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 Le Feu de l'Oubli

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BelXander
Blob Verdâtre
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BelXander


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MessageSujet: Le Feu de l'Oubli   Le Feu de l'Oubli EmptyLun 7 Fév 2011 - 18:07

Voici une de mes nouvelles.

Je l'ai écrite lorsque je suivais des cours d'écriture romanesque à l'université du temps que j'étais en licence (2007) ; c'était un "travail à rendre" si on peut dire (délai imposé, noté et tout ce qui s'en suit).

À la base, j'avais une toute autre idée, mais c'était une idée qui serait plus à même d'être exploité dans un roman que dans une nouvelle. (roman que je compte sûrement écrire un jour d'ailleurs ^^) J'ai donc repris uniquement la base et modifié l'approche. Je suis pas trop mécontent du résultat au final.

Comme pour mes autres écrits, n'hésitez pas à donner vos ressentis suite à la lecture.
Je vais poster en 2 messages pour alléger un peu le truc, car elle est assez longue quand même.



Le Feu de l'Oubli


- On est bientôt arrivé ?
C’était bien la cinquième fois qu’elle demandait. Mais son père, se retournant pour lui dire que seulement la moitié du trajet avait été effectué, souriait. Il se disait que toutes les petites filles, ou plutôt tous les enfants du monde, à cet âge, posaient cette question à leurs parents lors d’un assez long voyage.
- Je m’ennuie, se plaignit-t-elle
- Tu n’as qu’à admirer le paysage, ma chérie. Ou tu peux lire ou dormir.
- J’ai presque fini mon livre, fit-elle en montrant un livre de poche du sorcier mondialement connu, Harry Potter.
Un bout de marque-page dépassait et l’on pouvait voir que la partie du dessus était nettement plus épaisse que celle située en dessous.
- Hé bien, finis-le complètement, s’exclama sa mère en continuant de fixer la route.
Elle devait conduire car son mari avait une attelle à la jambe. Ils avaient décidé que c’était plus prudent ainsi. Mais Kelly savait que son cher époux n’aimait guère son rôle de passager. Elle le sentait et le voyait du coin de l’œil lorsqu’il la regardait.
Jack s’ennuyait lui aussi. Il ne pouvait pas le dire à sa fille sinon elle se moquerait de lui. Mais conduire lui manquait. Il s’était brisé le tibia en pratiquant un match de foot entre amis et avait eu bien du mal à bouger pendant plusieurs semaines avec un énorme plâtre. Depuis sa jambe allait mieux mais une attelle était toujours présente le temps qu’il se réhabitue à l’utiliser pleinement et pour ne pas risquer de recasser l’os encore assez fragile.
Il se retourna pour regarder sa fille et lui demander :
- Tu t’es quand même bien amusé chez papi et mamie ?
- Oui. Bien sûr. Papi et mamie sont très gentils et leur grande ferme est super. On peut faire du cheval et il y a plein d’animaux. En plus, je crois que Jess m’aime bien.
- Ha oui ?
- Hum, affirma-t-elle en faisant un mouvement de haut en bas avec sa tête. Il me suivait partout et me faisait plein de léchouilles. C’était mon garde du corps.
- Tu crois qu’il t’aime plus que moi ? fit Jack d’un ton faussement suspicieux.
- Non ! C’est qu’un chien. Mais il est très gentil.
Après un silence, la petite fille continua :
- On pourra avoir un chien ?
- Ha ! Ça, il faut voir avec ta maman, fit son père, s’attendant à cette question.
- Pfffu… Elle voudra pas, répliqua Amy en faisant la lippe.
- Et pourquoi je voudrais pas, fit Kelly, en imitant le ton de sa fille sur la fin de la phrase.
- Je sais pas. Mais tu voulais pas prendre un chat la dernière fois que je t’ai demandé.
- Tu sais bien que je suis allergique aux poils de chat. Mais pour ce qui est d’un chien, pourquoi pas. T’en voudrais un comme papi et mamie ?
- Oui, mais moins vieux.
- Bien sûr. On en prendrait un bébé. Tu verras, c’est tellement mignon.
- Alors, c’est d’accord ? demanda-t-elle, plein d’espoir en regardant son père qui était toujours en partie retourné et qui haussa les épaules pour laisser répondre sa femme.
- On verra.
- Je le savais, ça finit toujours comme ça, souffla la petite fille, convaincue que les « on verra » était un synonyme de « non » pour les adultes.
Le silence revint dans la voiture. Jack se rassit normalement en pensant qu’il devrait reparler du cas « animal de compagnie » à Kelly. Ils pourraient lui offrir un petit berger allemand pour son anniversaire dont la date approchait. Amy serait folle de joie. Jack n’en revenait pas de l’intelligence de sa fille. Elle n’avait que 9 ans mais était d’une perspicacité à toute épreuve.
Kelly pensait elle aussi au chien. Elle n’avait jamais trop aimé les animaux de compagnie. Elle ne s’approchait pas des chats à cause de son allergie et n’avait qu’une confiance limitée envers les chiens. Pour elle, ils cachaient toujours un mauvais coup qu’ils allaient mettre à exécution sitôt le dos tourné. Drôle de sentiments pour une femme ayant passé son enfance dans un ranch comme celle de ses parents. Mais Amy s’entendait tellement avec le vieux Jess que Kelly savait qu’elle devrait offrir un chien pour l’anniversaire de sa fille.
Amy ne savait pas quoi penser. Allaient-ils lui faire une surprise et lui offrir un chien ? Presque tous ses camarades de classe avaient au moins un animal de compagnie voire plus. Elle savait son anniversaire tout proche et après un temps de réflexion devina quel cadeau ses parents allaient lui faire. Pour une fois, le « on verra » ne lui semblait pas si mal. Elle reprit alors son livre avec un enthousiasme retrouvé.

Les arbres défilaient rapidement, la voiture atteignant les 120 kilomètres par heure sur cette large route rectiligne. Il y avait pas mal de monde et la conduite demandait toute la concentration de Kelly. De nombreuses personnes retournaient sur Seattle ou Vancouver après le week-end passé à la campagne et s’ajoutaient à eux quelques poids lourds que les voitures doublaient les uns après les autres. C’était une conduite assez lassante mais qui demandait toutefois une bonne vigilance. En plus de ça, Kelly n’aimait pas vraiment conduire. À Seattle, elle prenait les moyens de transport en commun, et cette Ford était leur seule voiture. Elle avait hâte que Jack retrouve sa complète autonomie et espérait qu’au prochain week-end il serait apte à conduire. Au vu de sa forme, elle pensait que ça serait le cas.
La Fusion reprit la voie de droite après avoir passé un nouveau camion. Kelly aperçut le panneau indiquant les prochaines sorties. Pour ne pas continuer vers le nord et le Canada, il fallait retourner au sud, vers la R20 qui se dirigeait à l’ouest. Après quelques minutes, la voiture se trouva encore une fois derrière un camion. Kelly ne le doubla pas car il fallait qu’elle sorte au prochain embranchement. Elle observa du coin de l’œil son mari qui avait fermé les yeux et se reposait un peu puis elle vit dans le rétroviseur que sa fille s’était de nouveau prise à sa lecture, parvenant à lire dans la lueur de fin de journée.
L’imposant camion n’avançait pas. Mais la sortie n’allait pas tarder, aussi Kelly prit son mal en patience. Un panneau passa furtivement à moitié caché par les branches des arbres. Elle n’avait pas réussi à le lire mais savait ce qu’il annonçait. Enfin, elle vit la voie de sortie. D’un coup de volant, elle y précipita la voiture. La route n’était plus qu’un simple et étroit passage, ce qui surprit un peu Kelly. Puis, après quelques kilomètres alors que Jack était sûrement en train de dormir, Kelly commençait à se poser des questions. Elle n’avait pas vu de nouveaux panneaux et rien n’indiquait qu’elle était sur la bonne route pour rejoindre la R20. Amy finit alors son livre et le referma dans un soupir. Il lui faudrait attendre encore plus d’un an pour connaître la suite. Elle jeta un coup d’œil par la fenêtre et s’aperçut que la route était non seulement vierge de monde mais assez petite. Elle demanda à sa mère :
- On est où là ?
- Figure-toi que j’en sais rien, répondit, un peu plus sèchement qu’elle ne l’aurait voulu, sa mère.
- Bah, demande à papa, proposa Amy.
- Il dort.
- Réveille-le. Tu veux que je le fasse ? continua la fillette.
Mais alors sa mère poussa un juron qui s’en occupa. Elle venait de voir un panneau qui lui avait enfin annoncé sa direction. Ce n’était pas du tout la bonne.
- Qu’est ce qu’il y a, chérie ? demanda Jack, émergeant lentement de son court somme.
- Il y a que je me suis paumé.
- Quoi, fit Jack commençant à se réveiller un peu plus et à se redresser sur son siège. Comment t’as fait ?
- J’en sais rien. Je suivais la route habituelle, puis, je m’apprêtais à sortir pour retrouver la R20. Mais il y avait un énorme camion devant moi qui me bouchait la vue et je n’ai pas pu voir le dernier panneau. J’étais sûr que c’était celui qui indiquait la voie de la R20, donc je n’y ai pas fait plus attention que ça. Et j’ai pris la sortie suivante, celle-ci. Il semble que ce n’est pas la bonne.
- Effectivement.
- En plus, je viens enfin d’apercevoir un panneau, le premier depuis que j’ai emprunté cette maudite route, et celle-ci nous conduit tout le long du Ross Lake jusqu’au Canada, expliqua Kelly.
- Et bah tu devrais t’arrêter et faire demi-tour, proposa son mari.
- Oui, c’est vrai.
Kelly freina pour stopper la voiture. Mais la forêt très dense entourait le véhicule de près.
- Comment on va faire demi-tour, papa ? demanda Amy qui avait vu que les arbres étaient vraiment proches de sa portière.
- Euh…, je sais pas vraiment.
- Je propose qu’on continue encore un peu. Il y aura bien une zone plus large, un renfoncement ou une route contraire, intervint Kelly.
Jack regarda sa merveilleuse femme, qu’il trouva somptueuse malgré les conditions et la faible lumière. Ses longs cheveux blonds retombaient sur ses épaules en cascade et ses yeux verts profonds et si vivants lui renvoyaient son regard.
- Tu es vraiment la meilleure femme au monde.
- Je sais, fit-elle d’un air supérieur en souriant. Mais j’ai pourtant trouvé le moyen de nous perdre.
Elle repassa la première pour relancer le véhicule sur l’étroit chemin. La forêt paraissait bien mystérieuse et les grandes branches surélevées masquaient le peu de lumière que diffusait le soleil du soir. Après quelques minutes d’avancée, la route restait inchangée. Kelly et Jack commençaient à se dire qu’ils allaient arriver au Canada. C’est alors qu’une autre petite voie coupait le chemin sur lequel ils étaient engagés.
- Ah, enfin. J’espère que cette route va nous ramener vers la highway 20, déclara Jack.
- Bah si on la prend dans le bon sens, elle a l’air de suivre le chemin qu’on vient de prendre à peu près parallèlement. On devrait déboucher sur la route qu’on a quitté.
Kelly amorça le virage et dû s’y reprendre pour ne pas heurter un des nombreux arbres tout proches de la route. Alors ils repartirent, dans le bon sens espéraient-ils.

Amy était fatiguée. Elle qui voulait déjà être rentrée, et qui espérait qu’ils n’allaient pas mettre trop de temps. Elle avait bien envie de se plaindre de cette excursion imprévue, mais tint sa langue pour ne pas énerver ses parents. Elle s’installa un peu plus confortablement et ferma les yeux, en espérant pouvoir s’endormir rapidement et se réveiller une fois arrivé.
Jack en voulait un peu à sa femme de s’être égaré. Mais il préférait ne rien dire pour ne pas la vexer. Elle pouvait être assez sensible par moment. Alors il se concentra sur le paysage. Il était quelque peu monotone. Ce n’était en effet qu’une succession d’arbres. Mais il n’avait pas grand chose d’autre à faire. Alors qu’il allait se détourner, il aperçut quelque chose de bizarre. La voiture n’avançant pas trop vite sur cette route en mauvais état il eut le temps de le voir.
Un manoir. C’était un étrange manoir situé en retrait dans la forêt. Il avait l’air très sombre, les murs étaient quasiment noirs et cela provoqua une réaction de surprise chez Jack. Son cœur s’accéléra et quelque chose au plus profond de lui commença à se craqueler. Un clignement d’œil plus tard, il n’y avait plus rien. Jack n’en revenait pas. Avait-il rêvé ? Il porta ses mains à son visage pour se frotter les yeux et en regardant vers l’arrière de la voiture, en direction de la zone où était apparue l’étrange bâtisse, il ne vit de nouveau plus rien.
Kelly qui avait vu son étrange comportement demanda :
- Qu’est ce qu’il y a ?
- Heu… Je ne sais pas. J’ai vu quelqu’un chose de bizarre. Arrête-toi, fit-il tout à coup.
- Quoi ? s’étonna Kelly.
- J’ai dit de t’arrêter. Stoppe la voiture.
- Mais pourquoi ?
- Je… J’ai une étrange impression.
Kelly freina et arrêta la voiture. Elle se disait que ça allait être plus pratique pour parler. Elle se tourna vers son mari avant de lui demander :
- Tu vas me dire ce qui t’arrive ?
- Oui. En fait sur la route, là, il vient de m’arriver quelque chose de surprenant.
- Quoi ? Qu’est ce qu’il se passe ? demanda Amy en se réveillant et en se détachant pour se rapprocher des sièges avant du véhicule.
- Vous n’avez pas vu ?
- Vu quoi ? demanda Kelly.
- Une maison. Un grand manoir très sombre donnant sur la route que l’on vient de prendre, incrusté dans la forêt.
- Non, je n’ai rien vu. Mais à vrai dire, je regardais la route, alors…, fit Kelly pour s’expliquer.
- Moi non plus je ne regardais pas. J’essayais de dormir, indiqua la fillette.
- Fais demi-tour, imposa Jack à sa femme.
- Mais tu sais bien qu’on ne peut pas. Tu ne vois pas les arbres ? Ils sont bien trop resserrés.
- Je sais. Mais fais juste une marche arrière. Ce n’est pas loin.
- Tu es sûr ? Tu n’as pas imaginé cette demeure ? Il me paraît assez improbable que des gens habitent dans cette forêt. Elle me semble si vierge, si dense et surtout si inquiétante.
- Peut-être. Mais je veux vérifier par moi-même une seconde fois. Si tu ne veux pas faire une marche arrière j’irais vérifier à pied.
- Avec ton attelle ?
Après un temps de silence et de regard intense, Kelly céda. Elle avait vraiment l’impression que Jack serait parti à pied dans cette forêt. Ce n’était pas le moment et il n’était pas vraiment en condition.
- Bien. Je vais essayer de reculer le plus droit possible pour ne pas emboutir un arbre.
- Merci.
Kelly passa la marche arrière et commença à effectuer la manœuvre. Elle y parvint sans trop de mal et la voiture recula à vitesse réduite sans rencontrer de problème.
- Tu ne peux pas aller plus vite ? interrogea Jack.
- Non, désolée, répondit-elle.
Jack n’insista pas. Il était déjà bien content que sa femme accepte de faire cette manœuvre pour vérifier ce qui était peut-être une vision de l’esprit. Mais au plus profond de lui il savait qu’il y avait quelque chose dans cette forêt. Il ne savait pas quoi. Mais il se doutait que cela était important. Peut-être cette vision éphémère était-elle une réminiscence de son passé perdu.
Kelly freina brusquement. Une énorme branche était tombée d’un arbre en plein milieu de l’étroit chemin comme pour les empêcher de continuer. Quelle plaie ! Il était hors de question de passer. Et Jack ne pensait pas pouvoir la soulever pour la déplacer. De plus, sa jambe emprisonnée dans son attelle n’allait pas l’aider. Il devrait continuer le chemin à pied.
- Je vais y aller à pied à partir de là. Vous n’avez qu’à m’attendre, fit-il la main déjà posée sur la poignée de la portière.
- Tu es sûr que tu ne veux pas qu’on vienne avec toi ? Ta jambe ne va pas te gêner ?
- Non, restez ici. Ce n’est pas la peine que vous veniez. Je vais juste aller vérifier. Si ça se trouve ce n’est rien.
- Mais alors pourquoi tiens-tu absolument à y aller ? demanda Kelly quelque peu inquiète.
- Je ne sais pas. Une intuition.
- Sois prudent, papa, l’encouragea Amy.
- Merci. Ne t’inquiète pas je reviens dans un quart d’heure. Si je ne suis pas revenu d’ici là, vous n’avez qu’à venir me chercher. Ce n’est pas loin sur la route. Vous la suivez et vous ne pouvez pas rater le manoir. Il y a une énorme grille rouillée qui donne sur la route. Si du moins ça existe, finit Jack en rigolant à moitié.
Il ouvrit la portière pour sortir de la voiture. Kelly se pencha vers lui et Jack se retourna pour déposer un baiser sur ses lèvres. Il referma la portière en lui faisant un signe avec son pouce levé. Il prit alors le chemin, passa comme il put au-dessus de l’imposante branche puis continua son avancée.

Jack était amnésique. Il n’avait aucun souvenir de son enfance. Sa mémoire lui était fermée et il ne pouvait remonter qu’à l’âge de 12 ans, environ. Au-delà, il n’y avait rien. Du moins, croyait-il qu’il n’y avait rien. Il ne savait pas comment cela lui était arrivé, ni pourquoi. Il avait été retrouvé errant et solitaire dans la ville de Mont Vernon. On l’avait confié aux services sociaux de l’enfance mais jamais personne n’avait pu tirer la moindre information de son passé. À part cela, c’était un enfant tout à fait normal. Il savait parler et lire comme tous les enfants de son âge, avait de bonne capacité intellectuelle et physique. Mais il avait tout simplement perdu la mémoire.
Après un temps passé dans un institut spécialisé, on lui avait trouvé une famille d’accueil où il avait pu grandir et s’épanouir. Arrivé à sa majorité, il avait pris son indépendance, un appartement à Seattle et s’était inscrit à l’université pour poursuivre des études supérieures. Il ne revoyait que très rarement sa famille d’accueil. Elle lui avait juste permis de sortir de l’adolescence et de rentrer dans la vie active, tout ce qu’il souhaitait. Il avait par la suite mené une vie normale, rencontré Kelly à la fac et leur relation avait commencé tout bêtement comme une simple idylle de jeunes adultes. Puis, cela s’était progressivement transformé en quelque chose de plus sérieux et Jack avait demandé Kelly en fiançailles. Là était venue l’idée d’avoir un enfant, chose faite peu après leur mariage à la fin de leurs études respectives. Ils approchaient maintenant de la quarantaine et menaient une vie assez simple faite de répétition et de routine. C’était une vie banale, des gens normaux. Ils avaient certes bien réussi dans leurs actions et leurs choix. Ils avaient suivi de longues études, avaient tous les deux un bon emploi, mais ils ne se considéraient pas comme exceptionnels. C’était une vie à portée de tous, et ils se fondaient dans la masse.
L’amnésie de Jack n’avait pas vraiment posé de problèmes, surtout que cela concernait un moment de son passé assez peu mis en avant. On ne parlait pas souvent de la petite enfance une fois adulte si ce n’est pour ressortir par moment quelques anecdotes. Toutefois, cela n’avait jamais pénalisé Jack et jamais il n’avait pensé que son passé pouvait ressurgir. Surtout pas de cette façon. Il avait par moment envisagé de se cogner le crane sur un mur en espérant retrouver les moments oubliés, comme l’on pouvait le voir dans les films. Mais il ne prenait pas tout cela vraiment au sérieux. Il avait fait des recherches, bien sûr. Lorsqu’il était encore lycéen et que sa maladie le tourmentait, il avait pensé que cela pourrait l’aider. Mais il n’avait pas trouvé grand chose. Il ne s’était rien passé de bien extraordinaire à Mt Vernon ou à Seattle peu avant qu’on le retrouve. Rien qui ne puisse lui être arrivé et qui puisse avoir affecté sa mémoire. Peut-être était-il originaire d’une autre ville et qu’il était arrivé en stop à Mt Vernon, bien que cela paraisse fou vu l’âge qu’il avait.

Jack pouvait voir maintenant la vieille grille d’entrée. Il n’avait donc pas rêvé. Mais au vu de l’état de la grille, elle devait être à l’abandon depuis longtemps. Après encore quelques foulées, il arriva enfin en face et il put observer avec précision ce qu’il avait entrevu tout à l’heure en voiture.
La grille rouillée donnait sur un chemin de terre battue, qui quant à lui, conduisait à une espèce de rond-point situé devant la grande bâtisse. Au milieu du cercle de route se trouvait un parterre qui avait dû par le passé être couvert de fleurs mais qui maintenant était envahi par les mauvaises herbes. De chaque coté de l’artère principale, les fougères débordaient mais la forêt était, on ne sait par quelle force, comme retenue. En effet, on avait l’impression que la nature voulait reprendre son droit sur ce lieu, mais n’y parvenait pas. C’était un sentiment étrange. De plus, Jack se sentait bizarre lui aussi. C’était indescriptible mais il avait le cœur qui battait la chamade et son corps était tendu. Ses idées se bousculaient et son esprit n’était pas très clair. Mais il se rendit compte d’un truc pour le moins curieux, de l’autre côté du Lac Ross se trouvait des montagnes, les montagnes Jack. Quelle coïncidence.
Jack poussa la grille qui avança lentement et difficilement dans un grincement strident mais heureusement assez court. Il avança dans l’allée et arriva devant le manoir. Tout du moins ce qu’il en restait. Ce n’était qu’un champ de ruine. Jack fut surpris car dans ce qu’il avait eu le temps de voir en voiture, il lui avait semblé voir une maison debout. Mais maintenant qu’il était devant, il dut se rendre à l’évidence ce n’était bien que des ruines. Un très grand tas de blocs de béton noirci. Ca avait dû être un énorme bâtiment, plus qu’une simple maison. On avait dû pouvoir y vivre en très grand nombre. Ou une imposante famille occupait ce lieu avant sa destruction ou alors c’était la demeure d’un riche maniaque, reclus sur lui-même qui appréciait les lieux reculés.
Jack monta les quelques marches qui restaient et s’avança dans le champ de ruines. En voyant de près les monticules de béton, les pans de murs restants noircis, et les quelques traces de cendres, il se rendit à l’évidence. Ce manoir avait été incendié.
Cette pensé oblitéra son esprit. Son cœur s’accéléra encore un peu et il tomba à genoux sous le choc. Sa vision se troubla et l’instant d’après il s’écroula au sol.

Le garçon courait. Il devait fuir. Il ne savait pas ce qu’il fuyait exactement mais ne souhaitait pas le savoir. Il savait juste que ses petites jambes d’enfant devaient le porter le plus loin possible, hors de cette sombre forêt. Il faisait nuit et l’enfant n’y voyait pas grand chose malgré les puissants et perçants rayons de la pleine lune. Le jeune garçon courait avec prudence. Il ne voulait pas s’écrouler en heurtant une racine, ni se tordre la cheville sur les nombreuses branches et pierres présentes au sol.
Le garçon osa un coup d’œil derrière lui pour voir ce qu’il fuyait. Il vit alors de part les arbres, derrière de nombreux troncs, une sombre mais puissante lueur. Il parvenait à distinguer une lumière orangée vive et dansante. L’enfant ne savait pas ce que c’était mais il était rassuré de voir que cela ne bougeait pas vraiment et n’avait pas l’air de s’approcher. Cette lueur était comme une lumière pour l’appeler. Mais qui l’appellerait dans cette grande et mystérieuse forêt par une nuit de pleine lune ? Sûrement un monstre. Il avait lu de nombreuses histoires fantastiques à ce sujet. Bien qu’il ne parvienne pas à se rappeler les événements qui l’avaient conduit jusqu’ici, il se souvenait parfaitement que des monstres pouvaient vivre dans la forêt et que ces monstres aimaient souvent manger les petits enfants. En plus, cette lueur était bien trop grande pour être un banal feu de camp. Aussi le garçon se retourna et reprit sa course.


Dernière édition par BelXander le Lun 7 Fév 2011 - 18:13, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Le Feu de l'Oubli   Le Feu de l'Oubli EmptyLun 7 Fév 2011 - 18:08


Il était épuisé. Cela faisait maintenant deux nuits qu’il avait échappé à la lueur. Il était tout proche d’une route, mais ne savait pas comment abordé quelqu’un pour que cette personne l’emmène vers une ville. Mais il avait tellement faim. Il devait tenter le coup. Il essayerait le lendemain.
Après une nouvelle nuit de marche, le garçon parvint à apercevoir une maisonnée dans les bois. C’était en fait l’arrière d’une station-service et la maison dans laquelle le propriétaire vivait. Le soleil venait de se lever et le garçon vit que l’homme avait quitté sa maisonnette et s’était dirigé vers son magasin dans l’attente des premiers clients. Le garçon en profita. Il se précipita vers la petite maison, qui ressemblait étrangement à un mobil-home. Il tourna la poignée de la porte, et par chance, celle-ci s’ouvrit. Il put entrer discrètement au cas où quelqu’un d’autre vivrait là, puis, après vérification, il se jeta sur le réfrigérateur. Son regard se posa sur la nourriture et il engloutit tout ce qu’il put manger. Le garçon ouvrit tous les tiroirs et trouva à nouveau de la nourriture. C’était des biscuits et d’autres choses à grignoter. Il en profita et il en mit le plus possible dans ses poches. Il but le lait présent dans le frigo et prit quelques canettes. Alors, il sortit doucement de la petite habitation et se rendit furtivement vers le magasin. Longeant les murs, il trouva le lieu idéal pour observer la station service. Après avoir vu quelques voitures passées, l’enfant se décida à passer à l’action. Il devait se cacher dans un véhicule pour se rendre dans une ville. Là-bas, il espérait pouvoir trouver des gens qui l’aideraient.

- Jack… ?
L’esprit encore embrumé, Jack ouvrit les yeux. Il voyait encore flou, et son ouïe n’était pas non plus parfaite. Il entendait une voix l’appeler mais elle était tellement déformée qu’il était bien incapable de mettre un nom dessus.
- Jack ? répéta la voix.
Cette fois, il la reconnut sans problème. C’était bien sûr la voix de sa femme qui provenait d’au-dessus de lui. Qui d’autre ? Il se rendit compte par là même qu’il était couché au sol. Sa vision redevenant un peu meilleure, il put voir les longs cheveux blonds de sa femme tomber sur son visage.
Un coup d’œil sur le côté et il vit aussi sa fille. Elle avait l’air assez grande de ce point de vue se dit Jack. On pouvait toutefois lire de l’inquiétude sur son visage. Jack s’aperçut que la nuit était tombée.
- Ça va, papa ? demanda-t-elle en voyant qu’il regardait vers elle.
- Ouais, fit-il faiblement.
- Que t’est-il arrivé ? voulut savoir sa femme en se reculant un peu mais en restant accroupi à ses côtés.
Jack s’assit avant d’expliquer :
- Je ne sais pas. J’ai vu tout cela et mon esprit me poussait à avancer. Je me suis donc rendu ici et c’est là que je me suis écroulé.
- Écroulé ? s’écria Kelly en blanchissant.
- Ouais. J’ai dû avoir un moment de faiblesse. Une petite hypoglycémie, je ne pense pas que ça soit grave.
- Et bien tu me feras le plaisir de quand même aller voir un médecin demain pour qu’on soit fixé.
- Si tu veux, mais je ne vois que ça. J’ai très faim.
- J’ai faim moi aussi, fit Amy.
Jack lui sourit en ajoutant pour sa femme :
- J’ai aussi eu une vision.
- Une vision ?
- Oui, comme un rêve. Je crois que c’était un souvenir. Un élément perdu de mon passé oublié qui a refait surface l’espace d’un instant.
C’est alors que Jack eut un mouvement de recul. Il n’avait pas vu ce que tenait Kelly dans sa main. Elle brandissait un briquet allumé dont la grande flamme, réglé sur le maximum, éclairait les lieux.
- Éteins-moi ça, s’il te plait, mon amour. Tu sais bien que j’ai horreur du feu.
- Je le sais bien, chéri. Mais malheureusement la lampe torche est tombée en panne et je n’ai que ça pour nous éclairer. Il va falloir que tu surmontes ta phobie le temps de rejoindre la voiture.
Jack hésita. Il ne savait pas pourquoi, mais il avait peur du feu. Il avait toujours eu cette phobie. D’où venait-elle ? Il ne pouvait le dire. Mais c’était un élément du passé et il avait pris l’habitude de vivre avec.
- D’accord, mais tu devras te tenir le plus éloigné de moi. Et ne pas me laisser voir la flamme.
- Bien sûr, fit Kelly en se relevant et en tendant sa main libre pour aider son mari à se mettre debout.
La pyrophobie de Jack était la plus sévère possible. La moindre flammèche ou étincelle l’insupportait.
- Vous m’avez attendu longtemps et combien de temps avez-vous mis pour venir ?
- On a attendu vingt minutes puis on est partis à ta recherche. En un quart d’heure nous t’avons trouvé inconscient au milieu de ces ruines. Et là on a dû mettre deux minutes à te réveiller.
- Tant que ça ?
- Oui. C’est pour ça que je veux que tu ailles voir un docteur dès demain.
- D’accord, j’irais le voir ton docteur. Mais pour moi, c’est juste un manque de sucre.
- On a eu très peur, fit Amy.
- Je comprends. Surtout que je vous vois mal me porter.
- Moi je l’aurais fait, s’il l’avait fallu, expliqua Amy d’un ton parfaitement sérieux en remettant ses mèches de cheveux châtains derrière l’oreille.
- Tu es une petite fille très courageuse.
- Je ne suis plus petite.
- Non, bien sûr. Je comprends aussi pourquoi il fait nuit maintenant. On va arriver tard à la maison.
- Ce n’est pas ma faute, dit Kelly.
- Si, en partie, contra Jack en souriant.
Ils marchèrent quelques minutes en silence avant qu’Amy ne satisfasse sa curiosité :
- Qu’est ce qu’il s’est passé dans ton rêve ?
- Je me suis revu gamin. Je devais avoir ton âge. J’étais dans la forêt et je courais. Je fuyais quelque chose. Quoi ? Je ne sais pas. Je l’avais déjà oublié. Je me suis rendu à une station-service après plusieurs jours de marche dans la forêt et là après avoir volé de la nourriture, j’avais la ferme intention de m’introduire dans un véhicule pour me rendre dans une ville. C’est sûrement comme ça que je suis arrivé à Mont Vernon, la ville où l’on m’a découvert et où mes souvenirs s’arrêtent.
- Tu crois que ces ruines sont liées à toi, proposa Kelly.
- Je le pense. Autrement pourquoi m’auraient-elles fait cet effet là. Il va falloir que je fasse des recherches. Ou que j’y revienne plus tard.
- Quoi ? Tu veux y retourner ?
- Bah pourquoi pas ? C’est bien grâce à cet ancien manoir que je me suis souvenu de quelques jours de ma vie. Même si ce ne sont que des fragments de mon enfance, ils me sont toujours chers. Et je pourrais peut-être finir par me rappeler l’origine de mon amnésie, ce qui d’après les médecins me guérirait.
- Je comprends, fit Kelly, songeuse.
De retour à la voiture, ils repartirent en silence. Le chemin conduisait bien à la route qu’ils avaient quittée trop tôt. Etait-ce le destin qui avait agi pour que Jack puisse trouver ce lieu ? Néanmoins, Kelly reprit la route et cette fois-ci fit bien attention de sortir à l’embranchement de la R20, en direction du Diablo Lake. Après une heure de trajet, ils purent prendre la route 530, puis rejoindre l’autoroute 5 pour enfin arriver dans le quartier de Lynnwood au nord de Seattle.
Kelly prit Amy dans ses bras, la fillette s’étant endormie. Jack se chargea des quelques bagages et ils montèrent dans leur appartement toujours dans le silence. Kelly s’occupa de coucher sa fille. Elle n’avait rien mangé à part des biscuits et autres gourmandises en voiture mais il était trop tard pour faire à manger maintenant. Et surtout, il était trop dur de la tirer du sommeil. Kelly rejoignit alors son mari qui était déjà en train de se déshabiller.
- Tu ne veux pas manger quelque chose ? proposa Kelly. Je croyais que tu avais faim ?
- Non. C’est bon. La pression est retombée, je n’ai plus trop faim et je suis surtout claqué.
- Et moi donc. Mais j’ai encore faim. Je vais aller me dénicher quelques trucs et je te rejoins.
- Prends ton temps va.
Jack l’observa quitter la pièce. Son corps était toujours aussi bien qu’il y avait dix ans. Sa silhouette était quasiment parfaite et n’avait que quelques kilos en trop. Le voyant l’observer, Kelly lui adressa un clin d’œil avant de refermer la porte.
Jack finit de se déshabiller et se glissa dans les draps.
Kelly se rendit dans la cuisine et chercha ce qu’elle pouvait manger à dix heures et demi du soir. Il n’y avait pas grand chose dans le frigo et elle n’avait pas envie de préparer un vrai repas. Elle voulait grignoter quelque chose pour calmer son ventre qui réclamait quelque chose en gargouillant fortement. Mais plus que tout, elle voulait aller dormir.
Elle sortit un mini pain à passer au grille-pain et pendant qu’il chauffait se mit une saucisse au micro-onde. Elle comptait se faire un petit hot-dog ou deux et regagner son lit. Après avoir mangé et bu, elle se rendit dans la salle de bain, se brossa les dents distraitement et entra dans la chambre à coucher. Là, elle trouva Jack déjà profondément endormi. Elle l’observa un moment en souriant. Elle aimait tant son visage lorsqu’il dormait, si paisible. Puis elle se déshabilla et passa une nuisette avant de le rejoindre au lit.

Le petit Jack n’en pouvait plus. Il vivait dans cette grande demeure depuis qu’il était tout petit, mais sa vie n’était pas joyeuse tous les jours. Il n’avait jamais connu ses parents ou ne s’en rappelait plus, ces derniers étant morts alors qu’il était encore un bébé. Sa famille, une tante, n’avait pas voulu de lui et l’avait placé dans cet orphelinat perdu en pleine forêt au nord des États-Unis. Depuis, il n’avait jamais quitté cet endroit. Il vivait là avec d’autres enfants, à peu près du même âge et cela aurait pu être intéressant. Mais les responsables de l’établissement étaient un vieux couple très sévère et tous les précepteurs avaient le même caractère. Ils en faisaient voir de toutes les couleurs aux pauvres enfants qu’on leur avait confiés.
Certains groupes s’étaient crées parmi les enfants pour essayer de parler entre eux de choses divers et variées leur faisant oublier leur condition et ce lieu lugubre. Mais le pauvre Jack pourtant ici depuis bien longtemps déjà ne faisait pas l’unanimité et était toujours un peu en retrait, seul. Il n’en pouvait plus. Il ne connaissait pas vraiment le monde extérieur si ce n’est ce qu’il avait pu lire dans les livres mais il lui paraissait bien mieux que cet endroit. Il aimait lire. Cela lui permettait de s’échapper de la réalité, de cette prison. Car c’est ainsi qu’il considérait cet orphelinat. Tous les enfants devaient obéir à des règles très strictes, ils n’avaient rien le droit de faire par eux-même sans demander la permission et ils étaient battus.
Jack avait décidé de fuir. Il fallait qu’il quitte le manoir. Et il avait un plan.

Jack se réveilla. Il se crut à l’orphelinat, tant d’années en arrière, avant de s’apercevoir qu’il était en fait dans sa chambre à Seattle. Il se retourna pour voir sa femme mais trouva le lit vide. Il se leva et s’habilla pour se rendre dans la cuisine. Il trouva sa femme et sa fille déjà habillées en train de prendre leur petit-déjeuner.
- Salut, lança Jack.
- Bonjour, papa.
- Je t’ai laissé dormir, tu avais l’air tellement épuisé, expliqua Kelly.
- Merci. J’ai gagné quelques minutes de sommeil, fit Jack en souriant.
- Je sais que c’est peu mais c’est toujours ça. Maintenant, dépêche-toi ou tu vas être en retard au boulot.
- Je ne vais pas y aller.
- Quoi ? s’étonna Kelly.
- Je vais faire que je suis malade et ne pas aller travailler aujourd’hui, déclara Jack à sa femme.
- Ça, j’ai compris. Mais pourquoi ? voulut-elle savoir.
- J’ai fait un rêve cette nuit.
- Un rêve ? Sur ton passé, ton enfance ?
- Exactement. La vue du manoir calciné hier a agi sur mon esprit et a ébréché les défenses que j’avais construites autour de ces souvenirs. Il commence à me revenir de courts moments des évènements passés, annonça Jack en s’asseyant et en prenant une tartine de pain grillée et du bacon.
- Je vois. Et quels sont les souvenirs que tu as vu cette nuit ?
- Pas grand-chose. Je me suis vu dans un orphelinat. Je me souviens aussi que mes véritables parents sont morts il y a longtemps alors que je n’étais encore qu’un bébé, et ma tante, ma seule famille n’a pas voulu de moi et m’a placé dans cet orphelinat perdu, la grande demeure en ruine que nous avons visitée hier.
- Quelle méchante tante, intervint Amy.
- Et quelle coïncidence, fit Kelly. Tu imagines la probabilité que nous tombions sur cette route et que nous trouvions précisément les restes de l’orphelinat dans lequel tu as passé ton enfance ?
- Oui, c’est étonnant. Et je me rappelle aussi que la vie dans cet établissement était horrible. Tuteurs sévères, règles militaires, etc. Et je me suis réveillé au moment où je comptais m’enfuir.
- Et bah ! En fait, tu as eu une enfance mystérieuse. Qui l’aurait cru ?
- Et bien, une amnésie n’arrive pas comme ça. Il est sûr qu’il m’était arrivé quelque chose. Mais c’est vrai que je ne pensais pas vraiment à cela, dit Jack.
- Et pourquoi tu ne veux pas aller travailler ? Tu comptes enquêter, je suppose ? avança Kelly.
- Tout juste. Je vais aller à la bibliothèque et aux archives pour voir s’il n’y a pas quelque chose sur l’incendie de cet orphelinat.
- D’accord. Mais profites-en aussi pour passer voir un médecin.
- Bien sûr.
- Bon, et bien moi je vais y aller, fit-elle en se levant et en donnant un bisou à sa fille. On se voit ce soir.
- À ce soir, maman.
- À ce soir, chérie, fit Jack en donnant un baiser à sa femme qui s’était penché au-dessus de sa chaise.
Une fois Amy partit à l’école, Jack téléphona à son travail pour se faire porter pâle. Il se prépara alors à sortir et se rendit à la bibliothèque. Là, il ne trouva que peu de choses concernant un orphelinat perdu dans la forêt près du Diablo Lake et du Ross Lake. Il espéra avoir plus de résultat aux archives. Et il eut effectivement plus de chance. Il trouva un article sur le fameux incendie de l’orphelinat de Ross Lake qui le replongea dans le passé.

Le jeune garçon regardait les flammes, caché derrière quelques arbres à l’arrière de la propriété. Il voyait quelques personnes sortir du manoir en toussant mais n’osait pas s’approcher. On se demanderait pourquoi il était déjà dehors en pleine nuit alors qu’un feu ravageait la demeure et surtout comment il avait pu sortir sans avoir aucune trace de brûlures.
Il était encore jeune et ne connaissait pas vraiment comment fonctionnait réellement le monde mais il avait terriblement peur qu’on le prenne pour responsable et qu’on l’envoie en prison. Bien qu’il se dise que la prison ne devait pas être beaucoup plus terrible que cet orphelinat, il n’avait pas envie d’y passer le reste de sa vie. C’était une peur peut-être absurde, mais le petit garçon était terrorisé et il ne pouvait penser normalement dans ces conditions. Il voyait là un très bon moyen de fuir ce lieu et ces personnes, qu’il n’aimait pas, et de pouvoir vivre libre tel un aventurier de roman. On le penserait mort et brûlé parmi les décombres du sinistre et jamais on ne penserait à le chercher. C’était une occasion en or.
Après un dernier regard vers le feu, l’esprit en ébullition, le jeune garçon se détourna d’un coup et se mit à courir. Il devait mettre le plus de distance entre ce lieu en flammes et lui, et l’oublier.

Jack comprit maintenant comment il avait oublié. Son esprit, après le si terrible choc de l’incendie et les misérables conditions de vie à l’orphelinat, s’était braqué et avait préféré effacer tout événement s’y reportant. Mais Jack n’était pas encore totalement satisfait. L’article de journal était assez bref et ne donnait pas toutes les informations. Mais en demandant s’il y avait plus de détails sur cet incendie, la responsable des archives ne trouva rien.
Cela étonna Jack. Il avait appris ce qu’il s’était passé, il savait où il avait passé son enfance et se rappelait à peu près des conditions de vie qu’il avait connu. Mais il avait l’impression que toute sa mémoire n’était pas revenue qu’il ne se souvenait pas d’un élément d’une grande importance.
Il décida alors, plus par impulsion et par instinct qu’autre chose, de retourner à l’orphelinat en ruine. Là-bas, il parviendrait peut-être à se remémorer ce que son esprit gardait encore si profondément enfoui.
Après avoir avisé de l’heure, il décida d’aller manger quelque chose puis de se rendre sur place dans l’après-midi.
Après trois heures de route, Jack retrouva le petit chemin que sa femme avait emprunté par mégarde. Après avoir pris le temps de dégager le tronc d’arbre gênant la route, il retrouva sans problème les restes du manoir à l’abandon. Il sortit de voiture et se rendit au centre des décombres dans l’espoir d’avoir accès à un nouveau souvenir. Il regarda les ruines calcinées et s’aperçut que les arbres n’avaient toujours pas repris leur droit sur elles. Après avoir promené son regard alentour il eut une drôle d’impression. On aurait pu croire que la nature attendait un événement précis avant de reprendre ce morceau de terre. On aurait dit qu’il y avait une frontière invisible qui était là dans le but de conserver une trace de ce lieu. C’était fou mais c’est ce qu’il semblait à Jack. La nature savait qu’il allait revenir et pour lui permettre de se rappeler, elle n’avait pas recouvert les restes de l’orphelinat. Il se sentit tout à coup bizarre et une vision arriva mais sans que Jack ne tombe dans l’inconscience.

Son plan avait fonctionné à merveille. Il avait réussi. Le petit Jack avait fait exprès de commettre des impairs dans la journée pour être convoqué chez le directeur. Une fois dans son bureau, il avait eu de la chance et avait pu subtiliser la clé de l’aile où il dormait. Car le dortoir n’était pas fermé à clé, mais les portes des couloirs, si. Avec cette clé, Jack avait pu en pleine nuit sortir de l’aile du dortoir pendant que les autres dormaient et sans se faire remarqué, il s’était rendu dans un des bureaux des surveillants. Il était arrivé là pour essayer de prendre une bougie. Car il connaissait à peu près les couloirs de son secteur, mais il ne connaissait pas par cœur toute la demeure. Celle-ci était vaste et se promener dans l’obscurité totale allait être trop dur. Pour trouver la sortie, il avait besoin de lumière.
Jack était en train de farfouiller dans le bureau à la recherche d’une lampe torche, d’une bougie ou tout autre élément qui pourrait l’éclairer. Pour le moment la fouille ne donnait rien. Il abandonna le bureau et se mit à chercher dans un des nombreux placards de la pièce. Il trouva enfin un lot de bougie et des allumettes. Il allait pouvoir s’en servir pour sortir de là et fuir cet horrible manoir.
Il s’assit au bureau et posa ses trouvailles sur le plan de travail. Il alluma sans mal une des nombreuses bougies. Alors qu’il allait sortir sa source de lumière à la main, il eut une idée. Et s’il cherchait à manger. Il ne pouvait se rendre en cuisine. Cette dernière serait sûrement gardée par le chien qui dormait à proximité pour décourager les quelques pilleurs nocturnes qui se trouvaient parmi les surveillants de nuit. Mais dans ce bureau, il était possible qu’il y ait des biscuits. Il retourna sur ses pas et se rendit vers le meuble d’où il avait sorti les bougies. Il posa la sienne sur le meuble et commença à ouvrir les tiroirs en espérant y trouver quelque chose. Mais malheureusement, il n’y avait rien.
Il se releva alors brusquement, désespéré par la faim, et par mégarde son coude heurta la bougie. Il voulut lancer son bras dans la course de l’objet pour saisir la bougie avant qu’elle ne tombe mais au lieu de la rattraper au vol il la propulsa droit vers les longs et vieux rideaux dégarnis qui couvraient la fenêtre. Il ne fallut que quelques secondes pour que ces derniers ne s’embrasent. Jack réagit instantanément et chercha un long vêtement ou bout de tissu pour couvrir le début du feu. Il s’empara du tapis et le jeta sur les flammes. Mais ces dernières avaient déjà bien prises et les flammes commençaient à grimper rapidement et à lécher le plafond. Elles s’étaient développées à une vitesse hallucinante et le jeune garçon ne pouvait plus rien faire. Jack les regarda quelques secondes comme fasciné. Il se dit alors qu’il devait prévenir quelqu’un. Il devait sortir et crier au feu pour réveiller tout le monde. Mais alors son esprit réagi d’une étrange façon. Il se dit que c’était là un parfait moyen de prendre le large. Il tenait là une parfaite diversion et pouvait en profiter pour quitter ce maudit orphelinat. En plus, s’il restait, il serait très vite accusé et alors Jack prit peur de se trouver dans un endroit encore pire que ce terrible manoir. Il savait ce qu’il lui restait à faire. Il prit les bougies restantes et le briquet sur le bureau en luttant contre la chaleur et il sortit. Allumant une des bougies et jetant les autres, il s’aventura dans le sombre couloir illuminé par la seule lueur de la petite flamme mouvante. Il était déterminé à quitter cet endroit en feu et à l’oublier.

Fin.
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Le Feu de l'Oubli
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