Sortir
La couette lui renvoyait son souffle chaud au visage, mêlé d'une subtile odeur de fumée. La sensation était des plus rassurantes, et d'instinct il recroquevilla les jambes, toujours bien trop exposées à la fraîcheur de la chambre à son goût. Et il écoutait. Une clarté blafarde filtrait à travers les lourds rideaux qui lui masquaient la vue, mais il savait parfaitement ce qui se trouvait au-delà, comment elle bordait les silhouettes sombres et effilés des arbres, nus et immobiles. Aucun son ne provenait de cette fenêtre, comme si le monde réel et tangible s'était arrêté aux murs de bois, peut-être même à la porte qui le séparait du reste de la demeure. Alors il écoutait son propre souffle, appuyé et régulier, Le sommeil ne voulait pas venir, vaincu et confiné par cet afflux de questions angoissantes qui venait trop régulièrement le tourmenter une fois seul dans son trop grand lit.
« Pourquoi suis-je seul, alors que je n'en ai pas envie ? Pourquoi alors qu'on ne veut même pas me laisser sortir ? »
Cet apparent paradoxe le dépassait, s'ajoutant à une suite de petits malheurs qui somme toute auraient pu se confiner à la frange anodine des heurts d'une vie ordinaire. Mais pas ce soir. Il n'osait pas faire usage de sa petite voix frêle, qu'il pressentait trop mal assurée. Et qu'aurait-il fait si on l'avait entendu ? La porte allait-elle s'ouvrir dans un grincement, laissant la place à un domestique venu lui faire réprimande ? Il préférait de loin songer et se contenter de parler dans son imaginaire.
«Laissez-moi sortir ! Je n'ai pas pas envie d'être là. »
Sans détours, la conclusion restait toujours la même. Même sa chambre lui semblait devenue étrangère. Il rabattit la couette pour se couvrir totalement la tête, échapper à l'air glacial et à la lueur. La nuit s'amusait à lui rendre l'extérieur des plus inhospitaliers, comme pour lui faire comprendre à quel point ses rêves étaient vains. Il se laissa aller à cette sorte de pleur semi volontaire qui le soulageait, humidifiait ses yeux clôts et ajoutait une touche de douceur à sa détresse. Mais l'instant d'après, il sentit ses jambes se raidir.
« Moi non plus. »
Le silence, revenu aussitôt le laissa en état de suspens. Une brève douleur irradia l'arrière de sa cuisse, qu'il massa pour la dissiper. Ce n'était pas sa voix. Il n'avait jamais attendu de réponse, les dialogues qu'il menait dans son esprit inoccupé étaient bien distincts, petites scènes d'une vie fantoche, créée pour le distraire et lui faire oublier sa solitude. Mais on lui avait répondu, offert des paroles venues d'ailleurs, dans une voix qui le plongea dans une attente inconfortable. Il avait peur, bien entendu, mais il espérait en savoir plus, pouvoir démêler le vrai du faux. Non, il voulait de la compagnie.
« Qui es-tu ? » Il cria presque cette question dans son esprit, l'envoyant se fracasser contre ses lèvres closes, serrées par l'inquiétude. Il se sentit aussitôt infiniment stupide d'être triste à ce point, et cela ne fit qu'aggraver sa douleur.
« Je suis prisonnier. »
La mystérieuse présence ne se fit plus sentir ce soir là, le laissant aux affres d'une nuit entrecoupée de brefs épisodes de sommeil sans rêve. Il lança bien d'autres appels, parfois même murmurés à voix basse, sans obtenir plus aucune réaction. Le matin le trouva encore frissonnant, encore hébété comme au sortir d'un songe.
**
La porte se referma et aussitôt, il n'entendit plus que le son rauque et irrégulier du vent au delà de la fenêtre. La nuit s'annonçait aussi froide que la précédente, mais cette fois il ne se jeta pas avec impatience sur le lit et ses moelleuses promesses. Il se glissa lentement, et rabattit la couette jusqu'au menton, avant de fixer le plafond chichement éclairé. On ne lui avait pas fait remarque de sa mine ensommeillée, et il n'avait pas eu à se débattre dans le mensonge pour cacher la réelle raison de sa nuit agitée. C'est avec une appréhension mêlée d'espoir qu'il réitéra ses appels de la veille ; mais en l'absence de réponse, il sombra peu à peu dans l'état de léthargie qui précédait le sommeil.
« Je suis là. »
Il mit quelques instants à reprendre totalement le contrôle de ses sens, à évacuer jusqu'à la dernière parcelle de l'engourdissement procuré par la chaude couverture. Il ne pouvait toujours pas déterminer la provenance de la voix, cependant son identité ne faisait aucun doute. Les mots lui manquaient à présent, écrasés dans une sorte de paralysie qui comprimait son esprit. Il paniqua brusquement à l'idée de rater le coche, de laisser filer dans la solitude de sa chambre cette occasion de parler enfin.
« Tu es prisonnier ? » La question semblait naïve mais il s'entendit la poser avec soulagement.
– Ne l'es-tu pas ?
– Non ! Je ne suis pas... en prison.
– Qui suis-je pour te contredire ? »
Son cœur s'empressait de suivre le rythme de ses pensées confuses. Instinctivement, il s'était méfié de donner une réponse trop franche à la mystérieuse personne, et pourtant il sentait l'envie de s'épancher monter en lui, tambouriner contre la fragile porte qui la maintenait sous contrôle. Et cette voix s'adressait à lui comme jamais on ne l'avait fait.
« Pourquoi viens-tu me parler ? Où est-ce que tu te trouves ? » La brutale soif de savoir venait de prendre les commandes et dictait quasiment mot à mot le flot de question qui se pressait à ses lèvres.
– Parce que tu peux m'écouter.
– Moi ?
– Toi seul. »
Cet intérêt non dissimulé éveilla en lui un plaisir oublié depuis longtemps. Son désir de s'accrocher à la voix, d'échanger enfin n'en devint que plus vif. Mais on ne pouvait pas s'émanciper ainsi d'années de silence, aussi attendait-il encore d'autres gestes de la part de la présence nocturne.
« Pourquoi moi ? Je ne suis pas le seul ici.
– Mais tu es le seul à espérer la même chose que moi.
– Je n'espère rien...
– Répondre comme cela ne fait que le démontrer davantage. Ne veux-tu pas mettre un mot sur ce que tu ressens ? »
Il prit une profonde inspiration, huma une nouvelle fois l'atmosphère douillette qui régnait sous son abri, avant de s'aventurer à goûter l'air bien plus froid de la chambre. Le vent poursuivait inlassablement son œuvre, agitant les branches bien trop lointaines pour être entendues. Les rideaux ne laissaient filtrer qu'une fraction de ces sons et de la lumière étrange du dehors, comme une ombre inquiétante, un avertissement. Et pourtant, s'il ne voulait pas observer la fenêtre, ce n'était guère par peur du dehors.
« Je veux sortir d'ici. » La porte céda, et l'enfant put exprimer ce qu'il ressentait. « Je dois étudier à l'intérieur. Je ne peux pas sortir sans une personne qui me surveille. On ne me laisse pas rencontrer d'amis. Et personne ne m'écoute jamais. Ne m'écoute vraiment.
– Que font-ils à la place ?
– On me gronde quand je fais quelque chose qui ne leur plaît pas. On s'inquiète s'il fait froid, si je ne mange pas bien, si je ne suis pas mes leçons. Mais quand je veux dire vraiment quelque chose, on ne m'écoute pas.
– A lors tu ne dis plus rien.
– Je ne dis plus rien. »
Il sentit l'humidité perler à nouveau de ses yeux, involontairement cette fois là. Une douce chaleur naissait dans son ventre, dans ses poings serrés, alors que sa colère endormie empruntait le canal ouvert par d'autres sentiments.
« Je n'ai plus envie de leur dire quoi que ce soit. On ne fera que semblant de m'écouter.
– Et à ton avis, pour quelle raison ? » La question le laissa désarmé. Il n'avait pas vraiment réfléchi à tout cela. Non pas aux causes, mais à la manière de les présenter. Une explication valable, qui ne lui attirerait aucune moquerie, mépris ou pire encore, voilà qui lui manquait soudainement. Mais la voix était différente, il ne pouvait pas l'imaginer coupable de se comporter comme les autres.
– Je crois qu'ils ont peur pour moi. Ils veulent me protéger.
– Et pourquoi aurais-tu besoin d'une protection ?
– Je ne sais pas. Je m'en fiche.
– Raconte moi tes journées. »
La succession des instants vécus entre gouvernante et précepteurs, entre autorité opaque et tendresse feinte, entre lever brumeux et coucher cramoisi, tout cela forma un long monologue qui l'emmena jusqu'aux portes du sommeil, sans qu'il ne sache plus s'il parlait réellement à quelqu'un d'autre que lui-même, mais avec la régularité et l'allant de celui qui attend depuis trop longtemps l'occasion d'une confession. Ses rêves le montrèrent tel qu'il se voyait, nu et solitaire, mais les mots formaient une distance inédite, un squelette de pensée qui le rassura.
**
Cette fois, la pluie apporta son bruissement et sa lancinante plainte aux feulements du vent, qui se faisait davantage discret, comme pour offrir à la nouvelle venue la place d'honneur. Il lâcha le pan de rideau qu'il venait d'écarter de ses doigts, le temps d'apercevoir son double naturel et mouvant, dressé devant la forêt à peine discernable. Il lui revenait en mémoire des moments dans une herbe humide et des sous-bois emplis d'odeurs puissantes.
Il était habité d'un sentiment étrange et partagé, quasi euphorique à l'idée de pouvoir parler à nouveau, mais pris d'un remord à l'idée de s'être épanché comme il l'avait fait. N'avait-il pas donné l'image d'un enfant geignard et perdu, incapable de révolte ? Qui pourrait-donc s'intéresser à lui dans ces conditions ?
« Et toi ? Pourquoi es-tu là ? » Il désirait se montrer sous un meilleur visage, découvrir celui ou celle à qui il devait des nuits plus prenantes.
– Je suis prisonnier.
– Mais pourquoi ?
– Parce qu'on m'admirait. Et qu'on voulait me garder pour cette raison.
Il se renfrogna, passablement déçu par cette explication. Ne parlait-on pas d'amour en le retenant contre son gré dans la grande bâtisse ? On le couvait car il était admirable, litanie qu'il subissait et n'entendait même plus au fil des jours. Il décida de s'intéresser davantage à son ami.
– Pourquoi ne t'ai-je jamais vu ?
– Parce que je suis précieux dans un sens différent de toi. Qu'on ne veut pas me laisser sortir parce que cela représenterait un danger mais parce que je n'ai aucune envie de rester ici, contre mon gré. Et qu'on doit estimer que cela ne te concerne pas.
– Et si je demandais ?
– Que dirais-tu pour qu'on t'écoute ?
– Je ne sais pas.
– Et quelle serait leur réaction, à ton avis ?
Il essuierait un refus, serait probablement grondé, songea-t-il aussitôt. Il se savait mauvais menteur, et ne s'imaginait pas du reste capable de tisser une version acceptable de sa rencontre avec l'inconnu. Jusqu'à présent, le silence restait sa meilleure option, sa tactique de survie et la meilleure manière de rendre aux autres l'incompréhension dont ils faisaient preuve.
– Je ne dirai rien. Même si j'ai envie de te rencontrer.
– Monsieur ton père ne souhaite plus me montrer. Je ne suis plus assez séduisant, et il ne m'aime guère. Tu ne me verras jamais.
– Que voudrais-tu faire ?
– Je voudrais pouvoir déployer mes ailes et m'envoler loin d'ici...
Cette nuit là, il se sentit triste, mais non désespéré. Sous sa couverture douillette, il découvrait la compassion, un élan profond pour cet être ailé et malheureux, qui se morfondait comme lui dans cette demeure austère. Ses rêves furent peuplés de plumes lumineuses, à l'éclat changeant sans cesse, offrant chacune leur petit éclat éphémère dans son mouvement ou sa chute. Mais à chaque fois qu'il parvenait à s'en approcher, une sombre porte bardée de fer venait brusquement se refermer, le séparant de la créature. Et il ne pouvait que revenir sur ses pas sans l'apercevoir dans son entier.
Au matin, alors qu'il se frottait encore les yeux, une ambition nouvelle s'était enracinée en lui, promesse d'énergie pour les journées à venir. Un léger sourire ornait son visage d'ordinaire si peu vivant, car cette perspective le réjouissait : il parviendrait à rencontrer son ami et le cas échéant, lui offrirait le salut qu'il ne parvenait pas à trouver.
**
Les conversations s'étaient faites plus évasives au fil des jours. Chacun décrivait à l'autre les souvenirs du monde qu'il pouvait garder, à sa façon, sans doute déformée et enjolivée. Il avait évoqué la forêt d'ordinaire si accueillante durant les belles saisons, malgré son aspect hostile de ces jours d'hiver. En retour, il avait eu le récit d'endroits qu'il ne pouvait se représenter avec certitude, de perspectives uniquement destinées à ceux qui peuvent parcourir les cieux. Tous ces récits s'étaient teints d'une ironie amère, maintenant qu'ils ne constituaient que des souvenirs. Son monde se résumait à ces planches à l'aspect patiné et cireux, ces lourdes teintures, coussins et couvertures.
Alors qu'il entrouvrait le rideau, il fut chassé par la lueur vive d'un éclair et repoussa d'un geste vif l'écran protecteur, peu avant l'arrivée du grondement sourd du tonnerre. La nuit n'était pas propice à ses projets, à la liberté future de son ami. Il se représentait bien l'endroit de sa détention, l'une de ces pièces dont on lui interdisait l'accès au troisième étage de la demeure. Au fil du temps son monde s'était composé en un archipel disparate d'endroits où sa présence était tolérée, séparés par de nombreux lieux où il n'était guère le bienvenu.
Un second coup de tonnerre le fit sursauter, apportant une réponse. Le vacarme de l'hiver couvrirait le son de sa téméraire entreprise.
**
La porte s'ouvrit dans un grincement qui lui parut interminable. Il s'interrompit, le souffle court, tous les sens aiguisés à l'extrême par la crainte d'être surpris. Se faire réprimander pour ne pas avoir respecter l'heure du coucher ne l'inquiétait guère, mais il franchissait là un interdit qu'il savait bien plus grave. Et aurait-il une nouvelle occasion d'agir si par malheur celle-ci se voyait éventée ? Ses pieds nus explorèrent le parquet de la pièce, qu'il ne devinait qu'à peine, à la faveur de la lueur provenant de la fenêtre mal calfeutrée. L'orage semblait avoir craché la majeure part de sa fureur, et c'est avec soulagement qu'il put repousser la porte derrière lui. Poussée contre le mur sur sa droite, il devina la silhouette de la grande cage qu'on lui avait décrite, recouverte de son voile de tissu noir. Son cœur se serra à l'idée de cet espace confiné et étouffant.
« Je suis là.
– Je peux t'entendre. »
Pour la première fois, la voix n'affichait pas ce détachement relatif qu'il lui avait toujours connu ; une certaine émotion s'en dégageait. L'enfant sentit l'excitation s'emparer totalement de lui, agiter ses bras et ses jambes, à la simple pensée qu'il n'avait pas vécu un simple rêve, illusion née de l'ennui et du désespoir. Lentement, doucement, il s'approcha, jusqu'à pouvoir frôler le voile opaque qui couvrait la structure métallique. Il attendit, attentif aux faibles bruits émanant de l'endroit. Avait-il bien entendu un léger souffle, un battement d'aile ? Il ne parvenait pas à en acquérir la certitude.
Il rabattit une partie du voile mais ses yeux pourtant déjà habitués à l'obscurité ne distinguaient rien entre les fins barreaux noircis. Son cœur battait la chamade tandis qu'il cherchait le petit portillon qui séparait son ami de la liberté. Enfin une fine pièce coulissa et il écarta doucement un pan de la cage. Un son indéfinissable monta alors du fond de la prison et il recula brusquement, en proie à une frayeur soudaine. Les mains jointes, ils attendit alors, fixant intensément l'ouverture. Les rideaux semblaient s'être écartés, comme pour faire passer davantage de lumière. Et enfin il le vit.
Une tête noirâtre surgit de l'ouverture, prolongée d'un bec court et puissant, ornée d'un œil rougeâtre. Elle se déplaçait par saccade, comme pour humer l'atmosphère de la pièce, semant derrière elle ce qui ressemblait à une fine poussière. Puis l'oiseau, ou ce qui y ressemblait se libéra enfin et atterrit maladroitement à terre. Offrant quelque vague ressemblance avec un gros corbeau, l'animal n'était que plumes ébouriffées et désordonnées, comme couvertes des filaments salis d'une toile d'araignée oubliée par les domestiques. Il ne put s'empêcher de reculer encore à la vue de la pitoyable créature. Quand elle tourna son regard sur lui, il se recroquevilla instinctivement.
« Alors ? » La voix provenait directement de l'oiseau, plus éraillée et sifflante que celle qui avait peuplé ses nuits. « Je ne suis pas à ton goût ? » La bête étendit ce qui ressemblait à des ailes, dans un nuage de suie noire. Tétanisé, le garçon ne parvint pas à répondre.
« Je te fais horreur. Comme à ceux qui m'ont emprisonné, n'est-ce pas ? N'est-ce pas ? »
Sa voix ne lui plaisait plus du tout. Il sentit des gouttes de sueur piquante lui agresser les yeux, mais il n'osait pas détourner ni baisser le regard. Quelque chose de malsain provenait de ces paroles. C'est alors qu'il vit l'air se mouvoir dans la direction de la créature, emportant avec lui ces volutes de fumée si étranges et inquiétantes qui l'entouraient.
– Non... Non.
– Tu n'as jamais su mentir. C'est toi qui me l'a raconté. Tu es comme eux. Toujours prêt à garder ce qui peut te plaire et à oublier quand cela ne convient plus. Sais-tu pourquoi on m'a gardé ici ? Caché ? Parce que ceux qui osaient encore m'observer voyaient en moi leur propre laideur ! »
– Je ne suis pas comme ça ! »
Une bouffée de chaleur intense lui parvint au visage, chargée d'une odeur âcre et piquante. Il tomba à la renverse puis se mit à reculer frénétiquement au sol, incapable de détacher les yeux de ce qui se passait au pied de la cage. Un à un, de petits éclats de lumière rouge surgissaient entre les plumes d'ébène et se mirent à luire, tandis que les lattes de bois grésillaient et noircissaient sous le volatile dont la taille semblait croître de seconde en seconde.
« Alors tu mérites d'être libéré... » Le voile opaque s'embrasa soudainement, incapable de résister plus longtemps à la terrible chaleur qui se dégageait de la créature. L'enfant poussa un profond hurlement en se précipitant vers la porte. Le brasier partit à sa rencontre bien plus vite, le perçant de mille serres brûlantes. De terribles cris secouèrent alors la maisonnée.
On se pressa à vive allure vers la pièce maudite, en proie à la plus grande des paniques. A l'ouverture de la porte, une affreuse odeur parvint aux sens des domestiques réunis. Sous leur yeux, une pathétique silhouette étendait la main vers la poignée qu'il n'avait jamais pu atteindre. C'était d'elle qu'émanait la terrible puanteur de chair rôtie. Le reste de la pièce n'offrait qu'un témoignage encore vif des feux qui avaient brièvement régné en son sein. Ignorant les sanglots de la gouvernante penchée sur les restes de son protégé, deux hommes avancèrent jusqu'à l'ouverture béante et calcinée qui tenait lieu de fenêtre.
Ils baissèrent aussitôt le regard.
Non loin, devant la forêt agitée par la tempête, brillait une lueur rougeâtre, suspendue dans un nuage d'épaisse fumée. Ils ne les avaient croisés qu'un bref instant mais ces yeux resteraient gravés à jamais dans leurs esprits. Des yeux brillants d'une haine inextinguible, des yeux à peine satisfaits de la douleur fraîchement infligée à ses geôliers. Ceux d'un être pour qui la compassion n'était guère qu'une notion répugnante et hideuse, juste bonne à recouvrer le chemin de la liberté.[center]