps. -Je te sais aussi fidèle que mon ombre. Prend soin de mon empire, et je te retrouve plus tard dans mon miroir. -J’ai fait l’acquisition d’un second jet privé, répondit le Deloutrelieu de vingt-six ans. Il est plus confortable que l’autre. Tu n’as qu’à l’utiliser. -Merveilleux, se réjouit Deloutrelieu. On n’est décidemment jamais aussi bien servi que par soi-même. # Julie Elgato descendit de taxi. Elle leva les yeux vers une enseigne aussi imposante que récente. « JANUS CORPORATION » s’étalait en lettres cuivrées. Julie avait déjà vu cet immeuble, mais il était alors de cinquante ans plus ancien, et elle pouvait maintenant prendre la mesure des multiples rénovations et annexes à venir. Elle se savait en sécurité. Deloutrelieu n’était pas homme à se salir les mains, ni celles de ses employés. Il préférait commettre ses meurtres par omission. Julie franchit les portes vitrées. A peine avait elle fait deux pas sur le sol marbré qu’une adolescente, visiblement une stagiaire, se précipita à sa rencontre. -Excusez moi madame, dit la stagiaire en anglais, mais seriez vous Julie Elgato ? -C’est moi-même, répondit Julie avec un soupçon de méfiance dans la voix. -Monsieur Deloutrelieu vous attend dans son bureau. Je suis chargée de vous y mener. Si vous voulez bien me suivre. -Soit, acquiesça Julie. « Ainsi donc, se dit elle, Deloutrelieu joue les devins. Je comprends son souhait de conserver son monopôle sur le temps qui passe ». La stagiaire conduisit Julie à travers un dédale de couloirs où bourdonnait la ruche administrative. Un decrescendo dans le niveau sonore ambiant indiqua à Julie qu’elles pénétraient dans un secteur réservé aux grandes décisions. Finalement, la stagiaire se planta, comme un piquet, devant une porte. La porte n’était pas spécialement tape-à-l’œil, mais elle portait pour seule indication « Bureau de Robert Deloutrelieu », et nul ici n’était censé ignorer qu’il s’agissait du grand patron. La stagiaire dû percevoir l’hésitation de Julie à entrer comme un reproche, car elle actionna subitement la |
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| Sujet: Re: Vieux machins (Egophagie & Schisme) Lun 21 Juil 2008 - 23:20 | |
| sonnette. « Entrez » dit une voix portée par le microphone attenant à la sonnette. « La personne que vous attendiez, monsieur Deloutrelieu » s’excusa la stagiaire en ouvrant la porte. Depuis son fauteuil à l’autre bout de la vaste pièce, Deloutrelieu fit un signe de tête à son employée et adressa son plus beau sourire à Julie. Du moins, c’eut été son plus beau sourire si une certaine malveillance ne s’en dégageait. C’est ce genre de sourire qui avait du valoir à certains hommes d’affaires leur surnom de « requins ». Julie s’avança sans un mot, tandis que la stagiaire se retirait en fermant la porte. Elgato prit place sur la chaise réservée aux invités et contempla son interlocuteur. C’était incontestablement le Robert Deloutrelieu qu’elle connaissait, maintenant qu’elle était avertie. Elle retrouvait dans ses expressions les rides dont elle se souvenait. Le regard aussi n’était pas appelé à changer durant les cinquante prochaines années. Voir Deloutrelieu à l’âge de Simon était pour elle une expérience déconcertante. Cela aurait sans doute été moins malsain s’il ne s’était agi d’un ennemi. Le jeune Deloutrelieu brisa le premier le silence. -Voici donc la ravissante Julie Elgato, dit il. On m’a beaucoup parlé de vous, ma chère. -« On » ? pointa Julie. -Oui, pouffa Deloutrelieu. Il s’agit d’un homme remarquable, qui m’a été d’un grand secours. J’aimerais lui ressembler dans mes vieux jours. -Vous n’avez aucun souci à vous faire sur ce point. -Non, en effet. A présent, je vous prie de pardonner ce manque de galanterie. Deloutrelieu se leva de son fauteuil. Il contourna le bureau qui le séparait de Julie, prenant au passage un détecteur qui reposait dessus. Il passa l’appareil prés de Julie, de haut en bas et de gauche à droite, puis la pria d’ôter son pendentif. Elle obéit. Deloutrelieu réitéra l’opération sans trouver d’autre microphone dissimulé. Le pendentif passa dans la poubelle pneumatique. -Maintenant que nous sommes dans l’intimité de ce bureau, reprit il, je suis curieux du motif de votre présence. D’après mon alter ego, vous venez me jeter votre mépris à la figure ou quelque chose dans ce goût là. -Par votre faute, tous les autres sont morts. -Ce « tous » comprend t’il le robot ? -J’aimerais bien, mentit Julie. Ce serait une pitié que le seul être aussi inhumain que vous à bord du vaisseau ait survécu. -Le ciel vous entende. -Vous êtes un meurtrier. -Vous me reprochez des crimes que je n’ai pas encore commis. En avez-vous conscience ? -Pour l’heure, vous êtes le complice de votre vous futur. Vous en êtes à la préméditation, et je suis la preuve vivante que vous passerez à l’acte dans cinquante ans. -Et vous ne pouvez rien y changer. Vous êtes une anomalie en cette époque, inapte à modifier tout événement susceptible de concerner votre propre passé. Lorsque vous sortirez de ce bureau, vous serez exposée à tous les schismes temporels. Même si pour le moment vous avez évité les situations contradictoires, l’entropie fera que vous serez de plus en plus concernée par des détails infimes, jusqu’au jour où vous ne pourrez plus écraser une mouche sans mettre à mal le continuum espace-temps. Cette époque vous rejettera tôt ou tard. -Cette époque est un champ de mine. Vous nous y amènerez Simon et moi. Vous n’éprouvez donc aucun remord ? -Je suis surtout satisfait d’avoir un aussi bon plan comme horizon. Dans un unique mouvement, Julie repoussa sa chaise en arrière, se pencha par-dessus le bureau et gifla le jeune Deloutrelieu de la main droite. Ce dernier garda son calme, se contentant de dire « Vous pouvez disposer » d’un air goguenard. Julie tourna les talons et quitta le siège de Janus-Corp. # Artef avait eu raison d’investir dans un appartement spacieux. D’une part, il le partageait maintenant avec deux humains, lesquels, même accouplés, ont besoin de beaucoup d’espace vital. D’autre part, le centre d’espionnage et de contre-espionnage d’Artef cohabitait maintenant avec le laboratoire improvisé de Simon et Julie. Matériels électroménagers et outils de précision occupaient maintenant les coins et recoins de l’appartement. -C’est une chance que vous soyez aussi éclairé en boursicotage que votre ancien patron, dit Simon tandis qu’il manipulait un appareil coûteux. -J’ai effectué les transactions décidées par lui durant des années. -Savez vous quel fût mon premier motif de soupçon à l’égard du vieux Deloutrelieu ? -Non. -J’ai trouvé des traces d’utilisation du téléporteur après avoir vu Deloutrelieu rôder du côté du laboratoire. Ca s’est produit deux fois. J’ignore encore ce qu’il trafiquait. -Une intéressante coïncidence. C’est ma curiosité à l’égard de ce même mystère qui m’a poussé à espionner mon ancien maître. -Vraiment ? -En fait, je voulais savoir comment il avait fait pour me prévenir de l’existence d’un obstacle qui aurait autrement échappé à ma vigilance. Il m’a indiqué l’emplacement d’un nuage de gaz et de poussières très dense. Ce nuage aurait pu endommager la coque du Morlock, en particulier les caméras intégrées, et rendre la suite du voyage périlleuse. Je suis maintenant certain qu’il s’est envoyé un message à lui-même à travers le téléporteur. -Fantastique ! Il aurait donc envoyé un message dans le passé après l’avoir reçu du futur, le message n’existant au final que d’après son propre modèle. Sans ce « paradoxe de l’écrivain », on peut parier que la collision aurait eu lieu. C’était en somme un brouillon de la grande boucle de causalité qui a empêché Deloutrelieu de vivre pauvre. -C’est la conclusion à laquelle je suis parvenu. C’est alors que la porte d’entrée s’ouvrit, dévoilant Julie Elgato. Elle referma la porte et se laissa choir sur le fauteuil le plus moelleux que possédaient maintenant les lieux. -As-tu rencontré le vieux ? s’enquit Simon. -Non, répondit elle. J’ai rencontré le jeune, mais ça revient au même. Je suis sûre qu’il ne m’a pas fait suivre. Mission accomplie. # Simon, Julie et Artef se réunirent autour d’un téléviseur modifié par leurs soins. -Nous allons maintenant savoir si nous sommes les dignes représentants de la technologie du futur. Voyons ce dont ce bébé est capable, déclara Simon avant d’allumer le poste. Sur l’écran de télévision, une mappemonde apparut, sur laquelle clignotaient deux points lumineux. L’un se situait quelque part sur la carte des Etats-Unis nord-américains, tandis que l’autre se trouvait en antarctique. -Ca a marché, dit Simon. Lorsque Julie a giflé Deloutrelieu, sa bague spéciale lui a injecté des nanorobots, qui se sont répandus dans les tissus de son corps. Depuis lors, les nanorobots émettent un signal très spécifique. Nous avons créé un mouchard de luxe. -Dois je m’étonner du fait qu’il y ait deux signaux ? -Le signal venant du territoire américain doit correspondre au jeune Deloutrelieu, qui vient juste de recevoir l’injection. L’autre signal doit provenir du vieux Deloutrelieu, qui a gardé les nanorobots en lui durant cinquante ans. -Dois je vous rappeler que nous sommes en train de pirater le réseau satellitaire ? Il serait prudent de nous dépêcher. Simon fit rapidement un zoom sur le continent antarctique, et nota les coordonnées précises du vieux Deloutrelieu, avant d’éteindre l’appareil. Le trio consacra la semaine suivante à trouver un moyen de rejoindre ces coordonnées. Durant cette semaine, ils commencèrent à constater autour d’eux les phénomènes contre lesquels Dubouillon les avait mis en garde, et que Deloutrelieu avait qualifié de schismes temporels. Malgré les difficultés, ils réussirent à s’embarquer à bord d’un navire se rendant en antarctique. # Comme ils l’avaient appris, Janus-Corp possédait un centre de recherche sur le continent glacé. Simon, Julie et Artef s’y introduisirent furtivement. Parvenus à l’intérieur, ils durent marcher parmi les employés. Il est difficile de cacher le fait que l’on est un intrus. Un certain malaise dans la démarche finit souvent par attirer les soupçons. De ce fait, Simon et Julie laissèrent Artef mener la marche. Le robot était toujours d’un calme inébranlable, et l’on se préoccuperait moins de ses accompagnateurs si lui passait pour leur guide. Après plusieurs tours et détours, ils finirent par trouver ce qu’ils cherchaient : une zone à accès restreint, de nature indéterminée. Le couloir y menant était désert. -Si Deloutrelieu trafique quelque chose d’anachronique ici, dit Simon, c’est forcément derrière cette porte. -Reste à l’ouvrir, commenta Julie. -Je pourrais la forcer à mains nues, mais cela déclencherait sûrement une alarme. Si je dévisse le panneau de commandes, je pourrais peut … -Qui êtes vous ? l’interrompit un employé du centre qui venait de tourner à l’angle du couloir. -Nous sommes de la maintenance, le désinforma Julie. -Puis je voir vos cartes ? insista l’employé. Simon et Julie échangèrent un regard paniqué. L’employé, qui n’avait plus aucun doute sur le fait qu’il venait de démasquer des personnes qui n’avaient rien à faire là, se dirigea vers un poste téléphonique du réseau interne. Il actionna le bouton rouge conçu pour contacter le service de sécurité. L’espace d’un bref instant, Simon crut voir un signe d’incandescence sur le mur. L’employé appuya à nouveau sur le bouton. Il ne parvenait apparemment pas à avoir la communication. Il raccrocha avec contrariété, et se mit à courir. Il disparut derrière l’angle du couloir. Quelques secondes après, Simon entendit un cri étouffé. Artef s’avança lentement vers l’angle du mur et jeta un coup d’œil. Il se tourna vers Simon et Julie. -Il est mort. Des traces de brûlures par le chaud et le froid. -Un schisme temporel ? dit Julie. -Il faut croire que, si nous étions découverts ici, ça poserait une contradiction de causalité, mais ne me demandez pas laquelle. |
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| Sujet: Re: Vieux machins (Egophagie & Schisme) Lun 21 Juil 2008 - 23:21 | |
| -Ainsi donc, quoi qu’il advienne, l’alarme ne peut être donnée. Voila qui pourrait faciliter l’ouverture de cette porte sécurisée. Artef saisit la poignée de la porte blindée, et la fit coulisser de force. Sous l’effet d’un nouveau schisme temporel, le plafond se craquela là où passait le câble de l’alarme. Simon, Julie et Artef passèrent la porte qui donnait sur un long plan incliné. Ils descendirent dans les profondeurs, et il devint rapidement clair que cette partie du complexe n’avait pas le chauffage. Ils aboutirent dans une vaste salle. Une machine du volume d’une camionnette trônait en son centre. Julie la reconnut instantanément. -Une chambre cryogénique, dit elle. Du type capable de réfrigérer une personne sans occasionner de dommages cellulaires. Alors c’est cela que Deloutrelieu compte faire. Il veut hiberner pendant un demi-siècle. -Une technologie totalement anachronique, dit Simon qui ne pouvait pas s’empêcher d’apprécier ce genre de détail. -L’appareil est déjà en activité. Le vieux Robert Deloutrelieu doit être en coma artificiel à l’intérieur. -C’est logique, dit Simon. En minimisant ses interactions avec le reste du monde, Deloutrelieu diminue ses risques d’être confronté à un schisme temporel. -Il y a deux grandes sous-unités. -Deux « cercueils » comme on dit chez nous, rectifia Julie. Deloutrelieu occupe l’un, tandis que l’autre est vide. Il y en a toujours deux, au cas où l’un tomberait en panne et qu’il faudrait transférer d’urgence le patient. -A ton avis, pouvons nous exploiter cela à notre avantage ? -Nous pourrions utiliser cet appareil à notre propre usage, mais il faudrait le faire sans que cela se remarque. -Ce qui exclut de sortir Deloutrelieu de son sommeil. Ne resterait donc qu’un seul cercueil utilisable. -Vous auriez donc à hiberner ensemble. -Ca ressemble à un fantasme de post-adolescent, critiqua Julie. Mais c’est faisable. -Ils risquent de remarquer la surconsommation d’énergie, s’inquiéta Simon. -Je crois que la seule personne ici à connaître la consommation normale de ce genre d’appareil, mise à part moi, c’est celle qui dort à l’intérieur. -Sauf que cette personne est en deux exemplaires. -Espérons que le jeune Deloutrelieu ne s’y connaisse pas encore sur le sujet. -Il reste le problème d’Artef. N’y aurait il pas moyen de lui faire partager le cercueil de Deloutrelieu ? -Les biomolécules utilisées par la chambre dégraderaient ses systèmes. Artef était immobile, tel un mannequin de supermarché. Chez ses semblables, c’était signe d’intense réflexion. Il sembla parvenir à une décision. -Je pourrais retourner dehors, marcher un kilomètre vers le pôle sud et m’allonger dans la neige. Ca ne me tuerait pas. -Vous seriez incapable de vous relever une fois pris dans la glace, dit Simon. -C’est ce qui me préoccupe. Je vais devoir m’en remettre entièrement à vous deux. C’est un cas de figure inédit pour moi. Avant, les humains pouvaient m’ordonner de périr, mais ceci est différent. -C’est une lourde responsabilité, dit Simon, mais procédons quand même ainsi. # Et ils procédèrent de la sorte. Simon et Julie prirent place dans le cercueil de rechange. Artef se faufila hors du centre de recherches et allât reposer à la belle étoile. Le jeune Deloutrelieu fit bâcler l’enquête sur le cadavre de son employé. C’est pourquoi il ne remarqua pas que la porte sécurisée n’avait pas été ouverte par les schismes temporels. Les années passèrent. Le jeune Robert Deloutrelieu devint moins jeune. Le petit Isidore Pathique devint grand. Julie Elgato, Simon Chevalier, Steve Jones, Manuel Dubouillon et Christopher Leadership vinrent au monde. Artef Golem sortit de la chaîne de fabrication. Le Morlock fut construit et quitta l’orbite terrestre à destination de la sonde Ubiquity. Et tandis que leurs passés respectifs voguaient dans l’espace, Deloutrelieu, Simon et Julie furent réanimés par la chambre cryogénique de l’antarctique. # Sophie Populi se sentait un peu perdue. Son employeur lui avait donné pour consigne de veiller sur une chambre cryogénique visiblement en activité, et elle s’acquittait de cette tache depuis un an, mais elle ignorait ce que contenait la chambre et combien de personnes l’avaient précédé dans ce travail. Elle ne pouvait non plus se départir de l’impression que cet appareil paraissait avoir été bricolé avec du matériel obsolète, bien antérieur à la mise au point du premier prototype fonctionnel de chambre cryogénique. Tout récemment, monsieur Deloutrelieu l’avait prévenu de l’ouverture automatique imminente de la chambre, et elle s’était donc tenue auprès de l’appareil à l’heure fatidique. Fait qu’elle ne s’expliquait pas, monsieur Deloutrelieu lui-même était sorti d’un des deux habitacles de l’appareil. Il avait d’abord paru fort satisfait, puis en proie à une rage contenue lorsqu’il avait vu sortir deux autres personnes de l’autre habitacle. Sophie Populi savait que les « cercueils » réservaient parfois de drôles de surprises, mais elle aurait aimé ne serrait ce qu’un début d’ombre d’explication. Tout ce que fit son patron fut d’appeler les agents de sécurité pour leur confier les deux « intrus » qui se trouvaient dans l’habitacle de rechange. Pour corser le mystère, l’un des intrus, l’homme, demanda en passant à Sophie la date d’aujourd’hui, et lorsqu’elle lui répondit il déclara « Alors nous n’avons pas encore atteint la sonde ». Plus tard, les deux intrus furent remis aux autorités publiques. Il sembla à Sophie que Robert Deloutrelieu eut préféré les garder captifs en secret, mais que le personnel ne s’était pas révélé assez malhonnête pour cela. Elle apprit encore plus tard la découverte d’un androïde pris dans les glaces à un kilomètre au sud, sur les indications des deux intrus. Une semaine après, elle lut sur Internet un article concernant les intrus. Ils avaient été rapatriés en France et racontaient une histoire invraisemblable sur des voyages dans le temps. Jour après jour, Sophie se passionna pour cette affaire. Ce Simon Chevalier et cette Julie Elgato avaient beau être considérés comme fous ou affabulateurs, tout ceci remuait beaucoup de poussière dans les locaux de Janus-Corp. L’enquête s’interrogea sur la chambre cryogénique, et Sophie elle-même orienta les experts sur la composition étrange de l’appareil. Les informaticiens qui analysèrent Artef Golem conclurent que ce robot avait eu la certitude de se trouver à une date antérieure à sa conception. L’emploi du temps de Robert Deloutrelieu parut fort nébuleux aux enquêteurs. Simon parvint à faire passer aux journalistes une rédaction donnant les clés du voyage dans le temps, et quelques chercheurs de part le monde reproduisirent avec succès les expérience décrites. Cela prit un an, mais le voyage dans le temps devint une réalité officielle. Robert Deloutrelieu fût condamné à une lourde amende pour dissimulation d’une technologie aux applications potentiellement militaires. On découvrit plus tard que les principales puissances mondiales n’ignoraient rien de ses recherches sur la téléportation, mais que l’aspect temporel leur avait complètement échappé. On ne put inculper Deloutrelieu pour meurtres, du fait de la manière dont il les avait perpétrés. La législation sur les voyages dans le temps restait à faire, de même que la chronoéthique en général. Sophie fut fière d’avoir assisté au retour des premiers chrononautes. Un vaisseau fut envoyé récupérer le Morlock, ce dernier étant abandonné depuis la téléportation de son équipage vers le passé. Simon et Julie célébrèrent leur retour à une vie normale, du moins aussi normale que le leur permettait la célébrité, en convolant en justes noces. Artef Golem avait effacé ses programmes primaires, mais ce libre arbitre ne faisait pas de lui une personne devant la loi. A défaut, il hérita du statut de relique historique. C’était déjà mieux que celui de pièce à conviction qu’il avait eu durant l’enquête. Robert Deloutrelieu poursuivit sa carrière d’homme d’affaires, mais Janus-Corp frôla la faillite du fait de la désaffection des spéculateurs après que l’histoire de la fortune de Deloutrelieu soit devenue publique. # Julie Chevalier née Elgato marchait tranquillement dans les couloirs de son nouvel employeur. Simon travaillait pour la même entreprise qu’elle, mais dans un secteur différent. C’était justement vers le laboratoire de Simon que Julie se dirigeait. Il lui avait demandé par téléphone de venir. Il voulait lui montrer une découverte. Lorsqu’elle entra dans le laboratoire, elle vit son époux assis à côté d’un grand bocal bardé de fils électriques et de tuyaux. Quelque chose flottait au centre du bocal. C’était comme une petite étoile faite de lumières et de ténèbres, en tout point semblable aux schismes temporels que Julie avait déjà pu observer en des circonstance pénibles, si ce n’est que le phénomène du bocal ne semblait pas vouloir disparaître. -Nous avons mis un schisme temporel en bouteille, expliqua Simon. Nous créons volontairement un « paradoxe du grand-père » et nous insistons, le point critique se trouvant au centre du bocal. Nous avons pu analyser le schisme généré. -Et de quoi est il fait ? -Je dirais qu’il est fait de tout et de son contraire. C’est essentiellement de la lumière conventionnelle associée à une lumière exotique, cette forme exotique de lumière étant basée sur de l’énergie de valeur négative. On a pu identifier la couleur robur là dedans, en des quantités jamais égalées. On a aussi détecté toutes sortes de particules accompagnées de leurs contraires respectifs. Ce qui est intéressant, c’est que le total des émissions est toujours parfaitement neutre. Mon équipe commence sérieusement à penser que ce truc vient du néant. -C’est effrayant. -Nous songeons à exploiter ces énergies, et c’est prometteur. Ce pourrait être l’énergie illimitée et propre de demain. -Cela revient quand même à planter un oléoduc dans une faille du continuum espace-temps, dit Julie en haussant un sourcil critique. -Tu as raison, mais ce « générateur lacunaire » devrait tout de même être essayé. Un quart de lune éclairait une maison. Simon et Julie Chevalier dormaient paisiblement à l’étage, tandis qu’Artef Golem était assis sur le canapé au rez de chaussée. Artef réfléchissait à son avenir. « J’ai une opportunité » pensa t’il. FIN |
| | | Millstone Commandant Cyborg
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| Sujet: Re: Vieux machins (Egophagie & Schisme) Lun 21 Juil 2008 - 23:29 | |
| Voila, c'est tout. J'aimerais pouvoir prétendre que j'étais gosse quand j'ai écrit ça. La triste vérité est que j'avais 18 ans. Par ailleurs, je n'ai pas vraiment pris la peine de relire avant de poster.
Si ma mémoire est bonne, il doit se trouver là un robot assez mal armé question débat théologique, ainsi qu'une résolution mathématique du "pourquoi l'être et non le néant" qui ferait pisser de rire ketheriel. |
| | | Webkev Roi des Petits Gris
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| Sujet: Re: Vieux machins (Egophagie & Schisme) Mar 22 Juil 2008 - 13:15 | |
| Cher sylvouroboros, tu es un sacré pessimiste, doté d'une manie de la perfection... Ce n'est pas parce que tu les trouves pas si bons que ça que ces écrits sont mauvais, bon sang ! Ces deux récits sont très très très bons. Mis à part quelques libertés prises avec la physique (et quand je dis quelques, c'est parce qu'il y en a deux ou trois pas plus, sur l'ensemble des deux fictions), tout est absolument cohérent, et traité avec une superbe maitrise. Ce sont là deux récits d'anticipations très rigoureux, et si quelqu'un vient à s'en moquer, cette personne serait tout simplement en proie à une crise de jalousie. Au lieu de te montrer hésitant, sois fier! Ces deux histoires sont très bien écrites, ton style fait merveille. Il y a bien sur quelques écueils scientifiques, mais qui ne sont pas choquant (sauf pour un quelconque scientifique qui ne se rend pas compte qu'il lit là un récit fictif). Franchement, les petites incohérences sont de l'ordre du négligeable, masquées par le contenu des récits. Lequel ai-je préféré ? Tant Egophagie m'a impressionné, tant Schisme m'a laissé rêveur. Les descriptions sonnent tellement... juste. Que tu décrives un robot du type Artef, une entité multicorporelle telle qu'Organo, ou bien un trivirus comme Merlin, tout est précis, et bougrement réaliste. On s'y croirait. C'est superbe, excellent, enfin, Je n'ai qu'un mot, qui servira de conclusion ; BRAVO ! |
| | | Skay-39 The Vortex Guy
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| Sujet: Re: Vieux machins (Egophagie & Schisme) Sam 26 Juil 2008 - 18:54 | |
| Commentaire sur Egophagie : Sylvouroboros m’a gratifié il y a peu, sur l’un des sujets de ma section fan-série, d’un commentaire fort sympathique qui devait résumer son état d’esprit à la fin de la lecture de mon dernier chapitre. Je vais ici suivre son exemple, en retranscrivant ci-dessous les mots qui traversèrent mon esprit lorsque j’achevais Egophagie. » « Putain. Quel talent, ce gars. » Ceci, cela va sans dire, avec un mélange d’envie, d’admiration et de ressentiment. Je vous l’accorde, on à fait plus élégant. Mais ça venait du cœur. Aujourd’hui comme à ma première lecture, je termine cette nouvelle avec un petit pincement au cœur. Ça veut tout dire, je crois. Egophagie est indéniablement une grande réussite. Le seul principe de base, celui d’un testament envoyé à travers l’espace vers le nouveau foyer de l’humanité par un monstre aux millions de visages, aurait déjà été une très bonne histoire ; la dimension supplémentaire que tu y ajoutes avec l’intervention de Merlin, et ses interventions aussi au cours du récit, avec cette menace furtive du trivirus Zerone, qui grignota les bases de notre société pendant que tous les regards et tous les missiles se pointaient sur Organo, ajoute un petit côté biblique à l’affaire (et je sais que cette comparaison va te plaire ). Mon imagination tournait à cent à l’heure tendit que je visualisais ces machines de guerre à la Terminator, conçues par une intelligence limitée seulement sans doute par le nombre d’octets à sa disposition, et ces plantes mutantes et autres insectes hypertrophiés, concoctés par une intelligence limitée seulement par le nombre de neurones en contacts. Les écrivains de science-fiction se contentent généralement de l’un ou de l’autre ; les mêler ainsi tout en les opposants – non en raison d’un choix des deux protagonistes mais du fait de leur nature même – est proprement génial, dans tous les sens du terme. De même, j’adore la conclusion de ce récit. Ces satellites chargés d’une personnalité qui font route vers Mars, et proposent aux colons une cohabitation pacifique. C’est pas si infernal que ça, comme fin. C’est très symbolique, et assez poétique. Comme la conclusion, d’ailleurs. Oh, et. Grob. Borg. Si tu me l'avais mentionné à l'époque de ma première lecture, je l'ai oublié et redécouvert maintenant que tu m'a parlé plus en détail du collectif. Amusant petit clin d'oeil. ^^ S'il y a d'autres clins d'oeil - ce qui, de ta part, ne me surprendrait guère - je ne les ai pas repérés. =/ Je dois dire que j’aurais aimé qu’Organo survive, pas en tant qu’entité consciente et dangereuse, mais simplement sous la forme de colonies de cafards, de fourmis et de lézards résistant aux radiations, son intellect irrémédiablement tronqué mais sa personnalité à jamais conservée. Il m’a touché, ce petit monstre, avec ses « tenez-vous tous par la main. » Cependant, c’est là un petit accès de sentimentalisme, car sa mort est nécessaire au déroulement du récit. Je le mentionne parce qu’il le faut bien, une petite retouche aurait sans doute pu augmenter un peu la fluidité de l’ensemble, et je pense en particulier au tout début de cette histoire. On peut également déplorer un chouia que les protagonistes humains n’aient pas été un tout petit peu plus approfondis. J’aurais également adoré davantage de descriptions des armes de prédilection de Zerone et d’Organo au cours de leur guerre deux-à-deux, juste pour peaufiner l’ambiance. Ce sont des petites remarques, mais c’est vraiment là pour ne pas faillir à ma réputation. C’est excellent, tout simplement. Encore toutes mes félicitations. Je commenterais Schisme plus tard, lorsaue je l'aurais relu. EDIT et PS : Si tu avais été gosse quand tu as écrit ça, je t'aurais haïs. Vraiment. Déjà, là, je t'en veux. _________________ ________________ « My name is Skay-39, an administrator… An enthusiasm wave hit and I got shot through a link... Now I'm lost in some distant part of the webniverse on a forum – a crazy forum – full of strange, geek life-forms… Help me… Listen, please. Is there anybody out there who can read me ? I'm being tyrannized by an insane fondator… doing everything I can… I'm just looking for a real life. » |
| | | Skay-39 The Vortex Guy
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| Sujet: Re: Vieux machins (Egophagie & Schisme) Mer 30 Juil 2008 - 17:27 | |
| Commentaire sur Schisme : Excellent, encore. La fin en particulier. Je sais qu’il n’est pas conventionnel de commencer par commenter la fin, mais c’est le dernier passage que je viens de lire, en toute logique. Et j’adore l’ouverture que tu introduis, cette idée d’une déchirure de l’espace-temps mise en bouteille. J’y vois un message sur la nature humaine. Le passage qui a précédé, en revanche, me semble un tout petit peu trop rapide, mais ce n’est qu’un détail. Cette histoire me semble encore mieux construite que la précédente, bien que je ne saurais dire si elle l’a précédé ou lui a fait suite. Ce récit ne manque de rien, pas même de la petite romance indispensable. Oh, et, rapport au nom de la futur moitié du couple de l’histoire… Julie ? Encore ? Mhm… Doit-on y voir une simple coïncidence ? J’ignore si c’était l’effet recherché, mais l’allusion au fait qu’en vouloir à un robot revenait à en vouloir à un digicode, au tout début de ton récit, m’a fait éclater de rire. Cela m’a rappelé un sketch mémorable de je ne sais plus qui. ^^ Cette histoire contient d’ailleurs beaucoup d’humour, sans doute parce que le sujet s’y prêtait davantage que dans le récit d’Organo. J’ai sélectionné ici deux passages, ceux qui m’ont le plus amusé. - Sylvouroboros a écrit:
- C’est le ton de celui qui pose une question mais massacrera sans pitié quiconque osera lui répondre. Un prêtre adopte parfois ce ton. Un professeur de philosophie incompétent y a aussi recours à l’occasion. Certaines sœurs aînées en usent avec leur petit frère. C’est comme une ouverture à la fin d’une rédaction. C’est une question pour la forme, mais le fond est que le débat est clos. Des gens sont morts pour avoir négligé ce détail, surtout les frères cadets.
- Sylvouroboros a écrit:
- -J’ai fait l’acquisition d’un second jet privé, répondit le Deloutrelieu de vingt-six ans. Il est plus confortable que l’autre. Tu n’as qu’à l’utiliser.
-Merveilleux, se réjouit Deloutrelieu. On n’est décidemment jamais aussi bien servi que par soi-même. Tu développes des principes de science dont je ne saurais dire exactement s’ils sont fondés ou non, et le simple fait que j’en soit incapable montre que tu les as judicieusement introduis. Entre l’Intelligence Artificielle Darwinienne, le téléporteur intriqué, la machine à voyager dans le temps par particule intriquée anachroniques (si j’ai bien suivi), les vaisseaux toupies… Et, bien sûr, les phénomènes au cœur de cette histoire, ces disfonctionnements de l’univers qui interviennent pour empêcher les paradoxes de causalité. Ma vision du passé et des paradoxes est quelque chose de plus stricte, si stricte que ça ne laisse pas de place au voyage dans le temps. En conséquence, je suis bien content que tu ais laissé tout ça de côté pour mettre en place ton propre univers. Je suis un brin septique à propos de la facilité avec laquelle l’expédition accepte unanimement le voyage, ainsi que celle avec laquelle ils consentent à vivre anonymement dans le passé. Je vois mal quels avantages cela peut avoir pour eux, sinon éventuellement la possibilité d’améliorer certaines choses. D’autant que la simple existence d’Artef était une preuve en soit, me semble-t-il. Artef, justement, est un de mes personnages favoris. J’adore la manière dont tu le libères des lois d’Asimov, pour en faire une sorte de justicier. Un robot sans but, mais vraiment sans but aucun. Quasiment un être sensible à part entière. Et à propos d’Artef, justement… - Sylvouroboros a écrit:
- -Du « meet yourself gameplay » en quelque sorte, dit Artef avant d’émettre un rire trop cristallin pour être sincère.
Ce passage me laisse perplexe. Outre la référence que je n’ai pas compris, je m’étonne de voir Artef rire ou feindre le rire. S’agit-il là d’un artifice de communication ? Oh, et, je tiens à te féliciter pour le coup du « Il faut croire que, si nous étions découverts ici, ça poserait une contradiction de causalité, mais ne me demandez pas laquelle. » J’aime beaucoup, beaucoup cette idée, qui pourrait entre autre expliquer ma remarque suivante. Car un dernier petit point de cohérence qui me titille est situé sur la fin. J’ai du mal à croire que durant 50 ans, nul ne remarqua que la seconde chambre cryogénique était en fonction. Pourtant, outre la consommation énergétique, j’aurais cru que ce genre d’engin nécessitait un certain entretient. A moins qu’il ne s’agisse là d’une précaution de Deloutrelieu pour minimiser son impact sur notre époque. Oui, ce doit être cela. Et puisque j’ai déjà évoqué la toute fin au tout début de mon commentaire, voila qui achève ce dernier. Pour conclure tout de même, je dirais que cette histoire de science-fiction a tout pour plaire : des technologies nouvelles et originales, du moins en comparaison de ce que l’on peut lire en général, un retournement de situation que l’on sent prévu depuis le départ, une aventure épique (et pic et colégram) dans un passé capricieux… Sans mentir, si j’avais lu cela dans un recueil de nouvelles de SF, ça ne m’aurait pas surprit le moins du monde. C’est de la bonne SF. Une fois encore, un grand bravo donc. _________________ ________________ « My name is Skay-39, an administrator… An enthusiasm wave hit and I got shot through a link... Now I'm lost in some distant part of the webniverse on a forum – a crazy forum – full of strange, geek life-forms… Help me… Listen, please. Is there anybody out there who can read me ? I'm being tyrannized by an insane fondator… doing everything I can… I'm just looking for a real life. » |
| | | Phenix Noir Routard Interstellaire
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| Sujet: Re: Vieux machins (Egophagie & Schisme) Jeu 28 Mai 2009 - 16:01 | |
| EgophagieUne pointe de jalousie est toujours bon signe pour celui qui en est l'instigateur. C'est une belle réflexion qui est montrée dans ce texte. Les concepts ne sont pas neufs (mais toujours exotiques) mais effectivement l'idée de combiner l'affrontement ultime entre deux forces collectives est osé et intéressant. Cette idée d'affrontement brut entre deux forces est une quelque chose que j'ai aussi caressé parfois sans vraiment écrire à son sujet. Par contre à la forme du texte et aux remarques finales de Skay-39, je devinerai que contrairement à ce que d'autres apprécient, il n'y a pas de fascination pour le détail ou l'esthétique des évènements : on est presque étonnés par l'aspect très personnel que prend l'histoire de la conscience collective à ses débuts, mais c'est sans doute nécessaire pour l'émergence de la chose. Et du coup, les débuts de son opposant mécanique sont eux-mêmes assez anonymes. Histoire de me faire huer, relevons quand même que l'expérimentation à laquelle se livrent les fourmis d'elles-mêmes est de trop à mon sens, et surtout que l'attaque initiale des nanytes aurait quasiment du mettre directement à genoux les humains normaux : la dépendance aux technologies du début du XX est totale, je dis bien totale : et par conséquent, l'irrupton de Grob aurait pu constituer un espoir de ralliement pour une humanité aux abois, du moins une partie. Ce qui surprend, c'est la manière dont l'histoire se termine sur une note un peu positive : les Marsiens savent et survivront. Les deux menaces se sont annhiliées et ne causeront plus de danger : évidemment la Terre est pas spécialement hospitalière... Encore que la vie bactérienne (qu'on peut peut-être supposée indépendante en partie) est coriace... mais cela ôterait à l'affrontement son caractère définitif. Du point de vue de la forme, l'aspect témoignage permet d'amener la conclusion et sans doute facilite-t-il les choses, car tout compte fait les évènements sont si extrèmes qu'ils auraient été fort longs à décrire avec des narrateurs disposant de moins de recul. D'autre part, en général les "monstres" sont intéressant par le miroir qu'on leur tend, et si les réactions de l'humanité face à Grob sont décrites, celles concernant les Trivirus sont assez succintes. Enfin tout le début mérite débat, mais il est évident que des bénéfices obscurs nécessitent souvent la puissance de l'écrit tandis que la volonté éditoriale, et les formes télévisées ont tendance à nous évoquer des arguments "très humains" : à savoir que des choses rationnellement positives peuvent être inhumaines : par exemple, comme dans des histoires que j'ai lue, ou des personnages morts voyaient leur âme enfermées dans un rêve éternel et heureux, situation favorable mais moralement assez dérangeante, sachant qu'au cours de l'histoire c'est un véritable carnage. Ce qui n'empêche pas les notions de "ruche humaine" d'être traitées de manière peu amène dans la littérature. C'est de la bonne SF |
| | | Rufus Shinra Roi des Petits Gris
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| Sujet: Re: Vieux machins (Egophagie & Schisme) Mer 19 Mai 2010 - 22:43 | |
| Sylvouroboros, ou comment nous rappeler que le chemin de l'écriture est très long, et que certains savent y courir tels des Carl Lewis croisés Richard Virenque.
Je vais commencer par le seul point négatif qui me vient à l'esprit, pour les deux textes : le registre de langage des dialogues. Souvent, il est trop soutenu, ou, d'une manière que je ne pourrais pas décrire précisément, inadapté au langage parlé. Ça m'a un peu gêné dans l'immersion, mais sans plus.
Et puis, bon, je ne suis pas non plus une référence côté dialogues criants de vérité (faudrait plutôt chercher chez Skay, Mat ou dans tes propres textes plus récents pour en trouver).
Maintenant, ce que j'ai apprécié.....
Les idées, qui sont vraiment intéressante, et, surtout, bien traitées. On ne reste pas sur sa faim avec un concept abordé et lâché, tel le MacGuffin standard utilisé pour justifier l'action. Bien au contraire, tu nous montres des concepts intéressants qui, s'ils sont connus, ne sont néanmoins pas usés jusqu'à la moelle. Franchement, le coup du grey goo contre le green goo était très bien pensé et, il me semble, plus qu'original. J'ose à peine imaginer l'allure d'un tel affrontement, s'étalant sur des échelles allant du micro au macro, les virus et les armes nucléaires agissant de concert.
Le coup du témoignage post-mortem me paraissait un peu tiré par les cheveux, ficelle pour justifier le récit..... mais la fin a brisé cette impression, nous donnant une conclusion plus qu'à la hauteur du récit lui-même. Bon, pour ce qui est de la vision plus idéalisée du "hive mind", je conseille très fortement la lecture du webcomic (terminé) "A Miracle Of Science" (cherchez sur Google), qui élabore en détails pas mal de concepts dessus, avec un univers Hard-SF très appréciable (et apprécié).
Pour Schisme, je dois dire que j'ai plus apprécié, l'histoire étant plus dynamique, et même si le début a quelques touches de maladresse (comme certains noms, mais bon, pas de remarques désobligeante avant d'arriver à ce niveau en terme d'écriture), on s'implique plus. Le technobabble est cohérent, le coup des paradoxes mortels est appréciable et angoissant. D'ailleurs, très bon coup de faire en sorte que tes personnages utilisent les paradoxes pour neutraliser l'alarme, en Antarctique. Logique et implacable.
Pareil, au niveau des concepts bien abordés, et qui ont une influence notable sur le récit, l'androïde, dont la perte de loyauté est effectivement cohérente.
Un petit regret, par contre, celui de la fin, après le retour, qui aurait mérité un développement à part entière, avec les efforts du couple pour faire sortir l'information, le magnat s'efforçant de bloquer ça. A mon avis, l'histoire est une base pour un excellent thriller long (s'entend, roman) de SF, avec trois parties, celle du voyage (la plus courte), puis la période dans le passé et celle après le retour. Un texte très bon en soi, mais au potentiel encore plus grand, pour moi.
Mais la conclusion est très agréable, avec un pipeline dans l'espace-temps. Dans une bouteille (de Klein ?) en plus.
Chapeau bas, monsieur. Si tu as honte de ça, je paierai volontiers pour un travail que tu jugeras acceptable. Il aura sa place dans une bibliothèque qui peut se targuer de n'accueillir que la qualité. |
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